Puissance et souverainet.

 

 

 

- Si Dieu existe, toute la volont est Sienne et je ne puis sortir de Sa volont. SIl nexiste pas, toute la volont est mienne et jai le devoir daffirmer ma propre volont.

(...)

                Jai le devoir daffirmer mon incroyance, dit Kirilov en arpentant toujours la chambre. Pour moi il nest rien de plus haut que lide que Dieu nexiste pas.

                Dostoevski, Les Possds.

 

 

 

       Lexprience souveraine, cela veut dire exprience de la souverainet, et souverainet comme exprience. Mais on y lit une dfinition ngative, contestatrice de lexprience, en tant que dlie de la servitude dogmatique, dun ordre pr-requis... Il en va ainsi de la souverainet qui se confond avec lexprience, partir de linstitution de lexprience souveraine.

       La souverainet est ce quoi conduit lexprience, mais le concept mme, la discursivit, manque ce sens ultime de lexprience. Quelque chose, mais vrai dire toute chose, ou la chose, toujours sy soustrait, inassignable la fixit du concept. (Le sujet y parvenant nest plus sujet de la connaissance.) Mais ce que le concept manque, ce peut tre aussi ce que le concept retient en lui prcisment comme manque, comme puissance, c'est--dire comme instance de la phnomnalit  de l'exprience.

       Par opration souveraine Bataille dsigne laction par laquelle la pense arrte le mouvement qui la subordonne1, lobjet de la pense se dgage de lordre utile2 et son autonomie procde dune prodigalit sans mesure. A son instar, leffusion potique au titre de conduite souveraine3 sapparente au dgagement du mot de son usage, au recours la force du mot contre sa signification. Le souci de la "prodigalit sans mesure" s'oppose le souci de rpartir et d'administrer une nergie folle, une perte, un dsastre. Ici prend source la tendance, la disposition naturelle du souverain. Nul ne peut nier le principe d'conomie et de rgulation de la souverainet (par la souverainet mme et dans la gradation de son "acquisition"), mais l'idal de matrise ne doit pas tre le souci du souverain. Le soleil ne se "soucie" ni de se contraindre ni de recevoir la contrepartie du don somptuaire de ses rayons. Le souverain est son semblable : il se consume sans cesse et sa mort sans fin enrichit l'univers. Il n'y a pas de sujet souverain qui ne soit dli du travail et du temps de la rserve. Bataille, dans La Part maudite, crit : "Le sujet  est consumation dans la mesure o il n'est plus astreint au travail. Si je ne me soucie plus de "ce qui sera" mais de "ce qui est", quelle raison ai-je de rien garder en rserve ?" N'aspirer qu' se consumer et nourrir toutes choses de son feu expose le souverain l'oeuvre d'un vide l'intrieur de lui. Maintien de l'oeuvre de la mort, extase, excs ont ce sens "solaire" : feu infini brlant ce qui l'approche ou veut le rprimer, propagation du feu et de ses ractions, et permanence du corps par la gravit de son centre : c'est toute une rythmicit de l'tre.

       La souverainet - mais c'est le cas de tout ce qui revt une qualit synthtique, le cas du concept, dans la pense de Bataille - est alliance de mouvements contraires ; elle est, pour reprendre des mots de Bataille, "trs fortement polarise". Dans toute synthse sont maintenus un haut degr de conflit des lments s'opposant, des lments se dchirant. La souverainet est l'instant dans lequel ont pris place (suivant un partage spatial) des instances en lutte. Dans le temps, elle est donc cet instant, mais sans pour autant se rsoudre en un point : si l'on ne peut parvenir en distinguer les moments constitutifs, l'instant se dcline cependant en mouvement - univocit d'une tension, ou diffrences alternes, rythme  -. La souverainet a un cadre perceptif. Il est d'abord spculaire, la souverainet se dfinit par une spatialisation des donnes qui la composent et partir de l'instant de son effectuation. L'histoire est bien selon Hegel le mouvement rel de l'Esprit tout en tant recouverte par lui, mais c'est l une pense qui, d'aprs Bataille, se soustrait au temps. Le cadre qui borne l'exprience de la souverainet est ensuite auditif, et vocal. Dj le temps s'introduit dans l'exprience, mais sous l'espce de la dure, de la souverainet comme dure. Lhomme mis nu sous ses propres yeux, face lhomme, et non plus sujet de Dieu (objet de son regard), cet homme peut tre selon Bataille appel souverain. Le mystique devant Dieu avait lattitude dun sujet. Qui met lՐtre devant lui-mme a lattitude dun souverain.4 Souverainet de lattitude, du geste qui, loppos de la prosternation, de la dfrence, conteste et refuse toute autorit, refuse jusquՈ lautorit de la raison qui conduit ce geste. Non acquisition du pouvoir, mais refus, pouvoir de refus du pouvoir5.

       Kojve promeut un "anthropothisme", une "anthropologie de l'Homme-Dieu"6 qui met un terme une conscience servile, malheureuse de Dieu - dun Dieu-Matre -, mais la mort de Dieu, la libert qui choit lhomme, ne porte pas lhomme se substituer Dieu, la souverainet de cet homme le place dans la proximit de la mort7. L'homme doit assumer, aprs la mort de Dieu, l'quivalence de son action l'histoire relle, et qu'il n'y ait pas d'action qui ne soit ngation, pour autant quelle est action libratrice. L'action, de main d'homme, se polarise dsormais en guerre et en travail.

       Si la mort de Dieu - sa contestation, dernire - conduit une souverainet de lhomme, celle-ci destine lhomme son sacrifice, sa mise mort. Mais de cette contestation sՎrigent des positions : 1/ une position morale : limmoralisme (bien que devant se solder par un amoralisme dtach dune valuation polarise par les catgories du bien et du mal8 ; 2/ une position ontologique impliquant une thorie de la connaissance et une politique : la souverainet de lՐtre, le non-savoir, et la communaut. La contestation trouve alors sa forme dans la souverainet du mal, o le mal est souverain, et o il a fonction doprateur (et non dՎtat, de place). Ngation, contestation ont pris forme, nous lavons vu, dans la souverainet du dsir, o se distinguent les mmes modes : dsir souverain et souverainet par le dsir. Lacte ngateur, le dsir ngateur dont nous avons parls fraient la voie de la souverainet dans une ngation, une contestation (cest l une position de pense, une dcision), et dans un acte ngateur comme acte de la conscience. Il y a une ngation pralable - mais peut-on affirmer quelle est premire ? - qui se donne comme ngation saillie sur un fond dobjets, un monde de choses, le continuum des tres. Acte primitivement souverain que celui de se dlier des liens de la souverainet tablie, admise ; de Dieu (du dogme), de la pense (de la raison, de lutilit). Pour lhomme : lapparition dune libert en face du poids dun pouvoir invisible, et en face de son propre abme, sa blessure par quoi souvre lillimit des possibles. Cest donc lapparition dune libert qui est aussi ncessit ; lhomme sexpose de nouveaux liens, de nouvelles affirmations - de nouvelles positions  -, un nouveau rgime de la contention et de la coercition.

       La ngation a pour synonyme le dmembrement : pour un corps qui conoit linachvement propre de ses parties, de ses membres, un dmembrement symbolique comme exprience de la pense (un affranchissement de la discursivit, du rflexif, un bouleversement de la causalit, de lordre des discours) et exprience de la conscience  (un dchirement, une perte de la totalit de la conscience comme moi, de la rflexivit positionnelle dobjets, du flux temporel au profit de moments souverains). Mais ce qui est vu ici sous l'angle d'une ngativit - le dmembrement - ouvre toujours dans un ressaisissement de la rigueur discursive, dans le sens d'un travail et d'une lutte, la possibilit d'une composition de plus en plus vaste9 dans la qute d'une valeur universelle, d'assouvir la volont d'tre tout par l'addition de moments, de savoirs. Lune des significations dAcphale est la perte de la tte comme centre de commandement et de loi, perte dune totalit, pour une autre totalit, celle de lhomme entier, mais pour une totalit jamais inacheve. Au degr o Bataille dclare ne plus se vouloir tout, il est procd au sacrifice du savoir comme totalit acheve, cercle achev d'un savoir absolu et dune conscience de soi universelle. Mais c'est aussi cette totalit sacrifie qui n'est en tout tat de cause jamais acheve : l'inachvement est la force de drision, de l'informe, au coeur du savoir, de l'achvement. La pyramide de la composition sociale10 , selon un schma que Bataille qualifie lui-mme de grossier11, menace dՐtre dchire en son sommet (cest le point aveugle o cessent le sens et le pouvoir rgulateurs de ce schma). Ce que Bataille nomme schma de la souverainet exprime le sens rgulateur de la souverainet. La notion de schma privilgie une figurabilit, une gomtrisation de ce qui se drobe au concept comme circonscription, gnralisation des donnes de l'exprience, mme s'agissant d'une exprience du langage. Ecrire schma de la souverainet, c'est forcer la souverainet de l'extrieur, par l'imposition d'une structure, d'une normativit diagrammatique, et, au sens gnitif, c'est affirmer que la souverainet produit partir d'elle-mme la rgulation de son sens, de son contenu, qu'elle donne par elle-mme son schma, sa figure. Recomposer partir de fragments un livre, une totalit finie, un corps, en additionnant les membres, les fragments de savoir suivant un ordre progressif, hirarchique, sՎlevant jusquՈ une synthse, cest par l crer des conditions dexprience, qui ne seront jamais immanquablement causes dexprience. Il faut encore quau fate de la composition, de lՎdifice, un oprateur (une opration souveraine) ouvre lillimit dune exprience dbordant la pense.

