ENEZ EUSA
(le
livre des fragments)
Ç LĠun dit que tout est permanent,
LĠautre dit que tout est phmre,
Un autre, que le monde est fait dĠobjets,
Immuables
Ou fugacesÉ È
Shiva, Le seigneur-du-Sommeil
Traduit du sanskrit
par Alain Porte
Ç Eaux profondes
les desseins du cÏur ;
lĠintelligent sait y puiser. È
La Bible
Proverbes (20, 5) – Adages de Salomon
Traduction de
Pierre Alferi et Jean-Jacques Lavoie
Ç Monde ouvert
Ces
journes de printemps
sur la cte de lĠest
sur la cte de lĠouest. È
Kenneth White
LĠermitage des brumes
[É/É]
Delphinus
delphis
48Ħ83.883 N. / 2Ħ31.763 O.
peau bleutre, verdtre, grise, sale
piquete de grumeaux infectes
un trou net sur le flanc dĠo sort un fin liquide sombre et puant
(un harpon lĠaurait-il perc cet endroit ?)
mchoire arme dĠune centaine de dents
coupantes comme autant dĠaiguilles
un dauphin
en train de sĠavarier
nageoire caudale vrille trangement
aveugl par ses propres yeux
dj disparus
gobs, certainement, par quelques crabes ou insectes vicieux
jĠvalue : 160 kilos de chair putride encore ferme
alors que la fine peau du crne, presque fondue
laisse transparatre un socle o vient sĠenchsser
coriace
lĠos du grand bec souriant
JĠai nag dans le grand ocan
jĠai fray avec
les courants froids
osant
mĠaventurer dans les zones extrmes
du globe
Gulf Stream
Atlantique nord
Labrador et GrÏnland oriental
Courant de NorvgeÉ
?
?
?
JĠai dpass la limite des territoires de mes frres les plus
robustes
pour gagner La pointe des temptes
et rejoindre,
enfin, port au-dessus de la faille dĠun courant nouveau
la fameuse mer chaude
Mare medi terra
(o vivent nos congnres
blancs)
De
retour, aprs de nombreuses annes errer en ces parages
ayant assez profit de la clmence du sud
jĠai fait lĠerreur dĠapprocher, en Atlantique
prs des fonds de la mer dĠIroise
un navire mtallique
o des hommes habills de jaune faisaient signe
ils me
semblaient amicaux
mais soudain
alors que naf jĠoffrais la vigueur de
mon flanc
un imbcile a dcharg sa haine
sĠaidant dĠun objet de mtal
qui mĠa transperc, sans un bruit
le corps de part en part
JĠai cri si fort que mme la pieuvre des abysses
a entendu mon appel
Hlas,
aujourdĠhui, quelques semaines plus tard
me voici revenu
aprs une errance toute
en souffrance
nĠayant
pu prvenir les miens
tu et
seul
pourrir sur cette grve
noircie dĠalgues mortes
et de ptrole.
1
[É/É]
![]() |
Port de Brest
quai, trois ravitailleurs type Breitling et
Victoria
peinture sombre, architecture ramasse
attendent
coque enfonce dans lĠeau grasse
Musels par des cordes gantes jaunes fluorescentes
(tendues depuis lĠimmense hangar dĠacier Roi de Bretagne)
ils respirent patiemment
jusquĠ ce que leurs soutes sĠengorgent
Une cri rauque annonce la fin du chargement.
Passe
dĠIroise
Varechs, remous, diesel, pollution au cul de Gros Vivier
qui nous talonne —
— de son sillage bruyant merge, de temps autre
lĠclat vif argent dĠune mouette chapardeuse.
Les
quatre vents
Peau rtrcie, dessche, fatigue, souillures
sel et mtaux abandonns sur le fond — la peur
et ce dsir de peu de mots
En sĠloignant des ctes la vitesse prend feu
Sur lĠarrire notre carlingue vibre inlassablement
comme si nous tions ports par une machine vapeur
dgueulant son paisse ligne de gasoil
A bbords, Abeille Bourbon nous harcle
puis braque pour le nord-ouest
accompagn, dans son sillage, du vol accident
dĠune dizaine de golands bavards.
