Le thŽ‰tre de Howard Barker

ou la violence du silence

 

 

 

Mon itinŽraire dans cette prŽsentation : du Ç thŽ‰tral È ˆ ses leons, au travers de Howard Barker, ˆ la lumire de sa pratique et de sa rŽflexion thŽorique : sa pratique, dans deux pices, lĠune en dŽbut de carrire — The Possibilities (1987) et lĠautre quatorze annŽes plus tard — The Brilliance of the Servant (2001) ; ses thŽories, dans Arguments for a Theatre (1989), et dans un Žcrit philosophique et poŽtique, Death, The One and the Art of Theatre (2005). Concernant le thŽ‰tre en tant que genre, un retour sur la notion de mimsis est nŽcessaire, en particulier en rŽfŽrence au trs complet et excellent article du mme nom dans le Vocabulaire europŽen des philosophies, volume publiŽ sous la direction de Barbara Cassin (2004), et sur les commentaires de Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, accompagnant leur traduction de La PoŽtique (1980), ceci dans la lignŽe de mes propres rŽflexions concernant les formes et la dimension gŽnŽrique en gŽnŽral, et la composante axiologique de la rŽception dans le contexte particulier de lĠacte de lecture. Mon approche se veut ˆ lĠexemple et ˆ lĠexigence de ces textes : une exploration, un approfondissement, le repŽrage dĠune intensitŽ. Les moments de lĠanalyse : 1. Le thŽ‰tral en soi ou Ç lĠart thŽ‰tral È, pour reprendre lĠexpression de Howard Barker dans Death, The One and the Art of Theatre ; 2. La violence du silence chez lĠauteur dans les deux exemples citŽs ; 3. Les leons thŽ‰trales de ce silence et de cette violence.

 

I. Ç Le thŽ‰tral È

Death, The One and the Art of Theatre[1] Žtablit une constante opposition entre Ç the theatre È (le thŽ‰tre) et Çthe art of theatre È (Ç le thŽ‰tral È, et non Ç lĠart du thŽ‰tre È).

Pour mieux comprendre cette opposition, un retour au trŽsor sŽmantique du mot sĠimpose : Ç thŽ‰tre È, de theatron, lĠendroit (tron) o lĠon voit (thea : action de regarder, vue, spectacle, contemplation, nous dit le Dictionnaire historique de Robert). On peut aussi penser ˆ the™ros, (spectateur, consultant dĠun oracle, et assistant ˆ une fte religieuse) qui a de nombreux dŽrivŽs en grec impliquant la contemplation, la vision abstraite, la spŽculation, et dont lĠorigine par composition est thea et oros [qui observe][2]. Le thŽ‰tre est par dŽfinition le lieu o lĠon voit par Jerzy Grotowski de son Ç thŽ‰tre pauvre È[3] —, le lieu o lĠon donne ˆ voir. Comme le savent bien les Žlves qui imitent leur professeur, la mimique rŽussie fait reconna”tre en mettant ˆ nu, et met ˆ nu en faisant reconna”tre. Horreur de cette expŽrience-lˆ : se voir soudain dŽmasquŽ en public dans cette dimension de soi-mme que justement lĠindividu ne peut conna”tre. Le thŽ‰tre fait donc voir, mme le silence.

Le thŽ‰tre en soi est tout sauf imitation : la tendance au vraisemblable est sa faiblesse centrale, faiblesse si flagrante et si dangereuse dans la forme dŽrivŽe quĠest le cinŽma, avec ses Ç effets de rŽel È et leurs consŽquences en termes dĠidentification. Je place donc personnellement lĠeffet thŽ‰tral, cĠest-ˆ-dire la dŽnudation des logiques et des jeux dŽrobŽs du comportement, ˆ lĠŽgal de lĠeffet poŽtique, la pertinence des jeux de la langue, au sommet de la hiŽrarchie des genres. Car on peut dŽfinir une telle hiŽrarchie si on pense en termes de mise en puissance de distance chez le rŽcepteur, quĠil soit lecteur ou spectateur, de prise de conscience de lui-mme dans le moment de lĠŽchange de communication. La vraie distance apportŽe par ces deux genres supŽrieurs est celle qui conduit ˆ dŽcrypter les systmes qui nous font tels quĠen nous-mmes dans notre naturel ordinaire, prŽsence en nous effacŽe par lĠhabituation qui nous empche de la voir, comme le rappelle S. T. Coleridge dans Biographia Literaria, au Chapitre XIV : Ç[É] by awakening the mindĠs attention from the lethargy of custom and directing it to the loveliness and the wonders of the world before us; an inexhaustible treasure, but for which, in consequence of the film of familiarity and selfish solicitude, we have eyes yet see not, ears that hear not, and hearts that neither feel nor understand È (Coleridge 169) [4].

Howard Barker hait le thŽ‰tre ordinaire quĠil rŽsume dans la notion, pour lui dŽtestable, de Ç foyer È, avec ses bavardages polis et donc futiles. Quelques citations tirŽes de Death, dans leur violence crue (les italiques sont de Howard Barker) : Ç [É] the public, whose addiction to the mirror is itself a symptom of terror . . . È (en gros, des enfants immatures, rien de plus) (85) ; Ç The foyer is the theatre par excellence. It is the first aim of the art of theatre to abolish the foyer È (9) ; Ç The art of theatre holds evidence in contempt È (46) ; Ç [É] the art of theatre at once dispenses with the pitiful paraphernalia of representation that so disfigures the stage of the theatre [É] È (53) ; Ç [É] this nauseating reproduction [É] È (62) ; Ç [É] all the tortuous manoeuvring of the plot is simply prevarication . . . È (56).