       Contrairement ce qu'il semblerait d'une telle ngativit, le non-savoir s'il n'est rien se distingue du nant, et ce rien comme abolition du savoir, de la souverainet comme savoir, est ce qui excde le savoir : au principe de la souverainet de l'tre12, le non-savoir s'avre la fois ngation du savoir et affirmation du savoir, suprme savoir rendu l'illimit de sa rflexion car priv d'objet (et il peut tre appel non-savoir en cela qu'il se passe d'objets aprs s'en tre priv). Mais, chez Bataille, l'illimit de la rflexion ne peut se produire, ou, du moins, ne peut durer : il ne peut y avoir d'illimit de la rflexion comme spculation infinie - comme savoir absolu se sachant savoir, chez Hegel - car tout savoir, ft-il suprme, achoppe ici sur le retour incessant d'une phnomnalit irrpressible ; l'exprience bataillienne se drobe toujours, en son centre, au concept, aux mouvements de pense qui la cernent. Pour la pense, les moments vcus sont autant d'obstacles - larmes, rire, posie... - qui interrompent la pense (son droulement) en ce qu'ils lui ravissent ses objets. Obstacles et achoppements en vertu desquels la pense sort d'elle-mme et se quitte en devenant la dissolution de tout objet13. La souverainet de l'tre, la souverainet du non-savoir dans le savoir, procde de l'isolement d'un fragment d'une totalit, d'une masse, d'un continu : isolement d'un moment dans le flux du temps ; isolement d'un individu, d'un sujet, dans le continuum de l'tre humain. La souverainet incombe au continuum.... Vous et moi sommes souverains, condition de tout oublier. Concernant le moment : oubli de l'antriorit (flux rtentionnel qui le creuse comme prsent) et de l'anticipation, du flux protentionnel qui le devance, c'est--dire : oubli de l'ordre de la succession des moments, de l'indiffrence dont est frapp le moment ml aux moments indfinis du flux temporel. Tout oublier commande l'oubli d'une ralit, d'un donn et des oprations conscientes qui le saisissent et le dterminent comme objet. L'individu doit d'abord oublier la masse avec laquelle il se confond la pluralit des individus. Le mot doit oublier la ralit laquelle il rfre ; c'est le sens du primat de l'autonomisation du langage que Mallarm affirma dans une primaut dernire. L'oubli de la ralit est l'lision de l'apparence de l'tre qu'est la surface, la parure inutile du monde (inutile au sens fort parce que surface abstraite, formelle et pure formalit laquelle ni l'imaginaire ni la pense de l'homme souverain ne souscrivent). L'oubli est cette opration par quoi une parure tombe. Je pense comme une femme enlve sa robe, crit Bataille, comme retirant le vtement formel, l'arrangement obsquieux d'une pense qui ne connat pas sa nudit.  

 

 

la peau des choses

est dans nos yeux

voir corche14

 

 

       Le premier exercice de la force de voir : dchirer le monde des choses qui se donne dans le manteau de ses formes, de ses usages, de ses fonctions communes. Mais un vtement ne peut se dgrafer sans corcher la chair nue qu'il dvoile : la nudit expose galement le dchirement par lequel elle advient. Dchirer et tre dchir, c'est l ce qui choit pour Bataille l'acte de la vision, dans la mesure o la vision ne se distingue pas du visible.

 

       Pour Hegel, l'Action en tant que manifestation de la Ngativit, opposition de l'Homme la Nature et apparition du Moi personnel pur est donne en premier lieu dans la lutte15. Hollier souligne que pour Bataille il y a au contraire une antriorit apparente du travail. Lopposition matrise-servitude n'est pas pour Bataille division humanit en classes opposes, dissociation qu'a pour tche d'effectuer le concept de souverainet dans sa diffrence avec celui de matrise16. Antrieurement la division synchronique (ou spatiale) de l'humanit en classes antagonistes et parallles (...) il y avait une succession temporelle et cyclique de moments alternativement laborieux et souverains, profanes et sacrs auxquels l'humanit entire prenait part.17 Bataille dfend ainsi une antriorit logique du travail, d'interdits, sur l'apparition de la bipolarit Matre-Esclave et du domaine de la lutte. La division dans l'espace de Hegel se fit, sans doute au pralable, dans le temps. C'est le sens d'une opposition classique entre temps sacr et temps profane. Ce que le temps profane est au sacr, l'Esclave le fut au Matre.18 Le travail appartient au temps profane, temps de l'accumulation, au contraire du temps sacr qui est temps de la consumation. Mais la transition du temps l'espace implique un renversement : dans la division temporelle, la clart de l'opposition tait un lment de stabilit (sans doute provisoire) ; dans la division spatiale, l'opposition du Matre et de l'Esclave annonce l'instabilit de l'Histoire.19

       La thorie structurale de Georges Dumzil concernant lidologie tripartite et de la trifonctionnalit des races20 reprend dans une distribution ternaire les rapports fondamentaux entre la souverainet et ce qui semble sy opposer - les positions respectives de Nietzsche et de Bataille lendroit du travail, de loisivet et de la servilit -, entre les fonctions prminentes de lhumanit et de la divinit. Rappelons quՈ la base de cette hirarchie de fonctions se trouve la caste des leveurs-agriculteurs (vii) laquelle sont attribues fcondit et sant, suivie de la caste des guerriers (ksatra) dont les attributs sont la force et la victoire. La caste des prtres (brahman), au fate de la hirarchie, conjugue sacr et pouvoir21. Il est intressant de constater que les notions de brahman et de ksatra sont en certaines occasions couples, et cela notamment lorsquelles rendent compte dun principe de souverainet. Dumzil souligne que la notion de ksatra (quil traduit approximativement par Herrschaft, puissance) se polarise en notion de souverainet tablie, gnrale, gouvernante (elle est dans ce cas associe en tant que pouvoir temporel confondu au pouvoir spirituel que reprsente le brahman) et en notion de manifestation ostentatoire de la force guerrire, physique22. Cette partition est premirement spatiale, dans le sens dune spatialit du champ social, et elle a galement un sens processuel, celui du dplacement et de la conversion de la Fureur23, de ce que le concept gnrique dhybris recouvre, ainsi que le sens processuel dune acquisition de la souverainet. Il n'est d'acquisition de la souverainet que dans une partition temporelle, chronologique, une alternance de polarits ; si le dualisme est maintenu en une mme place, sa partition spatiale est espace de conflit, de guerre et d'agonie jusqu' en menacer les limites mmes, la mesure qui rglent le partage de ce lieu. (Cet espace peut rsulter d'un mouvement historique o ont alterns ces principes polariss.)

       Le Matre, forme voisine du souverain24. L'attitude du Matre implique la souverainet : et le risque de mort accept sans raisons biologiques en est  l'effet. Lutter sans avoir pour objet la satisfaction de besoins animaux est d'abord en soi-mme tre souverain, c'est exprimer une souverainet. Le Matre ayant conquis la reconnaissance et sa place de Matre d'Esclaves28 polarise selon Bataille sa part souveraine cessant d'tre ce qu'elle fut : la beaut impuissante en une valeur utile (forme militaire) et une valeur htrogne (forme religieuse qui entretient une familiarit avec la mort). La souverainet s'avilit quand le souverain prfre au sacrifice rituel de soi des entreprises  de guerre. La souverainet devient un pouvoir et s'accorde ainsi des fins, des buts. Puissance militaire contre l'impuissance religieuse29. Bien que le chef de guerre puisse encore faire face et s'exposer la mort.  

