Masques et Totems de Cervera

 

 

Amour hybride

146x114 cm, acrylique et technique mixte sur toile, 2001

copyright : A. CERVERA - photographie : Olivier Maynard

 

 

  Il nĠest pas rare, dans la peinture dĠAndrŽ Cervera, que la vie la plus ordinaire c™toie masques et totems, quĠaux ttes dĠhommes soient substituŽes des figures animales, et quĠainsi la reprŽsentation la plus prosa•que soit traversŽe et comme transfigurŽe par la venue de quelque puissance surnaturelle. Mais lĠimaginaire nĠest pas ici une faon de sĠŽloigner du rŽel : cĠest le vecteur qui nous permet dĠen scruter le sens. Il est en effet le plus souvent question de mythes et de sorciers, de magie, de ftes des morts, de rituels mexicains, dogons ou hindous. Quelles sont les forces qui se saisissent ainsi de nous – je veux dire des personnages aussi bien que des spectateurs –,  ces puissances sans visages et en lĠabsence desquelles le peintre semble nous dire quĠil serait en dŽfinitive impossible dĠatteindre lĠessence du rŽel ?

  Dans lĠunivers figuratif de Cervera, lĠhomme est en proie ˆ des forces qui le dŽpassent et cde la place ˆ autre chose que lui-mme (dans LĠenlvement de lĠhomme, le titre dit dŽjˆ ce que lĠusage du papier kraft confirme : lĠhomme nĠest plus quĠune petite et p‰le figure en creux, ˆ la solde des sorciers et de leur danse funeste) ; il nĠest plus la mesure de toutes choses. En cela, cet univers participe dĠune forme de sacrŽ o les ŽvŽnements sont ˆ la fois coutumiers, simples, sans horizon, et dŽjˆ signes de bien autre chose. Un masque ouvre une telle frontire, assure un tel passage.

  Il nĠest pas rare non plus que lĠon se batte, et parfois le pinceau lui-mme devient une arme, une lance, dĠaspect phallique (JĠen pinceau pour toi, Conversation de peinture ainsi que lĠensemble de lĠÏuvre tendent ˆ cette assimilation de la peinture, de la guerre, de la mort et de la sexualitŽ), et la palette du peintre se transforme alors en bouclier (Conversation de peinture). Les hommes sont ˆ la merci dĠune menace, diffuse ou bien rŽelle, ils se font dŽcapiter ou trancher la gorge (Le purgatoire, Sans titre 2007, Tara), sont poursuivis ˆ grands coups de chaise et de b‰ton. DĠune certaine faon, il en va ici de la peinture comme dĠun rituel dĠinitiation, o la circoncision, lĠarrachage dĠune dent, le prŽlvement dĠun morceau du corps font pŽnŽtrer lĠindividu dans lĠespace des hommes faits, cĠest-ˆ-dire marquŽs dans leur chair et capables de surmonter la douleur. Un masque, cĠest Žgalement une tte coupŽe, une tte dĠhomme supprimŽe qui laisse la porte ouverte ˆ dĠautres Žnergies, ˆ dĠautres instances. A travers le masque, le visage cde la place ˆ une forme dĠaltŽritŽ sauvage dont lĠhomme nĠest plus que le jouet.

  CĠest cette violence, par laquelle lĠhomme se fait homme en sĠaffrontant lui-mme, qui est ˆ lĠÏuvre dans les toiles de Cervera – mais Žtrangement, elle y est toujours associŽe ˆ une forme de joie et de rire, de fureur comique, qui nĠest pas tant un motif parmi dĠautres que le style mme du peintre, toujours prompt ˆ inclure dans des scnes tragiques des ŽvŽnements comiques, ou vice-versa. CĠest sa faon particulire dĠŽlaborer un thŽ‰tre de peinture : la mise en scne y dŽborde toujours la nature des ŽvŽnements qui sĠy dŽroulent.

 

 

QuĠest-ce quĠune tte ? Quel Žnigmatique horizon sĠouvre par la reprŽsentation dĠun visage ? La question qui hantait Giacometti – et ˆ laquelle on se souvient quĠAndrŽ Breton rŽpondait sans dŽtour par un lapidaire: Òtout le monde sait ce que cĠest quĠune tteÓ – prend ici une tournure nouvelle : quĠest-ce quĠun masque ? et surtout : pourquoi masquer une tte ?