Pourquoi donc cet emportement critique qui le conduit ˆ contester les thŽories dĠAristote, accusŽ de mettre la tragŽdie au service de la rŽalitŽ vŽcue contemporaine : Ç [É] forcing politics onto the supremely apolitical . . . È (68) ? Avant de rŽpondre ˆ cette question par le biais dĠune rŽflexion sur la mimsis, il faut rappeler la nature spŽciale de la mŽdiation Ç spectaculaire È propre au thŽ‰tre. Dans lĠacte de lecture silencieuse chacun est ˆ la fois metteur en scne, puisque cĠest le lecteur qui dŽcide que tel ou tel aspect est important — ce que dŽmontre lĠarbitraire des soulignements anonymes dans les ouvrages de bibliothque — ; il est aussi acteur, puisquĠil concrŽtise intŽrieurement le jeu et la voix de tous les personnages, et spectateur, puisquĠil rŽagit ˆ des sentiments quĠil a lui-mme concrŽtisŽs donc produits ˆ partir du texte. Autant de potentialitŽs dĠenfermement narcissique. Le thŽ‰tre au contraire sŽpare ces fonctions en nous imposant la prŽsence humaine en scne et sa mŽdiation spectaculaire (au sens o on emploie le mot pour dŽsigner lĠensemble des Žchanges avec le spectateur). Quadruple occasion de distance, mais aussi dĠenfermement : du point de vue du texte en lui-mme, de la mise en scne et de ses prŽfŽrences et refus, du jeu de lĠacteur, de la rŽception du spectateur. De lˆ dĠimportantes consŽquences concernant lĠidŽe de mimsis.

Sur le mystre et les dilemmes de la notion de mimsis au travers de lĠhistoire, lĠarticle du Vocabulaire europŽen des philosophies apporte un Žclairage prŽcieux. Il retrace la longue destinŽe dĠune notion partagŽe entre les deux exigences opposŽes de la peinture (qui imite, ˆ lĠexemple des raisins de Zeuxis) et du thŽ‰tre (qui reprŽsente et donc dŽnude). Pour lĠessentiel, cet article de Jacqueline Lichtenstein et Elisabeth Decultot reprend et Žlabore les intuitions de Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, traducteur de La PoŽtique, concernant le fait que la mimsis est par essence double : dĠun c™tŽ elle implique un rapport nous orientant vers Ç lĠobjet affectŽ È, cet objet qui sert de modle, et par consŽquent induit lĠillusion de sa prŽsence scŽnique ; de lĠautre, elle intŽresse en rŽalitŽ Ç lĠobjet effectuŽ È, cet objet reprŽsentŽ devant nous[5]. En soi, la re-prŽsentation tŽmoigne par consŽquent dĠune double reconstitution : lĠactualisation propre au texte et la concrŽtisation relevant de lĠinterprŽtation, dont des choix propres ˆ la mise en scne et au jeu dĠacteur, le tout dŽclenchant in fine la concrŽtisation individuelle et personnelle du spectateur. LĠensemble est donc doublement motivŽ et arbitraire, avec tout ce que cet arbitraire implique en matire de thŽories contemporaines du discours. Cette double assise, ˆ la fois centripte et centrifuge, explique le choix du mot Ç reprŽsentation È (pour traduire mimsis) par les traducteurs de La PoŽtique qui voient dans cette dimension composite le fondement mme de lĠeffet cathartique : cĠest dans lĠŽpuration de la forme, qui abstrait du modle sa Ç forme propre È (La PoŽtique, 165), que les traducteurs placent lĠessentiel de la force du stimulus mimŽtique aussi bien que de lĠeffet tragique. Telle est selon eux, la Ç purification È dont parle Aristote.

Ce qui impose par consŽquent de sĠarrter un instant sur lĠidŽe de catharsis. Essentiellement, et toujours dĠaprs R. Dupont-Roc et J. Lallot, lĠopŽration cathartique se compose de deux moments et phases. La catharsis est tout dĠabord une crise marquŽe par la violence identificatoire nŽe des affects, dŽclenchement irrŽflŽchi en nous de rŽactions premires qui pourrait sembler correspondre ˆ lĠÇ abrŽaction È dans la thŽorie psychanalytique. Dans un deuxime mouvement, la catharsis se fait Ç Žpuration de forme È (toujours selon les traducteurs), de Ç forme quintessenciŽe È (La PoŽtique, 190), impliquant donc la distance intellectuelle et poŽtique. CĠest ainsi quĠils interprtent la fameuse observation dĠAristote : Ç [É] en reprŽsentant la pitiŽ et la frayeur, elle [la reprŽsentation] rŽalise une Žpuration de ce genre dĠŽmotions È (La PoŽtique, 53). CĠest sur ce point que lĠinterprŽtation de Howard Barker diverge totalement, et de faon centrale, puisquĠelle dŽnie ˆ la tragŽdie cette capacitŽ seconde de purification et de clarification. Non seulement le dramaturge la lui dŽnie, mais il la rend impossible dans son propre thŽ‰tre, en bloquant de faon terminale lĠeffet cathartique ˆ son stade premier Žruptif, bouleversant, dŽroutant, indŽpassable.

