Cercles, rimes & répétitions
figures d’une poétique de “ Tradition

 

Raymond Queneau Fidèle dAmour dUn rude hiver

 

 


Un rude hiver… voici un petit texte anodin, une histoire banale que l’on déguste avec plaisir en deux heures de train… un roman dans lequel, en apparence, « il ne se passe pas beaucoup de choses » écrit Perec1. Pourtant, à le lire et à le relire, ce petit roman de Queneau ne perd pas une once de saveur. Qu’y a-t-il donc dans cette histoire d’amour d’une très grande simplicité pour qu’un lecteur aussi exigeant que Georges Perec aille ainsi de « surprise en surprise, de découverte en découverte » et finisse par déclarer : « Un rude hiver, pour moi, s’achemine doucement vers l’inépuisable » ?

La réponse à cette question, nous en formulerons l’ébauche en nous intéressant à la conception que Raymond Queneau se faisait alors de sa propre pratique d’écriture. Le plaisir de la lecture, le bonheur de l’inépuisable découverte au fil des relectures ou l’enchantement lié à la musicalité de ce texte ne viennent-ils pas du fait que ce roman a été conçu comme un poème ? Au cours d’un entretien radiophonique, Raymond Queneau devait en effet confier à Georges Ribemont-Dessaignes : « je n’ai jamais vu de différences essentielles entre un roman, tel que j’ai envie d’en écrire, et la poésie »2. N’est-ce pas précisément cet « art poétique du roman » qui fait toute la « Saveur3 » de ce petit livre paru en 1939 ? Un livre qui n’eut pas une grande notoriété et qui ne devait être repris dans la collection « L’imaginaire » qu’en 19774.

J’aimerais interroger l’« art poétique du roman » mis en œuvre dans Un rude hiver et la théorie dont il procède. Et pour cela en reprendre les principaux jeux de rimes et de répétitions afin d’en mieux comprendre les enjeux. Après avoir précisé comment il s’était « fixé des règles aussi strictes que celles du sonnet » pour rédiger Le Chiendent, son premier roman, Queneau devait exposer à Ribemont-Dessaignes un certain nombre de caractéristiques de sa pratique d’écriture parmi lesquelles figure la fameuse théorie de la rime généralisée : « J’ai écrit d’autres romans avec cette idée de rythme, cette intention de faire du roman une sorte de poème. On peut faire rimer des situations ou des personnages comme on fait rimer des mots, on peut même se contenter d’allitérations. »5 Cette pratique poétique de la répétition dépasse les seules allitérations et mérite d’être analysée au regard des propositions théoriques formulées par l’auteur à l’époque où il rédige son roman.

Au cours des années 1937-1940, parallèlement à son travail de romancier — Un rude hiver paraît en 1939 —, Raymond Queneau rédige un ensemble d’articles théoriques pour la revue Volontés. Ces textes vont définir les éléments de sa « première poétique »6. Ces articles montrent que, loin de renvoyer à de futiles manies formalistes, que l’auteur réprouvait alors de façon virulente, le travail de la rime et de la répétition répond à une nécessité poétique d’une toute autre nature7. La conception formelle qui y est présentée répond en effet au but assigné à la poésie « traditionnelle » au sens où l’entendait René Guénon : « la connaissance est toujours le but unique, et tout le reste n’est que moyens divers pour y parvenir »8.

Dans l’un de ces articles, Queneau reprend à son compte les propos de René Daumal, lequel explique qu’en Inde « faire de la poésie implique que l’on veut en atteindre le but dernier : but à la fois plus élevé que ceux qu’on lui ait jamais assignés en Occident, et qui pourtant reste relatif, puisque la Poésie9 est un moyen d’aider notre raison déficiente à accéder à l’enseignement sans voiles de la vérité »10.

La pratique de la rime et singulièrement ici celle des cercles, la pratique des répétitions et autres anniversaires qui rythment Un rude hiver — et en constitue la musicalité — doit être appréciée, me semble-t-il, à l’aune des conceptions théoriques que l’auteur développait alors dans la revue Volontés. C’est du moins dans cette perspective que je me placerai pour relire quelques uns des jeux de rimes formels, thématiques ou symboliques qui caractérisent la poétique de ce singulier « roman poème ».

 


L'illusion référentielle

Nous savons désormais que Raymond Queneau a puisé ses sources dans l'histoire, la biographie, la géographie... pour nourrir l’écriture d’Un rude hiver. Tout concourt à donner à cette chronique l'illusion du réel11. L'auteur reprend de façon méticuleuse le matériel qu'il a consigné dans son Journal d'enfant couvrant les années de guerre au cours de laquelle se déroule le récit. L'Histoire, celle de la guerre de 1914-1918, est brossée en toile de fond du roman : les faits et gestes des grands de ce monde apparaissent pour disparaître une fois la séance achevée. Les événements historiques ponctuent les chapitres, le calendrier scande la « Grande Histoire » au rythme de la « petite histoire » que tisse la vie quotidienne. La référence aux petits faits anodins ancre le récit dans le quotidien et nourrit « l’effet de réel » qui caractérise le texte.

Voyez par exemple cette anecdotique colonne de mercure que le jeune Raymond Queneau, frappé par le froid de l'hiver 1916, consigne dans son Journal et que l'on retrouve dans la bouche d'un Bernard un peu emprunté lorsqu'il entreprend la belle Helena (chap. V, p. 939) :

« Le baromètre est descendu à 729 millimètres, dit Lehameau.

Ce n'était pas extrêmement intéressant. Il chercha autre chose.

- Vous allez souvent au cinéma ? »

Voyez cet autre souvenir d'enfance : à la fin du premier chapitre, l'auteur signale un phénomène acoustique singulier qui faisait que l'on pouvait entendre « la canonnade du front » près des fossés du fort de Tourneville (chap. I, p. 919), détail apparemment sans importance pour le déroulement de l'histoire, mais qui a pour premier effet d'inscrire le récit dans le contexte de la Grande Guerre ; souvenir que l'on retrouve également dans Chêne et chien.

Le roman fourmille de détails précis de cet acabit. Les faits et gestes quotidiens donnent cette saveur et cette épaisseur que l'on aime à retrouver dans l'histoire. Tout y est minutieusement présenté, par petites touches précises : la ville et ses transports, son port et ses prostituées — la rue des Galions également chantée par Mac Orlan, auteur que Queneau appréciait tout particulièrement12 —, ses quartiers, ses cinémas, ses mœurs, son style… les personnages habitent un décor vivant, ils appartiennent à leur temps. Sans parler des objets anodins qui meublent le récit. Ainsi de « la salle à manger de style Émile Loubet » chez Bernard, avec ses « deux bronzes de Barbedienne » et sa couronne de mariée en fleurs d'oranger qui trône sur la cheminée (chap. XI, p. 972). Tout semble renvoyer à un vécu que l’auteur a consciencieusement noté, retenu et qu’il vient nous redonner.

Dates, lieux, coutumes, gestes… tout est soigneusement observé, consigné. Et Queneau prend également soin de corriger les inexactitudes qu'il a laissé passer dans son récit entre les versions manuscrites et dactylographiées. Ainsi, au début du chapitre VII, après avoir écrit sur le dactylogramme que le barbier « ouvrit le robinet d’eau froide », il corrige et adapte la scène aux mœurs et objets de l'époque. Alcide verse donc « un broc d’eau froide dans une cuvette ». Si l’eau courante était banale en 1939, époque au cours de laquelle Queneau rédige son roman, en 1916, année où se situe l’action d’Un rude hiver, elle était beaucoup moins répandue. L’usage du broc et de la cuvette est historiquement mieux adapté. Dans la première version, le même personnage affirmait attendre le « jour de l’armistice ». Mais il ne pouvait pas prévoir en 1916 que la guerre s'achèverait deux plus tard sur un « armistice ». L’auteur change le « jour de l’armistice » en « jour de la victoire ».

