loquelles

 

 

 

dits et fumerolles de lՎtrange Docteur Thorpe

 

 

 

 

 

 

 

 

 

point de dŽpart, ou point d'arrivŽe, il ne saurait l'tre, ni commencement, ni fin, il ne le pourrait pas, mme le voulant, pas le repos d'avant, ni le repos d'aprs, il ne saurait pas mme en tracer le mouvement, devenir lui-mme le mouvement qui trace une ligne entre dŽbut et fin, une flche en plein vol entre dŽpart et arrivŽe, il ne saurait tre, ou mme conna”tre, ce mouvement, il ne le conna”t pas, il ne le sait pas, il n'a pas le temps, sinon le temps d'une corde tendue, peut-tre le temps, peut-tre la tension, peut-tre est-il le point de tension entre l'arc et la flche

 

en effet, un miroir reflte un oeil, mais il est faux de dire qu'un oeil reflte un miroir, mme si on devine parfois ˆ la surface brillante de l'iris un certain miroitement des choses que l'oeil voit, cette mme surface ne pourra reflŽter un miroir, sinon en reflŽtant le reflet de l'oeil dans le miroir que le miroir reflte dŽjˆ, en l'occurrence

 

 

nous, au contraire, ce n'est pas la peine, non, pas cette fois, pas maintenant, pas comme a, pas aujourd'hui, non, pas avant, ni demain, ni quand, ni comment, au contraire, pour eux tout est possible

 

un jour comme les autres, c'est comme a que je le vois, ce jour, bien calŽ entre deux autres jours, comme tous les jours qui se suivent, comme cela, celui-ci parmi la monotone rŽpŽtition de ceux-lˆ, la sŽrie rŽgulire de tous, c'est comme a que je le vois, comme tous les autres, ˆ force d'tre les mmes, ils le sont, ˆ force de le voir, comme cela, ce jour-ci est ˆ nul autre pareil

 

toujours dans l'espace un coeur invisible, en tout espace, il y a cela, non pas un espace, encore un, pas un autre espace, une sorte d'espace dans l'espace, logŽ dedans l'autre, le premier, celui  de toujours, Žtendu, vaste ou clos, proche, ou lointain, il n'y en a pas de semblable ˆ l'intŽrieur, pas d'autre comme le premier dans le second, le second, invisible, qu'on baptise vite fait, vite dit, coeur, qui lui est bien dedans, ˆ l'intŽrieur de l'espace premier, comme de tout espace, coeur sans tre lui-mme un espace, invisible, mais bien palpable celui-lˆ, car un espace, tout espace, est visible, l'espace ne peut tre touchŽ, seul le coeur peut tre touchŽ

 

sans doute, Dieu nÕest pas cercle, ni point, mais le compas, dit-il encore

 

 

 

ceci, vous le savez, est tout ˆ fait conforme ˆ ce qui s'est produit dans les autres sciences, au cours de leur histoire, dans leurs mŽthodes, dans leurs rŽsultats, dans les discours d'hier et d'aujourd'hui qui ont dŽclarŽ les rŽsultats, qui les dŽclarent encore, dans l'espace articulŽ des discours qui rend transmissibles les rŽsultats (il mne, rythme ou produit les rŽsultats, selon le discours appropriŽ) si bien que les discours qui tiennent bien la distance de la communication entre plusieurs parties s'exposent dans un langage intelligible o ce qui de la science Žtait, ou est encore, en fin de parcours, le moins articulŽ, ou le moins transmissible devient intelligible et mme clair, toujours peut-tre gr‰ce ˆ l'effet de traduction que donnent les discours, des dŽclarations en bonne et due forme et qui, sommes toutes, nous le savons, s'avrent assez peu conformes ˆ ce qui s'est rŽellement passŽ