Concernant la catharsis selon Howard Barker, il faut en revenir ˆ Arguments for a Theatre, texte pourtant dŽfinitoire de la tragŽdie en soi, o lĠauteur sĠen prend ˆ la tragŽdie classique, au sens large du terme. Il en conteste la dimension dĠapaisement final, aprs les excs de violence au point culminant de lĠaction propre ; apaisement, ou Žpuisement, comme dans les derniers discours de Hamlet ou de King Lear : Ç Traditional tragedy was a restatement of public morality over the corpse of the transgressing protagonist [É]. But in the theatre of Catastrophe there is no restoration of certitudes [É] (Arguments 54-55) ; Ç [it] insists on the limits of tolerance as its territory. It inhabits the area of maximum risk, both to the imagination and invention of its author, and to the comfort of its audience È (53). La raison de ce dŽplacement esthŽtique est des plus Žvidents pour lĠauteur : Ç [É] to return the responsibility for moral argument to the audience itself È (52). La tragŽdie de Howard Barker conduit les spectateurs ˆ la catastrophe, et les y enferme sans aucune Žchappatoire. Il les laisse en pleine crise comme ˆ la fin des extraits de The Possibilities ici retenus. La catastrophe correspond au moment mme de la rŽvolution intŽrieure causŽe par lĠaffect, la notion trouvant son origine dans lĠŽpisode scandaleux o lĠhŽro•ne de Women Beware Women (1996), peu aprs le viol qui a imprimŽ dans sa chair le fait que cĠŽtait elle qui Žtait en train de se violer, dŽclare : Ç Catastrophe is also birth È (180). CĠette naissance si problŽmatique, parce que sans rŽsolution et sans au-delˆ de distance, mŽrite analyse et discussion.

Quelques observations concernant la notion dĠÇ affect È permettent de mettre en Žvidence ce qui est vŽritablement en jeu. Le terme nous rŽfre ˆ la dŽcharge intŽrieure dŽclenchŽe dans les quelques millimes de seconde suivant toute perception dĠun stimulus, dŽcharge causŽe par la rŽaction immŽdiate du cerveau reptilien en nous. Tout ceci en conformitŽ avec les dŽcouvertes dĠAntonio Damasio prŽsentŽes dans LĠErreur de Descartes, La raison des Žmotions (1994). On peut retenir de ce donnŽ, le fait littŽralement fondateur de lĠorientation des stimuli en termes dĠacceptable / non acceptable, dĠeuphorique / dysphorique, et donc de positif / nŽgatif ; ceci sur la base de notre acquis Ç encyclopŽdique È (selon Umberto Eco) intŽrieur. Autre faon de formuler la chose : tout ce que nous percevons est axiologisŽ ds le dŽpart par cette propension Žvaluative premire, partie intŽgrante des processus de perception. Et plus la rŽaction est violente et rapide, plus nous sommes ˆ la merci de ce donnŽ sur lequel nous nĠavons aucune prise immŽdiate, donnŽ sans lequel, cĠest ce que montrent les cas cliniques citŽs par Antonio Damasio, il nĠest pas de pensŽe organisŽe et donc pas de possibilitŽ de vraie distance. DĠo lĠerreur de Descartes dont parle le titre, et qui porte sur le r™le et lĠintervention du jugement. En rendant impossible toute rationalisation de la violence, en empchant le spectateur de passer au-delˆ de cette dŽcouverte littŽralement horrifiante, en faisant de cette dŽcouverte mme le moment terminal de lĠÏuvre, Howard Barker semble vouloir nous ramener ˆ cette base primaire et toujours rŽsurgente en nous, cette interprŽtation immŽdiatement dŽrivŽe des percepts qui explique par exemple que pour Hobbes lĠŽtat de nature soit par dŽfinition Žtat de violence. On peut se demander si les silences qui font constamment retour dans certaines pices ne sont pas fondŽs sur la prise de conscience intuitive et toujours menaante de cette donnŽe humaine primordiale. Ceci dĠautant plus que le refus apparent dĠŽpuration de la forme, propre ˆ la version aristotŽlicienne, retourne la catharsis contre elle-mme en la maintenant dans sa phase premire. Ce faisant, un telle dŽmarche entrave tout processus de sublimation en ramenant le spectateur ˆ lĠŽvidence de lĠhorreur, une horreur dont il est rendu responsable par le seul fait quĠil en est le spectateur. Si le sublime est constitutivement liŽ ˆ lĠhorreur, comme lĠaffirme Edmund Burke ou Julia Kristeva, cĠest parce quĠil implique une transgression. En rejetant tout dŽpassement, Howard Barker ne retient que le mystre de cette transgression pour nous plonger dans ce quĠon pourrait appeler une sorte de sublime noir, celui de la puissance des affects en nous.

 

II. Faits scŽniques

Analyse de quelques exemples de silence scŽnique : a) The Possibilities, b) The Brilliance of the Servant.