De la même manière, la chronologie et les cadres spatio-temporels sont vérifiés et les dialogues replacés dans le registre psychologique et social correspondant aux personnages, ce qui leur donne une certaine « épaisseur » et a pour effet de gommer l’énonciation et la subjectivité de l’auteur. Ce processus, qui s’apparente à l’illusion naturaliste, participe de la « naturalisation » des personnages, de l’histoire et du roman dans son ensemble.

Ainsi, la version en néo-français du « fouteballe » devient un plus classique « foot-ball » chez le très policé Bernard Lehameau tandis que le banal « ce que c'était » d'Annette se rapproche en revanche du langage parlé de la petite fille dans la dernière version retenue par l'auteur : « ceqc’était ». Le lexique n'échappe pas non plus à ce mouvement. Si Lehameau s'exprime « en termes bourgeois », le vocabulaire d'Annette rend mieux compte de sa culture et de son origine sociale « plutôt dans le genre ouvrier ». Bernard ne manque du reste pas de marquer la distance et de reprocher à Annette et Polo leur vocabulaire lorsqu'ils se rendent au cinéma (chap. IV) :

« - Cht cht, fit Lehameau, il ne faut pas vous exprimer comme cela.

Annette donna à son frère un coup de coude dans les côtes et cligna de l'œil. L'autre répondit par une grimace d'agrément. »

L'incidence poétique de ce travail d'écriture est d'autant plus notable que la majeure partie du roman est écrite sous forme dialoguée. Une écriture « théâtrale » qui conforte l’inscription du lecteur dans la réalité des échanges dialogués et qui ancre les personnages dans la banalité du quotidien.

Queneau reprend également les dactylogrammes remis à l’éditeur où quelques inexactitudes risquaient encore de rompre le lien que le texte entretient avec le monde référentiel. Une attention dont témoigne cette lettre du 10 août 1939 adressée à Jean Paulhan. Queneau écrit alors au directeur de la N.R.F., revue dans laquelle Un rude hiver doit paraître en deux livraisons : « j'ai (…) supprimé une phrase dans le chapitre XII ou XIII qui situait la scène un dimanche 21 ; or je me suis aperçu que le dimanche 21 décembre 1916 était un jeudi. D'où la correction. »13 Ce repentir est particulièrement intéressant à analyser pour la tension contradictoire qu’il offre.

Si pour l’ensemble du roman Queneau affiche un réel souci de précision référentielle, dans ce cas précis, il se contente de faire disparaître l’incongruité en effaçant la date du 21. La remarque adressée à Paulhan renvoie en fait au chapitre X qui s'ouvre effectivement sur « Ce dimanche… » et à la fin duquel il est clairement spécifié : « C'est aujourd'hui le jour le plus court de l'année », c’est-à-dire le jour du solstice d’hiver. Au regard du calendrier de l’année 1916, la date donnée dans le texte était erronée. Que fallait-il alors conserver ? La précision du calendrier ou la mention du solstice dans le récit ? Queneau a tranché : il confond dimanche et jeudi au risque de s’écarter du référent calendaire. Détail dira-t-on, sauf à considérer qu'il était plus important pour l'auteur de conserver la dimension symbolique du solstice d'hiver que la juste correspondance entre le calendrier et la datation romanesque.

Nous sommes à la Saint Jean d'hiver qui marque « le but final » de « l'initiation » pour reprendre les termes d'un article de René Guénon consacré aux « Portes solsticiales » et qui a paru en mai 193814. Dans le cadre d’une lecture initiatique de l’œuvre, on peut donc se demander, malgré tout l'intérêt et toute l'attention qu'il porte à l'inscription référentielle de son texte, s’il n’est pas une dimension plus importante encore aux yeux de Queneau, la dimension symbolique qui nous invite à reconsidérer le rapport au référent et son inscription dans la trame romanesque. Le début du roman nous en offre un bon exemple.



De la droite au cercle chinois

 

« Sa pensée est cernée. Sur la sphère terrestre on ne peut décrire que des lignes courbes qui prolongées se rencontrent toujours. »

Destinée15

 

 

 



La scène inaugurale d’Un rude hiver décrivant le défilé des Chinois est révélatrice du travail d’écriture réalisé par Queneau. Sa drôlerie et son caractère bon enfant retiennent aisément l'adhésion, mais on a néanmoins quelque difficulté à comprendre son rôle et sa fonction dans l'économie générale du texte. Que viennent donc faire ces « barbares » dans ce roman d'amour ?

La première lecture est historique et factuelle. Pour inattendue qu'elle soit, cette scène n'en évoque pas moins la relation d'un événement qui s'est effectivement déroulé au Havre le 10 octobre 1916 et dont la presse locale s'est fort logiquement fait l'écho ; événement que le jeune Queneau a dûment relaté dans son Journal. Le texte s'inscrit donc dans un contexte historique et événementiel précis qui permet de dater le début de l'histoire.

Une deuxième lecture révèle la part autobiographique et la pratique de récriture de l'auteur. Pour la scène inaugurale de son roman, Queneau reprend les quelques lignes qui ouvrent le Livre VII de son journal d'enfant, révélant par là-même le caractère contingent des faits relatés dans son œuvre. Mais la dimension autobiographique du texte demeure invisible aux yeux du lecteur attendu que le Journal reste inédit du vivant de l'auteur. Les manuscrits nous permettent cependant de déceler un décalage entre l'événement relaté dans le Journal et celui qui est ensuite transposé dans le roman16. Et c’est ce troisième temps de lecture qui retiendra notre attention.

Si le matériau littéraire est fidèle aux informations consignées dans le Journal, l'un des repentirs présente en effet un caractère singulier, il s'agit de la transformation d’un rang en un cercle dans le défilé des Chinois. Dans son Journal, l'enfant Queneau note : « Arrivés place Thiers, ils se placèrent en rang et les danses commencèrent… ». Dans le roman en revanche l'adulte écrit : « Arrivés sur la place Thiers, les Chinois formèrent un cercle autour duquel s'agglutina la population européenne… ».

Lorsque le diariste témoigne, le romancier transforme. En remplaçant le « rang » par un « cercle », Queneau détache la scène initiale de sa gangue référentielle pour lui accorder une valeur symbolique et mettre en place l'une des figures constitutives du texte, celle du cercle qui annonce à son tour celle du double et de la répétition ou de l’anniversaire qui en est une variante temporelle. Une figure doublement illustrée par la relation du défilé attendu qu’il s’agit de la fête nationale de la République de Chine. Cette date est un anniversaire (voici pour la figure de la répétition), lequel est appelé Fête du Double Dix en souvenir du soulèvement de Wuchang qui eut lieu le 10 octobre 1911, le 10 / 10 donc (voici pour la figure du double). Mais pourquoi avoir changé la droite en cercle ? Et à quoi nous renvoie cette transformation ?

En remplaçant le « rang » par un « cercle », fidèle au principe théorique qu'il énonce alors dans Volontés, Queneau fait rimer cette scène avec un ensemble de cercles dynamiques qui rythment le texte. Ainsi de « la lumière tournante d'un phare » qui au chapitre V rime avec cet autre « phare tournant » qui « tournait » au chapitre IX ou avec la « petite musique pivotante » (chap. X) qui précède la danse de la neige et du vent qui tournent « autour du fort de Tourneville » dans le dernier chapitre.

Nous n'aurons pas le temps d'explorer ici la thématique très fournie du cercle et de la spirale, thématique à laquelle appartiennent les objets ostensiblement circulaires ou spécifiés comme tels (l'oignon de la montre, le bateau à roue, la couronne de mariée, la nacre, l'oreille, etc.), la toponymie avec le fort de Tourneville, les jeux d'anniversaires (la fête des Chinois, l'anniversaire de Sénateur, « le quatrième centenaire de la fondation du Havre » ou « le jour anniversaire de la naissance du Christ »…), le principe de répétition, la pratique de la rime déclinée en toutes ses formes17, ainsi, bien sûr, que la remémoration extraordinairement présente dans le roman et qui est à l'origine du travail de deuil et de guérison de Bernard18. Tout cela participe d’un principe poétique identique, celui de la rime romanesque et plus généralement de la répétition, principe géométriquement fondé dans le roman sur l’image du cercle et de la spirale.