Zodiak
debout sur lĠocan
(aux alentours des rcifs de lĠarchipel de Molne)
filent
grande vitesse
en direction des les
Ils disparaissent, tours tours
dans le creux des vagues
semblant tenir les rnes dĠun ocan curieusement homogne
qui sĠagite et perd de son aspect huil
ds que lĠon dpasse la pointe de Kernovan.
Les Calanques
Un canard sauvage se risque traverser la baie
en pleine tourmente ;
il se fait happer deux fois, trois fois, cinq fois
par la crte belliqueuse des plus hautes vagues —
chaque fois il ressurgit, miraculeusement
enfin il se cache, de lĠautre ct, prs des calanques
dans les interstices dĠune roche noircie par la houle agressive.
POINTE DE CRAĠCH 7h30
Lichens luminescents accrochs aux falaises
et jusque sur les buissons et sur les herbes ; eau laiteuse
bouillonnante, claire de lĠintrieur
Une colonie de Ptrels tempte
ports par les grands vents
est dj l
face la lumire naissante
Ils saluent notre arrive par quelques chants rauques
puis retournent au vertige de leur danse
Attirs par les -pics et le vide
nous fouillons les abords les plus abrupts
l o le sol est dnud par de perptuels mouvements dĠair— nous marchons
attirs tant par cette fracheur vivifiante que possds par une peur archaque
comme si, dĠun commun accord, il sĠagissait de comprendre
la ncessit de cet interminable chant de lĠaube.
Sur
les plus hautes falaises
Sur les plus hautes falaises
l o le vent chute brutalement vers lĠocan
(et tente une mle impossible avec les golands et lĠcume)
comment de ne pas tre au plus proche dĠune vritable sensation du monde ?
2
[É/É]
UN QUILIBRE NATUREL
Ar CĠhuld
Est-ce lĠocan qui avance ou la terre qui glisse sous les eaux ?
— le conflit de deux forces —
La grve sĠeffondre
et scrte une colline de galets lumineux
o (sur la zone de balancement des mares)
vivent des tres coques
suceurs de varech sec et de granits
affubls, de temps autre, dĠtranges plumeaux
et certainement nourris de sel et dĠembruns
Bernaches
(Patella intermedia)
Balanes
Anmones (Actinie)
et
Laminaria hyperborea
De temps autre une plus grande vague
passe au-dessus des roches qui font obstacle
lĠeau occupe profondment les cavits
ici demeurent de longues Laminaires rugueuses, paisses et sombres
leur danse
contraste avec lĠcume bouillonnante
tout se fond dans un chaos permanent
en accord avec lĠquilibre naturel
qui rgne en ces renfoncements
LĠeau reste eau
la roche reste roche
Dpasse la pointe de Porz Men
une plage de galets gants
semble repousse par les temptes continuelles :
elle forme une lvre de plusieurs mtres
jusquĠ cette ligne dĠherbes sinueuses
gorges dĠeau
comme si, dĠun seul mouvement, la masse caillouteuse
avait pris pour cible lĠintrieur des terres
CĠest par ici quĠen 1776 le Paramabo
navire hollandais trois mats de 400 tonneaux
aurait fait naufrage
charg de centaines de barils de rhum
ainsi que dĠune cage et ses deux perroquets.
LA MONTE DES EAUX
— lments pars dĠune mchoire ocane, bien relle
glaciale et provocante
JĠai vu un oiseau rapide, puis un autre encore
yeux noirs, pattes rouges
se faufiler entre les roches avec lĠaisance dĠune flche
JĠai entendu la pierre se disjoindre
JĠai observ le sel cuire ce sol boueux
(non sans lĠavoir tout dĠabord perc dĠinnombrables cratres
jusquĠ le transformer en un trange systme limbique)
JĠai assist la monte des eaux : dĠun jour lĠautre
lĠocan se vide et se remplit
— qui me croira ?
