CHANT
de CETACE
Le
Lviathan solitaire
se
lamente au fond des mers.
Il
ne trouve rconfort
l'ide que son corps,
par
Dieu fut,
par
Dieu fut model
et
immobilis
et
moqu
pour
faire de lui
un
exemplum
lui
donnant des membres si beaux
pour
se dbattre au fond des eaux.
Le
Lviathan se sent las,
las
de la grandiose musique
des
cloches et des gongs et des orgues
sans
cesse ses trousses
la moindre secousse ou saccade
sonnant
et
rsonnant,
las
de ces bleus
bleus-noirs
et noirs
des
profondeurs que Dieu lui offrit
comme
terrain de terreur
Le
Lviathan est fatigu
de
son travail.
Il
prfrerait
ne
plus avaler de prophtes
ni
mme
porter
ou rompre des continents
sur
son dos.
Il
est fatigu
de
signifier
une
puissance et une gloire
qui
ne sont pas les siennes
trangres
ses gammes
et
pouvoir faire comme il l'entend.
Le
Lviathan se prend penser
qu'il
va perdre beaucoup de poids
et
s'offrir la plage,
se
hissant seul la verticale
sur
la terre ferme.
Il
se prend penser partir
en
vacances,
incognito,
et
pour ce faire
sur
le plancher sombre de la mer
il
s'applique des postures debout
et
corste ses penchants de chanteur.
O
toute
chose fait son effet quoique certaines
sommeillent
(les choses
pas
les effets).
Toutefois
mme
somnolentes
elles
se composent un support
o
le ciel est blanc
et
les nuages bleus :
o
la lumire glisse arienne et silencieuse mais
lorsqu'elle
frle l'horizon
fait
un bruit,
un
grondement de dalles d'ardoise dgringolant de trs haut
de
trs loin
comme
si tous les animaux bruns de la fort
portaient
des cloches.
o
toute chose dpend des suppositions mtorologiques
sur
les possibles variations de l'air-
oui
c'est
cela-
quand
le vent s'accouple la poussire
(ce
bon vieil amusement)
attendant
que quelque chose d'humide vienne,
librant
une foule de feuilles de fougres et de rouge-gorges
tel
le bruit sec d'un ventail qui s'ouvre
laissant
chapper un billet doux.
ah
oui
n'y a-t-il
pas toutes les preuves que les anges
ou
les ours
passent
du bon temps dans les parages :
regardez,
les
confettis et les serpentins et les verres poisseux
et
les meubles,
tout
est dplac !
TOURISTES
Les
fantmes dans les nuages battent le beurre
et
font du fromage
ils
chantent dans leur trange dialecte
des
chansons dont les vaches se dlectent.
S'ils
ne le faisaient pas
o
trouverions-nous la force
de
tenir le coup
de
continuer ?
Ils
portent les costumes traditionnels
de
leurs corps de mtiers et de leurs rgions
ils
vont au march lorsqu'il fait beau.
Mme
fantmes leurs joues
sont
roses
et
leurs yeux bleus.
Ils
nous encouragent
prendre des photos
et ils sont trop polis
pour
montrer du doigt ou chuchoter
aux
ombres que nous projetons.
Ah,
comme
nous brlons d'envie d'aller avec eux
partager
le simple repas du soir
et
les histoires vides de la journe
et
alors, sans doute, passer la nuit
curieusement
veills tandis qu'ils sommeillent
car
tandis qu'ils sommeillent
ils
disparaissent la vue,
leur
maisonnette se dissout,
et
ils nous laissent seuls
couter le ronflement des toiles.
Un
jour certainement nous reviendrons,
nous
viendrons pour rester,
comptant
sur leur douceur naturelle
et
le taux de change avantageux.
Nous
louerons un petit coin et l'arrangerons
et
nous aurons du beurre bon march
et
du fromage pour le djeuner
et
le soir nous irons faire un tour au pub
nous
entraner disparatre dans la nuit.
NARCISSE
d'AUTOMNE
i
La
pluie tardive d'automne cogne les glands.
Leur
chute est longue
Car
les grands chnes sont hauts.
Lorsqu'ils
touchent les branches terre,
Les
bidons d'eau abandonns, les auvents en fer-blanc,
Les
vrandas voisines, ils font des sons secs forts
Sonnants,
hauteurs varies :
Une
rcitation (en chinois)
D'un
pome appris puis oubli
Lorsque
tu avais neuf ou dix ans.
Ah,
tu te laisseras aller facilement ici
Je
peux te le dire. Ensuite
La
lune sera convoque ;
Qui
la nuit passe runit les toiles
Ce
soir dans des jupes brillantes
Fait
salon scintillant au-dessus des nuages
Au
milieu d'une musique lunaire
Il
y aura des conversations sur de lumineuses pertes,
Et
un son tranard au-dessous des clats de voix
Comme
du sang ou des jeux de cartes.
iii
Tu
sais, ces chocs et clats
De
coupes et soucoupes clestes
Certains
peuvent les considrer comme une sorte d'
Echec
moral.
Sans
doute une insistance vhmente que le son
Entendu
est un son de pluie et de chiens,
Pluie
battante et chiens hurlants,
Seulement pluie et
chiens hurlants
serait
un dicton plus pur
ou
du moins semble l'tre.
iv
C'est
alors que le son de ta propre voix,
Ton
haleine et ta respiration,
Se
mlangent la musique automnale
Donnant
un rythme que la pluie et les chiens
N'ont
pas, alors qu'ils se transportent alentours.
Et
c'est pourquoi l'impression vient
L'impression
si facile,
Que
la jaune concubine de la nuit apparat
Et
emplit ta bouche de baisers,
Ta
gorge de glands et de pluie.
v
O
quel amas de folles strophes
Chacune
avec sa maladroite gamme de doigts
Rvlant
la carte dj oublie :
aux
bords corns, la face
crote
de terre.
Ressemblant
l'as de pique,
qui
pourrait tre un gland ou le bulbe
D'un
Narcisse enterr sous un tas de feuilles
Tandis
que tu es distrait par le blabla
D'une
veule magicienne, la pluie d'automne.
vi
Demande
aux chnes aux branches d'or
S'ils
concderaient un membre
Pour
clairer le chemin de sortie de cette fort,
Pour
te librer de ces manÏuvres striles
De
simple circulation et de regard absorb
Et
t'amener l o les chiffres nus
S'lvent
au-dessus de leur propres effets
Dans
le bois ambre sombre napp de pluie,
Silencieusement
se tenant dans le silence tandis que
Echo
se rassemble et se dissout.
BLAKE LELAND
traduit de l'amricain par Rachel Bernard