Deux extraits de The Possibilities ont ŽtŽ retenus. Pour commencer, le moins explicite des deux, faon de retrouver dans le premier une complexitŽ peut-tre masquŽe par la brutalitŽ de lĠŽvidence scandaleuse sur laquelle il nous laisse (la main coupŽe, main alors tendue dans le geste de pacification et de supplication).

Pourquoi ce titre, Ç The Possibilities È ? Parce quĠil sĠagit de dix Ç cas È successifs, au sens ancien quasi judiciaire du terme, de transgressions, chacune aussi inadmissible que les autres, en rŽfŽrence aux rgles morales maintenant reconnues, ceci ˆ travers lĠhistoire occidentale, les exemples successifs Žtant tirŽs de la Bible, de lĠAntiquitŽ, du Moyen ċge et nous rŽfŽrant ˆ diverses guerres dont les plus rŽcentes. En rŽalitŽ, le donnŽ historique supposŽ ne fournit quĠun support dŽcontextualisŽ, ˆ dimension parabolique, ou plus exactement anti-parabolique. Le cadre de rŽfŽrence axiologique est celui dĠun prŽsent anhistorique et invariant, les fondements des comportements humains Žtant supposŽs rester inchangŽs ˆ travers les ‰ges.

Ce qui compte dans ce premier extrait ? Les deux significations contradictoires du Ç I will open the door È. Deux lectures, ou concrŽtisations orales, sont possibles, mais absolument contraires. On imagine la difficultŽ pour le metteur en scne et lĠacteur : quelle intonation exacte choisir entre le refus vengeur et lĠhŽsitation en promesse dĠavenir ? Nous sommes bien en situation dĠouverture selon Eco ; ˆ savoir, deux schmes interprŽtatifs contraires aussi valables lĠun que lĠautre, que leur coprŽsence rend pourtant Žgalement impossibles : dĠun c™tŽ, la dŽtermination de ne plus jamais se laisser prendre, de lĠautre, lĠespŽrance de solidaritŽ quand mme. Ceci aprs lĠambivalence majeure du geste qui prŽcde : la mre Žtouffe-t-elle ou non le bŽbŽ ? En lĠabsence de tout commentaire et guidage final, cette pice en rŽduction nous conduit donc ˆ une indŽpassable situation de double contrainte. VŽritable oxymore scŽnique qui nous laisse incapables de dŽpasser ce constat de blocage, blocage implicitement Žtendu ˆ lĠhumanitŽ entire, en particulier du fait de la dimension exemplum ou parabole de cette construction condensŽe : il sĠagit bien de types gŽnŽraux (lĠƒpouse / le Mari / la Victime / les Tra”tres, etc.). Le schme abstrait mis en jeu en est dĠautant plus clair : paroxysme ˆ la pointe extrme de la transgression, situation que nous faisons n™tre du fait de lĠinŽvitable identification avec cette Žpouse partiellement fautive. Roland Jaccard dŽmontrait dans La Folie (1979) que la double contrainte est traumatique par dŽfinition. Sa double exigence Žthique exerce une violence absolue sur le sujet dont la capacitŽ de choix est rendue impossible alors mme quĠelle fait lĠobjet dĠune exigence impŽrative. Ceci dĠautant plus que dans le cas prŽsent son Žvidence reste non dite, et refoulŽe dans un silence o se mlent effroi et constat dĠimpuissance. Comme si, de faon rŽpŽtŽe, lĠindividu se heurtait ˆ une sorte de paroi de verre dont il dŽcouvre toujours trop tard lĠinŽvitable prŽsence. De situation en situation, et de pice en pice, le thŽ‰tre de la catastrophe relance la contamination de lĠeffroi par le silence et du silence par lĠeffroi, catharsis muette o la dŽcharge de lĠaffect se retourne contre le spectateur rendu voyeur de sa propre souffrance Žthique. LĠŽpuration de la forme quĠil croit pouvoir discerner le renvoie directement ˆ ses propres propensions ˆ la violence. Pire encore, lĠeffet de reconnaissance porte sur la violence faite ˆ sa propre violence, reconnaissance qui au lieu de le soulager renouvelle les dŽcharges dĠaffects en lui. Et ceci sans aucun faux-semblant : Ç Nothing is repressed È (Death, 98). Surtout quand la chair est directement concernŽe, ce que montrent bien les deux exemples suivants, la main coupŽe dans Ç Kiss my Hand È (The Possibilities) et le corps transpercŽ et littŽralement dŽfait dans The Brilliance of the Servant.

La situation sŽmantique dans Ç Kiss my Hand È nĠest gure diffŽrente de celle qui prŽvaut dans Ç The Unforeseen Consequences È (The Possibilities) : mme blocage, mme arrt sur lĠindŽpassable de lĠhorreur. Dans The Brilliance of the Servant, ce donnŽ est complexifiŽ par la thse apparemment dŽfendue, Ç apparemment È puisque rien dans le texte nĠest jamais explicitement dit. Le Ç brillant È de ce domestique possde toutes les caractŽristiques dĠun sacrifice christique ici prŽsentŽ comme le sommet dĠune fraude Žthique majeure. Une famille prŽpare un mariage incestueux tandis quĠune machine dŽvoreuse de victimes opre sous les fentres, et ˆ portŽe de son : Ç It makes a small incision in your groin, and through the little aperture it draws your whole intestine out . . . weaving it before your eyes into a basket . . . to the handles of this basket they attach your severed hands . . . IĠve seen it . . . È (Barker, Volume 5, 133).