       Derrida exprima le rapport, la diffrence, entre souverainet et matrise : La souverainet, pour commencer, ne traduit-elle pas, premire vue, la matrise (Herrschaft) de la Phnomnologie ?30 Derrida insiste sur la parit de la souverainet et de la mise en jeu, quand celle-ci est mise en jeu de la vie. Tandis que la condition servile de la matrise est de limiter la mort, la mise en jeu, la souverainet propre la matrise est laffrontement avec la mort, et le refus de la prservation de la vie, mais comme matrise, la souverainet tire bnfice de son face face avec la mort. Et la servilit devenant matrise conserve la trace de son origine refoule par laquelle elle sassure une vritable indpendance31. Contrairement laction ngatrice de la conscience qui conserve ce quelle nie par lAufhebung qui donne forme et sens32, il y a une mort pure et simple, une ngativit abstraite dont le travail consiste en lՎlargissement de la blessure dans le discours jusquau point de lopration souveraine, non dans le dchirement rgl de lEntfremdung, mais dans un dchirement absolu33.

       La conqute de la souverainet dans la perspective dun idal de matrise se conclut, pour Bataille, par une abolition de ce qui dans la souverainet est matrise.

       Dans La Royaut de lEurope classique34, Bataille expose lhtrognit du souverain, du superaneus qui implique (super, superans) tout la fois ce qui excelle, ce qui est suprieur, et ce qui est de trop, en outre, de reste.

 

      

       La crmonie du sacre le dsigne comme une chose sacre35, donc comme une chose la fois sainte et excre, souille. Il est vrai que la personne royale une fois nue ne se distingue en rien des autres corps humains. Mais la grce de Dieu, la grce du ciel a choisi entre les autres celui des corps qui sappelle roi (...). Ceux que les vicissitudes humaines ont revtus du pouvoir royal ont t regards en tous lieux comme les oints du Seigneur, comme des dieux, comme des manations dun monde plus puissant que celui des hommes. La puret, la gloire, le caractre lumineux de la royaut ont aussi la dimension de la sottise, dune niaiserie glorieuse. Mais lonction - ... en Jude comme ailleurs, qui faisait le roi36 -, distingue de la crmonie dinvestiture, dune parodie de sacrement, concentre en elle leffusion de puissance soudain octroye un homme37. Lonction est la teinture qui rflchit le sujet tout en en informant la substance. Elle le double sens du signe qui signale ou indique une prsence, la prsence dun tre, et qui laffecte, change sa polarit, sa valeur. Lonction macule le souverain chrtien : elle lՎlit, mais elle lui laisse la marque indlbile de la chute. Le signe, la tache qui souille par accident un vtement, la tache qui ternit la peau est comme vnement peine une anecdote, ce qui doit tre effac, lav, balay dun revers de main, loign de la vue. Il y a dans lentendement une tache aveugle, crit Bataille, indiquant lendroit o le savoir est blessure, o il ne voit pas, o il nest pas vu. Ce que loeil ne voit pas, ce que la conscience ne voit, cest ce qui en elle prpare la vision du reste (comme la rtine est aveugle au point o se rpandent en elle les fibres qui permettront la vision) ; cest le principe de la vision qui demeure soustrait, interdit au regard. La vision prfre lobjet la chair o nat lobjet38. Tache aveugle, onction, souillure marquent une souverainet. Elles sont traces dune souverainet profonde dans une souverainet manifeste qui a succomb lidal de matrise ; et elles sont brches, failles ouvertes sur labme de toute identit. La souverainet qui ne rgne pas, ou dont le rgne se distingue des formes de la souverainet, de ses appareils, est un geste qui ne correspond pas idalement au numen ostentatoire, mais un geste lautorit silencieuse, peut-tre un geste que Bataille a cru reconnatre dans la peinture de Manet.

       Le Matre commande l'Esclave, et dans cette mesure il agit au lieu d'tre souverainement, dans l'instant. 39 Etre souverainement, dans linstant est pourtant une action : celle de suspendre le geste, celle de la dcision fascinante40 du geste souverain, du numen. Mais ce geste na rien dhumain, il nest rien dun travail o le mouvement usuel va jusquau bout de lui-mme la recherche de son propre effet ; cest un geste immobilis au moment le moins stable de sa course ; cest lide de la puissance, non son paisseur, qui est ainsi ternise.41 Suspension, hsitation sont la promesse dun pouvoir tranger lhomme, et qui rompt avec la somnolence des gestes du matre et de ceux du serviteur. La position du Matre exclut l'autonomie du temps sacr (en justifiant et en rendant ncessaire la position de l'Esclave) et l'instantanit  du temps sacr (...) o les ressources se liquident42. La soudainet de l'vnement est investie de toute autorit, ce qui veut dire que la lumire de l'autorit claire l'instant du dedans, ce qui signifie aussi que l'instant est tout environn d'autorit comme d'une aura vaporeuse. Grgoire de Nysse ne nous montre-t-il pas comment Mose pntre dans la nue sombre qui se dchire un instant pour se reformer derrire lui ? 43, Ҏpreuve suraigu, crit encore Janklvitch, instant miraculeux auquel se suspend la main d'Abraham qui s'apprte mettre mort Isaac. Ce feu-l s'teint dans l'instant o il s'allume...

       Le point de l'autorit se confond-il avec le point de la dcision ? L'autorit de Dieu, la mort d'Isaac accomplie, sans l'intervention de l'ange ? La soumission et la rsignation d'Abraham, l'gorgement sans hsitation du fils ? Pour Hegel, la puissance brute de la volont individuelle - celle d'un Csar - se lie la dcision. Elles ne peuvent concider, mais passer l'une dans l'autre. Ce passage de la force la dcision ressemble la rduction d'une surface en un point, d'une pluralit de possibles l'univocit de la dcision. Le passage l'action dcide est alors le rsultat de la focalisation d'une multitude de rayons en un regard, en une source de comprhension et d'action. C'est ce titre que l'acte souverain peut blesser l'ordonnancement du visible et troubler l'ordre de la succession des moments et des actes senss, motivs. Le point de lautorit nest pas le lieu dune autorit normative. La souverainet dun seul nest pas le reflet dune souverainet ordonne (de lordre du concept, dune socit, dune politique), mais le dploiement, lirradiation du point o sassocient une subjectivit profonde et lautorit. Ce point, tendu entre le rien de son centre inertiel et le cercle, ou la sphre de son aura, dcrit un espace de lexprience.

       En premier lieu ce qui importe (...) est qu'un aspect inattendu, inespr, tenu pour impossible se rvle. 44 Parlant de la mort du roi dans certaines les de l'Ocanie : Lorsqu'elle frappait le roi, la mort frappait la population entire au point sensible et ds lors la pression latente s'exerait dans le sens d'une dilapidation dsordonne, d'une immense fte ayant le signe du malheur. 45 Cela parce que le dsir est tromp, que l'attente se rsout en RIEN, l'attente due annonce le rgne de l'instant. Ainsi la souverainet clbre ses noces avec la mort. Un roi concentre en lui-mme les vertus d'une prsence miraculeuse : sa personne signifie le "maintien de l'ordre et "la conservation du possible, mais seulement parce que la transgression y est promise, et en quelque sorte prvue, appelant l'impossible devenant vrai, dans le rgne de l'instant .

       (...) la mort frappait la population entire au point sensible, mais ce n'est pas l ce qu'on a coutume d'appeler "dcision, la mort est bien plutt l'indcidable  mme. Elle est une chance dtruisant la volont subjective qui dcide  - le Matre - et l'objet, l'outil, la main qui obit et accomplit la dcision - l'Esclave -. La chance dtruit en les mlant sujet et objet, souverainet manifeste et masse humaine ; elle les fond ainsi sous le mode de la volont de chance. Point sensible qui s'extriorise hors du roi, qui condense la partition du sujet et de l'objet (en dforme la limite qui les spare), de la dcision et de l'indcidable, point sur lequel se resserrent les mouvements antagonistes du dsir, de l'espoir, de la crainte, enfin des possibles, au sein d'un mme individu, au coeur d'une subjectivit profonde. Un parallle doit tre tabli entre autorit et dcision au point source de tout rayonnement. Mais la dcision tranche, tandis que l'autorit propage l'cho de la blessure. L'autorit est en ce cas le rayonnement durable. Aussi, l'autorit prcde la dcision : elle tait macule sur le corps du souverain. Elle est l'onction qui assure l'indubitabilit de la dcision et l'indubitabilit du miracle. L'indubitabilit de la dcision provient de l'acte soudain qui, dans l'instant, emporte en tant qu'objets  le souverain et ses sujets, le Matre et l'Esclave. C'est la dcision qui est le sujet, non dcide et indcidable car indpendante et dissocie de toute volition instigue par un sujet, une conscience subjective. Son indubitabilit procde encore de l'onction, du halo de lumire qui enveloppe le souverain par suite investi de l'autorit, ses paroles, ses gestes. La dcision est saillie au milieu de l'autorit ; l'autorit la prcde et lui succde, elle fera, toujours par son caractre d'onction, rayonner l'instant.