 

dŽduction, dŽduction logique, dŽduction logique ˆ partir de – induction, induction ˆ partir de - a tourne et retourne sans fonctionner trs bien, dans un esprit dÕascenseur, qui monte, et qui descend, de haut en bas et de bas en haut, collines russes ou grand huit, cÕest comme cela quÕon les nommaient lorsque nous Žtions petits, petits gravisseurs de pentes vers les grands, gravisseurs de ciel escarpŽ, tandis que les grands dŽvalaient vers les petits, dŽduisant et concluant, ˆ la h‰te, ˆ partir de la prŽmisse du temps, majeure sÕil en fut

 

on descend de cette colline comme on descend d'un zbre, en suivant les rayures qui en sillonnent le flanc - le problme de savoir quel ordre il faut introduire pour que le descendant retrouve son chemin, ce problme demeure, et il demeurera tant qu'un tel ordre des routes ˆ suivre, des points ˆ rallier n'aura pas ŽtŽ prŽcisŽ, tant qu'une carte bien prŽcise de tout le vallon n'aura pas ŽtŽ dressŽe ou, plus prosa•quement, tant que le descendant n'aura pas rencontrŽ d'ascendant sur le chemin du retour, ce chemin qui se ramifie en de multiples pistes aux issues contradictoires, tant quÕil nÕaura pas croisŽ dÕascendant sur le retour, tant que carte n'aura pas scrupuleusement relevŽ les dŽtours et les impasses du vallon d'abord, de la colline ensuite, avec ses rondeurs et ses escarpements, ses buttes et ses trous, ses trous d'eau, surtout, et ses crevasses ensuite, ses plissements jeunes et secs de la roche au creux desquels se tordent les pieds et les chevilles ascendants, et plus souvent encore les chevilles et les pieds descendants, de ceux qui descendent prŽcipitamment la colline, et a fortiori de ceux qui dŽvalent la pente difficile parce qu'ils croient avoir vu distinctement du sommet le chemin unique qui les ramne chez eux

 

 

 

voilˆ exactement les trois registres distinguŽs, ces trois classes dans lesquelles ranger ce qui nous a prŽoccupŽ durant de si longues sŽances, les trois catŽgories sous lesquelles on saura classer l'ensemble des phŽnomnes dont nous avons si longuement parlŽ, dŽbattu, ˆ propos desquels nous nous sommes contredits, disputŽs, battus quelquefois, oui battus, giflŽs, cognŽs ˆ poings fermŽs, luttant ˆ poings fermŽs, s'Žtripant profondŽment, de nos oppositions les plus profondes, nous avons ŽchangŽ nos coups portŽs profondŽment dans nos estomacs, nos reins, nos joues Žcarlates, nos coups sans retenue contre les os, le maxillaire, et

sans doute, Dieu nÕest pas cercle, ni point, mais le compas, rŽpŽtait-il

 

 

 

sans rien vouloir transmettre puisque, incluant tout devant et derrire, ˆ c™tŽ, au-dessus et en dessous, l'espace mme qui est le v™tre est d'abord le mien qui s'Žtoile depuis la parole d'o moi-mme je procde - il est dŽsormais tout ˆ fait clair que les phŽnomnes d'hallucination verbale ne procdent de rien, cela est trs clair, limpide,

sans tache mme, sans l'ombre d'une contradiction possible, sans appel, sans discours donc, sans attendu qu'on la dŽshabille, cette folle, cette prison qui libre, sans espoir qu'on le circonscrive ou qu'on le barre, aujourd'hui comme demain, ce flot, ce flux, cette effraction, je le sais, je le connais, que rien ne saurait arrter, mais ne pouvant le dire, enfin ne pouvant que tout juste le dire sans le commenter, sans l'expliquer ni en soumettre le travail ˆ la lŽgale inscription du discours, en bonne et due forme, une fois pour toutes, ou ne serait-ce qu'une seule fois, une seule, mais cela ne se peut, vu que je ne peux pas mme le dire, sinon peut-tre encore exhiber quelque chose, une serpillire usŽe, dŽchirŽe, encore trempŽe et sale, dŽgouttant doucement les secondes successives du temps prŽsent