Retenons toutefois la dynamique générale de la figure déployée dans le roman, figure qui du premier cercle de la danse des Chinois s'élève jusqu'au cercle final de la danse de la neige et du vent « autour du fort de Tourneville ». « Rime » du cercle initial et du cercle final qui clôt le texte sur sa propre circularité historique. Et arrêtons-nous sur ces divers moments qui ponctuent l'évolution psychologique et spirituelle de Bernard.



Un cercle dansé

Comme tous les Occidentaux, Bernard se trouve à la périphérie de la danse initiale (« les Chinois formèrent un cercle autour duquel s'agglutina la population européenne et à l'intérieur duquel se développèrent des pantomimes »). Il sait que ce rituel a une signification particulière, néanmoins il lui est extérieur et n'y participe pas, mais ne s'en moque pas pour autant. En revanche, il s'insurge contre la bêtise et l'incompréhension de ses contemporains.

« Zey lâffe, dit Lehameau, bicose zey are stioupide.

La jeune fille, il la supposait telle, sourit. Il ajouta :

Zey lâffe, bicose zey dou notte undèrrstande.

Il dit encore :

- Aïe laïe-ke zatt : you dou notte lâffe. »


Tout le travail — au sens analytique du terme — va consister pour Bernard à comprendre la signification de ce cercle et à l'intégrer. Le thème de la connaissance est au cœur de la problématique que nous effleurons. Voyons-en les principaux moments.

Au chapitre V, Bernard et Helena prennent un thé près de l'octroi de Sainte-Adresse. Tous deux ont pris conscience de leur attirance mutuelle, mais restent pour l'instant sur l'expectative. À la nuit tombée, ils sortent du café désert et contemplent la « lumière tournante » du phare qui accompagne leur regard : « Lehameau et Miss Weeds s'arrêtèrent pour déchiffrer l'horizon ». Quelques lignes plus loin, la même « lumière tournante » va déclencher chez Bernard, une fois seul, un véritable mouvement de remémoration caractéristique de l'ensemble de son parcours psychique : « La lumière tournante d'un phare balayait périodiquement son aire, Lehameau pensait à des choses très lointaines, à sa vie. Il tira sur un fil et tout se dénoua, il ne trouvait plus que pièces et morceaux… ». Bernard se trouve dans le même état que Raymond Queneau qui confie à son Journal : « Je m'éparpille ». Aussi convient-il pour lui de « rassembler ce qui est épars », c'est-à-dire de réintégrer « au centre de l'état humain »19 qui le caractérise alors. Autrement dit, Bernard doit sortir du « cercle » de sa « haine »20 et de son deuil séculaire et intégrer l'état de désir qu'il éprouve pour Helena afin de pouvoir accéder à nouveau à l'amour. Avec Helena, cet amour s'exprimera sur deux plans distincts, le désir physique et l'amour sensible.

Viennent ensuite deux passages où la maison d'Annette joue un rôle central. Lorsque Bernard raccompagne la fillette chez elle après leur promenade dans la forêt de Montgeon, la scène est ainsi décrite : « Les fenêtres de la villa étaient éclairées. Un phonographe projetait sur le trottoir une petite musique pivotante. Il faisait très froid. » (chap. X). Bien qu'il s'en approche, Bernard reste cantonné à l'extérieur du cercle. Il perçoit la lumière et entend la musique, mais reste dans la rue où il fait très froid. Cette scène annonce la soirée de Noël passée en compagnie des enfants, de Madeleine et de ses amis. Bernard entre alors dans la danse, au sens propre du terme : « tout le monde est monté voir les enfants dormir et chacun s'attendrit. Après on a recommencé à jouer du phono, on a dansé, c'était moins chaste. Lehameau avait même croyait-il embrassé Madeleine, mais par gentillesse simplement. » (chap. XII).

Un premier pas décisif est franchi. Bernard est dans la place, il participe du mouvement circulaire de la danse et profite à la fois de la lumière et de la chaleur du lieu. Ce premier pas avait été annoncé par le franchissement très urbain du seuil de la maison en compagnie d'Annette. Or à cette occasion, Queneau associe déjà la vêture et la fonction de Madeleine au premier cercle du roman : « Elle était vêtue d'un kimono chinois genre persan avec entrebâillure sur le mollet. Elle avait tout l'air d'une fille de mauvaise vie. » Un lien s'établit donc entre la figure du cercle, son caractère chinois et la thématique de l'amour. Dans le roman, un autre lieu relie ces trois termes de façon analogue, le domicile de Bernard. L’auteur fait donc rimer ces deux espaces singuliers que sont la maison d’Annette et l’appartement de Bernard.



La rime en 7

À l'occasion du repas partagé avec M. Frédéric, nous apprenons en effet que sur la cheminée de la salle à manger, dont le style est qualifié de « très petit-chinois », repose le cercle emblématique de la couronne de la mariée défunte (chap. XI). Notons que M. Frédéric usurpe la place de la femme aimée provoquant chez Bernard une « brusque et violente répulsion » qui n’est pas sans évoquer, d’un point de vue analytique, le refus de cet autre état amoureux qu’est celui de l’homosexualité connoté par la scène21.

La couronne de mariée, quelque peu morbide, renvoie quant à elle à d'autres fleurs mortuaires qui parsèment sa mémoire. Dans le premier chapitre : « Sa mémoire était pavée de tombeaux, comme celle d'un romantique, mais, fonctionnaire appliqué, il extirpait avec soin les mauvaises herbes qui croissaient dans les allées, et entretenait passionnément les quelques massifs de fleurs qui malgré tant d'hivers n'avaient point flétri. »

Fleurs que l’on retrouve au chapitre XIV : « seules pendues aux croix se conservaient les fleurs artificielles ». Une rime florale qui se joue également de l’amour et de la mort, rappelant la figure de Joachim de Flore, ses relations onomastiques avec les « Fidèles d’Amour » évoquées par Guénon et l’articulation antithétique que ce dernier signale à propos de la figuration des « danses macabres » entre l’ « Amour » et la « Mort ». Guénon précise que « la racine mor leur est commune, et, dans a-mor, elle est précédée d’a privatif [...] de sorte qu’« Amour » peut  s’interpréter ainsi comme une sorte d’équivalent hiéroglyphique d’ « immortalité » ».22

Or dans cette scène, M. Frédéric profane le lieu de la femme aimée, la « Dame » de Bernard23 ; en ce sens il est doublement « profane », car il est également comme ces « morts » qui peuvent « être regardés comme désignant les profanes ». Et c’est effectivement à la mort qu’il est promis, puisque Bernard va lui-même le dénoncer comme traître à la Patrie.

Lorsque Bernard retourne chez Madeleine, deux chapitres plus loin, la question de la chasteté est à nouveau évoquée. La grande sœur d'Annette est seule chez elle. Et s'il n'est plus question de cercle, c'est que ce temps marque la fin de la quête de l'amour physique. La dernière phrase du chapitre XIV clôt cette période de façon explicite : « Enfin bref, ils couchèrent ensemble. » En d'autres termes, le cycle de l'amour physique est accompli grâce à une prostituée qui porte le nom de Marie Madeleine, cette autre prostituée que le Christ, évoqué à plusieurs reprises dans le roman, a « libérée de ses sept démons ».

On notera alors que la scène évoque le hiéroglyphe du Rébis alchimique, couple primordial qui fait l’amour, symbolisant « l’œuvre parvenue au blanc »24 ; or le blanc va désormais dominer le dernier chapitre du roman, marquant la fin du deuil sublimé par l’amour.