       Mais l'autorit se dveloppant depuis le point de sa source est excdentaire. Elle excde sa vise, elle branle la source mme de l'autorit, la puissance du souverain, la stabilit de la sparation entre souverain et sujet. Il y a ainsi, au sens bataillien, communication. La puissance de la souverainet (celle d'un acte souverain, celle d'un homme souverain) ne rside pas dans l'energeia d'un acte fini qui frappe ce qu'il visait, non plus en l'ergon d'un acte d'inauguration ou de sommation d'actes finis composant une oeuvre. Un acte librateur ne peut tre un acte simplement constructif ; c'est un acte libre qui intensifie sa puissance ngatrice en affirmation absolue. Cette intensification, ou encore cette conversion ne doit pas chez Bataille se soumettre une dialectisation de laffirmation et de la ngation. Le refus de Charles Beaudelaire est le refus le plus profond, puisquil nest en rien laffirmation dun principe oppos. 46 Cest le fond, ou la profondeur du refus qui, chez Bataille, contient un principe daffirmation inadquat la position affirmative oppose la ngation.

 

       Si lautorit tait tout entire dans la dcision en acte, elle serait energeia, acte et achvement (ordonn son entlchie), et non dunamis, puissance, mouvement incessant. Et, si, redevables dun schmatisme de la souverainet nous voulons distinguer et caractriser les puissances loeuvre dans la pense bataillienne de la souverainet, dans son exprience, nous reconnaissons trois instances : ergon  - part condamnable du travail de la pense qui subordonne au projet, loeuvre, un ensemble dactes mesurs  ; energeia - dcision en acte, cest la puissance souveraine telle que Bataille la idalement conue ; dunamis - principe du mouvement ou du changement, qui est dans un autre tre ou dans le mme tre en tant quautre47.

 

 

       La Souverainet, texte de 1954 destin constituer un chapitre important de La Part maudite est un dveloppement analytique du concept que Bataille posait dj dans LExprience intrieure. Demble, Bataille y dfinit la souverainet comme un aspect oppos, dans la vie humaine, laspect servile ou subordonn48, et comme incombant aux divinits, aux rois qui au cours des ges exposent cette valeur [la souverainet] avec une ostentation qui va parfois de pair avec une profonde indignit. Bataille annonce dans le mme temps quil montrera que ces personnages altrent en lexposant la souverainet dont ils sont investis. Le dtenteur de la souverainet est dabord le dtenteur de richesses en excs, en surcrot, et en opposition au travail, la consommation ncessaire, il se livre une consommation des richesses, la consommation au-del de lutilit49. Lau-del de lutilit est le domaine de la souverainet. Bataille dira encore50 de lexubrance souveraine des rois quelle est ostentation, quelle donne en spectacle la richesse dbordante pour compenser la pauvret de la vie commune. Nietzsche pensa une sparation de la noblesse davec le travail en des termes semblables : ... Le travail portait avec lui la mauvaise conscience. Un homme de bonne origine cachait son travail quand la misre le forait travailler. Lesclave travaillait accabl sous le poids du sentiment de faire quelque chose de mprisable : - le faire lui-mme tait quelque chose de mprisable. Seul au loisir (otium) et la guerre (bellum) il y a noblesse et honneur : cest ainsi que parlait la voix du prjug antique!51 Mais le loisir, lotium est encore le temps de la rserve, de laccumulation, appartenant une puissance immobile, une souverainet qui est encore matrise, souverainet altre. Puissance du deus otiosus : puissance de locan, engourdie dans le chaos indiffrenci de ses possibles.

       Aprs avoir dfini le domaine de la souverainet comme lau-del de lutilit, Bataille envisage la part la plus humaine de ce que peut tre la souverainet ; son caractre miraculeux. Le miracle, moment merveill, suspendu52, est autant lՎclat dun soleil printanier que livresse procure par le vin. Cest que louvrier, avin, avale un lment miraculeux de saveur, et avalant le vin, loublie, avalant et oubliant le principe de livresse, dont personne ne saurait contester la valeur miraculeuse. Il en est ainsi, pour Bataille, de la souverainet dans ses plus vastes acceptions : elle dtruit dans son accomplissement le principe qui lanimait et la mthode qui y conduisait, dtruit le sommet quelle semblait dsigner, la valeur souveraine laquelle elle paraissait sidentifier. Sa valeur propre, sa valeur de miracle, dinstant priv de signification et de ncessit, jouit de lindubitabilit de sa vrit. Nous ne voyons pas arriver le moment souverain, o rien ne compte, sinon le moment lui-mme. Ce qui est souverain en effet, cest de jouir du temps prsent sans rien avoir en vue sinon ce temps prsent.53 Moment de gratia, non de natura soumise au hasard, la ncessit, le moment souverain nest pas fruit du hasard, mais de la chance. Les conditions de la gratia se crent (alors que la gratia elle-mme ne se dcide pas), la chance dpend de la volont de chance sensation miraculeuse de disposer librement du monde, comme le fait louvrier en buvant du vin dispose des objets qui lentourent comme de ressources. Lextase, pour Bataille, prolonge la sensation commune de possder le monde des choses jusquՈ lingrer et tre possd et absorb par lui. Un atermoiement du besoin, du ncessaire, de la fadeur des valeurs de lutile, au bnfice du dsir... lobjet du dsir est, humainement, le miracle, cest la vie souveraine Dans le creuset dun moment souverain sallie la multitude des mouvements qui conduisent lhomme ses extrmits. Dans la monte de larmes - larmes heureuses, crit dabord Bataille, mais aussi bien larmes malheureuses - il y a cet panchement quon nattendait pas, une raction affective tellement dplace, loin de lՎvnement qui lui semble pourtant li par une immdiate contigut chronologique. Ce surgissement miraculeux est ce qui arrive de plus inespr. Ce surgissement est compar la mort, miracle qui suffoque ; en elle se laisse dceler lanalogue ngatif dun miracle. Dans le miraculeux ngatif, lՎlment miraculeux est contraire au dsir54.

       Plus loin de lexprience commune, le souverain est essentiellement le miracle, participant ҈ la fois du divin, du sacr, du risible ou de lՎrotique, du rpugnant ou du funbre55. Or, de la pluralit de ces aspects, Bataille veut entreprendre la morphologie, voulant rendre compte de lunit profonde daspects dont lapparence est si varie (ibid). En un point o le parfait non-savoir et le savoir illimit concident se rvle la profonde unit des plus extrmes contraires, de la richesse et de la nudit, et comment la pluralit daspects peut cohabiter dans la personne du souverain, certes, mais galement et plus gnralement : en un corps, en un mot, en une unit de sens et de pense.

       Parmi la pluralit de visages que la souverainet manifeste se cache le visage dune souverainet non altre - un visage difforme dans une galerie de ressemblances - qui se profile, mais en creux dans le mouvement des formes historiques de souverainet, comme une part inassimilable, muette, une part dombre. Seul le miracle - la chance - du moment souverain justifie une soumission provisoire et conditionnelle la ncessit56. Mais seulement lissue dun acte librateur, dun crime. Le miracle ngatif, celui de la mort, de la chute, survient au-del dune causalit de fait, dune fin attendue, ou mme espre, et suit le passage de sa conversion en miracle positif, divin. Du corps souverain, le corps du souverain tant ananti, du cadavre mane le rayonnement, leffet ou lՎlment sacr, aveugle (lonction) sՎchappant du corps qui le retenait en lui, corps du souverain, et surtout corps de la souverainet souvrant en son sommet, larmes ruisselant dun corps qui nest plus matre de ses fermetures. 