Il semblerait que le masque restitue sur la toile l'ouverture dessinŽe, dans l'ordre anthropologique, par cette autre dimension et cet autre espace gr‰ce auxquels les hommes cherchent ˆ devenir eux-mmes tout en devenant autres. Le masque implique une dialectique de lĠidentitŽ et de la diffŽrence, comme celle qui est ˆ lĠoeuvre dans la reprŽsentation de lĠhomme ˆ figure dĠanimal, si forte dans les toiles de Cervera. Et la question qui se pose est la suivante : pourquoi se donner des totems, des anctres non humains, alors que lĠenjeu est prŽcisŽment lĠidentitŽ dĠun groupe dĠhommes ? La culture ne semblerait pouvoir devenir culture que gr‰ce cet Žtrange chiasmeÉ Festin totŽmique (1996) reprŽsente un banquet dĠanimaux totŽmiques du Languedoc qui nĠont rien ˆ envier aux totems dĠAfrique ou dĠailleurs. Le loup de Loupian, le bÏuf de Mze, le chameau de BŽziers, le cochon noir de Saint AndrŽ, la chvre de Montagnac, lĠ‰ne de Gignac, le hŽrisson de Roujan, la sirne de SteÉ sont bruyamment attablŽs autour dĠune bouteille comme autant de figures hybrides qui rendent ˆ lĠanthropomorphisme sa vŽritable fonction. Ce ne sont pas tant les animaux qui sont apprŽhendŽs par lĠhomme selon ses propres connaissances ou ce quĠil peut apprendre de lui-mme – cette critique sera dŽcidŽment toujours trop sommaire – mais plut™t lĠhomme qui ne peut se conna”tre lui-mme quĠˆ travers cette identification ˆ lĠanimal. Serait-ce lˆ un aspect de sa finitude ? Rien nĠest moin Žvident, mais force est de tenir cette finitude pour la consŽquence dĠune indŽtermination foncirement ontologique ; car cĠest de ne pas savoir ce quĠil est que lĠhomme tire ce perpŽtuel besoin dĠaliŽnationÉ

Au dŽbut du Mythe et lĠhomme, Roger Caillois retrace la gŽnŽalogie de la fascination humaine ˆ lĠŽgard des mantes religieuses. Et il indique que cette fascination tient ˆ un point essentiel : la mante religieuse, parmi tous les insectes, est bien connue pour dŽcapiter son partenaire aprs le co•t, fait Žtourdissant qui nous montre, dans lĠordre de la nature, ce que la culture et le sacrŽ rejouent de leur c™tŽ : lĠimprobable identification de la mort et de la sexualitŽÉ Il y a ainsi une communautŽ dĠtre plus profonde que le partage de la nature et de la culture, dont l'anthropomorphisme se nourrit bien souvent ˆ ses dŽpends, et dont on aurait finalement trop vite fait de dŽpartager ce quĠelle a de rŽel, dĠimaginaire et de symbolique. CĠest cette communautŽ qui est rendue vivante ˆ travers les totems, et il est remarquable que Cervera sĠen soit nourri ds 1994, ˆ travers notamment ces figures languedociennes, avant mme de retrouver au Mali, au Mexique, en Inde ou en Chine ce culte pour les hommes ˆ figures dĠanimaux. Ce qui est profond, ici, cĠest cette Žtrange angoisse, presque insondable, que lĠon sent poindre chez des personnages incapables dĠassumer la nuditŽ dĠun face-ˆ-face avec eux-mmes sans le recours ˆ ce singulier travestissement. Nous nĠosons pas, nous ne pouvons tre simplement humains, et masques et totems ne sont pas ici un refuge ni mme le portrait dĠune identitŽ dŽterminŽe, mais le moyen le plus efficace de nous permettre de Òremonter en deˆ du tournant de lĠexpŽrience humaineÓ, selon lĠexpression chre ˆ Bergson.

 

  La prŽsence dĠune force donc, dĠune Žnergie brute, ˆ la fois ancestrale et animale, corporelle et culturelle (sexuelle, guerrire, et profondŽment animiste) donne aux scnes reprŽsentŽes un coefficient de prŽsence que la peinture est souvent la seule ˆ pouvoir exploiter, ds lors quĠelle se saisit de la couleur comme d'un ŽlŽment en soi – simple jaillissement ou Žtalement sans vŽritable visŽe figurative – et que le trait, ici un cerne souvent souple et sinueux, sĠŽtale ˆ la fois fluide et farouche. On pourrait dire que cĠest cette Žnergie qui nourrit la perception de Cervera et qui motive son geste – et nĠoublions pas que la notion de sacrŽ est ˆ lĠorigine une catŽgorie de la force, de lĠŽnergie.

