Nice, le 29-10-72

 

 

 

Oui :

 

Quand du haut de son arbre centenaire, le hibou grand-duc guette le lever de la lune par un soir de vent qui fait vibrer les plumes de ses deux oreillettes, et Žcoute craquer les nervures des feuilles mortes sous les pattes des scarabŽes.

Il est sans le savoir, en tout point semblable ˆ lĠanctre des Zucca remuant dans sa mŽmoire les annŽes de sa vie, comme on remue des glaons dans un verre de Whisky, par un mouvement rotatif du poignet qui tient serrŽ le verre.

Il arrive aussi au grand oiseau nocturne, de se laisser tomber sans bruit, les ailes entrĠouvertes, sur une proie surprise par ce silence et quĠil emporte dans un trou de rocher ˆ lĠabri des fusils des contrebandiers, qui aimeraient bien retirer un bon  prix de la dŽpouille de lĠanimal :

Mais, comme il a appris ˆ ruser sans cesse avec son destin, il est devenu invulnŽrable.

Et peut ˆ prŽsent se permettre de survoler sans peur les forts dont il voit sous lui les arbres abattus sans raison par des bžcherons ignares, car il reste dŽsormais hors de portŽe de leurs railleries.

CĠest un fait certain ; constate-t-il : la plaine se transforme, et jĠavais le souvenir dĠune rivire lˆ o je ne vois plus quĠun chantier de machines. Mais peut-tre que mes souvenirs sĠemmlent : JĠai survolŽ tant de pays que ma mŽmoire mŽlange un peu les perspectives.

Avec le vent que je viens de trouver, lŽgrement ascendant, je devrais pouvoir voler encore des milliers de kilomtres sans avoir ˆ battre mes ailes, - ce qui est une Žconomie apprŽciable de dŽpense musculaire – et ce serait bien le diable quĠun moinillon Žtourdi ne vienne pas se buter dans ma serre. De toutes faons, mon appŽtit dŽcro”t, et jĠai dans ma panse une bonne rŽserve.

CĠest bien ce que je disais : Je mĠŽlve. Ce vent est bon.

Il file discrtement vers le Sud.

Si tout se passe bien, cette fois, jĠarriverai peut-tre ˆ repasser la mer : a fait longtemps que je nĠai plus vu lĠautre c™tŽ de lĠeau. Sžr que lˆ-bas, je retrouverai quelques camarades de classe, et un trou confortable dans un Žrable ˆ lĠabri des serpents ˆ sonnette.

 

Ainsi vole le hibou grand-duc, dont le cercle jaune vif autour de ses pupilles noires, se dilate ˆ mesure que le vent lĠemporte, et dont le bec claque de plaisir, au rythme dĠaccords primitifs.

 

La petite chouette, ou plut™t, soyons sincre, le jeune hibou que je suis, ˆ la tte dŽplumŽe par un orage, est pour lĠinstant descendu sur le sol chercher sa nourriture : Gaffe aux chasseurs !

 

    

     Je tĠembrasse.

 

          Pierre.

 

 

 

 

(Avec lĠaimable autorisation de Nicole Zucca)

 

De Pierre Zucca, fils dĠAndrŽ Zucca, nous avons choisi une lettre ˆ son pre, peut-tre parce quĠelle nous rappelait que leur prŽoccupation commune Žtait dĠabord lĠimage, et la poŽsie des imagesÉ Pour en savoir plus sur Pierre Zucca, cliquer ici.

 

 

UNE VIE RECTIFIEE

 

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