JĠai observ le cadavre dĠun grand poisson sanguinolent
Ïil cave bouff par les crabes
crne minutieusement fourrag par je ne sais quel prdateur
JĠai contempl lĠaube grandissante
balayant lĠavant dĠelle-mme le vent en tourbillons
et, depuis cette crte immatrielle, jĠai entendu hurler un oiseau blanc
Sur lĠeau
quelques mousses oranges flageolent dans lĠair toujours changeant
puis se dcrochent, dansent, avant dĠaller se prendre dans le vent
et fondre, dfinitivement
la lisire dĠimmenses circonvolutions granitiques
?
?
?
DĠnormes coques blanches, gorges, chairs violaces
se distribuent leur territoire sur la zone rocheuse la plus rugueuse
Un crabe chevelu, tte sombre, yeux vifs
( qui je ne veux pas dĠhistoires)
disparat dans les interstices dĠune roche
puis se retourne, me regarde et mĠattaque brutalement
les pinces en avant
JĠouvre un livre, au hasard — Mes inscriptions de Louis Scutenaire :
Ç Je ne suis pas un crivain, je suis un tre sonore. È
3
[É/É]
Autobiographie
du capitaine
Journal du
Guillaume Marie
(extrait)
Un chant, venu des espaces les plus profonds
(affleurements paradoxaux, os, crnes, poussires, lectures incandescentes)
et la monte, subite - une closion - de lĠintensit du monde
Sortir pour rejoindre le grand flux
Enfance, jeunesse,
enfance
la perce soudaine — lĠardente maturit
(dans un corps jeune, sans trop dĠides prconues)
Nos heures les plus belles
JĠouvre les Proverbes :
Ç [É] et tes yeux voient des cratures
ton cÏur dlire
tu te retrouves couch au centre de la mer
couch la pointe du mt :
On mĠa battu
je nĠai pas mal
on mĠa cogn
je ne sens rien
quand vais-je me rveiller ?
trs bien
je continue
je cherche encore. È (23, 33)
LĠabsence du guide semble longue aux yeux du dormeur.
Qui parle ?
Mis part ces quelques fourvoiements quĠil sĠagissait, un temps
de parcourir, dĠausculter puis dĠabandonner
(une leon est une leon)
se profilait ce moment de la vraie dcision : lĠtape absolue de la hache
et des parfums.
Journal du Guillaume Marie (extraits)
En 1775, le Guillaume Marie, navire anglais de 150 tonneaux, en
provenance de Cadix, dont
la cargaison est compose de sel, citrons, oranges et de 22 000 livres en
argent monnay, talonne les cueils.
Jour 7
Ciel et nuages, distance, se dvident
puis se divisent en autant de paquets multiplis et menaants
Nuit intestine, fatigue, suesÉ changement de cap — tribord
bien au-del des voiles chiffonnes
une formation climatique dĠhumeur maligne, parseme dĠclairs
se ferme sur elle-mme, sĠtrangle puis se gonfle
nous annonant la pire des temptes.
Adage de Salomon :
Ç Le typhon emporte les brutes —
le juste tient bon. È (10,25)
Jour 9
Comment dormir ainsi ballott ?
Je garde, depuis des jours, les yeux grands ouverts ; ne suis-je
pas forc de voir ? Un papillon (est-ce un rve ?)
indiffrent la houle qui creuse nos boyaux en une horizontale impossible
grignote sa propre tte
Les boiseries, lĠavant du navire, assches, hurlent
Gabot le perroquet ne chante plus (ses plumes semblent tre de colle)
Forc de voir et ne rien voir — comment vivre ici ?
Moi qui voulait tout dcouvrir
amoureux des hommes et des espaces infinis.
Adage de Salomon :
Ç Sans gouvernail le peuple coule —
de nombreux conseillers le sauvent. È (11,14)
Jour 10
Nuit torrentielle
Tempte, cris des cordages
et pour combien de temps ?