Accomplissement d'un premier cycle et entrée dans un nouveau. Nous sommes à la fin du chapitre XIV qui est le dernier chapitre numéroté du roman. Lorsqu'il corrige les placards, l'auteur insiste sur ce point : « Ici c'est un nouveau chapitre. Seulement il ne porte pas de n° »25. 14 est le double et la répétition de 7, son premier multiple. Dans « Technique du roman », Queneau précise : « quant à 7, je le prenais, et puis le prends encore comme image numérique de moi-même, puisque mon nom et mes deux prénoms se composent chacun de sept lettres et que je suis né un 21 (3 x 7) »26. La marque autobiographique se déplace vers la forme du roman qui, comme l'écrit Queneau à propos du Chiendent, « en était donc fixée par ces motifs tout égocentriques : elle exprimait ainsi ce que le contenu croyait déguiser ».

Rime de deuil, de départ, de rupture ou de séparation — rituel de passage : dans ce chapitre, plusieurs personnages quittent la scène du Havre. Annette est en vacances « chez sa grand-mère à Caudebec avec Polo » : absence de la petite fille. Le chapitre s'ouvre sur l'annonce du torpillage du bateau hôpital Zbelia sur lequel se trouvait Helena : disparition de la femme désirée. Bernard va ensuite se recueillir sur la tombe de sa femme dont la disparition, à l'origine de l'histoire, noue des liens indéfectibles entre le récit et la biographie. Émilie Lehameau, la femme du personnage principal, Bernard, meurt dans un incendie le jour où naît Raymond Queneau, l'auteur : le 21 février 1903 (cette date qui est la seule expressément livrée dans le roman figure dans le chapitre central, chap. VIII).

Par ailleurs nous savons que « la petite fille devait avoir dans les quatorze ans, un peu moins peut-être ». Autrement dit Annette a l'âge de l'enfant qu'auraient pu avoir Bernard et Émilie Lehameau. Émilie est pour Bernard « la jeune fille qu'il aima et qu'il rendit femme », mais Queneau avait tout d'abord écrit : « la jeune fille qu'il aima et qu'il rendit mère ». Mieux qu'une figure de substitution, Annette est une figure nodale qui lie — à des niveaux de réalisation distincts — la naissance et la mort, la mort et l'amour et qui symbolise la naissance d'un amour d'une autre nature comme nous le verrons par la suite.

Marqué par la mort (on assiste à la scène d'enterrement empruntée à Hamlet, on apprend également que M. Frédéric a été fusillé : disparition de celui qui avait usurpé la place de la femme aimée), le chapitre XIV est aussi marqué par la renaissance, cette autre figure de la répétition dont la thématique est évoquée dès les premières lignes du chapitre : « Saine et sauve Helena. (…) Sauve : vivante. Re-vivante. »

Renaissance d'un amour premier, disparu, avec lequel il convient de renouer et auquel on ne peut qu'avoir été fidèle. Bernard fait preuve d'une très grande fidélité à l'égard du souvenir de sa femme. Dans ses documents préparatoires, Queneau notait : « Serait-ce un drame de la fidélité ? ». Fidélité des « Fidèles d'Amour » qui avaient précisément la Vierge Marie pour « Dame » ainsi que le rappelle Dante. Or cette fidélité s’inscrit dans un cercle qui est « la figure la plus parfaite pour Dante comme pour les pythagoriciens »27.

Un cercle qui va cependant permettre à Bernard de changer d’état puisqu’il va quitter le cycle des 7 lié à l’autobiographie et aux 7 péchés capitaux inscrit dans le chapitre XIV (2 x 7) pour s’ouvrir à un autre chapitre, non numéroté, le dernier où, dans un autre espace, va s’accomplir un amour d’une autre nature. Un changement d’état symbolisé par le passage du cycle des cercles à celui de la spirale.



L’élévation du cercle à la spirale

Au fil du roman, l’auteur dynamise le jeu de cercles à travers le principe d'élévation effectué dans la circularité. Autrement dit, à travers la spirale. Les premiers cercles du roman sont situés au niveau de la mer et au cœur de la cité, ainsi du phare sur la jetée et du cercle des Chinois place Thiers. Le narrateur précise en outre que la maison de Bernard est située « à mi-côte » (chap. II). Enfin, la villa d'Annette et le fort de Tourneville sont situés sur les hauts de la ville.

Une progression qui trahit une ascension physique à travers la ville au sein d'une circularité symbolique marquée par la rime des cercles situés au début et à la fin du roman. La scène initiale annonce une figure « conaturelle à l'idée directrice » du roman, pour reprendre les termes de Queneau dans « Technique du roman » et cette figure est celle du cercle ou plus exactement de la spirale dont on trouve une autre expression dessinée sur l'un des manuscrits du dossier :

 

 

Manuscrit préparatoire d’Un rude hiver, in Mss 827, Inv. 1140, Bibliothèque municipale du Havre 28.

Cette spirale qui marque les temps de l'histoire29 traduit également l'ascension spirituelle du personnage principal qui se délivre du cercle aliénant de l'histoire, c'est-à-dire du cercle du temps : « Autour du fort de Tourneville le vent galopait comme un chien fou qui essaie de se mordre la queue. »

La métaphore météorologique (le temps weather) qui renvoie à l'histoire (le temps time)30 est ici doublée de l'image totémique du chien devenu fou, lui-même pris dans une figure circulaire et ourobore. Queneau reprend l'image ophite du chien-serpent cher aux gnostiques, ce « serpent de garde » qui clôt la deuxième partie de Chêne et chien sur un avènement alchimique31 également présent dans le Chiendent32.

La fin du roman est marquée par une élévation (« vers la hauteur »), un dépouillement (« Madeleine le débarrassa de ses apparences ») et la sortie du cercle. Un cercle qui symbolise l'Histoire dont l'homme est prisonnier ainsi que la part démoniaque d'une identité (« Chêne et chien voilà mes deux noms »33) dont l'auteur parvient également à se libérer dans Chêne et chien (« Le chien redescend aux Enfers »). La sortie de ce cercle de l'Histoire ne marque donc pas un retour éternel34 pour Bernard, personnage porte-parole de l'auteur, mais une évolution « intellectuelle » au sens traditionnel du terme.

 


« Encerclé par un malheur qu’il n’a pas pu dépasser. »

Dans le prière d'insérer d’Un rude hiver, Queneau livre les indices explicites de cette évolution en situant son personnage dans un cercle aliénant. « Depuis treize ans » écrit-il, Bernard est « encerclé par un malheur qu’il n’a pu dépasser », livré à « une haine dirigée contre tout ce qui l'entoure ». La quatorzième année sera celle de sa « délivrance » pour reprendre un terme qui clôt les Enfants du Limon35 et cette délivrance se situe au-delà du XIVe chapitre, c’est-à-dire au-delà du double marqué par l’identité de l’auteur (2 x 7). Seule Annette finira par « arracher Bernard Lehameau à sa haine et à sa fatalité » ainsi que le précise Queneau.

La petite fille le fera ainsi sortir du mouvement initial de l'histoire qui emprisonne le roman : « L'histoire écrasait le roman de sa patte épaisse. » (chap. XII). Laquelle histoire est marquée par la guerre et son infinie répétition : « Ce n'était pas drôle l'Histoire, songeait Mme Dutertre, arriverait-on jamais à sortir les hommes de là, elle en désespérait. » (chap. XV). La solution nous est en partie révélée par la libraire qui confie à Bernard : « Mais la vie, Bernard, la vie des hommes, ce n'est pas comme le temps ». Distinction essentielle entre le cercle aliénant de l'histoire et la « vie » de l'homme qui doit retrouver sa propre centralité, laquelle nous renvoie à la symbolique du « centre du monde ». Or cette « vie » est précisément dessinée sous les traits d’Annette

Pour éclairer tant soit peu ce que je viens de dire, j'aimerais reprendre brièvement la fin du roman. Ce quinzième chapitre n'appartient pas structurellement au même registre que les précédents. Alors que les quatorze premiers chapitres sont dominés par la couleur noire, le dernier est dominé par la blancheur de la neige. Bernard précise du reste : « Et puis la neige c'est beau aussi : la vraie neige ». Passage symbolique du noir au blanc qui marque un changement d'état dans l'ordre alchimique, cette autre figure constitutive du roman, qui traduit également un changement dans l’ordre amoureux. L’alchimie étant considérée comme l’expression « imagée » de l’évolution de l’amour spirituel. Or ce passage se réalise de singulière manière car Bernard finit par s'extraire de la spirale temporelle dans laquelle il était jusque-là confiné.