 

      

 

       L'homme dans l'action niant la Nature y introduit un Moi personnel pur, comme une intimit dans l'extriorit de ces choses qui sont en soi57, source de la ralit, de l'existence : un Nant manifeste, un Nant en acte, ngativit non seulement oprante dans la conscience, mais galement dans le rel, ngativit qui, s'extriorisant, change rellement (en soi) la ralit de la Nature58. L'homme transforme le donn, mais niant un monde qui n'tait pas. Une cration du monde rel, ҈ la fois objet et sujet. Mais il reste l'humour qui n'a pas sa place dans la totalit des mouvements qui se  produisirent dans l'histoire, parce que l'humour, semble-t-il, est incompatible avec le travail59. Le rire (parce que le plus insens, le plus immotiv, le plus li au non-savoir des actions humaines) dchire l'toffe dont l'homme est fait, il opre en dnudant, interrompant du mme coup le rseau d'apparences, de ressemblances qui fait du rel, de la pense un seul tissu60. Le dchirement est la libert de la pense, par lui communiquent la pense et son objet. Le rire est la rsonance infinie dun objet, dune sensation, dans la pense. Et de mme que la pense de lnergie  rit (est toujours au niveau du rire), de mme la pense du rire est violente (...). Comment sans savoir  rire crire : Une seule pense remplit limmensit (...). La libert de pense dborde la pense, mais elle est seule la mesure de lobjet de la pense, quand cet objet nest pas servile (loutil, lemploy, le produit utile ou gnralement les choses mises au mme niveau).61

       Nier la Nature, c'est nier l'animal qui sert de support la Ngativit de l'Homme. Sans doute n'est-ce pas l'entendement brisant l'unit de la Nature qui veut qu'il y ait mort d'homme, mais l'Action sparatrice de l'entendement implique l'nergie monstrueuse de la pense, du pur Moi abstrait, qui s'oppose essentiellement la fusion, au caractre insparable des lments - constitutifs de l'ensemble - qui, avec fermet, en maintient la sparation.62 Isol dans la nature, lhomme cr par la ngation de l'animalit se condamne disparatre. Ainsi l'homme doit vivre la mort pour raliser la mort qu'il porte, la mort qu'il est. Sa conscience de soi doit rflchir (reflter) ce mouvement de ngativit qui le cre qui justement fait un homme de lui pour la raison qu'un jour il le tuera63. Bataille, critiquant la navet de Hegel quant au sacrifice, ajoute : La connaissance de la mort ne peut se passer d'un subterfuge : le spectacle.64 Dramatisation, tragdie au cours de laquelle l'homme s'identifie au personnage qui meurt. Reprsentation de la mort suscitant une horreur sacre 65. Elle est une exprience dchirante au sens o elle terrifie le spectateur, et au sens o elle dchire le voile des choses, c'est--dire le rideau de thtre, et tout l'univers que limite le dispositif spculaire clos de cette thtralit. Le sacrifice, le dchirement du visible, implique une ponctualit (le moment du sacrifice) rsumant en elle tout le mouvement de la ngativit de la mort. Le coudoiement de l'homme avec la mort conduit la satisfaction du Sage qui s'accorde au dchirement, selon Bataille, et au plaisir, appareills dans la ponctualit du sacrifice. Leur liaison est motive : en l'horreur sacre s'associent le got et le dgot, la jouissance et la terreur. Dans son Manet, Bataille cite Valery : LOlympia dgage une horreur sacre... Elle est scandale, idole... Sa tte est vide : un fil de velours noir lisole de lessentiel de son tre.66 Le monde de la souverainet est un monde de lobscurit, une rgion nouvelle o profondment le silence rgne, o lart est la valeur suprme : lart en gnral, cela veut dire lhomme individuel, autonome, dtach de toute entreprise, de tout systme donn (et de lindividualisme lui-mme). Lart prend ici la place de tout ce qui dans le pass - dans le pass le plus lointain - fut sacr, fut majestueux. Nous entrons dans un monde neuf et le rideau souvre sur lOlympia.

       L'angoisse gaie, la gaiet angoisse.67 Or nous verrons que ces liaisons prfigurent le contenu de ce que Bataille nomme la dramatisation. On n'atteint le point qu'en dramatisant69, point du sacrifice (point de l'instant) et point abstrait d'une chose (dans un espace, un cadre optique). Mais, pour le chrtien, il s'agissait seulement d'une projection bauche70, car prcdant un affranchissement du discours (du dogme) et une conscience des mouvements intrieurs.

       Mais l'intelligence, la pense discursive de l'Homme se sont dveloppes en fonction du travail servile. Seule la parole sacre, potique, limite au rang de la beaut impuissante, gardait le pouvoir de manifester la pleine souverainet. Le sacrifice n'est donc une manire d'tre souveraine, autonome, que dans la mesure o le discours significatif ne l'informe pas. Dans la mesure o le discours l'informe, ce qui est souverain, par dfinition ne sert pas.71 Le discours doit rendre compte de l'utilit d'une chose, et la souverainet du mythe, du sacrifice, passe au tamis du discours s'avilit en des fins serviles. A l'inverse, ce que le discours rvle, celui du Sage, celui de Hegel, ne touche pas la pleine souverainet. Bataille suppose alors la Sagesse, la souverainet, comme contraires au projet mme de les atteindre, et de les chercher, de les lever au rang de rsultats. Le dchirement, la rupture ne fut jamais qu'un accident dans l'ascension72, bien que rencontr souverainement par Hegel : la souverainet fut pour Hegel, selon Bataille, insupportable, impossible. Trop grand poids, trop grande puissance, inassimilable effectivement. Infinie profondeur dans la scne finie d'un thtre d'apparitions et de disparitions, finie car se refltant en elle-mme dans un miroitement infini" excluant la flure d'un miroir ou l'envahissement d'une anamorphose. Ds lors que le mouvement hegelien abstrait recouvre en fin toute l'histoire, nous entrons dans un labyrinthe de miroirs et de ressemblances. 1/Napolon ralise l'idalit (de l'Esprit) en l'incarnant, 2/Hegel, le savoir idalise" la concrtion de l'esprit. C'est ainsi qu'il est compris dans le sens d'une tape de la conscience historique, comme moment et lieu d'accumulation. L'Homme lui-mme est rellement conforme l'ide qu'il se fait de lui-mme. 73 Sa Vanit reconnue de tous, l'Etat est la rvlation et la ralisation de cette Vanit qui n'est plus vaine, elle n'est plus un pch. Vanit expie par la production de sa valeur utile, fondatrice, qui fait de l'Etat un Etat-souverain que Napolon lui-mme sert : il est Citoyen. L'tre se rvle rellement dans le monde et en Napolon, c'est la satisfaction de l'Action. Hegel rvle (Il sait) la rvlation de l'Esprit dans le monde, c'est l satisfaction du Savoir, satisfaction du Sage galant l'Individualit historique. Napolon comme sujet de savoir est la fiction thorique de Hegel. Cette satisfaction du Savoir est pour Hegel entire, en raison du ddoublement du souverain, rel, en savoir, idel, qui comme dernier acte thtique est un acte de fondation absolue. Parce que dans et par Napolon, le processus rel de l'volution historique (...) arriv son terme74 confirme le Savoir absolu et se voit confirm par lui, il fallut qu'un homme nomm Hegel existt pour comprendre cette objectivit du Savoir absolu et cette idalit du monde rel. Mais la circularit du Savoir absolu n'est possible qu'en raison d'une spcularit circulaire dont Bataille critique l'achvement et la fragilit. Les relations d'appartenance, d'inclusion - de mise en abme - des sphres de choses et d'activits finies substituent au monde rel un monde de reflets. Tout d'abord, dit Kojve, c'est un homme en chair et en os, qui se sait tre tel75, qui sait que les objets qui l'environnent sont les fruits d'un travail humain, et qui sait que le travail a lieu dans un Monde  humain [prsent dans l'esprit de cet homme], au sein d'une Nature, dont il fait lui-mme partie. Il sait encore que les bruits lointains qui lui parviennent sont ceux de canons eux-mmes produits d'un Travail, fabriqus cette fois en vue d'une Lutte  mort entre les hommes, et que ces canons sont ceux de Napolon la bataille d'Ina. Pour la conscience mdiatise (le rapport du matre la chose par lesclave, et le rapport du matre lesclave par la chose), la mdiatisation est ce reflet dun reflet. Kojve parla de loisivet comme de limpasse de lՎtat de matrise, lotium o saccumulent les fruits du travail, mais la mdiation du travail sur laquelle repose lotium est elle-mme un travail, et son rsultat. Selon Bataille, cest la condition servile de tout le connu. Le dsir, la posie le rire trouent le connu (le fabriqu)76. Linconnu, non mdiatis, non compos dun arrangement dՎlments de savoir, non reflt en sa ressemblance, est un travail aveugle qui est son propre fruit, pris dun incessant mouvement. La tache aveugle dsigne dans lentendement la force qui serait la ruine interne de tout systme, de toute tentative de systmaticit philosophique. Bataille a tabli une rflexivit spculaire du monde dans la dpendance des apparences soumises des rapports dinfluence et de causation : cette rflexivit fonde un espace, un espace de la conscience, tandis que le point et le cercle (linstant, lautorit, lonction) fondent un espace de lexprience. Ces deux fondations ne se voient ici opposes que mthodologiquement.