Adieu lĠamiti dĠavec les songes
voici lentement venu lĠhiver, voici lĠennemie : la fin du jour
associe la tuerie de la nuit.
Adage de Salomon :
Ç Telle ligne droite aux yeux dĠun homme
conduit des lignes de mort. È (14,12)
Jour 13
Enigme matinale : un Ïil vert, sur lĠhorizon
une sorte dĠiris volcanique, plus grand que le soleil
badigeonn de couleurs jusquĠ la perte de toute aspritÉ
(une ide de la mort ? — Chair rogne, lente et putride)
Quelques mots peine audibles, glans ici et l
quelques phrases plus ou moins cinglantes
QuĠen est-il de mes hommes ?
SĠil nĠy a plus rien voir, y a-t-il quelque chose crire ?
Adage de Salomon :
Ç Fuis le fou :
rien prendre ses lvres. È (14,7)
Jour 17
lĠhorizon : architecture nuageuse gigantesque, dsordonne, dangereuse
Cumulus empils sur les hauteurs
o lĠon imagine vivre le plus grand des Dieux —
— il gronde, depuis tout l-haut
arm de courbes lectriques qui, comme des cordes
lacrent le ciel jusquĠ le faire pleurer de douleur
A lĠavant du navire le feu sĠest teint
il ne reste plus que cette odeur de soufre.
Proverbes :
Ç Ne te vante pas du lendemain
sais-tu ce quĠenfante aujourdĠhui ? È (27,1)
La
nuit
Pour Adam Nilsson
La nuit nous perdons un peu de vie
La nuit balaye par les phares
La nuit, sans repos : une forge luminescente
(sur la grve sĠchangent un milliard de vies chimiques)
La nuit, grignote dans ses bas fonds
par une eau encore plus noire que la nuit
La nuit, immobile, o crpite un feu dĠencre morte
La nuit : le dormeur construit, lĠaraigne file, lĠaveugle voit
La nuit est un visage
la nuit est une sphre
La nuit la vitesse sĠaccrot
Qui parle ?
La nuit pour ceux qui travaillent : les vivants
La nuit, seuls, sur notre le
la drive comme lĠavant du monde
La nuit prpare ses phosphorescences : cĠest ici quĠun Ïil clair
danse avec les formes
et ouvre lĠespace simple
qui te mena jusquĠ nous.
Journal
du Capitaine
19 dcembre 1869
Naufrage de la Gorgone
sur les rcifs de la chausse des Pierres-Noires
(mais a-t-il vraiment connu ?) file vers le nord, insensible
— pourquoi la vie de la mmoire semble-t-elle si peu fiable ?
Et cette volont premire dĠtre lger, le moins harnach
nĠest-elle pas le visage cach dĠun attelage bien plus pesant
au point de rendre notre navire lent
et aveugle ?
Les termes du voyage : mourir vite
et finir dcompos
en bord de mer
sourire perdu la nature
empals, tous, au pied de ces falaises immondes
et invisibles (voici notre malheur)
— un pige nĠtait-il pas confin sous ces brumes paisses ?
Comment sĠen sortir ?
Le choix de chaque instant : ce qui deviendra lueur
lĠhorizon des directions
plutt que cet abme noir et glacial — pire encore : une bote noire, cloue
la drive sur lĠocan
(JĠai vu des animaux tranges
frayer
discrtement en ces parages
de grands yeux circulaires
me regarder
jĠai prouv lĠodeur fade
des cadavres de tout lĠquipage :
jĠai
observ, affol, incapable de dtourner mon regard
leurs membres sucs par des milliers de crevettes qui
pendaient
le long de leurs muscles morts
elles semblaient jouir de cette puanteur
elles couvraient les corps en entier
comme un manteau de vers fourmillantsÉ)
Il ne sĠagit pas, selon moi, de calcul trs savant
quand bien mme je sais parfaitement lire le cartes
matriser lĠastronomie et lĠusage du Sextant
mais plutt dĠprouver (puisquĠil est trop tard)
de la faon la plus limpide et dgage qui soit
lĠinstant plein du peu de vie quĠil me reste
au lieu de considrer lĠespace vide et glacial
alentours
comme une attente
LĠaiguillon, dans mon dos
continment scrte une pression
sur mon cÏur
tout semble se tarir
la fuite de lĠentier
progresse
et la vision de lĠentier
se fait rare
Quelque chose cingle, me voici seul —
— est-ce le vent ?
