La maison de poupe de Petronella Dunois
Nora.
Je suis une poupe dans une maison de poupe.
Un jour jĠai quitt mari et enfants, pourquoi ? je ne sais plus trs bien.
Ë peine le portail sĠtait-il referm derrire moi
(quel fracas a-t-il fait quand il sĠest referm)
que mes raisons dj ne mĠapparaissaient plus trs claires.
Dans ma scne dĠadieu jĠai employ des mots normes,
des mots qui me semblent bien ridicules aujourdĠhui.
Des mots dĠenfant,
des mots comme seul un enfant sait en prononcer sans mourir de rire.
Mais je ne suis pas devenue cynique.
Ni aigrie.
Car je ne regrette rien.
Mme si je ne sais plus bien pourquoi je suis partie, une chose est sure, jĠai bien fait.
Pourtant (diriez-vous, si vous tiez dou de parole) tu as quitt une maison de poupe
pour une autre maison de poupe.
Et alors ?
Elle ne me plaisait pas lĠautre.
Et celle-ci me plat.
Je nĠaimais pas les jeux quĠon me faisait jouer
et jĠaimais encore moins ceux qui me les faisaient jouer.
De braves gens, en fin de compte.
Ici jĠai une matresse que jĠadore.
Et je sais bien quĠelle mĠaime, mme si elle ne le sait pas encore.
Quand elle mĠaura prise dans ses bras
et quĠelle mĠaura peigne,
alors, oui, tout sera parfait,
tout sera parfait dans le meilleur des mondes quand ma matresse mĠaura prise une fois dans ses bras
et quĠelle aura peign ma chevelure de feu.
Mais la voil qui arrive.
Comme elle est belle aujourdĠhui.
Elle a ramass ses longs cheveux blonds en une tresse quĠelle a enroule sur sa tte.
Elle a un nom si charmant.
Petronella.
CĠest un nom qui a la saveur dĠun citronnier sous le soleil Capri
(o je en suis jamais alle, soit dit en passant).
Petronella
Dunois.
Te voil ma chre maison de poupe.
Te voil maison lĠintrieur parfait.
Tout y est sa place, parfaitement rang.
La pelote de laine est sur la table,
prs de la tricoteuse.
Les deux jumeaux reposent prs de leur maman.
La repasseuse tout en haut, penche sur son linge,
ne le brlera pas.
Comme cet ordre parfait me remplit dĠaise.
Quelle plnitude que de pouvoir contempler la vie parfaite.
Nora.
Comme jĠai envie quĠelle me prenne contre elle
et me peigne les cheveux.
Petronella
Dunois.
Mais ce que je prfre,
cĠest toi ma poupe prfre,
avec tes beaux cheveux roux qui te descendent jusquĠ la taille
et ta belle robe de velours,
ma belle inconnue dont jĠignore tout,
toujours seule dans ton salon aux lourdes tentures rouges.
Souvent jĠai envie de te prendre contre moi
et de te peigner tes beaux cheveux roux.
Mais cette maison de poupe est bien trop prcieuse.
JĠaurais trop peur dĠy mettre du dsordre.
Nora.
Petronella,
tu permets, nĠest-ce pas, que je tĠappelle par ton prnom ?
Petronella, prends-moi, ne serait-ce quĠon instant contre toi
et peigne moi.
Petronella
Dunois.
Ce que tu fais dans cette maison, je ne saurais le dire.
Parfois la pense que tu nĠes pas ta place dans cette maison me remplit de tristesse.
Je ne veux pas que tu sois malheureuse.
Mais me rend encore plus triste la pense que tu pourrais tre ta place ailleurs que dans cette maison de poupe.
Mais non, tu me regardes sans la moindre tristesse.
CĠest donc que tu ne te dplais pas trop ici ?
Nora.
Petronella,
tu me regardes tristement.
Pourquoi es-tu si triste ?
Quand je te vois je suis gaie,
si seulement, si seulement tu me prenais dans tes bras
et passais le peigne dans mes cheveux.
Petronella
Dunois.
Une fortune a t dpense par mes parents pour cette maison de poupe,
les domestiques nĠy touchent quĠavec crainte et respect.
Comme je dois tre prcise et ferme dans les instructions que je leur donne pour quĠils en prennent soin sans lĠabmer.
CĠest un bien trop prcieux pour les enfants.
Si notre gendre nous plat, nous en ferons la dot de notre fille.
En attendant, chaque jour mon mari met un sou de ct pour lĠentretien du meuble.
Comme je dois lui en tre reconnaissante.
Dunois.
Ma
chre pouse,
vous voil encore rvasser devant votre maison de poupe.
Petronella
Dunois.
Mon cher mari,
ne vous moquez pas de moi.
Dunois.