 

 

 

 

       Un geste muet.          

 

                Ce qui peut bondir de la vie des profondeurs de plus tapi et de plus nocturne tait tourn vers moi dans ces prunelles. Ces yeux ne cillaient pas, ne brillaient pas, ne regardaient mme pas, - plutt quau regard leur humidit luisante et tale faisait songer une valve de coquillage ouverte toute grande dans le noir, - simplement ils souvraient l, flottant sur un trange et blanc rocher lunaire aux rouleaux dalgues.

                Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes.

 

 

       La fixit d'un jeu ferm de reflets, o tout est image, vue statufie, n'a pour Bataille plus rien de vivant, plus rien d'un mouvement rel. La sagesse, la science, s'est belle et bien lie une existence inerte77. L'harmonie, le projet, ont rejet le temps au dehors, n'tant que rptition par laquelle le possible s'ternise (son idal est l'architecture). Le temps ainsi rejet est ce temps sacr de l'exubrance et du sacrifice. Le thtre de la pense, celui de la (rflexivit de la conscience de soi), achoppe au point de l'agonie, dans le sacrifice qui brise la rflexion de la conscience de soi en soi-mme. Le point est semblable soi, et ce qui est dsir, voulu ; pour un chrtien : Jsus agonisant. La mise en croix est la blessure par laquelle le croyant communique avec Dieu. L'agonie est le lieu d'une autre lutte, autre que celle qui, dans le monde, oppose dialectiquement le Matre et l'Esclave. C'est l'espace d'un jeu et d'une guerre, il peut tre entendu comme une extension du concept d'agn de la thorie classificatrice des jeux de Roger Caillois, ou plutt un envers de l'agn, l'envers d'une volont de vaincre et d'une manifestation du mrite personnel78, de la mme faon que le point de la souverainet est l'envers de la matrise. Et en tant qu'espace de jeu, il est espace d'un jeu acphale, sans but, sans loi, d'un jeu total exigeant la mise en jeu de tout ce que nous sommes. Il serait, pour Bataille, le lieu des amants. Lagonie de Dieu : point didentification o lagonie de soi est lagonie de lautre, dun Dieu vide. Lidentit est le signe de la co-prsence des plus violentes oppositions en un corps, en une vision. Ce nest pas un point de symtrie, mais le point dinterruption de la rptition spculaire de soi. L'identification ne se ramne pas une identit soi, un effet de miroir, au sens projectif o chaque point d'un visage serait reproduit par une translation, les mesures tant conserves. Le point est la blessure par laquelle soi se communique soi et lautre dans lidentification. Il sagit l dune identification amoureuse, au sens o Heidegger, certes pacifiquement, traduisait jilein par sappartenir lun et lautre dans le mme. Pendant lՎt 1937, Bataille crit LOblisque alors que, voyageant en Italie avec Laure, il monte au sommet de lEtna79. Le dchirement du sommet est encore ce lieu agonistique o se rendent les amants. Loblisque, figure de la mort, dune mort pierreuse limage du Commandeur, est une mort que Bataille dit fle comme un roulement de tambour, comme les explosions et les caisses claires de la Rvolution, voquant peut-tre encore le crpitement et la masse murmurante de la lave. Lagn, la Place de la Concorde, au centre vide mais do manent toujours des explosions nocturnes, est un espace prilleux pour qui y pntre, mais encore un espace menac. LՎdifice (loblisque, la pyramide) rpond une certaine architecture du corps. Le sommet du corps, si acphale, est soleil cou coup selon le mot dApollinaire ; le sang est au corps une exubrance de rayons liquides. La dcollation (un dmembrement) est bien un recours une force comme travail de renouvellement de la forme. Mais un clatement de la forme est une ngation pralable, par lequel un visage rvle une pluralit de visages80.

       Et quel visage est rappel aux yeux de Bataille sinon un visage glac, et aux contours cependant indcis ? Le Commandeur fait irruption (visage-matre, visage-fantme) dans un dcor de tragdie81. Apparition, instance qui, elle aussi, brise le cadre artificiel de la scne de lexprience et de la pense. Lapparition est aussi une voix, tout comme les possibles au milieu desquels sՎgare le possible de lindividu, dans La Reprise, et dont Kierkegaard crit : Chaque possible de lindividu est une ombre qui rend un son. Telle lapparition du fantme du roi mort Hamlet, et dont les paroles seront laiguillon (conceit) parvenu au centre du corps dHamlet par loreille, paroles qui provoqueront le ressassement des chairs et le bouleversement de la raison. Lapparition est dans le cas du Commandeur celle dun fantme de pierre, du poids, de la froideur et de la duret de la pierre. De don Juan et du Commandeur, lequel des deux dploie le plus de forces ? se demanda Kierkegaard82. Don Juan, rpond Kierkegaard, dploie la moiti de sa force pour exprimer la douleur et lautre moiti pour soutenir le Commandeur, et tandis quil semble, au dpens de toutes ses forces, vouloir sarracher de la violence du Commandeur. Cest encore ce que Bataille veut raliser : soutenir la main de la mort froide et maintenir le travail du mot, et de la douleur, le perptuel devenir, le perptuel dplacement du mot, et du sens. Lespace tragique bataillien est un espace dans lequel se glisse un sujet pour sy ddoubler, mais dans cet espace amorphe, le sujet rencontre un double dont la dissemblance est terrifiante. Dans cet espace de lexprience, le langage sՎvanouit, toute dsignation de soi (nom propre, pronom...), toute semblance de rflexion de soi en soi-mme par le langage. Mais dans le visible, cest la chose mme qui se signe par sa prsence.

       Dans ses confrences de 1805-1806, Hegel dclare que Lhomme est cette nuit, ce Nant vide, que de sa simplicit procde une infinit dimages, de reprsentations. Cette nuit est intriorit ou intimit (Innere) de la Nature = le Moi personnel pur. De cette nuit surgit une tte ensanglante, puis une autre apparition (Gestalt) blanche... elles disparaissent. Cette nuit est celle de la terreur o se rvle la puissance de laction cratrice (Tun), la libert de tirer des images et den laisser dautres83. Une apparence de ressemblance, une dissemblance discrte entre une identit absolue et une identit dtruite suscite la Terreur. En tant que singularit, luniversel la nie, et elle nest plus que le reflet delle-mme. Lunique oeuvre et lunique exploit de la libert universelle est donc la mort, une mort qui nembrasse rien et nest remplie intrieurement par rien, car ce qui est ni, cest le point non rempli dun contenu du Soi-mme absolument libre. Est-ce l une mort d'une libert universelle qui ne se ralise pas dans l'histoire, dune suprme ngativit, et dune suprme libert, insoumises au jeu spculaire fini ? Mais pour Hegel, cest la plus pure et la plus vide abstraction. Cest donc la mort la plus froide, la plus triviale, qui na pas plus dimportance que lՎttage dun chou ou quune gorge deau.84 La Place de la Concorde est par Bataille associe la simplicit dune chute de couperet... dans le mouvement qui, mesure que l'oeuvre cherche s'accomplir, la ramne vers ce point o elle est l'preuve de l'impossibilit85. Parole muette et toujours recommenante, approche menaante de l'origine. Par une dchirure de l'paisseur silencieuse et, travers cette dchirure, l'approche d'un bruit nouveau s'annonce l're sans parole, rien de grave, rien de bruyant ; peine un murmure. Voici la mort, cette mort qui est l'oeuvre du temps, suspendue, neutralise, rendue vaine et inoffensive. Quel instant ! Un moment affranchi de l'ordre du temps et qui recre en moi un homme affranchi de l'ordre du temps.86 Blanchot rpte Proust dcrivant des choses venant se ranger les unes ct des autres dans une espce d'ordre, pntres de la mme lumire (...) converties en une mme substance, aux vastes surfaces d'un miroitement monotone. Aucune impuret n'est reste. Les surfaces sont devenues rflchissantes. Toutes les choses s'y peignent mais par reflet, sans en altrer la substance homogne. Tout ce qui tait diffrent a t converti et absorb. 87  

Chant des possibles tournant inlassablement par cercles toujours plus rapprochs autour du point central, lequel doit dpasser toute possibilit, tant l'uniquement et le souverainement rel, l'instant (mais l'instant qui est son tour la condensation de toute sphre).88 Le centre est rest un point non rempli, o une prsence peut advenir uniquement parce que Dieu sest absent du monde y laissant seulement une trace et un vide, prsence dans labsence o elle sirralise89. Si nommer est encore possible dans une nuit o toute parole est rduite un souffle, nommer actualise la puissance de la souverainet demeure dans lombre, le nom recelant une multitude de visages, nommer pour rappeler la mort en tant que principe informe, ou pour y entrer comme en une chambre vide, une place dsole aprs le tumulte des guerres.