La contradiction prŽvaut ˆ tous les niveaux : schme sacrificiel retournŽ contre lui-mme (le personnage christique soumis est en rŽalitŽ celui qui mne le jeu) ; ŽlŽgance dŽcadente du parler dans un milieu qui pourrait tre celui dĠune cour ŽlisabŽthaine sur le fond off des hurlements de mort des victimes. LĠÇ Žclat È ou Ç brillant È de ce serviteurs est lĠoxymore en soi : violence sur ceux qui lĠentourent de qui se sacrifie ; violence dĠun discours intrinsquement ambivalent, Ç I have a contract of love with you which cannot be terminated . . . È (141). Ceci jusquĠaux derniers sons entendus dans la pice : profonds sanglots de deuil cadrŽs en arrire-plan par de lointaines voix dĠenfants exultant de plaisir. Plus approche la conclusion, plus prŽvaut la dimension mŽtathŽ‰trale, dimension dŽbouchant pourtant sur lĠincertitude. Cherchant les stigmates de la machine sur le corps du serviteur revenu dĠentre les morts, puisque tout laisse penser quĠil sĠest bien offert en victime ˆ la machine, la mre se voit rŽpondre : Ç Do you expect the signs to show? / How materialistic we are . . .! / Always we ask for evidence . . .! / How little faith we have . . .! / Always we say, show, show . . .! / Is that not our poverty? È (142). Ce qui se trouve ici Ç montrŽ È, cĠest lĠimpossible interprŽtation christique (Thomas et ses doutes) ; cĠest la dŽnonciation par refus et blocage du voyeurisme du spectateur et de sa cruautŽ ethnocentrŽe, lui qui cherche dŽsespŽrŽment ˆ comprendre, ˆ savoir afin de ne plus avoir ˆ y penser, et de chasser de son esprit ces sinistres intuitions. Le thŽ‰tre est bien ici ce qui montre, et montre quĠil montre. Dans le cas prŽsent, cette mise ˆ nu se fait autorŽflexive en renvoyant au spectateur sa propre image, et dŽbouche alors sur la bŽance dĠun savoir ˆ jamais impossible. Quel savoir ? Peut-tre celui de lĠautre rive du Styx, rien que nous ne sachions dŽjˆ : Ç this coming to the already-known È (Death, 67). En second lieu, et dĠune faon plus restreinte mais plus concentrŽe, le savoir indirect apportŽ par la contradiction en soi ; la confrontation entre deux significations opposŽes qui soutient la double contrainte Žtant en elle-mme la seule vŽritŽ que nous puissions atteindre. Ce qui expliquerait pourquoi lĠoxymore ˆ sa pointe la plus acŽrŽe est lĠoutil et le recours prŽfŽrŽs des visionnaires, quĠil sĠagisse de potes ou de mystiques. Donc le Ç thŽ‰tral È selon Howard Barker serait la monstration, la mise au jour de lĠŽtat de contradiction en soi, de la contradiction comme frontire ultime : Ç Tragedy makes art from contradiction by substituting will and curiosity to dread and ignorance . . . in the field of death . . . È (Death, 85). Reconnaissance et acceptation de notre incapacitŽ de conna”tre, comprŽhension et distance assumŽe qui nous gardent du dŽtachement : Ç [É] tragic art [É] knows nothing of detachment . . . È (Death, 90), et nous placent ˆ lĠopposŽ de Ç lĠappŽtit dĠidentification È (Death, 90) caractŽrisant le Ç thŽ‰tre È : Ç to be ecstatically uneducated by it . . . [the spectacle of the fall] È (Death, 93) ; Ç It remains to be said that the decisions of the tragic character have value only in so far as they enable him to enter the unknown in a condition of active acquiescence . . . [É] È (Death, 97).

Quelques remarques sur les silences du texte et dans le texte :

Rappelons la situation dans cet extrait tirŽ de The Brilliance of the Servant : lĠarrivŽe de la machine, ses bruits et la comprŽhension horrifiŽe qui les accompagne, lĠinŽvitabilitŽ de la torture et de la mise ˆ mort arbitraire. Pendant ce temps, les prŽparatifs du futur mariage, la mre et la fille nues, dans leur concurrence amoureuse face au supposŽ futur Žpoux. Au total, une sorte de contrepoint scŽnique mettant en parallle, et donc en Žquivalence  vie et mort.

Du point de vue de lĠŽcriture, le texte est littŽralement trouŽ de silences, dĠarrts, dĠhŽsitations, de suggestions, de suspensions de la parole ˆ mi-course dĠun Žlan phrastique manquant de souffle et se dŽlite en parataxe. Cette parole ne semble pouvoir sĠŽnoncer que par secousses successives, dans les saccades dĠune sorte dĠŽtranglement jamais surmontŽ, avec inversement de soudains Žpanchements de phrases hors syntaxe et ponctuation, comme ceux du fiancŽ[6]. La parole hŽsite entre la pulsion et lĠimpossibilitŽ de dire, vŽritable embarras de communication dont lĠaposiopse est lĠexpression majeure.