Il n'assiste plus à la danse du temps, il laisse l'histoire tourner sans fin autour d'elle-même :

« Autour du fort de Tourneville le vent galopait comme un chien fou qui essaie de se mordre la queue. La neige dansait. »

Le paragraphe suivant marque le dernier temps de l'ascension :

« Il s'essuya poliment les pieds. Madeleine le débarrassa de ses vêtements chargés d'une poudre glacée. »

Madeleine le libère donc définitivement des dernières traces de l’histoire et du temps (weather) qu’il colporte.

« Un pas léger se fit entendre dans l'escalier et Bernard sentit se presser contre lui un petit corps chaud et vibrant, une flamme.

- Annette, murmura-t-il, ma vie, ma vie, ma vie. »

Bernard reçoit la flamme initiatique et exprime symboliquement par trois fois son accession à un nouvel état de son existence : « ma vie, ma vie, ma vie ». Une scansion rituelle qui, au fil du roman, saluait déjà le nom de la femme désirée, mais sur une base de quatre répétitions (fin du chap. V) :

« Il se sentait malade de désir. Helena.

Helena. Helena.

  Helena. »

Bernard a réalisé un premier stade de l'amour dans la maison d'Annette en compagnie de Madeleine. Ce temps de l'amour physique lui est désormais acquis. L'accession à un autre plan de l'amour, mystique celui-ci, est désormais possible. Et c'est dans la même maison, le même "Temple", qu'il se réalisera, mais avec Annette cette fois-ci. C’est un nouvel état de l’être qui correspond à une véritable possession de soi36.

René Guénon précise que « n'importe quoi peut, selon la nature des individus, être l'occasion et le point de départ d'un développement spirituel, et cela peut être vrai d'un amour terrestre aussi bien que de toute autre circonstance (d'autant plus qu'il ne faut pas oublier que ce à quoi nous avons affaire ici peut en somme être caractérisé comme une voie de Kshatriya) »37.

Guénon rappelle à ce propos la signification intrusive du vent susceptible de troubler le lieu sacré des initiés : le vent a, « dans le langage des « Fidèles d’Amour », exactement le même sens que la « pluie » dans celui de la Maçonnerie »38. Ici, l'espace est protégé et « couvert » comme un temple, celui de l'amour. Et « Dehors il n'avait jamais fait aussi froid ».

La sortie du cercle se fait pour Bernard vers l'intérieur de la maison, vers le « centre ». Il quitte le cercle de l'histoire et du temps (de la « neige ») pour intégrer celui de l'amour (de la « flamme »), avènement d'une autre nature. Nous assistons à une ascension dans l'ordre de la spirale, qui par cercles concentriques marque la guérison physique, morale et spirituelle de Bernard, ainsi qu'il est indiqué sur l’un des manuscrits préparatoires où l’on peut notamment relever la mention : « Lehameau GUÉRI = p. c. moralement / = physiquement » (f° 11). Or ce terme correspond à la phase ultime de l'initiation des « Fidèles d'Amour ».



La « Dame » au cercle des femmes

Queneau songeait à un « drame de la fidélité » à propos d’Un rude hiver. Mais n’est-ce pas plutôt le roman d’un « Fidèle d'Amour » qui reprend à son compte la mythologie de la « Dame » vénérée par Dante dans La Divine Comédie ? Une thématique déclinée sur divers plans à partir des différents personnages féminins du roman. Sur l'un des manuscrits du dossier, Queneau trace le tableau récapitulatif des « 4 âges » de ses personnages féminins, qui correspondent dans l'ordre de l'analogie aux « quatre âges de l'humanité »39.

 

 

Manuscrit préparatoire dUn rude hiver, in Mss 827, Inv. 1140, Bibliothèque municipale du Havre.


Sur ce document figurent les femmes qui vont permettre à Bernard de réaliser son évolution amoureuse. Dans la colonne de gauche, Mme Dutertre, Thérèse, Helena et Annette symbolisent les quatre âges : 40, 30, 20, 10 ans. Sur la colonne de droite Madeleine. Entre les deux « his first wife », Émilie. Lu horizontalement, le tableau distingue le groupe des femmes situées au milieu et avec lesquelles une relation physique est envisageable (Thérèse, Helena, Madeleine) et celles placées à l'extérieur (« εζο ») avec lesquelles toute relation physique est écartée : Mme Dutertre et Annette. De fait, ce tableau résume les relations amoureuses que Bernard entretient avec les femmes dans le roman. Maternelle (Mme Dutertre), platonique (Thérèse, Helena), conjugale (sa femme) et enfin Madeleine avec qui il finit par coucher. Dans un échange avec Thérèse, Bernard résume clairement son état : « Au fond, je ne suis pas bien sûr de n'être pas amoureux de vous Thérèse. D'ailleurs, j'aime toutes les femmes, à l'exception des vieilles et des trop maigres. Et des trop bêtes. »

Ces six personnages vont lui permettre de réaliser son évolution amoureuse sur les trois plans physique, sensible et intellectuel, définis comme les trois plans naturels de l'homme ainsi que le rappelle Émile Delobel dans un article consacré au « Problème de l'alchimie » mystique paru dans le Voile d'Isis40, revue que Queneau lisait et conservait avec une grande attention.

Trois figures féminines se dégagent alors du roman. Au plan physique : Madeleine. Au plan sensible Helena (bien que toutes les autres participent de cette quête, elle seule entraîne Bernard dans une quête spécifique) et au plan intellectuel, c'est-à-dire spirituel, Annette. Mais toutes convergent vers une seule et même figure syncrétique, celle de la « Dame ». Dans l’ensemble des articles consacrés à La Divine Comédie et aux « Fidèles d’Amour », Guénon revient sur cette figue majeure : « Saint Bernard, dont on connaît la connexion avec les Templiers, apparaît comme un « chevalier de la Vierge », qu’il appelait « sa dame » ; on lui attribue même l’origine du vocable « Notre-Dame » : c’est aussi Madonna, et sous un de ses aspects elle s’identifie à la Sagesse, donc à la Madonna même des « Fidèles d’Amour »… »41 L’ensemble des cercles tressés autour de cette « Dame » en fait une figure centrale, dans tous les sens du terme.

Il convient dès lors de relire deux passages clés du roman pour cerner l'identité de la petite fille. Le premier s'inscrit en négatif et ne laisse chez Lehameau qu'un « grand vide tout noir qui s'était creusé en lui » (chap. I). Ce vide ne trouvera son explication qu'à la deuxième rencontre : « la petite fille était égale à son souvenir. Cet éclair qui l'avait transpercé, il le retrouvait incarné dans cette chair, si délicate qu'il s'étonnait qu'elle pût supporter une telle intensité de grâce. Cet éclair, n'avait engendré en lui que ténèbres. Sa nuit s'illuminait maintenant de cette flamme retrouvée, de la flamme menue mais étincelante que réalisait cette enfant. Foudroyé par cette rencontre, il vit à peine que la petite fille lui souriait. » (chap. III). La scène est décrite comme une illumination mystique suivie de la ténèbre d'absentement. En arrière plan, il est fait allusion à l'Annonciation de la Vierge dite « pleine de grâce » (chap. III). Si la description ne laisse guère de place au doute, l'illumination ne prendra toutefois sens qu'au fil des diverses rencontres, finissant par révéler son caractère proprement gnostique.