est-ce la vie ?
est-ce la mort ?
4
[É/É]
Les
parties les plus froides de lĠle
Premier tournage
– Corn Hr
bascule vers le grand ocan
et rogne progressivement la part qui lui est due
CĠest au fond de cette gorge
o, mare haute
sĠengouffrent des vagues acides
que nous dcidons de revenir la nuit
pour filmer
clairs de ces quelques torches huileuses
confectionnes la hte et soigneusement installes
en quilibre
dans les interstices de lĠtrange difice naturel
19h — cte nord-ouest de lĠle
48Ħ 27.889 l N. / 5Ħ 06.646 L O.
Le soleil disparat
bientt happ, lĠhorizon, par une brume de mer
prte tendre son pige
Chute des tempratures, complexit rare de lĠatmosphre
la balance des couleurs, imprvisible, peigne le ciel
humide et froid
Premires toiles et constellations :
Grande Ourse
Chien de chasse
Chevelure de
Brnice
Lion
?
?
?
Les acteurs pataugent dans une longue vasque dĠeau saumtre
peu profonde
et leurs jambes, lentement, sĠenroulent dans cette substance
peuple de varechs nausabonds et autres rsidus maritimes
qui sĠagglutinent
La roche, assombrie de lĠintrieur
perd de sa duret et de son clat
elle nous capture, petit petit
jusquĠ ce que nous ne fassions quĠune seule et
mme pte
Ce qui tout lĠheure semblait une dchirure
ouvre bientt le goulet sur une bance inverse
le rythme de notre marche ralentit
puis, progressivement sĠaccorde cette passe
en direction des profondeurs de la Terre
Proches du silence
nous voici lĠcoute de ce qui semble tre
le souffle du rel
lorsque soudain
un Ïil sombre ricane
depuis les bas-fonds
comme sĠil voulait nous jeter en pture
la bestialit de cet ocan qui rsonne
et frappe les -pics, rgulirement
depuis les parties les plus froides de lĠle.
Roch
Wark
La haute houle, en ces rgions, laisse la place
parmi les eaux troubles
lĠescalade cuivre (jusquĠ la fusion)
dĠun soleil matinal dvor par des nues en formation
LĠacidit surprenante de roches noirtres
bavant du sel et des mousses nerveuses
annonce le pays des naufrages
Micro climatsÉ
De longs dplacements dĠair
sur lĠintgralit de la surface de la mer
avancent jusquĠ nous
lĠocan nĠest pas plat (cette fois-ci jĠen suis sr)
lĠocan est vivant
JĠai vu des masses dĠeau informe prendre corps
puis sĠaffaisser en silence
jĠai vu, alors mme que nous tions en pleine mer
un rocher peign par de longues branchies, disparatre
pour apparatre transform
comme si lĠocan tait de chair
Les mois les plus sombres : cette grve o lĠeau, rugueuse
scie rapidement les falaises
jusquĠ dgager des avances coupantes
(par ici, mme les
golands hsitent tablir leur demeure.)