LĠaposiopse (ou interruption de parole) para”t tre ici le signe syntaxique dĠune soudaine comprŽhension intŽrieure, dĠun dialogisme intensifiŽ, au sens o le dialogisme correspondrait ˆ la division et au combat au sein du discours individuel entre deux logiques antagonistes. LĠaposiopse signale ainsi la soudaine prise de conscience par le personnage dĠune dŽnŽgation de sens, ou dĠune absence de savoir qui renvoie peut-tre ˆ la mort dont tout ce que nous savons est que nous ne pouvons rien conna”tre dĠelle. Ainsi prŽvaut, ˆ tous les niveaux, une sorte dĠhomologie structurelle : de la signification encadrante (le tragique tel que le conoit lĠauteur) ˆ lĠŽcriture dans ses effets les plus concrets. Pour reprendre ce que dit Sunetra ˆ propos de sa mre, cette Ç intŽgritŽ terrible È (123) est celle du Ç thŽ‰tral È dans sa mise en Žvidence des latences de la vie, latences avŽrŽes mais dŽlibŽrŽment ignorŽes dans le cours ordinaire de notre existence : Ç TragedyĠs a priori — that we live only to be destroyed by life — renders the notion of wrong decisions meaningless È (Death, 97) ; Ç Death renders irrelevant all that was relevant È (Death, 37).

Lˆ se trouve le nÏud de lĠindŽpassable contradiction qui se dit de multiples faons au travers des silences successifs du texte. Telle est bien la violence premire ˆ laquelle la violence seconde du thŽ‰tre de la catastrophe nous ramne par dŽfinition. Ce qui se dit dans le silence est lĠŽvidence tragique dĠune expŽrience terminale impossible ˆ imaginer et ˆ confronter en soi-mme ; le constat dĠun inconnaissable qui est pourtant notre seule vŽritŽ. On comprend pourquoi lĠintuition du tragique chez Howard Barker ne peut sĠaccommoder dĠun quelconque dŽpassement cathartique conduisant ˆ une sorte dĠapaisement aprs la tempte. La situation nĠest pas temporaire, et opportunŽment endurŽe pour nous par des victimes sacrificielles ; elle est une constante de chaque instant de notre propre vie. Telle est la vŽritŽ existentielle difficile que le thŽ‰tre de Howard Barker sĠefforce de ramener au jour, pour en raviver en nous lĠintuition refoulŽe ou tout simplement mŽconnue. CĠest bien lˆ le secret de cette violence silencieuse, celui dans lequel nous sommes plongŽs face ˆ une indicible dŽcouverte qui est en mme temps un rappel ˆ lĠordre et une remŽmoration : Ç [É] nothing in death is not already known È (Death, 68) ; Ç One of the few secrets in the world no one wishes to be party to . . . È (Death, 90).

 

III. Le silence et le Ç thŽ‰tral È selon Howard Barker

Je voudrais maintenant revenir sur ce Ç terrible silenceÈ accompagnant le rŽcit dĠun meurtre[7], ou comme ici, tŽmoignant de la violence faite au corps. Selon Howard Barker, ce silence est inhŽrent au Ç thŽ‰tral È : Ç In the art of theatre not only do we expect the audience to be silent, we demand it of them, we demand it as the confirmation of our intentions. We concede there are many silences, but we discriminate among the silences È (Death, 17) ; et plus loin : Ç No metaphor for what is sublime in silence. If silence were a wall, one would seek a ladder for it. Rejoice in one absolute È (Death, 73). En fin de reprŽsentation tout applaudissement, catharsis mineure tŽmoignant de la reconnaissance du public envers les acteurs, para”t impossible pour qui se trouve alors plongŽ dans lĠextrme de lĠinsupportable. Et dans la pice mme, une sŽrie de silences semblables accompagne une exploration menŽe jusquĠaux limites de ce qui peut se concevoir : obscuritŽ de formulations cryptiques, ambivalences, juxtapositions problŽmatiques et/ou scandaleuses, dialogisme rŽsurgent, dŽtours, ruptures syntaxiques, aposiopses, etc.