 

c'est seulement la moitiŽ de cette cause, si seulement c'en Žtait une, et une seule, mais c'est faux, mais ne le sachant, et c'est tout ˆ fait sa caractŽristique de ne pas tre vue, de ne pouvoir tre connue, je ne peux reconna”tre d'elle qu'une moitiŽ, c'est-ˆ-dire son effet

 

lÕintangible, caractŽrisant ce quÕon ne doit ou ne peut toucher, et cela pour plusieurs raisons, nÕest pas le mot le mieux entendu dans notre tte dÕanimal linguistique, au point que ce qui paraisse dÕabord soustrait ˆ la main et sous lÕempire du regard dŽsirant puisse tre Ç pris È ou Ç touchŽ È, ce qui nÕest pas sans inconvŽnient, ce qui nÕest pas sans surprise non plus, puisque la soustraction rŽelle imprime une adhŽsion dans la langue, o tout ce qui est bien nommŽ nous est pour ainsi dire tangible

 

ces dernires sŽances, nous lÕavons vu, la chose que nous nommions premirement Ç chose È nՎtait pas la chose dont nous prŽtendions parler, et davantage, le mot Ç chose È Žtant si diffŽrent et ŽloignŽ de la chose que lÕon voit ou que lÕon touche, ce mot-lˆ nÕaurait quՈ imiter ou se rendre ˆ lÕinertie finie du discours, quant ˆ la Ç chose È bien matŽrielle, bien lˆ, dehors, sous nos yeux et nos mains, de sorte que la sŽparation introduite doive nous rappeler lÕextraordinaire errance de lÕhumain, lors de notre premire sŽance

 

lÕinŽgalitŽ, alors que je marchais, que je devrais plut™t qualifier dÕirrŽgularitŽ de mes pas dans lÕordre du temps, cՎtait quelque chose, ah oui, lÕinŽgalitŽ principe de tout ce qui est inŽgal selon les rapports enregistrŽs quÕont toutes les choses entre elles, cÕest quelque chose, ah oui, lÕinŽgalitŽ au cÏur dÕun monde rŽglŽ quÕon dit dŽmocratique selon lÕexpression singulire en tant quÕelle devient un tout quantitatif, mais aussi trs expressif et trs moderne en quoi se dissout lÕexpression singulire et se rŽsout bŽnŽfiquement sa Ç conscience individuelle È, incomparable, et dans lÕincomparable, nŽcessairement inŽpuisablement inŽgale

 

lÕincomparable, donc cela mme quÕon ne peut comparer ˆ tout autre Ç cela È ou Ç ceci È (et tout ce quÕon dŽsigne en langage comme telle ou telle chose), et donc de cela mme ˆ lÕintŽrieur du ceci-lˆ quÕon dŽsigne du bout du doigt, index pointŽ, et pour lequel il y a un ceci dÕincomparable, comme un poison irrŽmissible, comme une viande quÕune ‰me ne fait pas saigner, un poison donc, voilˆ ce qui loge au fond du Ç ceci È, de telle ou telle chose, au fond de lÕincomparable promis ˆ toute chose, et donc, ˆ toutes les choses comparables entre elles et depuis le point qui les compare toutes entre elles

inŽgal et incomparable : qualitŽs de celui qui est

 

et voici que compara”t cette chose dont je ne voulais parler auparavant, la voici, elle vient, je vous le dis, cette chose, ou ce quÕil convient dÕappeler souvenir, ou image, ou moi-mme, je la dis, je suis en train de vous la dire (elle est tellement rŽtive), mon langage nÕest pas clair, non, il nÕest pas clarifiŽ, apurŽ, mais il dit ce quÕil dit, sans cesse, sŽance tenante, pour ainsi direÉ quÕelle compara”t, quÕelle para”t, voilˆ ce quÕil dit, voilˆ ce que je dis en lui, par lui, pour lui, pour ce langage qui se dŽrobe comme moi ˆ la chose quÕil parle