L'homme est pour le gnostique « une étincelle lumineuse enfermée dans la chair » qu'il convient de libérer afin de retourner à la Lumière divine (l'alchimie convoquée dans le roman évoque quant à elle une « étincelle incarnée »)42. Annette est pour Lehameau comme « l'étincelle divine » de Lautréamont : « tu es une flamme qui m'éclaire, une petite flamme dans la nuit, tu es quelque chose d'inouï, je ne saurais pas t'expliquer ça, une merveille : une merveille » (chap. X). « Petite flamme » qui est la « vie » même de Bernard dans les derniers instants du roman. Dans le rapport d'analogie établi par Queneau entre Un rude hiver et La Divine Comédie, la scène ultime du roman se fait l'écho des derniers chants du poème de Dante. Annette est à Bernard Lehameau ce que Béatrice puis la Vierge Marie sont au poète florentin : la lumière.

« Et la Reine du Ciel, pour laquelle je brûle

D'Amour parfait, nous fera toute grâce,

Puisque je suis son fidèle Bernard. » (Le Paradis, XXI).

Pour revenir à la figure géométrique, rappelons enfin très brièvement le rapport symbolique du centre à la circonférence. Le « point central, c'est le Principe, c'est l'Être pur ; et l'espace qu'il emplit de son rayonnement (…) (le Fiat Lux de la Genèse), sans lequel cet espace ne serait que « privation » et néant, c'est le Monde au sens le plus étendu de ce mot ». Autrement dit le centre correspond à l'être pur de « Lumière ». Où la description d'Annette prend tout son sens, son absence entraînant la privation, les ténèbres et la « nuit » éprouvées par Bernard après la première rencontre (le « grand vide tout noir qui s'était creusé en lui »).

Les cercles concentriques représentent les différents états de l'existence manifestée43 dont procèdent toutes les figures circulaires évoquées dans le roman. Ajoutons que le centre correspond à la « Fontaine d'enseignement » dont parlent Dante et les « Fidèles d'Amour »44 et que le « Royaume du Milieu » est aussi le nom de la Chine… dernier élément de cette trilogie poétique que constituent la figure du cercle, son caractère chinois et la thématique de l'amour.

Précisons enfin que le la figure alchimique du Rebis évoquée à la fin du roman, (le couple Annette - Bernard), de cet « être réintégré au centre de l'état humain [qui] est par là même prêt à s'élever aux états supérieurs », a pour vertu de « dominer déjà les conditions de l'existence », raison pour laquelle il est représenté au-dessus du « dragon [qui] est ici la figure du monde élémentaire ». Et c'est bien au-dessus de ce dragon chinois, de cet ouroboros, serpent circulaire qui, comme le vent et le temps, tourne sans fin autour du "Temple", c'est bien au-dessus — ou au-delà — de cette Histoire que se situe désormais le couple Annette - Bernard.



Loin d’épuiser la richesse métaphorique d’Un rude hiver, ces quelques remarques s’appuient sur les diverses lectures dont Queneau dressait la liste scrupuleusement. Au cours du premier trimestre 1939, l’auteur reprend La Divine Comédie conjointement à l’ouvrage de René Guénon consacré à L'ésotérisme de Dante alors qu'il rédige Un rude hiver. Il relit également les articles de Guénon consacrés à Dante et aux « Fidèles d’Amour » où sont mis en évidence les « Rapprochements maçonniques et hermétiques » ainsi que la pratique poétique des « Fidèles d’Amour »45.

René Guénon rappelle que les « Fidèles d'Amour » avaient pour obligation « d’employer dans leurs écrits la forme poétique »46. Il ajoute par ailleurs que « cette obligation imposée à tous les membres d’une organisation initiatique d’écrire en vers […] s’accordait parfaitement avec le caractère de « langue sacrée » qu’avait la poésie », précisant que « la poésie était appelée par les anciens la « langue des Dieux » ». Pour Dante comme pour les « Fidèles d'Amour » il s’agissait donc « de tout autre chose que de « faire de la littérature » »47.

Dans ces textes, Guénon établit un pont symbolique explicite entre la thématique de l’amour, la figure alchimique et l’intertexte de La Divine Comédie. Il souligne le rôle central de la pratique poétique des « Fidèles d'Amour » auxquels appartenait Dante. Rappelons enfin que l’ensemble de ces textes constitue un intertexte majeur pour les articles théoriques que Queneau publie dans Volontés.

Un rude hiver, un roman qui n’a sans doute rien à envier aux pratiques poétiques chères aux « Fidèles d'Amour ». Mais au-delà de l'illusion référentielle sublimée par la poétique symbolique, c'est à la signification de la théorie poétique défendue par l'auteur que nous pouvons revenir.



« Un jour arrive où la conversion l’accomplit »

 

« Son enfance et sa première jeunesse nous sont plus étrangères encore que sa vie fœtale. Mais un jour arrive la conversion laccomplit. »

Destinée48

 

 


Les archives de Queneau conservent la trace de nombreuses notes prises à partir d'ouvrages mystiques et de livres consacrés aux pratiques de contemplation où les phénomènes de révélations et visions, clairement décrits, ont pu servir de modèles à la rencontre d'Annette. Mais il n'est pas impossible que Queneau se soit plus simplement fait l'écho d'événements vécus. Deux éléments nous invitent à envisager la question sous cet angle. Le premier nous renvoie au principe d'écriture répétitif et autobiographique du roman. Le 9 août 1917, l'auteur note : « Révélation. Dernier jour – je l'espère. » La vision d'Annette ne serait alors, à travers le travail de récriture, que le réveil de cette révélation antérieure s'inscrivant dans la pratique répétitive du roman49. Le second se situe un an après la sortie d'Un rude hiver : « je joue au naturel le rôle de Lehameau. Moins Helena et la petite fille. Ça c'est fini, il faut bien le dire, fini et bien fini. / Hier passé à l'église. Indifférence. »50 Si c'est « fini » et qu'il y a désormais « indifférence » c'est que « ça » a existé un jour et que « ça » a suscité de l'intérêt, pour le moins.

Nous sommes à la fin du mois de mai 1940 ; Queneau achève une période mystique ouverte en 1935 après la lecture de L'Inde secrète de Paul Brunton. La rédaction d'Un rude hiver se situe au cœur de cette époque mouvementée dont l'auteur tentera d'effacer la plupart des traces jugées plus tard indésirables, notamment de son Journal. Il ne fait par ailleurs aucune exégèse d'Un rude hiver, contrairement aux autres romans, et n'évoque à aucun moment la structure, la poétique ou la portée de son texte. Phénomène d'occultation corroboré par un dossier génétique lacunaire. En 1931 il avait déjà relevé la remarque de « Steckel qui dit que les complexes de religiosité sont les plus cachés »51. Les seuls échos que nous ayons du roman sont indirectement exprimés dans les textes théoriques de Volontés. C'est donc à ces articles repris dans Le voyage en Grèce qu'on se reportera pour apprécier la conception qu'il se faisait alors de la littérature. Un rude hiver est au « roman poème » ce que les textes de Volontés sont à la théorie, l'expression d'une poétique traditionnelle.

Queneau emploie dans ses écrits la forme poétique et fait du roman un poème ; il joue de cette forme, usant, à l’instar de Dante, d’un langage à « la superposition des sens multiples »52 et il le fait dans un contexte théorique qui ne cesse de renvoyer aux textes de Guénon consacrés aux « langues sacrées », aux « Fidèles d’Amour » et à Dante… Voici une œuvre où, pour reprendre les termes de Queneau dans « Technique du roman », semblent se déployer « les derniers reflets de la Lumière Universelle et les derniers échos de l’Harmonie des Mondes »53.





Manuscrit préparatoire dUn rude hiver, in Mss 827, Inv. 1140, Bibliothèque municipale du Havre.


Au regard de cette lecture à peine ébauchée, on relira avec profit la note énigmatique de Queneau relevée dans le dossier d'Un rude hiver où le Havre de Grâce et la Salamandre évoqués dans le roman sont deux titres initialement prévus pour Un rude hiver 54 :

Havre de Grâce

courage

joie

les balles

courage

Salamandre

car la vie est un feu se consume le néant et d séchappe intacte la forme immortelle / intemporelle / éternelle venue jouer sur la Scène du Temps, son rôle.