LĠeffet violence de ce silence, violence mineure provoquant un malaise temporaire ou violence massive aboutissant ˆ une sorte de panique intŽrieure, est ˆ rapporter ˆ la puissance des affects en nous, point central permettant de distinguer ce thŽ‰tre de la cruautŽ de celui de ses prŽdŽcesseurs et de ses contemporains. La spŽcificitŽ de la dŽmarche est bien ˆ chercher dans le dŽni de la catharsis dans sa phase seconde de purification et dĠapaisement. CĠest lˆ le point clŽ du retournement autorŽflexif : faisant violence ˆ la violence de lĠaffect en nous, Žnergie quasiment instinctuelle, le moment cathartique arrtŽ renvoie cet affect ˆ lui-mme. Il le dŽnude dans ses tentatives de disculpation narcissique et parano•aque. LĠidentification a bien lieu, mais elle contraint le spectateur ˆ se reconna”tre dans lĠautre, au lieu de lĠautoriser ˆ sĠy perdre. Le scandale devient celui de sa propre pensŽe et de ses propres dispositions. Pour mettre en Žvidence cette dimension, il suffit de comparer ce figement atterrŽ et terrifiŽ auquel aboutissent ces conclusions in medias res, ˆ notre regard latŽral et ˆ ses manÏuvres malsaines lorsque les nouvelles tŽlŽvisŽes nous font contempler malgrŽ nous un meurtre ou une mort en cours dĠaccomplissement dans quelque lointain pays. Si Howard Barker joue de faon si transgressive avec le corps — dans Found in the Ground (Volume 5, 2001) on dŽguste les cendres des nazis —, cĠest quĠil veut nous conduire vers ce lieu clŽ o le stimulus premier de lĠaffect nous transperce, processus dont dŽpend tout le reste, ˆ commencer par ce que nous appelons nos Ç jugements È qui sont en rŽalitŽ seconds et prŽsupposŽs par notre rŽaction ˆ ce stimulus. Howard Barker semble vouloir remonter ˆ la source, lˆ o a fait le plus mal, ˆ lĠidentification centripte (de jouissance) et centrifuge (de dŽgožt) ; prŽcisŽment ce que le Ç thŽ‰tral È selon lui montre et nous fait voir, au-delˆ mme de la confrontation avec lĠidŽe de mort, toute centrale quĠelle puisse para”tre. LĠŽvidence de la mort nous donne en rŽalitŽ indirectement accs ˆ une Žvidence plus directement provocante, celle du corps propre dans son commerce privŽ avec le monde environnant. La voie que ce Ç thŽ‰tral È ouvre pour nous, en contournant des raisonnements ouverts ˆ toutes les dŽrives de la pensŽe, cĠest donc la prescience de la vŽritŽ irrŽductible des affects, de leurs potentialitŽs en nŽgativitŽ et en positivitŽ, mme si cette seconde dimension nĠest pas ici prŽsente ou privilŽgiŽe. NĠayant rien ˆ prouver en termes de morale, le dramaturge se contente de nous placer au plus proche de ces processus dĠagnition qui fondent la rŽaction individuelle, lĠagnition Žtant, selon Umberto Eco, la soudaine reconnaissance de ce que nous savions dŽjˆ[8]. Il remonte en quelque sorte aux sources premires de la capacitŽ Žthique, ˆ cette logique irrŽflŽchie qui nĠa que faire des normes acquises et ordinairement reconnues. Son choix de situations scandaleuses nĠa pas dĠautre objectif que de restaurer en nous, en le renforant, ce sens de la fragile responsabilitŽ qui est la n™tre au moment o nous ressentons lĠŽmotion, produit second de lĠaffect, et o nous nous laissons aller ˆ ses faciles Žpanchements. En ce sens, le silence auquel il nous conduit correspond ˆ une sorte dĠascse Žthique, la plus ajustŽe selon moi aux fondements et Žnergies de notre machine ˆ penser.

CĠest pourquoi on peut dire que la tragŽdie selon Howard Barker est une paradoxale naissance, naissance pudiquement esquissŽe dans Death ˆ travers une sŽrie dĠemplois sŽmantiques paradoxaux : Ç Tragedy is the labour of death È (22) ; et plus loin : Ç the throes of death È (70). En mme temps, lĠauteur revendique son impuissance puisque, pour lui, il nĠy a pas de vŽritŽ ˆ dŽcouvrir, seulement la vŽritŽ de lĠabsence de vŽritŽ : Ç Very great plays yield no meanings. They move like the mouths of the dead on the banks of the Styx. ÔMeaningfulĠ plays are soiled / spoiled by their meanings. What is the meaning of death? È (Death, 20), vŽritable scarification qui soutient la fŽconditŽ artistique de cette Žcriture, et vers laquelle lĠauteur revient sans cesse. Si le silence quĠil chŽrit est dĠune potentialitŽ de violence insupportable, la violence nĠest pas la sienne, mais celle du donnŽ fondamental de notre propre pensŽe, elle qui trouve son origine dans ce qui apparemment la nie. CĠest la force pour moi Žpique de ce thŽ‰tre que de ne proposer aucune disculpation philosophique ou vaguement religieuse. On devine lĠauteur tout entier tendu dans ses diverses productions, quĠelles soient pices, pomes ou peintures, dans lĠeffort de sĠen tenir ˆ ce constat pur et simple, et dĠessayer de distiller toutes les leons possibles dĠun tel Žtat de fait : Ç Tragedy is not a demonstration, it is a terrible ignorance that admits itself . . . [É] È (Death, 45) ; Ç The art of the theatre is a darkness because it speaks to a darkness È (Death, 49).