  Il en rŽsulte que la crŽation dĠune forme ne se fait pas sans lutte ni combat, qui mobilisent, ˆ chaque fois, pulsion de vie et pulsion de mort. Et cĠest cette lutte qui est ici reprŽsentŽe – ou plut™t qui se prŽsente dĠelle-mme en tant que peinture. Le combat, lĠaffrontement, est un ŽlŽment constitutif de lĠÏuvre, depuis le dŽbut (Vive le battre, 1982) – et qui se prolonge souvent ˆ travers des scnes de rivalitŽ Žrotique, o la relation est davantage affaire de rapport de force et de dŽfi que de simple sensualitŽ – et la dynamique dont elle se rŽclame est bien celle du dŽsir : si le dŽsir est dynamique, ce nĠest pas parce quĠil se meut du plein vers le vide ou de lĠtre vers le nŽant, mais parce quĠil dŽcoule dĠune tension qui lui est inhŽrente, entre attrait et rŽpulsion, liaison et destruction. CĠest tout le problme du trait et de la forme : que sŽpare-t-on, et comment ? A cet Žgard, l'usage du scotch, chez Cervera, a rendu le travail du contraste plus significatif, puisque les lignes blanches du scotch forment des traits raides et intransigeants, presque indiscutables, lˆ o le pinceau a tendance ˆ dŽployer des lignes flexibles et Žlastiques propices ˆ la fusion, au mŽlange, ˆ l'effusion de la couleur. L'Žvolution gŽnŽrale, trs nette, vers une forme d'Žpuration du fond et des couleurs est allŽe de pair avec une accentuation des contrastes des lignes et des formes liŽe ˆ l'exploitation de matŽriaux nouveaux comme le kraft et le scotch. La dŽcouverte parfois fortuite de nouvelles techniques n'est jamais une simple contingence dans le travail d'un artiste, mais le plus souvent une faon de donner aux Ïuvres une cohŽsion et un sens plus forts, comme si cette Žvolution n'Žtait au fond que le fruit complexe du hasard et de la nŽcessitŽ. Ici, le kraft et le scotch vont de pair, ils relvent d'une innovation ˆ la fois matŽrielle et formelle, plastique et hautement significative, puisque cĠest ensemble quĠils confrent aux toiles cette ma”trise impulsive, cette apparence d'improvisation mlŽe de droiture et de rigiditŽ. On assiste bien ˆ lĠaffirmation dĠun style, ce qui signifie une synthse matŽrielle des thmes chers ˆ lĠartiste.

  La peinture comme le dŽsir nous renvoient donc essentiellement ˆ une Žnergie qui dŽploie par nature deux tendances opposŽes, et qui tire sa puissance de cette opposition mme. On se souvient que, dans LĠAbrŽgŽ de psychanalyse, Freud lui-mme nĠhŽsitait pas ˆ se rŽclamer dĠEmpŽdocle lorsquĠil sĠagissait dĠapprofondir la nature de la pulsion ˆ lĠÏuvre dans le psychisme humain, et quĠil dŽfinissait alors tout phŽnomne vital comme un mixte de lĠinstinct de vie et de lĠinstinct de mort. Toute forme, tout phŽnomne, est un mŽlange des deux principes empŽdoclŽens de lĠAmour et de la Haine, de lĠattraction et de la rŽpulsion, qui prŽsident ˆ toute manifestation de la vie : si Eros et Thanatos ne sont donc pas des pulsions antithŽtiques, mais bien les deux visages d'une seule et mme pulsion modelant chaque phŽnomne, si la vie elle-mme est Òune lutte ou un compromis entre ces deux tendancesÓ comme lĠaffirme Freud, alors on peut dire que la peinture, chez Cervera, nĠest pas simplement un espace de reprŽsentation mais le lieu o cette lutte sĠactualise dans sa dimension originairement plastique – et les masques et les totems sont chez lui autant de prismes o se rŽfracte la pulsion, o rayonne un dŽsir aux multiples figures. Amour et Haine, attraction et rŽpulsion sont dĠabord des coordonnŽes picturales : non pas des matŽriaux du peintre, mais les principes mmes de son art.

