TABLEAUX,

TOMBEAUX,

MOUVEMENTS DE CENDRES

 

 

 

Miroir de Guy Oberson

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce feu ne prouve rien

il brille et signifie

voilˆ un feu

Hans Magnus Enzensberger

 

 

 

 

 

 

 

Comme il est impossible de conna”tre la vie ˆ partir de la mort, on doit sĠen tenir aux cendres afin dĠŽprouver non le feu qui bržla ou le corps consumŽ, mais le feu encore neuf que la cendre couve, et prŽvoir, peut-tre, ses issues capricieuses.

Quelle sorte de cendre retombe et se mŽlange ˆ la nuit ?

 

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Chemins cherchŽs, non encore battus, qui sait o ils nous mnent, vers un gisement minier noir ou sur un promontoire dominant ?

Mise. NOIR. Gisant, funŽraire (mais une fin de cendres menace mme le marbre). Le noir, couleur orthodoxe de lĠabsence, rgle la cŽrŽmonie. Le noir en peinture est un ma”tre impŽrieux ; il nous envisage sŽvrement et contraint lĠatour des couleurs charmeuses, la voluptŽ naturelle ˆ laquelle nulle peinture nĠŽchappe.

 

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Mise au noir. Descendons. Plus bas. Derrire le portail dĠun caveauÉ Laconisme dĠune figure ˆ peine devinŽe dans le noir. Elle est venue dire quĠelle appara”t ; a y est, elle est repartie.

Dans le caveau ou dans lĠombre du soir, la prŽsence vague dĠun aboiement, un chien, comme un vieil ennemi quĠon aime rappeler ˆ soi avec une amertume attendrie. Ces ombres nous aident parfois ˆ une contemplation diffuse, propice ˆ saisir sans les retenir les apparitions et les disparitions fugitive dĠun visage. Un battement dĠaile sans figure a traversŽ le ciel fermŽ du caveau. VoluptŽ de se perdre, sans effort de reconnaissance, disponible ˆ lĠŽtonnement clair au milieu des lignes obscures que dessine lĠesprit soucieux refusant les bienfaits de lĠendormissement ou du sommeil baignŽ dĠimages. Les perceptions crŽpusculaires nous font voir ce qui est pourtant toujours lˆ, ˆ c™tŽ de nous, mais que le c™toiement vigile interdit. On bat le fer au jour ; le bruit et la lumire sont ignoreux du discours des tombes. Le linge claque dans la cour, mais le mystre du charme de lĠŽtoffe nĠa pas ŽtŽ Žclairci.

 

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Humide voilement ou couvrement de feu ?

Voilement sans vtement, larme, pluie corrosive, terre noire retombŽe du ciel.

 

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LĠamputation, le dŽcollement ou la dŽcapitation des corps, des membres est un fait commun de la peinture, ˆ ceci prs quĠon ne songe pas ˆ une tte coupŽe en voyant un visage en portrait.

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Un lait noir glissant sur la pierre dessine des portraits ; il les rŽvle.

 

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Le modelŽ qui donne vie ˆ un corps, ce nĠest pas lĠombre figurŽe, portŽe dans la peinture, mais les virtualitŽs de vie et de mouvement que nous prtons aux reflets et aux ombres.

 

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SurvivanceÉ La survivance de lĠatrabilaire, ˆ lĠentrŽe du nigredo alchimique, est survivance des morts en soi, au point quĠon se fait soi-mme le caveau qui les accueille ; quĠon sĠouvre tombeau de voix qui ne sait les retenir : ce sont les voix des morts qui retiennent le survivant et lui rendent invivable lĠactuel.

 

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MŽduse. DĠun regard dont on pourrait dire quĠil sĠest regardŽ lui-mme et, saisi dĠeffroi, figŽ en dŽtournant les yeux. Comme si le soldat fascinŽ avait plongŽ son regard dans le bouclier au gorgoneion que fixe le bronzier attique.

 

 

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DŽposition. ROUGE. Ç Christ de la pietˆ È, ou dŽposition sans masque. EcorchŽ. Ç Les hommes qui tenaient JŽsus se moquaient de lui, et le frappaient. Ils lui voilrent le visage, et ils lĠinterrogeaient, en disant : Devine qui tĠa frappŽ. È (Luc, 22, 63). . Il ne sera plus humiliŽ de la sorte.

 

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DŽlicieuse hŽsitation. Le brisement dŽlicat qui laisse le regard flottant entre lĠos, le cri, et le geste dansŽ dĠune lente opŽration sensuelle.

 

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Dans un sommeil, un scaphandre noir, la nuit optiquement saigne ; on avait cru au tombeau et on se voit maintenant prendre le pouls de la peinture. Et mme plus : le moribond jouait ˆ faire le mort. Le masque aveugle quĠon lui avait imposŽ est devenu son arme innocente. Et cĠest par ce truchement quĠil trouve la gr‰ce dĠendurer son calvaire.

 

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La dŽposition est ŽlŽvation. On dressera des lignes et des flches sur le sol refermŽ dĠun tombeau aveugle. RŽveil de la narcose et de la lŽthargie envoŸtante dĠun corps dŽposŽ, laissŽ pour mort.

 

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Tiers livre. En forme de plaques, de rubans spiralŽs ou dĠŽtoiles, sphŽrique ou lenticulaires, elles fabriquent les glucides et lĠamidon ˆ partir de corps pauvres. Une once de lumire a permis de telles mues. Les chloroplastes en peintures ont toujours signifiŽ que la terre reverdit dĠun regard. Fra Angelico. Germination. VERT.

 

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Un visage vert annonce la physis prolifŽrante qui laissera lĠhomme derrire elle.

 

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LĠexistence viride doit sans doute imiter le mouvement de la germination, pour lever les mains et les yeux dĠune mŽmoire, triste reliquaire des corps disparus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Olivier Capparos

 

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