On comprend mieux alors la composante agressive du Ç spectaculaire È dans ce thŽ‰tre, le c™tŽ non institutionnel de son approche, son refus de compromission quant ˆ lĠessentiel. Si le genre thŽ‰tral est bien caractŽrisŽ par la cascade dĠinstances sur lesquelles il sĠappuie (texte, metteur en scne, acteur, spectateur), ˆ tous ces niveaux, et par renforcements successifs, la composante cathartique premire, celle des affects, sera lĠoccasion soit dĠune dŽrive croissante, soit dĠun centrage de plus en plus ajustŽ. CĠest dans cette seconde perspective que Howard Barker me semble se placer, celle dĠune intensification par ajustements obstinŽs sur les vŽritŽs premires de la perception, dans le domaine le plus crucial, celui de la pensŽe individuelle dans sa dimension la plus personnelle. Loin de lui toute dŽmarche imitative, tout vraisemblable, tout reflet naturalisant. Ne lĠintŽresse que la qute lĠÇ inscape È (le Ç schme intrinsque È) de Gerald Manley Hopkins, de cette expŽrience intime. Ascse que cette contemplation silencieuse et intŽrieure atteinte par le quitte ou double de la violence, une violence qui nĠa rien de sado-masochiste, mais se fait au contraire Žcole de responsabilitŽ. Difficile de ne pas admirer un auteur qui conduit de faon si constante et radicale une entreprise aussi limite de mise en Žvidence du non signifiant : Ç une obscuritŽ È, dit-il, dans un langage qui pourrait tre celui de la mŽtaphysique.

Voilˆ ce que le Ç thŽ‰tral È selon Howard Barker est par essence destinŽ ˆ faire voir, du fait de la dŽconstruction propre ˆ lĠimitation scŽnique, ˆ cet engagement mimŽtique o tout est ˆ perdre ou ˆ gagner. Ce quĠaffirmait dŽjˆ Hamlet dans son discours aux acteurs, en particulier dans cette remarque souvent citŽe, mais le plus souvent ˆ contresens, Žtant donnŽ lĠŽlimination, ou lĠoubli, des prŽcisions suivant le mot Ç nature È : Ç [É] playing whose end both at the first, and now, was and is, to hold as Ôtwere the mirror up to nature, to show virtue her own feature, scorn her own image, and the very age and body of the time his form and pressure È (Hamlet, 3.ii.19-22). Le thŽ‰tre en soi donc, et ses deux possibilitŽs : soit berner le spectateur par lĠeffet trompe-lĠoeil, soit lui donner ˆ voir, et ˆ comprendre non seulement ce quĠil voit, mais pourquoi et comment il peut voir.

La force du Ç thŽ‰tral È ainsi conu est de ne pas sŽparer lĠaffect du concept, la participation de la distance, comme dans les deux moments successifs de la catharsis classique, mais dĠentretenir chez le spectateur la prescience des implications conceptuelles de ces processus physiologiques premiers. Tout simplement parce que cĠest dans lĠaffectif, au sens de bombardement incessant et inŽvitable de notre esprit par les affects, que la puissance de la pensŽe vraie est ˆ chercher, ˆ trouver, et ˆ prŽserver autant que faire se peut.   

 

Michel Morel

 

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Bibliographie

 

Barker, Howard. The Possibilities, Collected Plays, Volume 2. London: Calder Publications, 1993 (1987).

——. Women Beware Women, Collected Plays, Volume 3. London: Calder Publications, 1996. 

——. The Brilliance of the Servant, Collected Plays, Volume 5. London: Calder Publications, 2001.

——. Arguments for a Theatre. London: Calder Publications, 1989.

——. Death, The One and the Art of Theatre. London: Routledge, 2005.

 

Burke, Edmund. A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and the Beautiful. Oxford: OUP, WorldĠs Classics Paperback, 1990.

Cassin, Barbara (sous la direction de). Vocabulaire europŽen des philosophies. Paris : ƒditions du Seuil, Le Robert, 2004.

Coleridge, Samuel Taylor. Biographia Literaria. London: Dent, EverymanĠs Library, 1967.

Damasio, Antonio. LĠErreur de Descartes, la Raison des Žmotions. Paris : ƒditions Odile Jacob, 1995 (1994).

Dupont-Roc, Roselyne et Jean Lallot. La PoŽtique. Paris : ƒditions du Seuil, 1980.

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——. Lector in fabula, ou la CoopŽration interprŽtative dans les textes narratifs. Paris : Grasset, 1985 (1979).

Grotowski, Jerzy. Vers un thŽ‰tre pauvre. Lausanne : ƒditions LĠċge dĠhomme, 1971 (1968).

Jaccard, Roland. La Folie. Paris : PUF, Que sais-je ? 1979.

Kristeva, Julia. Pouvoirs de l'horreur. Essai sur l'abjection. Paris : ƒditions du Seuil, 1980.

 



[1] Death, dans la suite du texte.

[2] Dictionnaire historique de la langue franaise, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1992.

[3] Ç Nous pouvons donc dŽfinir le thŽ‰tre comme Ç ce qui se passe entre spectateur et acteur È. Jerzy Grotowski, op. cit., p. 31.

[4] Je souligne. Sauf mention explicite, les italiques ou les caractres gras dans les citations sont de Howard Barker.

[5] Vocabulaire europŽen des philosophies, p. 787 et La PoŽtique, p. 145.

[6] Ç How can I marry you Of course I will do if you want it yes I am quite capable of such an act I could so easily exist in states of utter contradiction utter complication disarray disharmony the tangle knots of things are no dilemma not to me I pity you Sunetra but is that love and you mother I think holds me in contempt. . . . ! È The Brilliance of the Servant, p. 122.

[7] Ç [É] reporting the killing commands a terrible silence, born of curiosity and dread [É] È Death, 59.

[8] Voir le chapitre Ç Agnition È dans De Superman au surhomme, op. cit., pp. 29-39.