Un rve
Note sur le suicide, II ; Excursus, I
Une destruction totale sans cause, ou dont la cause importe peu (cĠest toujours comme a que a commence – on nĠy tait pas, (ou) on ne sait pas comment a a commenc) ; tout n'est que ruines et vgtation envahissante.
C'est une fin de monde, un chaos total, sans plus aucune marque de civilisation, ni technique, ni humaine. Chacun, une poigne rescape, lutte mort pour sa propre survie, hommes et animaux confondus, hommes et animaux qui se confondent (les uns prennent les attributs des autres).
Mon rve commence l. Il nĠy a pas dĠavant la destruction [Ni, dĠailleurs, dĠaprs]
Il faut courir, s'arrter c'est la mort, courir sans repos... dans la boue, qui
recouvre
tout, s'insinue en nous et nous entrave [il me revient maintenant cette nuit,
pourtant proche, o je nous voyais tous, moi compris, recouverts de boue ;
jĠen avais vomi toute la nuit, sans pouvoir vomir cette merde].
Nous sommes tous en proie une sorte de folie, nous nous entrechoquons, nous entretuons et curieusement, ce mouvement frntique, vain, acphale, sans but, visiblement dsordonn, obit une rgularit : nous courons en rond autour des ruines d'une cit – la civilisation – cerne et recouverte par une vgtation cauchemardesque.
LĠhumanit, ou ce quĠil en reste lorsque toute civilisation est dtruite, se situe l : entre les ruines de la civilisation et la nature. Dans cet entre-deux quĠelle maintient sans mme le savoir spar.
Comble de la vanit : une course vaine, qui s'opre selon un mouvement – circulaire – lui-mme vain.
[Comment ne pas y reconnatre, sinon sa propre folie circulaire, lĠun des Cercles de lĠEnfer ?]
Folie de l'instinct de survie, pour lequel il faut tuer l'autre [Pourquoi cela
suscite seulement veille mon tonnement : que pour survivre il faille
tuer lĠautre ?].
Personne, et moi pas plus que les autres, n'envisage la plus vidente des solutions : sortir simplement de la ronde.
Se retirer.
Comme si l'on
prfrait encore l'Enfer plusieurs que l'preuve de la solitude ; ou
peut-tre qu'on l'accepte parce qu'on n'a finalement jamais rien connu d'autre.
Parce quĠil ne peut en tre autrement.
Je rponds moi-mme cet instinct irraisonn de survie, en mme temps que
j'prouve l'absence de cause et de sens : de l'apocalypse, de notre survie
(pourquoi nous plutt que d'autres ?), de notre agitation (survivre pour
quoi ?).
Comme sĠil ne pouvait en tre autrement.
Je manque chaque instant de tomber, ou d'abandonner, (en vrit) m'abandonner la mort ; je voudrais m'arrter. Le repos, c'est la mort assure par des hordes de cratures hurlantes, affoles – hurlantes parce quĠaffoles.
Continuer la course, c'est la mort assure par puisement. Car je sais que je ne pourrai pas maintenir ce rythme longtemps (il n'est mme pas possible de ralentir).
C'est comme si je savais que dsormais plus rien ne se crera, toute la dure
venir ne sera rien dĠautre que la rptition du premier instant de notre
survie, notre sursis. Si l'homme est un sommet...
[Je me disais que je nĠavais jamais rv un tel tableau de lĠexistence humaine.
Et pourtant, voil bientt trente ans que je fais ce mme rve ; je nĠai pas
avanc, si ce nĠest que lĠangoisse est devenue certitude.]
Je continue de lutter, mais sans y croire, anime par une force dont je ne suis
pas la cause, et que je subis.
[CĠest alors que mon rve prend une tournure diffrente de mes cauchemars
infantiles]
Quelques personnes mĠaccompagnent. Je me procure des peaux de btes pour nous
protger, je russis capturer des cratures pour montures, qui grce leur
vlocit nous permettent de distancer nos ennemis. DĠautres survivants alors
nous rejoignent et me demandent protection (je crois mme me souvenir quĠil y a
mes parents et mon frre – il y a mes parents
et mon frre). Je deviens alors par le hasard des circonstances une sorte de
chef de clan dsespr (car jĠai le sentiment de ne rien avoir fait pour rester
en vie, ni mme lĠavoir voulu).
Nous pourrions allier nos forces, tenter de reconstruire une nouvelle socit,
mais je crois
que, dans mon rve, je nĠy pense mme pas. Tout ce que jĠprouve, cĠest le
poids que lĠon me fait peser de lĠexistence des autres (alors que la mienne
mĠest peine supportable). La force quĠils mĠattribuent tort me rend
responsable de leur survie.
Animaux !
Animaux...!
Le plus terrifiant, finalement, cĠest peut-tre cela : non pas la fin du monde,
non pas les autres qui veulent ma peau, mais ceux qui mĠempchent de mourir.
Des personnages (in)dignes d'une fantasmagorie de Bosch. La monstruosit n'y
est pas o l'on croit, mais dans l'attachement hideux, plus monstrueux
qu'animal, la vie.
Ce nĠest alors plus un simple vouloir-vivre qui me maintient en vie, mais une
sorte de responsabilit que lĠon me fait peser, lĠgard dĠexistences aussi
misrables et vaines que la mienne.
LĠ'homme qui, peut-tre, est le sommet, n'est que le sommet d'un dsastre.
[Enfant, je rvais que pour survire aprs la disparition de lĠhumanit, nous
devions courir sans repos – entrans par une mystrieuse autorit
– autour du cratre dĠun volcan. Dj nous nous engluions dans la boue,
nous trbuchions, jusquĠ ce que je mĠaperoive que le volcan tait form dĠun
amoncellement de membres humainsÉ
Dans un autre rve il nous fallait tuer ceux qui nous retenaient captifs pour rejoindreÉ mais rejoindre qui ?]
Odile Cortinovis