 

sans doute, Dieu nÕest pas cercle, ni point, mais le compas, dit-il encore

 

 

 

Ç rŽvŽlation È, voilˆ un mot important qui a ses chances, et ses issues piteuses, un tel mot que mme arc ou dŽtente en mon esprit ne savent caractŽriser, un mot fort (de la famille de mots que je nomme les Ç mots forts È)

 

sous la surface, des cordons et des liens, et cÕest absolument dans son droit, si, jusquՈ la mme Žpoque, habituellement au printemps, si jusque lˆ il prŽtend quÕune espce crŽŽe par lui a vu le jour, bien que mis en garde contre sa rŽputation dangereuse, la Ç thŽorie È battait son plein, bien que lÕauditoire fžt prŽvenu, on dut reconna”tre, comme ˆ chaque printemps, le discours sans queue ni tte sur la nouvelle espce crŽŽe, o, quand et comment elle fut crŽŽe, et par qui, eh bien par lui, bien entendu, par celui-lˆ mme qui tenait discours, et encore, quand il nous Žpargnait les cordons et les liens, sous la surface cutanŽe, les cordons et les liens, tout le monde ne sÕen portait que mieux,

 

et cette phrase dans ma tte, cette phrase qui ne veut pas sÕarrter, sÕarrter de

 

contenant mal son rire, Žtait-ce parce que la mer, agitŽe, les effets glaants, lÕombre dÕun son, lՎcume fugitive dÕune pierre, dÕun poisson, elle se retenait, derrire des cheveux roux comme automne, et ses yeux insolents, imbrisables

 

sur les phŽnomnes visuels il Žtait intarissable et les commentaires ne se faisaient pas attendre, recouvrant lÕinutile par lÕinutile, mais au moins au service gratuit des musiques – une voix en commente une autre, puis se fait oublier, et ˆ ce propos, peut-on me dire qui parla en premier

 

aprs un Ç entrez È un peu sec, ˆ quel point les dits du funambule savant, je les fis miens, je ne saurais le dire, ˆ quel point jՎtais devenu la danse de corde du savant funambule, je mՎtais identifiŽ au flot presque ininterrompu de sa logorrhŽe sans but, de son dŽbit ˆ perte de paroles plus ou moins doctes, ou ineptes, ou pŽnŽtrantes

et sans le savoir, je me mis ˆ raconter lÕhistoire de ma dŽception, aidant ˆ lÕamoncellement fade de mots (fade comme lÕest toute littŽrature – comment les Žcrivains Žtaient-ils parvenus ˆ faire de lÕennui un plaisir ? toute la littŽrature est une Žcole de lÕennui)

et sans le savoir – est-ce lui qui parle ou bien moi ? je mÕennuyais ˆ en mourir et trouvai du plaisir, ˆ quel point cette voix, cette voix - je fermai la porte

 

je ne vous offre que votre propre prŽsent – quÕest-ce quÕil mÕarrive ? cՎtait le v™tre, je lÕai fait mien, au moins le dŽpositaire, comme au Mont de PiŽtŽ, mais au plus le propriŽtaire, non, surtout pas le possesseur, puisque vous laiss‰tes ce que je vous offre maintenant en gage de ce que je puisse prŽcisŽment vous le redonner, et le moment est venu, cÕest maintenant, ˆ prŽsent que je vous lÕoffre, alors quÕen vŽritŽ, je vous le rends – oui, cÕest tout simplement cela, je vous rends ce que vous mÕaviez offert, en gage (prtŽ, devrais-je dire) de lÕhonntetŽ que jÕaurais de vous rendre tout, Ç voilˆ, cÕest fait, cÕest ˆ vous È

bien, nous sommes quittes

 