       La beaut qui soulve un chant est linfraction la loi, cest linfraction linterdit, qui est aussi lessence de la souverainet.90 Un chant des possibles peut-il risquer lunisson avec un chant de limpossible, comme dans linstant du croisement de deux voies contrapuntiques ? Bataille cite Sade concernant les sensations de loue comme tant les plus vives91. Oreille de dlice crit-il dans les pomes de LExprience intrieure. Loreille retient les traces dune agonie, non comme une comte dans le sillage dun point, mais comme une irradiation, lՎtoilement dun bruit.

 

 

 

Etoile

je la suis

mort

toile de tonnerre

folle cloche de ma mort.

 

 

 

Les sons : fumes dun sacrifice. Folle cloche emplit de sa rsonance - de sa souillure rsonante - lespace vid de toute lisibilit. Plus avant, torche teinte signe leffacement de ce qui du sacrifice tait encore visible. Ny succdera quune nuit. Bataille crit : Cest jouer lhomme ivre, titubant, qui, de fil en aiguille, prend sa bougie pour lui-mme, la souffle, et criant de peur, la fin, se prend pour la nuit.92 On croit lire ici la parodie de la descente dIgitur de Mallarm, la bougie, la lumire du dedans y est souffle. Les sons ne peuvent encore sՎgrener dans une scne close ; ils laissent le visuel bris (lextase dtruit le cadre optique qui lui a t propice). Le son, le cri, marque pour Bataille lentre du temps dans le visible, et dans le projet. Il marque aussi la sortie du point obscur de lagonie - du visuel bris93 - par un dpli toil.

 

 

O. Capparos

 

sommaire


1 uvres Compltes (abr. O.C.), V (Gallimard), Mthode de mditation, p.214.

2 ibid., p.215.

3 ibid., p.218.

4 O.C.V, p.278.

5 Lexprience, son autorit, sa mthode ne se distinguent pas de la contestation in LExprience intrieure, p.24. La souverainet est rvolte, ce nest pas lexercice du pouvoir. Lauthentique souverainet refuse... in Mthode de mditation  (O.C. V), p.221.

6 Joseph Juszezak, Hegel et la libert, Cedes, 1980. Cf. p.128 et 135.

7 cf. P.Klossowski, A propos du simulacre dans la communication de Georges Bataille, in Critique 195-196  (1963), p.750 : Mais Bataille ne croit gure la souverainet du moi que lathisme propose. De l que seule la vacance du moi rpondant la vacance de Dieu constituerait le moment souverain. Chez Hegel, le concept de la libert peut se comprendre comme Possibilit de la mort (Juszezak, op. cit., p.10). Cet Absolu ngatif, crit Hegel dans ses Confrences de 1803-1804, la libert pure, est dans son apparition (Erscheinung) la mort ; et par la facult (Fhigkeit) de la mort (des Todes) le sujet se dvoile (erweist) comme libre et comme lev au-dessus de toute contrainte. Aussi se dvoile-t-il comme Absolu ngatif, comme ngativit du mouvement de la scission, du ddoublement constitutif de la conscience et par lequel elle se rend trangre soi. Juszezak voit, se rfrant Jaspers, la libert comme la puissance infinie de contestation l'infini. Puisque la libert est facult de nier elle ne peut satisfaire  (Befriedigung) que dans la ngation infinie de l'infini (au mme titre que le Dsir se veut possession infinie de l'infini) auquel cas une telle libert sera toujours excdentaire, ne se dfinissant que comme la relance perptuelle de la puissance de nier, la rvolte absolue contre l'Absolu, ngation de Dieu. Citant Jaspers : La ngation de Dieu est donc bien lie quelque chose de positif, mais ce positif est l'homme, comme ngativit sans repos, pouvoir de nier Dieu sans fin ; libert.  

8 Dans une synthse suprieure, les couples d'opposs sont remplacs par d'autres couples dont le conflit est accru, mais accru au point o le conflit tient seul la position morale  (bien et mal sanantissent en lui).

9 O.C. V, LExprience intrieure, p.108.

10 Cf. ibid., p.105. Lascension vers un sommet o lՐtre atteint luniversel est une composition de parties dans laquelle une volont centrale subordonne sa loi des lments priphriques.

11 ibid., p.107. Le dchirement du sommet est lՎclatement du point en une tendue, ou de la pupille en le bleu du ciel.

12 O.C. VIII, p.258.

13 O.C. VIII, p.258-259. Dire que la pense est interrompue, ce n'est pas encore tout dire de l'opration souveraine qu'est l'interruption.

14 B. Nol, La Moiti du geste, in La Chute des temps , Gallimard, 1993, p153.

15 G. Bataille, Hegel, l'Homme et l'Histoire,  cit par Denis Hollier in Le Dispositif Nietzsche/Hegel, L'Arc, 1990, p.41.

16 ibid.

17 ibid.

18 O.C. XII, Hegel, l'Homme et l'Histoire, p.357. Bataille alimenta sa rflexion sur la souverainet de sa lecture de Hegel, et via le cours quAlexandre Kojve dispensa lEcole Pratique des Hautes Etudes de 1933 1939. Il est certain que la pense bataillienne de la souverainet se nourrit des chapitres de la Phnomnologie de lEsprit relatifs la dialectique matre-esclave.

19 ibid.

20 G.Dumzil, Les Dieux souverains des Indo-Europens, Gallimard, 1977. Mircea Eliade, dans son article La Souverainet chez les Indo-Europens (in Briser le toit de la maison, Gallimard, 1986), dcrit un dualisme primitif dynamique comme alternance mythique de principes contraires, prdominance alterne des Luperques et des flamines, des Gandharvas et des brahmanes... (p.303) ; alternance du chaos et de lordre ; ainsi que ce moment de libration et de prodigalit que Bataille nomme consumation. Eliade dcrit ce dualisme atteignant son plus haut point de dsquilibre, son basculement transgressif, comme une sorte de confusion, o toutes les valeurs sont bouleverses, cest--dire quil instaure, provisoirement au moins, cet tat dorgie qui est lune des nombreuses expriences du chaos davant la cration et lun des symboles tangibles de lindtermin. Cf. note pour une introduction gnrale La Part maudite, in O.C. VIII, p.596...

21 ibid., p.213, Les trois fonctions dans le Rg Veda...

22 ibid., note p.214.

23 ibid., p.186.

24 O.C. XII, p.351.

28 ibid., p.352.

29 ibid., p.353.

30 J. Derrida, LEcriture et la diffrence , Seuil, 1967, p.373.

31 ibid., p.375.

32 ibid., p.376.

33 ibid., p.380.

34 O.C., p.222.

35 ibid., p.223.

36 O.C. VIII, p.605.

37 Cf. A. Laurentin, Doxa I/Problmes de Christologie/Jean 17-5 et ses commentaires patristiques, Bloud & Gay, 1972. La rception du vtement, ou de la gloire, est une effusion de puissance (p.46), faisant rfrence la Pistis Sophia. Gloire et puissance sont aussi des termes quivalents, qui peuvent tre employs lun pour lautre. p.150 : Irne ne considre pas la gloire comme un attribut mais comme un acte par lequel le Pre glorifie son Fils, acte qui implique rciprocit, trouve rciprocit dans la glorification du Fils. p.157 : Le vtement de gloire est macul par le pch dAdam. Le vtement de lhomme est devenu corruptible. Le Christ est venu laver sa tunique dans le baptme de sa mort (Ephrem). Le langage du baptme est ax sur la vture de la cration, le revtement de gloire, etc. Revtir de gloire : expression typiquement baptismale. Or le mot gloire (doxa) apparat dans les Evangiles investi dun ensemble de significations diffrentes de lemploi courant en grec (opinion). La patristique a donn doxa les significations de dunamis, arch, fusis, ousia et theotes (p.221). Et, si doxa relve dune tnbre (dune vision du monde comme apparence, illusion, nigme), il est question depuis les prsocratiques ioniens dune puissance voile par un monde dapparences. Ces deux ples se retrouvent dans la doxa (p.222). p.330 : Puissance (dunamis) est associe cause et la mise en vidence de cette cause. Ds lors, puissance et manifestation deviennent quivalents. La puissance comme principe de ce qui doit paratre (p.231-232).

38 M. Merleau-Ponty, Le Visible et linvisible, Gallimard, 1964, p.301-302. La vision niant cette chair initiale, elle nie la prsence non mdiatise qui nest pas du positif.

