L'épître aux vivants

 

de

Pierre Bettencourt

           

 

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            Cette beauté qui surprend, je n'y croyais plus, bien qu'il y ait de telles beautés parmi l'ensemble de toutes les choses. Ces oeuvres eurent un temps pour moi des effets déplaisants. Je n'en restai pas là.

            Une mise en scène macabre, sombre cache parfois un sourire, une gravité rieuse d'enfant. Enfant qui observe à bonne distance les effets du jeu d'ombres qu'il vient d'inventer.

            Mais je lisais et j'observais, et en lisant donner de la voix devint presque irrésistible. Et quand je vis représenté l'élément premier de cette oeuvre, le tracé de ma pensée devint tout simplement inévitable. Sans m'en rendre compte je passais de l'exercice d'aimer comme on respecte à aimer comme on admire, à en faire rejaillir sur soi un certain sens, soit une certaine compréhension. Non sans une certaine appréhension, je m'approchai du regard de ces pièces géantes d'un échiquier inimaginable. En arrêt, je compris que de leur hauteur d'idoles noires, c'étaient elles qui me regardaient. Je me dis qu'elles vivaient, marchaient, pensaient toutes seules, OPUS COGITANS, oeuvre exilée sur terre et dont la provenance véritable restera à jamais inconnue de tous. J'attendais leurs exigences, leur verdict. Pour les comprendre, il me fallait être adopté. Il me fallait entrer dans la nuit noire de leur tutelle. La pente qu'avait prise ma pensée me faisait rouler heureux vers les désirs de la viande crue, de l'électricité des orages, des tambours et des cloches sous une pluie de feu.

            ...L'enfer m'apparut comme les hauteurs et célestes fêtes que célèbrent les âmes - une fois celles-ci dégagées d'Enfer et de Ciel sinistrement dialectiques... Dans tout ce paganisme joyeux et ses excès sacrificiels qui ont odeur de festin, la belle barbarie, la belle folie nocturne qui se moque de l'histoire et de ses indigentes continuités, comme dans le Sacre du Printemps, ou l'Olympia... Quelle circulation, quel foin il y a dans l'immobilité des formes...

            J'envisageai ce peuplement. Alors m'apparurent les vies secrètement mobiles de ces monuments opaques. C'étaient des rois et des reines, les seigneurs et les enchanteurs de l'Afrique, de l'Asie, de l'Amérique. La pierre et le métal ne sont pas l'ennemi du mouvement, mais les appareils et les parures trompeurs qui masquent trop de vie et détournent, découragent définitivement les regards aveugles de ce temps de désinvolture agitée, et si superficielle.

            Oui, il y a des mots et des hauts-reliefs qui sont des masques. Mais derrière tout masque, il y a un regard et une bouche qui le portent. Le masque est un porte-voix et un porte-regard. Sans le masque nous serions tous rendus sourds et aveugles, littéralement médusés.

            Aujourd'hui les artistes vont par groupes, mais ce ne sont pas même des meutes. Lui, solitaire inclusif, à lui seul ensemble ouvert... Sa civilisation personnelle nous est exigeante.

            Un certain arrangement de livres, d'images, de formes émet une certaine humeur, une certaine aura, une certaine âme. Ce fut l'onde d'un apaisement étrange qui m'envahit. Et c'est une outre gonflée à crever des oeuvres qui viendront, l'invitation ferme et souriante à répondre soi-même aux oeuvres par les oeuvres.

            Ce sont des messages. Rubans sacramentaires, missives du centre de la terre. Epîtres des commencements et des fins adressées aux vivants.

 

Olivier Capparos

novembre 2002

 

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