Ainsi d’Annette, « la vie » — la « flamme » — « où se consume le néant » de l’existence de Bernard « et d’où s’échappe intacte la forme immortelle / intemporelle / éternelle » du roman (de la poésie) « venue jouer sur la Scène du Temps » (l’histoire éternellement répétée ) « son rôle » : celui de l’initiation spirituelle d’un personnage porte-parole de l’auteur qui fit ce constat dans Destinée : « un jour arrive où la conversion l’accomplit ».

 



Emmanuël Souchier

 

Celsa, Université Paris-Sorbonne

 

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sommaire

 


1 Georges Perec, quatrième de couverture dUn rude hiver rédigée pour la collection « Limaginaire », Gallimard, 1977.

2 Raymond Queneau, « Conversation avec Georges Ribemont-Dessaignes », Bâtons, chiffres et lettres, coll. « Idées », 70, Gallimard, [1950] 1965, p. 43. Voir Emmanuël Souchier, « Pour un Art poétique du roman », Raymond Queneau, coll. « Les contemporains », Seuil, 1991, p. 125-170.

3 « Quest-ce donc, en fin de compte, que la Poésie ? À cela il est répondu : la Poésie est une parole dont une Saveur est lessence [] La Saveur est la réalité même, la vie de la PoésieSaveur (rasa, de la raine ras, goûter) signifie : ce qui est savouré, goûté (rasyate) », René Daumal, « Les pouvoirs de la parole dans la poétique Hindoue », Les pouvoirs de la parole. Essais et notes, II (1935-1943), Claudio Rugafiori éd., Gallimard, 1972, p. 50.

4 Un rude hiver paraît en 1939 dans la collection « Blanche » chez Gallimard. Le roman est repris en 1977 pour le premier volume de la collection « Limaginaire ». « Limaginaire » est une collection qualifiée d« intermédiaire » dont lun des objectifs chez Gallimard était de « maintenir disponibles ou faire revivre des titres du fonds, français ou étrangers, dont la notoriété n'est pas telle qu'elle autorise d'emblée une édition de poche en « Folio » ». Cf. http://www.gallimard.fr/collections/imaginaire.htm |.

5 Raymond Queneau, « Conversation avec Georges Ribemont-Dessaignes », op. cit., p. 42.

6 Articles repris dans Le Voyage en Grèce, Gallimard, 1973. Voir Alain Calame, « Lesprit farouche », Petite Bibliothèque quenienne, n° 2, Sixtus éd., 1989 ; Emmanuël Souchier, « Les deux poétiques de lœuvre quenienne », Raymond Queneau, op. cit., p. 84-99.

7 Voir Raymond Queneau, « Techniques du roman », Bâtons, chiffres et lettres [1937] (repris dans Œuvres complètes II, «  Bibliothèque de la Pléiade  », H. Godard (sous la dir. de), Gallimard, 2002, p. 1237 sq.  ; édition notée ŒII.  ; les paginations signalées renvoient à cette édition). Article que l’on aura soin de replacer dans son contexte intellectuel d’origine, celui de sa parution dans la revue Volontés en 1937. Cet article participe non pas d’une poétique « formaliste » comme on a pu le dire parfois, mais bien d’une poétique « traditionnelle » au sens l’entendait René Guénon, auteur dont il s’inspire très largement. « L’emprunt » à Guénon n’est du reste pas fortuit et ne saurait se borner à l’adjonction de quelques mots qui en cantonneraient l’influence (cf. Œ. II, note 15, p. 1734). La poétique formelle évoquée dans l’article répond en effet au but assigné à la poésie « traditionnelle » ainsi que l’auteur le rappelle lui-même en citant Daumal (cf. infra). On aura soin à ce sujet de relire l’ensemble de ces articles, notamment « Qu’est-ce que l’art ? », qui bat en brèche l’idée d’un art formel de pur amusement, de « l’art pour l’art » (p. 89 sq.). Voir également René Guénon, « La langue des Oiseaux », [1931], Symboles fondamentaux de la Science sacrée, coll. « Tradition », Gallimard, 1962, p. 75 sq. Rappelons enfin que le Traité des vertus démocratiques, rédigé en 1939, participe de la même période intellectuelle (Emmanuël Souchier éd., coll. « Les Cahiers de la N.R.F. », Gallimard, 1993).

8 René Guénon, « Le langage secret de Dante et desFidèles dAmour » I, [1929], repris dans Aperçus sur lésotérisme chrétien, Éditions Traditionnelles, 1988, p. 65.

9 Le « P » capital est de Daumal. On analysera avec profit lusage des « capitales » dans lensemble des articles de Volontés rédigés par Queneau ; cet usage trahit notamment les emprunts aux textes de Guénon et indique la « valeur » accordée aux termes concernés.

10 « Le plus et le moins », Volontés, 8, 1er août 1938, repris dans Le Voyage en Grèce, op. cit., p. 128. René Daumal, « Les pouvoirs de la parole dans la poétique Hindoue » op. cit., p. 44-73.

11 Voir la « Notice » de Un rude hiver, E. Souchier éd., in Raymond Queneau, Œ., II, op. cit. p. 1632 sq.

12 Emmanuël Souchier, « Quand lire c'est écrire. Mais comment lire cet écrit ? », Un Quenal des Queneau, Initiales - Groupement de libraires, 13, février 2003, p. 6-10.. http://www.initiales.org/visuels/pdf/quenal.pdf |

13 Archives Paulhan. Information aimablement communiquée par Bernard Baillaud.

14 Cf. supra note 9. René Guénon a consacré plusieurs articles au « symbolisme de la forme cosmique » entre 1937 et 1938 ; ces textes sont réunis dans Symboles fondamentaux de la Science sacrée, op. cit., chap. XXIX à XXXVIII. Pour la signification de la Saint-Jean dhiver (associée à la Noël chrétienne également fêtée dans le roman) on se reportera tout dabord aux « Portes solsticiales » (p. 239-243). En ce sens, le fait dachever le parcours spirituel de Bernard Lehameau sur la Saint Jean d'hiver, cest-à-dire sur la « porte des dieux », marque un temps daccomplissement, celui dune « sortie définitive » de la « caverne cosmique » « qui est le but final » de linitiation (p. 240). On notera que ce choix consacre, au niveau de la représentation géométrique du roman, une sortie du cercle par lélévation de la spirale. Autrement dit, une sortie du cercle fatal de lhistoire par lécriture du roman lui-mêmevers la « délivrance » quannonce la fin des Enfants du Limon (cf. infra). Voir également René Guénon, L'ésotérisme de Dante, op. cit., p. 22.

15 Raymond Queneau, Contes et Propos, Gallimard, [1922] 1981, p.15.

16On comparera ce passage aux premières pages du roman : « Cet après-midi une procession chinoise est passée devant chez nous : cétait leur fête nationale. / En tête deux gendarmes français, puis 2 chinois portant lun ceci : [dessin] / et lautre cela : [dessin] / ensuite 2 immenses drapeaux chinois / [dessin] / Derrière une douzaine de chinois : lun frappait sur une plaque de fer ; lautre affublé dune barbe et dune moustache postiche[s], habillé en jaune avec des rubans, se contorsionnait ; un autre, en jaune également frappait lune contre lautre 2 longues lattes de bois ; un autre, portait une sorte de canne à pêche, un autre un truc dans ce genre / [dessin] / Puis 5 ou 6 chinois habillés à leuropéenne ; enfin une centaine venait par derrière, q[uel]ques uns portant des petits drapeaux français. Arrivés place Thiers, ils se placèrent en rang et les danses commencèrent»

Ce fragment est extrait de la première version du journal (première page du Livre VII / 6 octobre 19161er janvier 1918). Queneau a laissé différentes versions de son journal quil a retravaillé à plusieurs reprises. Dans les Journaux publiés à titre posthume, il note : « Mon journal étant enfant. Regret de ne l'avoir pas conservé in extenso. Retouches que j'y ai faites. Corrections. » (Journaux. 1914-1965, Gallimard, 1996, A.-I. Queneau éd., p. 273).