39 O.C. XII, p.367.

40 O.C. II, p.230.

41 R. Barthes, Le Monde-objet, in Essais critiques, Seuil, 1964, p.27. Et, p.26 : Le prototype moderne du numen  pourrait tre cette tension retenue, mle de lassitude et de confiance, par laquelle le Dieu de Michel-Ange se spare dAdam aprs lavoir cr, et dun geste suspendu lui assigne sa prochaine humanit (...). Le geste cre, il naccomplit pas, et par consquent son amorce importe plus que sa course (...). Il signifie  le mouvement infini, et en mme temps ne laccomplit pas, ternisant seulement lide du pouvoir, et non sa pte mme (p.27).

42 O.C. VIII, p.357.

43 V. Janklvitch, La Mconnaissance/Le malentendu, in Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, Seuil, 1980, p.171. Le mlange de certitude et d'incertitude qui caractrise les rvlations fugaces de l'instant, comme il caractrise la mort,...  p172. p168 : En tant que la prsence lumineuse merge dans le visible et s'efface dans l'invisible presque simultanment, c'est--dire l'intrieur d'un mme instant, nous pourrions appeler cette brvissime rvlation l'apparition disparaissante. Reprenant The Cloud of Unknowing  : en un seul moment, si bref soit-il, la grce peut tre reue et reperdue ; Dieu ne donne jamais l'homme deux occasions ensemble, mais il les lui donne l'une aprs l'autre, et dans un ordre irrversible. Cf. Kierkegaard (Riens philosophiques), p.69 : La dcision divine, sans nul rapport d'gale rciprocit avec l'occasion, doit exister de toute ternit, quoique, en se ralisant dans le temps, elle devienne prcisment l'instant ; car l o l'occasion et son effet se correspondent, comme dans le dsert la rponse au cri, l l'instant n'apparat pas, mais le souvenir l'engloutit dans son ternit.

44 O.C. VIII, p.261. Et citant (p.260) Goethe : une impossibilit qui tout d'un coup se change en ralit.

45 ibid.

46 O.C. IX, La Littrature et le mal, p.207.

47 Aristote, Mtaphysique, D, 12.

48 La Souverainet, in O.C. VIII, Gallimard, 1976, p.248.

49 ibid.

50 in LHomme souverain de Sade , op. cit., p. 182.

51 cf. aph. 229 in Le Gai savoir, trad. H. Albert.

52 O.C. VIII, p.249.

53 ibid., p.248.

54 ibid., p.256-257.

55 ibid., p.251.

56 ibid., p.269.

57 O.C. XII, p.327.

58 O.C. XII, p.328. Peut-tre est-ce entendre au sens o la ralit contient dj une rflexion (J.Juszezak in Hegel et la libert, op.cit., p.43), dans la mesure o l'Etre est immdiat (p.44) dfini comme concept de soi, c'est--dire rflexion conceptuelle de ce qui est. Comme Jacobi propos du Dieu de Spinoza : le principe de l'tre dans tout tre-l. Cf. Schelling, Aphorismes pour introduire la Philosophie de la Nature : La raison n'a pas l'ide de Dieu, mais est cette ide, et rien d'autre. Et Juszezak, op.cit., p.42 : tre pur est abstraction pure, absolue ngativit, abstraction vide du nant dont la forme suprme serait la libert...abstraction la plus vide, le concept le plus indtermin (...) le plus incomprhensible, le plus extensible de tous les concepts, voulant englober toute la ralit, serait-ce pour remplacer le concept de Dieu.

59 ibid., p.330.

60 La question de lespace, du tissu, de lՎtoffe dchire, doit tre pose la lumire de ces lieux intermdiaires ou conjonctifs, par exemple entre le rve et la veille, qui font dire Shakespeare par la bouche de Prospero : We are such stuff as dreams are made of; and our little life is rounded with a sleep.

61 O.C. IX, Dossier William Blake , p.382.

62 O.C. XII, Hegel, la mort et le sacrifice, p.332.

63 ibid., p.336.

64 ibid., p.337.

65 ibid., p.338.

66 O.C. IX, p.141.

67 O.C. XII, p.340.

69 O.C. V, LExprience intrieure, p.138.

70 ibid., p.139.

71 O.C. XII, p.342.

72 ibid., p.343.

73 A. Kojve, Introduction la lecture de Hegel, op. cit., p.148.

74 ibid., p.164.

75 ibid., p.163.

76 O.C. V, LExprience intrieure, p.128, 129.

77 ibid., p.96.

78 R. Caillois, Les Jeux et les hommes, Gallimard, 1967, p.53.

79 Cf. O.C. V, p.499.

80 Thomas d'Aquin, in Somme thologique : La ressemblance se comprend selon la convenance de la forme, et c'est pourquoi la ressemblance est multiple, cit par G.Didi-Huberman in Comment dchire-t-on la ressemblance ?

81 O.C. V, Lexprience intrieure,  p.195.

82 Propos sur le mariage, in Etapes sur le chemin de la vie , Gallimard, 1975, p.121

83 J.Juszezak, op.cit., p.49.

84 Phnomnologie de lEsprit, trad. J-P. Lefebvre, Aubier, 1991, p.394.

85 M. Blanchot, Le Livre venir, Gallimard, 1959, p.316.

86 ibid., p.23.

87 ibid. p.29. Cf. O.C. VII, p.610, Bataille crit : Caractre de Blanchot : simplicit. Pour Blanchot, la recherche de l'intimit compte au premier plan (...). Pas de salut pour le langage, le silence. Or, en Bataille, il ne saurait tre question dun retrait dans le silence de lintimit - intimit dune nuit des sens (mme si cette extrmit ne sait rendre compte de la pense de Blanchot) - pas plus que dune exhaustion en un dehors ; intriorisation et extriorisation sallient dans lexprience bataillienne. Bataille condamne la diffrenciation entre un ordre intime et un ordre des objets, la seule positivit rsidant en la tendance qua un corps de se verser dans les choses, et de les assimiler en lui. Lintimit de Blanchot est celle, pleine, de la rserve et du retrait o est maintenue linfinie richesse des possibles. Dans Aprs coup, Minuit, 1983, p.87, Blanchot rve dun Tout-Puissant infini refusant ҈ se limiter par quelque oeuvre, il cite Valery : Je rvais dun tre qui et les plus grands dons - pour nen rien faire, sՎtant assur de les avoir. Blanchot compare le Moi suprieur du gnie romantique un Dieu refusant ҈ tre dmiurge. Or, quest-ce que cet tre, musicien, philosophe, crivain ou artiste, ou Souverain, qui peut tout et ne fait rien ? interroge Blanchot. 

88 M. Blanchot, ibid., p.36-37. Hegel dclara le Tout philosophique comme un cercle ferm sur soi, une sphre entire embrassant tous ses lments connects et spars, exposs suivant la ncessit du concept, le cercle singulier, en lui-mme totalit, rompt aussi la borne de son lment et fonde une sphre ultrieure ; le Tout se prsente par suite comme un cercle de cercles dont chacun est un moment ncessaire, de telle sorte que le systme de leurs lments propres constitue l'Ide tout entire, qui apparat aussi bien en chaque lment singulier, in Introduction l'Encyclopdie  (1817), La Science de la logique , trad. Bernard Bourgeois, Vrin, 1979, 6, p.157. 

89 M. Foucault, La Prose dActon, in Dits et Ecrits, Gallimard, 1994, p.329.

90 O.C. IX, La Littrature et le mal, p.296-297.

91 ibid., p.256.

92 O.C. V, Lexprience Intrieure,  p.85.

93 Le visuel se brise en une pluralit de visages, lidentit, en [identits dissemblables]. Hegel et Klossowski se rencontrent peut-tre dans cet clatement. Lexprience de Klossowski, crit Michel Foucault (op.cit., p.328) se situe dans un monde qui nest pas le ntre tout en lՎtant. En cet cart imperceptible du Mme, un mouvement infini trouve son lieu de naissance. Ce mouvement est parfaitement tranger la dialectique ; car il ne sagit pas de lՎpreuve de la contradiction, ni du jeu de lidentit affirme puis nie ; lՎgalit A=A sanime dun mouvement intrieur et sans fin qui carte chacun des deux termes de sa propre identit et les renvoie lun lautre par le jeu (la force et la perfidie) de cet cart lui-mme. De sorte que nulle vrit ne peut sengendrer de cette affirmation ; mais un espace prilleux est en train de souvrir o les discours, les fables, les ruses pigeantes et piges de Klossowski vont trouver leur langage.(p329)