honorables hommes de bien immaculŽs, jÕai le dŽtail de ta note de restaurant, pouvez-vous imaginer portrait plus aimable, fidle et aimable, tre quitte, se donner quitus, sans enfler ni dŽsenfler un pouce de fard du portrait que lÕon dresse, sans dŽnaturer, sans ajouter ni retrancher un centime du montant Žtabli, sans omettre de virgule, sans rien trahir des chairs hypoplasiques, ou hyperplasiques, cÕest selon les dimanches et ce quÕon y a pris au repas de midi, lÕinflation serait par excellence un phŽnomne de masse tendant toujours ˆ accro”tre sa propre dŽtermination de masse, tandis que la dŽflation abaisse tout jusquՈ la parcimonie et la petite monnaie, la pŽnurie et lÕanonymat, qui sont lÕhonneur des hommes de bien immaculŽs

 

moi-mme, dans le temps, je ha•ssais le dimanche, je le redoutais, jÕai le souvenir dÕune chanson, o lÕon chante que lÕon redoute, du moins on fait semblant et on le fait sentir, deviner – nous sommes devenus presque insensibles ˆ ce dimanche, et mme ˆ cette haine du dimanche – cÕest au magasin des souvenirs paroissiaux quÕil est rangŽ, maintenant, ce dimanche

 

un matin, elle descend chercher lÕeau ˆ la rivire, et elle tombe sur son frre que tout le monde croyait mort depuis des annŽes, voilˆ le genre dÕun dŽbut dÕhistoire, ˆ quoi on devait donner suite

comme un essaim sÕagrge dÕautres essaims, les masses ne sÕentrechoquent pas mais se concatnent, nos rŽcits improvisŽs progressent pour quÕon sÕy perde, et cela fonctionne bien

 

quÕest-ce quÕun portrait ? quÕest-ce que cÕest, me demandais-je, tandis que je voyais, dans un miroir peut-tre, ce ˆ quoi je ressemblais, tel un miroir, moi-mme, sans savoir, sans dŽlibŽrŽment voir, mais jÕavais devant moi ce portrait, ce visage que jՎtais, et non un autre, mais seulement ce que je ne voulais pas voir, mais il y avait bien en lui une forme inflexible, la mienne, mon visage, non, pas lui, mais un visage que je reconnus comme mien, jÕavais peur de cette part intacte, elle Žtait lˆ, jÕen avais peur, jÕen ai toujours peur, et elle nÕest plus, cette part intacte, toujours vive, elle est bien lˆ, jÕen ai bien peur, et toujours prŽsente, en un sens, je veux dire ceci de prŽcis : elle ne me fait plus peur, je peux la toucher, je la vois, mme, ˆ distance, comme ce quÕil y a de plus prŽcieux (comme on dit dÕun dernier lien quÕil est prŽcieux), et je le dŽtruis sans bruit, comme tout ce qui mÕest le plus cher, sans peur et ne laissant rien dÕintact

 

il y a une perception, par laquelle je vois le monde, et ce monde nÕest pas le v™tre, ni le mien, ni le tien, le monde, tiens, on dirait quÕil parle, non, quÕil hurle, et je lÕentends, bien Žvidemment, il existe dans ce regard instantanŽ, et voilˆ quÕil nÕest plus, ds lors quÕon se dŽtourne, il a hurlŽ, et le regard ds quÕil se dŽtourne, vague et se perd, ds lors que le regard une fois posŽ glisse sur la bte au dos arquŽ, lˆ, juste devant mes yeux, non, pas les miens, ds lors que ce regard tourne, pour ainsi dire, tourne autour du monde pour en oublier les choses, et notamment cette bte au dos arquŽ, les deux pieds dans le sable froid, cette masse sombre aux mouvements lents, qui ˆ lÕinstant Žtait encore le fruit donnŽ ˆ ma vision, qui ˆ prŽsent nÕest dŽjˆ plus quÕun souvenir imprŽcis, sans poids, sans existence, et mme pas de souvenir bien ˆ soi, de la mŽmoire mienne, celle qui produit le ciment mensonger o on a coulŽ ce que nous sommes