17 Voir Emmanuël Souchier, « Notice », op. cit., p. 1642-1645.

18 Voir Pascal Herlem, « Un commentaire d'Un rude hiver », in Actes du séminaire Raymond Queneau-ENSJF, C. Debon éd., Temps mêlés, n°150 + 41-44, 1990.

19 René Guénon, « Rassembler ce qui est épars », Symboles fondamentaux de la Science sacrée, [1946], op. cit., p. 303.

20 Prière dinsérer du roman, cf. infra.

21 Voir Emmanuël Souchier, « Raymond Queneau et l'homosexualité ou la faille surréaliste », Temps Mêlés, n° 150 + 33/36 ; 1987.

22 René Guénon, « Le langage secret de Dante et des "Fidèles d'Amour" » I et II, [1929 / 1932], Aperçus sur lésotérisme chrétien, op. cit., p. 66-67.

23 Le nom de Bernard Lehameau renvoie à la figure de Saint Bernard chez Dante, à sa figure templière chez les « Fidèles dAmour », ainsi quà Hamlet dont il est la traduction onomastique.

24 Antoine-Joseph Pernety, Dictionnaire Mytho-Hermétique, [1758], Archè, Milan, 1980, p. 427.

25 Placard P. 24 du dossier désormais déposé à la Bibliothèque Armand Salacrou du Havre. Le dernier chapitre est numéroté sur le dactylogramme, numérotation supprimée pour la prépublication dans la N.R.F.

26 « Techniques du roman », Œ. II, op. cit., p. 1238.

27 René Guénon, L'ésotérisme de Dante, op. cit., p. 52.

« Dans lantiquité, lenseignement progressif de toute science était comparé à un chemin circulaire que létudiant devait parcourir intégralement pour arriver à la maîtrise. Il était censé partir du point le plus élevé du cercle pour descendre au point le plus bas, aux « enfers » () puis, il sélevait () pour revenir à son point de départ, après conscience acquise, et il restait là, dans la gloire, assis à la droite du Dieu invisible sur son trône céleste. », Anonyme, « Le zodiaque alchimique et chimique », Le Voile dIsis, 84, « Numéro spécial consacré à lAlchimie », décembre 1927, p. 764-765.

28En haut à droite, sous « Le Temps / Journal en partie double », Queneau fait coïncider à « 1 an » dans le passé, « 1 an » dans le futur. Ce « Temps » qui est « double » sarticule à partir dun point « » sous lequel figure la mention « 36 ans », âge de lauteur lorsquil rédige son roman. Le Temps de lhistoireUniverselle, historique et personnelle (retranscrit dans le « Journal » de lauteur)et celui du récit, sont donc fixés, comme dans La Divine Comédie de Dante, à partir de données autobiographiques. Dans le chapitre central du roman, lorigine de lhistoire, celle du malheur de Bernard Lehameau, correspond à la date anniversaire de lauteur, le « 21 février 1903 » (chap. VIII, Œuvres complètes II, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 2002, p. 958).

Cet âge de « 36 ans » fixe le point « 0 » de la spirale dessinée en bas à gauche du manuscrit. On notera que les calculs et le dessin de la partie droite de la spirale correspondent à une « accélération » du temps conformément aux théories de René Guénon : à la régularité des années passées (-1, -2, -3, etc.) correspond une diminution arithmétique des années futures sur laxe temporel (1, 1 x 1/2, 1 x 1/22, 1 x 1/23, etc.) et donc à une représentation de leur « accélération ».

29 Voir E. Souchier, « Dante et la spirale du temps », dans Œ. II, op. cit., p. 1648 sq.

30 Voir Claude Simonnet, « Time and Weather. Le temps chez Queneau », Les Lettres nouvelles, 13, avril 1961.

31 Raymond Queneau, Œuvres complètes, vol. 1., C. Debon éd., « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1989, p. 31-32.

32 Claude Simonnet, Queneau déchiffré, Slatkine, [1962] 1981, p. 149.

33Raymond Queneau, Œuvres complètes, vol. 1., op. cit., p. 31-32. On reprendra avec profit lintégralité de Chêne et chien, intertexte essentiel qui éclaire la lecture dUn rude hiver en bien des points.

34 René Guénon, L'ésotérisme de Dante, op. cit., p. 64.

35 Raymond Queneau, Œ. II, op. cit., p. 912.

36 Oswald Wirth, Lidéal initiatique, Paris, Le Symbolisme, 1927, p. 32.

37René Guénon, «"Fidèles d'Amour" et "Cours d'Amour"» [1933], Aperçus sur lésotérisme chrétien, op. cit., p. 89-90. Voir René Guénon, « L'esprit de l'Inde » in  Études sur l'Hindouisme, Éditions Traditionnelles, [1930, 1937] 1989, p. 18-19. On notera que Queneau se définit lui-même à travers la voie du Kshatriya, « la voie de l'action », celle des guerriers (Journaux 1914-1965, éd. de A.-I. Queneau, Gallimard, 1996, 7 juillet 1940, p. 477). L'auteur est donc comme Bernard, un guerrier, qui revient du front. Lui-même comme son patron Saint-Bernard, le moine-soldat qui accompagne le Poète dans La Divine Comédie de Dante (voir René Guénon, Saint Bernard, Éditions Traditionnelles, [1926] 1951, 20 p.).

38 René Guénon, « Le langage secret de Dante et des "Fidèles d'Amour" » II, [1932], op. cit., p. 75.

39 René Guénon, « Lidée de Centre dans les traditions antiques », [1926], Symboles fondamentaux de la Science sacrée, op. cit., p. 86.

40 Émile Delobel, « Le problème alchimique », Le Voile dIsis, 84, « Numéro spécial consacré à lAlchimie », décembre 1927, p. 741.

Voir Albert-Marie Schmidt, La Poésie scientifique en France au XVIe siècle (le dernier chapitre consacré à « Trois alchimistes-poètes »), Éditions Albin Michel, 1938. René Guénon, La Grande Triade, Gallimard, [1946] 1957 ; Serge Hutin, LAlchimie, PUF, 1950 ; René Alleau, Aspects de l'alchimie traditionnelle, Éd. de Minuit, 1953.

41 René Guénon, « Le langage secret de Dante et des "Fidèles d'Amour" » I, [1929], op. cit., p. 64-65.

42 Henri-Charles Puech, En quête de la Gnose, vol. I et II, Gallimard, 1978 ; Sur le manichéisme et autres essais, Flammarion, 1976. Serge Hutin, Les gnostiques, op. cit. René Alleau, Aspects de l'alchimie traditionnelle, op. cit.

43 René Guénon, « Lidée de Centre dans les traditions antiques », [1926], Symboles fondamentaux de la Science sacrée, op. cit., p. 84-85.

44 René Guénon, « La triple enceinte druidique », [1929], Symboles fondamentaux de la Science sacrée, op. cit., p. 102.

45 René Guénon, L'ésotérisme de Dante, op. cit., chap. III, p. 17 sq.

46 René Guénon, « Le langage secret de Dante et des "Fidèles d'Amour" » I, [1929], Aperçus sur lésotérisme chrétien, op. cit., p. 69.

47 Ibid., p. 74.

48 Raymond Queneau, Contes et Propos, Gallimard, [1922] 1981, p.11.

49« Dans un demi-sommeil, "révélation" : que la vie est un rêve dont on se réveillera. Grande joie », Journaux, op. cit., p. 410.

50 Journaux, op. cit., p. 461.

51 « Qu'est-ce que ces croix que je cache ? Ma religiosité, comme dirait Stekel. », Journaux, p. 228, 270. Traité des vertus démocratiques, op. cit., p. 183.

52 Ibid., p. 86.

53 Raymond Queneau, « Technique du roman », [1937], Bâtons, chiffres et lettres, op. cit., p. 33.

54 Feuillet manuscrit préparatoire, 17 bis.