SEPT MATIÈRES
« Le vent
seul
me fait peur »
Chant de l'arbre - Chippewas
1.
Il entreprend l’ascension des volcans
espérant trouver
mélangés à cette terre
les vestiges d’une sagesse
Sur les sommets
la chaleur lui rappelle un amour perdu
qui ruina une bonne part
de sa jeunesse
Il observe le visage des anciens
Il écoute
Il accepte toutes paroles
Puis il les laisse dans la fournaise
avec son cerveau
brûler.
2.
J’ai vu de la roche rouge
embrasée par le souffle de la Terre
l’immensité de la végétation
aride et nue
appauvrie par la folie d’hommes qui criaient :
« — Mort à la Terre ! »
J’ai vécu seul sur cette lisière
comme une bête
me nourrissant, pendant des années
de fruits pourris
d’ordures, de résidus
effrayé par la course improbable d’un soleil
ayant perdu de son intensité
Dans cet espace recouvert de cendres et de déchets
la mort, en personne
m’est apparue
Sur un tas de bois noir
penchée comme une vieille femme
elle m’attendait
balançant curieusement sa tête de fer brillant
Puis l’incendie me réveilla —
Je pleure
J’ai du feu dans les yeux.
3.
Malgré la chaleur haute qui tournoyait autour de toi
Les grands nuages :
tu décidais d’être eau (amoureux de la lenteur
et de l’érosion)
La peur du feu — revenue pour t’aveugler
Il dit :
« — Et pourquoi viens-tu ici suivi de tout ce monde ! »
D’un coup de dent en finir
voici ta force.
—
Tchouang-tseu
4.
Grand vent, mer obscure, saison d’argent
Je goutte le sel et disparais
pour un trajet
dans l’eau glaciale
Face à l’ouest (soleil pleine face)
se trouve ma réalité
impitoyable
lorsque je serai libre
d’être mangé
Le rêve du Cyclope —
Mes visions, enfant
n'auront été qu’un masque
Infect faciès déformé
pour ce monde
comme le docte liant de toutes les formes
Plutôt que de m’efforcer à trouver
ici et là
je ne sais quel prodige
j’accepte, résigné
ma peine
(elle m'a brûlé le corps
et la gorge
lors d'une passe sèche, accidentelle
me laissant seul
avec mes visions)
Grand vent, mer obscure, saison d’argent.
5.
Pour rendre vivant les fruits
qui lentement se décomposent
il trouve
à l'épreuve d’une forge de couleurs
cette patine unique
associée à un trait si aiguisé
que seuls ceux qui ont entrevus la vie à même
verrons — composition
sur la toile
à l’évidence d'une feuille qui se décroche d’une branche
et laisse sa vigueur à l’arbre entier
Puisque la saison change.
6.
Là-dehors, en vie, toute une nuit
Il court à travers la lande
et les forêts
Il trouve le souffle qu’il lui faut
jusqu’à se laisser couler
dans le fleuve
Il glisse sous l’eau noire
les algues
la multitude
Il se laisse porter
par les courants
le long d’immenses vasques
Il sait qu’il fait partie du monde
Il regarde
Un arbre tordu, sur cet amas de pierraille
lutte contre l'aridité
Les branches les plus vives
à la recherche de la fraîcheur
sifflent avec le vent
Sur ce promontoire naturel se tient un couple d’oiseaux.
et
7.
Comment, chaque matin
vivre avec la lumière ?
Comment prendre le réel pour compagnon ?
La beauté nous a fait naître
et nous mourrons
à la beauté
L’enfance
flétrit lentement
puis renaît
Chaque fois grandit notre idée du monde
Un insecte, dans notre dos, grignote
- enchanteur pourrissant -
Il décide
à notre place
sans répit nous lacère
lorsque notre faiblesse se laisse doubler
Est-ce pour cela que l’on chante ?
Est-ce pour cela que l’on déguise
de notre voix
les tueries ?
Comment, chaque matin
vivre avec la lumière — ne suffit-il pas
d’abandonner la nuit
pour le jour ?