 

on pourrait concevoir quÕil ežt poursuivi, dans le sens de la riposte, en bonne et due forme, aussi rŽsolu que possible

 

et le fond de la pŽnurie Žtait abondance, il poursuivait, il poursuivait

 

sÕil dŽfouraille, la dette conjugale des Žpoux est contractŽe en vue de rapports sexuels dans ce cadre, au reste, les juges imposent un divorce aux torts exclusifs du conjoint, en cas de dŽfaillance,

 

il faudrait repoinonner lՉme des jeunes filles, rŽpŽta-t-il, par quoi il entreprit de dresser la table des prŽceptes de lՎducation sexuelle, mais lÕoreille nÕa pas rŽclamŽ un prolongement inhabituel de la longue ni un silence dans la reprise de ce mtre

et pourtant, une brve avait allongŽ la mesure

il faudrait repoinonner lՉme des jeunes filles, est-ce dodŽca ? le nombre de pieds y est, pierre, cÕest une chose, mais les accents sՎparpillent, cÕest une chose, mais le silence lÕappui sur une lettre invisible ? un son qui retarde ou bien qui prŽcipite ? quel est le sens de ce dŽpart ? de ce recommencement ? de ce de ce repart, de cette pointe hardie ? qui est pierre ?

 

les enfants futurs, simplement espŽrŽs, sont aptes ˆ recueillir des droits, et lÕenfant conu est tenu pour nŽ toutes les fois quÕil y va de son avantage (Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejur agitur, dit la maxime), aux articles 725, 906 du code civil, et il y a sžrement un Žquivalent dans lÕun des sept traitŽs de lÕordre Nashim de la Mishna, ou encore en VayŽchev des Žpoux, commentant la Gense, bien quÕune telle image jouŽe ˆ lÕextrme, et pour ainsi dire surjouŽe ne convienne pas ˆ une labilitŽ des statuts et des noms interprŽtŽe, mais non interprŽtante, dans le Talmud

 

pre, mre... sont les noms de maladies non encore rŽpertoriŽes, puisque ces noms participent des facultŽs mmes de rŽpertorier, de corriger ou de classer, comme si na”tre de noms, et non de corps, sous une tutelle encore bien autre, peut-tre, cela n'arrangeait rien, mais rien du tout, comme si on parlait toujours de noms lorsqu'on croyait parler de corps, si bien que du corps on ne puisse dŽterminer aucune maladie, mais seulement des noms qui nous servent de corps

 

la dŽception devant un monde de tra”trise et de mensonge conduit inexorablement ˆ lÕisolement, comme dans le jeu des rois, o on finit enfermŽ dans sa place si on nÕa pas su imiter la ruse de lÕadversaire – le docteur Thorpe nÕimita que le mauvais aliment niŽ que tous avaient recrachŽ, de lˆ on pouvait sans doute conclure quÕil arborait le masque de la folie

 

sans doute, Dieu nÕest pas cercle, ni point, mais le compas, disait-il encore

 

 

 

attachŽe, essayant de faire semblant, de para”tre selon le vÏu, le vÏu ou lÕimage que lÕon veut, tre attachŽe, image qui compla”t ˆ lÕauteur, auteur de lÕattachement, de la prise contraignante des nÏuds et des fils, dans le secret dÕun Žcheveau trs tendu, dÕune tension sŽvre de lÕensemble, selon lÕauteur, et tendant ˆ lÕextrme au vÏu et au moment rŽel dՐtre dŽtachŽe -

attachŽe, dŽtachŽe, lÕimage, selon la tendance de lÕauteur, fil rouge, selon lÕauteur, cÕest ainsi quÕil la nomme