  Cette lutte, cette manifestation conjointe de forces contraires, se manifeste en partie ˆ travers le rapport, trs thŽ‰tral chez Cervera, entre le dŽcor et lĠaction. On remarquera en effet que le rythme des peintures de Cervera provient dĠune certaine tension entre la faon dont les murs et les sols sont reprŽsentŽs et lĠŽvŽnement qui sĠy dŽroule. Les premiers dŽlimitent le plus souvent un lieu, intŽrieur et clos, une forme de scne marquŽe par des motifs gŽomŽtriques (petits carreaux, bandes bichromes, fines ou larges, verticales ou horizontales, ou encore surface monochrome), qui installent une rŽgularitŽ et tendent ˆ crŽer un Žquilibre, une forme de stabilitŽ. Mais cet Žquilibre est en rŽalitŽ toujours prŽcaire. Car si le dŽcor de la scne est fait pour maintenir les ŽlŽments qui sĠy trouvent, lĠaction qui sĠaccomplit ne peut en rŽalitŽ y tre contenue : quĠil sĠagisse dĠune course poursuite ou dĠune course en pousse-pousse (Les voleurs de masques, Rickshaw ˆ Calcutta), dĠun Ç enlvement È (LĠenlvement de lĠhomme qui prend lĠallure dĠune danse guerrire), dĠun duel ou dĠun cauchemar (Conversation de peinture et Cauchemar du fumeur dĠopium, o la pice est envahie par les figures animales du rve) ou encore dĠun crime passionnel (Sans titre 2007), on peut dire que le drame, lĠaction en cours, implique gŽnŽralement des personnages rŽsolument incapables de tenir en place. Mme Le cauchemar du fumeur dĠopium, dont le personnage central est pourtant allongŽ en train de fumer, est une toile en mouvement : les animaux Žmergent du haut et du bas du cadre, la serveuse de thŽ sĠŽloigne pendant quĠappara”t dans le fond, comme surgissant dĠun rideau de thŽ‰tre – procŽdŽ qui revient dĠailleurs dans dĠautres toiles – un Žtrange personnage vert, le tout dans un espace o figures du rve et de la rŽalitŽ participent du mme ŽvŽnement. Si cette mise en scne est thŽ‰trale en tant que telle, cĠest parce que le peintre donne ˆ chaque personnage un r™le dans une action commune, il les lie ensemble au sein du mme drame et ne les sŽpare jamais.

A ce travail sur lĠespace et le mouvement sĠajoute une forme de synthse temporelle qui conjugue diffŽrents moments de lĠaction, la cause et sa consŽquence, lĠavant et lĠaprs Žtant souvent peints ensemble sur la toile. Dans Sans titre 2007, le mari jaloux Žgorge lĠamant pendant que la femme a dŽjˆ pris la fuite et sĠŽloigne dans un coin du tableau, et lĠon devine toute la panique et la surprise qui ont prŽcŽdŽ, lors de la dŽcouverte du forfait des amants. Ici comme ailleurs, lĠaction est reprŽsentŽe au moment o les Žnergies en prŽsence se conjuguent et sĠaffrontent, sĠintensifient, et tŽmoignent dans le prŽsent de la charge des actions passŽes. On pourrait alors interprter cet instant paroxystique comme la co-prŽsence, sur la toile, dĠun mythe, drame originel et rŽcit fondateur, et dĠun rite, ensemble des actions sensŽes le rŽpŽter afin dĠen assumer la charge cathartique – lĠensemble des toiles faisant ainsi penser ˆ une grande sŽrie visant ˆ rappeler lĠunitŽ indissociable dĠun passŽ originaire et du prŽsent qui sĠy rapporte, afin de dŽlivrer les hommes des passions qui les animent. Mais les hommes sont oublieux et ils ne savent pas de quel rŽcit ils sont les protagonistes, ni de quel destin ils sont les marionnettes.