RochĠar Verglaz
Celtic Sea
Les grves de lĠle sĠeffondrent
sur un -pic
en forme de vote
soutenue par une matire forte
rpe, au fil du temps, de toutes substances inutiles
LĠattaque constante de lĠocan et du vent —
RochĠar Verglaz
face nord-ouest
En se penchant, du haut des falaises
(agenouills sur lĠefflorescence savoureuse dĠadmirables lvres dĠherbes
et dont les renflements, o perle lĠhumidit
sont savamment peigns par des bourrasque incessantes)
nous dcouvrons, lĠaplomb, une caverne odorante
Ici sĠeffiloche un collier de Laminaires abmes par la tempte
Sur la pierre menaante sĠagrippent quelques coques noircies
Un ignoble crin de dtritus
apport (puis oubli)
par une mare trop haute depuis on ne sait quel gyre ocanique
surnage :
Plastiques
bidons ? bois dĠeau
palette
concasse
cblage
flacon D¤G
conserve Tortellini
papier KelloggĠs
?
?
?
LĠexcavation sĠouvre sur un combe encore plus profonde
des masses dĠeau laiteuse sĠy engouffrent
par lĠarrire et par bouffes
le territoire de lĠhumide rsonne
en un lent et long mouvement maternel
le sol, pic
et color par des bandes de lumire rflchie depuis les parois
crpite sous nos pas
lĠrosion hurle au travers dĠun millier dĠinfiltrations
aigues comme du feu
sur ce tas dĠalgues pourries
grignote une colonie
de mouches silencieuses
Qui, de lĠHomme, de la roche
des animaux qui vivent ici
saurait
nous renseigner sur de telles intentions ocanes ?
Il nous faut partir, dsormais, afin dĠviter le pige :
la mare monte
et dĠici quelques heures
tout sera recouvert par les pleines eaux.
5
[É/É]
Les
vÏux du silence
Pour Bertrand Sinapi
chercher par terre et sur les grves
au niveau de la basse mer
plus que du sable ou des algues
quelques rsidus sous les galets
ces pierres rares
griffes par la tempte
ou encore les dbris oublis
la suite de multiples naufrages
LĠeau, dĠhumeur ingale
Jusant
fin du Jusant
nous engage
comprendre le grand processus
Entre vagues et ressac — la formule
Un monceau dĠalgues compliques, branchues, ocres
Saccorhiza bulbosa et Fucus dentele
isoles par la mare
(et qui ressemblent ce que lĠon imagine dcouvrir
dans un estomac bant)
font des nÏuds, ici et l
arrangeant un semblant de filet
Granits, ardoises, craies
pierres tachetes de Lichens
o se compulsent trois minuscules Etrilles querelleurs
Une dizaine de Clovis mortes, retournes
certainement becquetes par les golands
suintent
offrant les restes de leurs entrailles bleues sales
Littorines,
Gibbules
je ne sais quels autres coquillages
et surtout
ces Hydraires magnifiques
grandes comme des arbres couchs
Deux, cinq, six petits crabes enrags, carapace tabac vert noir
disparaissent en flches
dans une fente rocailleuse encore imprgne — ne sont-ils pas
les acteurs dĠune chorgraphie vritable
mme le sol ouvert
en ces instants de basse laisse ?
Un peu dĠeau ruisselle depuis les prairies
vers cette crevasse minuscule qui sĠinfiltre sous la grve
lĠeau douce rouille savamment les galets
puis tentera sa chance
lĠassaut des lointaines fosses salines
Polystyrnes, capsules, canettes
os de Seiche
une bouteille en verre piquete de Varechs :
ici sĠaccroche un Bernard lĠErmite mcontent
A lĠquilibre sur un galet
ce magnifique gant de plastique jaune fluorescent
presque neuf
Nous vivons sur cette Terre, nous le savons
nous sommes loin, pourtant
de ce qui fait notre sve essentielle
quand bien mme notre parcours quotidien, sur les sentiers ctiers
lĠcoute du vent qui siffle
en suivant, toujours (sans trop laisser de traces)
la chute de lĠastre
participe lĠrosion
tout comme au faonnage de ces profondes galeries souterraines
o sĠenfoncent les mares
et ce, depuis le dbut
depuis le dbut du temps.
[É/É]
photographies d'Adam Nilsson (2010)
texte de Lionel Marchetti