 

engagŽes nuitamment dans le blanc, les dents dŽrapent et laissent un estafilade au lieu des morsures, leur prise nՎtait pas assurŽe, leur proie nÕavait pas tout ˆ fait capitulŽ, et les dents qui commenaient ˆ mordre en vue de broyer le bras blanc Žclatant de la jeune fille se virent dŽrober la tendre clartŽ, ne laissant quÕun sang sauf perler sur son fil, couler au fil ourlŽ dÕune coupure, le jour se lvera encore une fois au moins pour la jeune fille sauve, pour sa chair sauve et ses prŽcieux tracŽs, sa chair qui reut un poinon au lieu dՐtre aimŽe

 

quant ˆ moi, je mՎtais jusquՈ prŽsent refusŽ toute condescendance, et pas plus de complaisance, au demeurant, il faut bien vous lÕavouer, et si bien que jՎcoutais patiemment, sans arrire-pensŽes, je buvais ses paroles, comme on peut le dire, et elles tombaient en arrire de mon cr‰ne, jÕavoue quÕelles me faisaient un effet de tronc cŽrŽbral, ces paroles, ces mots, ces flots, en somme, un effet de rachis, cÕest amusant, elles sՎcoulaient lentement, assidžment, jÕen devenais mou, je dŽglutissais, ˆ chaque gorgŽe, absorbŽ par ce que jÕabsorbais, et sans y penser, sans prter attention ˆ ma propre attention, je ne vis pas dÕabord que jÕavalais comme on vomit, et que tout ressortait sit™t entrŽ, et quÕun mŽpris amusŽ, une politesse et une convenance menteuses mÕavaient envahi – la voilˆ blessŽe, h™tesse Žgalement, la porte sŽvrement fermŽe ne me donne aucune chance de sortie, on mÕa dŽmasquŽ, et dÕun seul coup dÕÏil, apparemment cՎtait facile

 

ah oui, jÕavais oubliŽ, en procŽdant par lignes et Žcheveaux de lignes, je devais oublier mme ce procs, oui, et que je me transformais moi-mme en mots, sentences rŽpŽtitives, pour finir en paysage sans perturbation, et jÕavais oubliŽ que le procs ne devait ˆ lÕorigine quՈ un instinct de survie, si lÕon peut dire, bien sombre instinct, que les transformations dÕune conscience labile nÕavaient pour fin que la prŽservation de ma vie, pas ˆ pas, la continuation de proche en proche de ce que je me devais de prŽserver, pensai-je, enfin au moins ce que je ne pouvais prŽcisŽment pas oublier, cela mme qui continuait ˆ conjuguer au prŽsent le verbe vivre, avec si peu de ce qui prŽcde et encore moins de ce qui doit suivre, comme ˆ la pointe de saphir sur le sillon dÕun disque phonographique

la rŽpŽtition les changeait en proverbes usŽs, la conversation, de paysage parlŽ, passa ˆ la sarabande convenue de la rumeur et du sens commun

 

je me survis quand jÕoublie, nŽcessaire reparlade rŽpŽtitive – la rŽserve dÕinconnu affermit ma foi

 

mais finir sans inventaire, mourir, sans testament ˆ ouvrir, cÕest bien f‰cheux, oui, inventaire pour liquidation, cÕest ce qui aurait dž tre fait, mais le cÏur nÕy est plus, quand se prononce la mort h‰tive, on ne trouve plus personne pour entendre lÕaurore dŽsombrŽe se levant sur nul paysage

 

mais dire kaddish, si encore quelquÕun le peut, kaddish de soi non encore mort,

kaddish de la brisure des vases,

kaddish du deuil inexorable

 

au moins le givre contre la fentre glace

les chambres dedans, elles, moisissent

dans la prŽcipitation ta peur est vide

et tous les ennemis sont morts

juif et sonore, allŽ chanter

ta voix dÕenfant berce les morts

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[...

 

 

 

 

Olivier Capparos

 

 

 

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