 

Mouvements, peurs, rves, dŽsirs, actions et affects animent donc les corps et les esprits de telle sorte que lĠaction en cours nous parle dĠun ŽvŽnement qui nĠest jamais simplement ˆ la mesure du lieu et du temps o il se dŽroule (un sacrilge, un ŽvŽnement mythique, un sacrifice, un mauvais rve dans une fumerie dĠopium, etc.). Cette tension provient en dŽfinitive du fait que cĠest bien une puissance transcendante, une force sacrŽe qui se propage dans un espace-temps profane, et qui dŽchaine alors chez les personnages une Žnergie inŽdite, puisquĠil sont dŽsormais en proie ˆ quelque puissance extraordinaire. Si le sacrŽ nourrit Cervera ˆ travers ses voyages (notamment ses deux sŽjours en pays Dogon au cours desquels il a ŽtŽ amenŽ, en 2001 et 2002, ˆ sĠinitier de prs aux cultes animistes), si la pensŽe magique visite ses Ïuvres, alors on peut dire que son problme est de trouver, en tant que peintre, un style qui, sans corrompre cette source ˆ la fois Žtrangre et familire, puisse en restituer la dimension extraordinaire, en entendant bien ˆ travers ce terme la difficultŽ majeure quĠil recle : comment ressaisir dans lĠespace des hommes les puissances qui le traversent et le travestissent, lĠintensifient et le transfigurent – sans les dŽnaturer ? Il semble ˆ lĠŽvidence quĠˆ partir du moment o les hommes sont liŽs au sacrŽ, lĠespace qui les entoure ne soit plus en mesure dĠaccueillir de telles forces, de tels dŽrglements. Il y a un changement dĠŽchelle, une forme de dŽmesure, et cĠest cet Žcart qui donne ˆ de nombreuses toiles leur intensitŽ : cette Ïuvre est empreinte dĠun rythme et dĠune dynamique qui sont toujours, et en toute lettre, une faon de sortir de soi-mme, une extase au sens grec du terme. Et cĠest cette extase qui est aussi visŽe par les masques, car ce sont eux qui, au sein des toiles, mettent en mouvement ce perpŽtuel dŽsŽquilibre entre dŽcor et action, passŽ et prŽsent, imaginaire et rŽalitŽ. ThŽ‰tre de peinture qui est aussi un thŽ‰tre du sacrŽ, cĠest-ˆ-dire une scne o lĠŽvŽnement est ˆ la fois tragique – puisque lĠhomme y est lĠobjet de puissances supŽrieures – et dŽtournŽ de sa tragŽdie, et par lˆ-mme comique (le sorcier poursuivant les voleurs de masques ˆ coups de chaise et de b‰ton, la mort jouant du banjo, les masques qui tirent la langue, etc.), ordinaire et pourtant soustrait ˆ sa trivialitŽ.

 

 

   Nous n'avons cherchŽ ici qu'ˆ Žclairer le rythme et la puissance dĠune Ïuvre qui a le privilge de puiser ses motifs et ses formes dans des cultures o le sacrŽ est encore dĠune actualitŽ certaine. Et Portrait de famille dit bien, en ce sens, la difficultŽ affrontŽe, lĠacte de cl™ture et de fermeture quĠopre malgrŽ elle la reprŽsentation par lĠimage, en cherchant, par le trait et la forme du cadre, ˆ contenir les personnages ; figŽs et raidis, rŽunis c™te ˆ c™te, immobiles et empruntŽs, ils obŽissent ici au geste dĠun photographe dont les indications visent une mise en scne quelque peu grotesque, cĠest-ˆ-dire proprement Žtrangre aux corps, aux mouvements et aux coutumes quĠelle tente de domestiquer ; et qui est ici regardŽ par le chien ? LĠironie bien sžr est quĠil sĠagit du photographe lui-mme, devenu lĠobjet dĠune curiositŽ canineÉ parce quĠayant introduit dans la maison lĠobjet qui brise son fragile Žquilibre, indiffŽrent aux masques et aux puissances quĠils couvent. Le problme du peintre est ici – mais pas seulement – quĠil lui faut parvenir ˆ figurer ce qui nĠest pas destinŽ ˆ tre reprŽsentŽ. Et il semblerait que cette forme de figuration, dont l'Žnergie provient en partie de son apparente na•vetŽ, et dont on peut dire quĠelle est peu ˆ peu devenue Žtrangre au regard contemporain, soit ce qui a toujours ŽtŽ le plus familier ˆ Cervera.

 

 

 

Eric Beauron

 

 

 
sommaire

 

tŽlŽcharger ce texte en format PDF