Ma
chre pouse,
je ne me moque pas de vous.
Cette maison de poupe reprsente une dpense considrable
mais je ne regrette en rien les milliers de ducats dpenss par vos parents pour vous la constituer
car je vois bien le plaisir considrable que vous y prenez.
Et puis il sĠagit dĠun investissement tout fait raisonnable,
les Oortman ont beau se vanter partout de la leur,
elle nĠest pas moiti si belle que la ntre, ma chrie.
Et votre amie Sara Roth quand elle est devenue Madame van Amstel
nĠen a pas amen une aussi belle
dans la maison de son mari.
Petronella
Dunois.
Mon cher mari,
vous tes un homme bon.
Vous aimez beaucoup votre femme.
Dunois.
Je
vous aime plus que tout ma chre pouse.
Nora.
Petronella,
prends-moi contre toi
et passe le peigne dans ma chevelure.
Petronella
Dunois.
MĠen voudriez-vous si je vous faisais une demande pas du tout
raisonnable ?
Dunois.
Vous,
Petronella ?
Je ne vous crois pas capable de me faire une demande qui ne serait pas raisonnable.
Petronella
Dunois.
Vous me rendez la chose difficile, cher mari.
Dunois.
Faites
votre demande, Petronella chrie.
Petronella
Dunois.
Mon cher poux,
cette poupe rougeÉ
Dunois.
Quelle
poupe rouge ?
Petronella
Dunois.
Celle-ci qui est seule dans son salon rouge
et qui nous regarde comme si elle tait vivante.
Dunois.
Celle-ci ?
je ne lĠavais jamais remarque.
Comme cĠest trange, chre Petronella,
jamais je nĠavais remarqu que nous avions une poupe rouge dans notre maison de poupe.
Comment expliquez-vous cela ?
Petronella
Dunois.
Vous savez bien que depuis que je vous ai pous
rien nĠa t rajout ni enlev cette maison de poupe.
Ne me lĠavez-vous pas formellement interdit
(suivant en cela les instructions de mes chers parents)
sous prtexte que cĠtait bien trop prcieux pour tre un joujou.
Et puis nĠavais-je pas pass lĠge ?
Je dois dire que je partage compltement votre point de vue
et que je comprends que vous me rprimandiez chaque fois que vous me trouvez rvassant devant ces poupes.
Ceci dit cela nĠexplique pas pourquoi vous nĠavez jamais remarque cette poupe rouge.
Dunois.
Toute
rouge comme elle est,
on dirait une diablesse.
Oh oh, je ne lĠaime pas, cette poupe rouge.
Maintenant je ne vois quĠelle.
Nora.
Petronella,
prends-moi contre toi
et peigne moi.
Petronella
Dunois.
Cher mari, coutez la requte que jĠai vous faire.
Dunois.
Ses
yeux jettent du feu.
Petronella, vos parents ont eu une drle dĠide en mettant cette poupe dans cette maison.
Petronella
Dunois.
Cher mari, je voudrais que vous mĠautorisiez lĠen retirer un instant
et lui peigner les cheveux.
Dunois.
Est-ce
donc cela votre requte, Petronella ?
Petronella
Dunois.
Oui, mon cher mari, cĠest cela ma requte.
Dunois.
Refermez
donc les portes du meuble que je ne voie plus cette poupe.
Oh oh, je ne lĠaime pas, cette poupe rouge.
Petronella, je vous en prie.
Nora.
Petronella,
prends-moi contre toi
et peigne moi.
Dunois.
Petronella,
ne touchez pas la maison de poupe,
Petronella, laissez cette poupe,
Oh oh, je ne lĠaime pas, cette poupe rouge.
Petronella
Dunois.
Mon cher mari,
nĠayez pas peur,
regardez comme cette poupe est belle,
vous ne voulez pas vous approcher,
apportez-moi donc un peigne
que je peigne ma poupe.
Dunois.
Petronella,
cette poupe mĠa jet un
regard qui mĠa brl les yeux.
Petronella, je ne vois plus rien.
Petronella
Dunois.
Ne vous faites pas de souci, mon cher mari,
ne vous faites pas de souci,
je ne me suis pas brle,
je nĠai rien abm,
je lui peigne les cheveux
et je la remettrai bientt en place.
Oh ma poupe,
comme tu as de beaux cheveux rouges.
Nora.
Petronella,
comme je suis bien contre toi
quand tu me peignes.
Dunois.
Petronella,
mes yeux me brlent.
Petronella, Petronella !
Petronella
Dunois.
Je sors, mon cher mari,
je sors,
il me faut chercher un peigne digne de la chevelure de ma poupe.
Ne mĠattendez pas pour dner,
fermez les volets de la maison de poupe
et occupez-vous des
enfants, mon cher mari.
Nicolas Vatimbella