La bo”te de nylon

 

Acte I

 

 

LĠenfant

LĠhomme

LĠŽpouse

Le jeune homme

La petite fille

 

 

Un homme et son enfant dans une grande pice trs lumineuse de sorte que chacun peine ˆ regarder lĠautre dans les yeux sans les froncer. LĠenfant doit avoir 17 ans et lĠhomme 50. Ils se ressemblent. Dans la pice une cage en nylon, trs grande, comme pour des oiseaux gŽants, des ptŽrodactyles.

 

LĠhomme

Ç Et bien quĠattends-tu, que fais-tu, cĠest lĠheure ! CĠest lĠheure dŽjˆ qui a creusŽ pour moi la terre. La terre a ŽtŽ dŽlogŽe pour quĠen elle je sois bien.

 

LĠenfant

Que tu sois bien ? Mais sais-tu ce quĠ Ç tre mort È veut dire ? TĠa t-on chuchotŽ dans lĠoreille la vŽritŽ toute crue, celle qui effraie les enfants et moi aussi, celle qui a des dents en pointe et une queue immense ?

 

LĠhomme

Je serai bien. Je suis prŽparŽ. JĠai vu ce quĠil y avait ˆ voir, les contrŽes, les rivires, les montagnes. JĠai vu des hommes mourir, des enfants qui luttaient comme des grands, des enfants comme toi aussi qui refusent de vieillir et attendent la fin du jour pour compter jusquĠˆ trois et sĠendormir comme si demain cĠŽtait aujourdĠhui le mme air, le mme rien, le mme bien.

LĠenfant

Si tu le voulais je te prterai un morceau de mon rien et chaque jour te semblerait si court que tu voudrais en vivre un millier encore.

 

LĠhomme

Et toi sais-tu ce que la vieillesse cache en son sein ? La faiblesse, la peur. Etre vieux cĠest tre estropiŽ. JĠaurais lĠair fin, ne crois-tu pas, une patte en moins ?

Le pre mime un pantin ˆ croche pied. Il se tient sur une jambe. Il sourit grand.$

 

LĠenfant

Tu ne jouais jamais au pitre avant. Pourquoi avoir tant attendu ?

 

LĠhomme

Je ne sais.

 

LĠenfant

Moi je sais ce que cĠest que vieillir, mes dents de lait me manquent. Je voudrais un jour par hasard les rencontrer. Il y aurait du soleil. Avec la lumire blanche, elles se confondraient. Confusion de lait, la lumire amoureuse de mes dents de lait. JĠen sais bien plus que tu nĠen devines. Je sais aussi que lĠon nĠen revient pas, pas mme pour No‘l. Mais No‘l a tĠest bien Žgal, tu ne revenais plus jamais. Tous les quatre autour du sapin et quelque part la figure de ma mre, ŽgarŽe. Quelque chose ne tournait plus rond, dŽjˆ. Pourquoi nĠes-tu pas lˆ ? Tous le pensaient mais les bouches encloses, comme dehors il faisait froid, ne sĠouvrirent point pour dŽnoncer ton absence. Tu nĠŽtais pas lˆ. CĠest bien ce que tu voulais, nĠest-ce pas ? Pouvoir tĠŽvaporer comme une bulle de soda.

 

LĠhomme

Tu pourrais me mesurer au champagne ! Tous les tres pŽtillants se lassent vite. On aime, on aime plus. Il me faudrait un harem pour toutes mes femmes : les yeux ronds pour lĠŽtŽ, les hanches larges pour lĠhiver. Lorsque lĠune viendrait ˆ me lasser, je la mettrai quelque part dans un coin jusquĠˆ ce quĠelle retrouve gr‰ce ˆ mes yeux. Ce nĠest pas comme abandonner, cĠest comme attendre la promesse dĠune Žclosion au clair de lune. La lune peut beaucoup.

 

LĠenfant

La lune. Tu ne devrais pas te moquer ainsi. Tes enfants ne sont pas comme tes femmes. Si tu claques des doigts sur une bulle elle Žclate mais si tu essaies sur ma joue. Sur ma joue, lĠempreinte rose de lĠabsence. Avec le temps, elle sĠŽtend et se creuse et dans les plis lĠattente.

 

LĠhomme

Apporte-moi quelque chose de mousseux, jĠai soif.

Silence appuyŽ

 

 

LĠenfant

Toujours aussi impŽrieux. Comment feras-tu lˆ bas ? Point dĠŽchos ˆ tes ordres. Point de sujets pour satisfaire tes envies. Tu seras pris au dŽpourvu. Cette idŽe mĠeffraie un peu et ta sŽrŽnitŽ me stupŽfait.

 

LĠhomme frotte le fond de la cage dĠun ballai. Il Žcoute son enfant en souriant. Il frotte doucement comme pour ne pas prŽcipiter la fin.

 

LĠhomme

CĠest bien comme tu dis. Je risque dĠtre un peu perdu au dŽbut sans boussole et puis sais-tu que les tres sont plastiques et quĠˆ la fin ils parviennent ˆ trouver la lumire. La mme quĠici. La mme lumire qui dit oui ou non, qui oriente le regard sur tel objet plut™t que tel autre, qui illumine lĠun plut™t que lĠautre. Vois comme tu scintilles. Et moi dans ma cage tout ˆ lĠombre, je te regarde et des larmes viennent se poser sous mes yeux pour te dire que rien, jamais nĠest plus prŽcieux quĠun enfant. Puisque cĠest lĠheure, dis-toi que tout est bien. JĠai plus de souvenirs que toi. Longtemps je tĠai aperue mais toi tu n me percevais pas encore. Tu ne parlais ni ne marchais et un matin lorsque ŽveillŽ plus t™t, cĠŽtait lĠŽtŽ, je vins vers toi, Žtendue comme la page paisible dĠun livre quĠon vient ˆ peine dĠouvrir, jĠai cru que nĠŽtait apparue jamais aussi belle image. Et souvent aprs encore et encore, je fus surpris de dŽcouvrir que lĠimage Žtait plus belle encore, ˆ chaque fois. Tu es nŽe plusieurs fois dans ma mŽmoire. Et dans la tienne, jĠespre que je ne mourrai quĠune seule fois.

 

LĠenfant

Si ma mŽmoire est encore petite, jĠai lˆ tout prs un grand sac. Je voulais attendre un peu et vider le sac ˆ lĠintŽrieur. JĠai volŽ les souvenirs des autres. Je suis en train de les classer. Il y a les bons et il y a les autres. Tu sais quĠil y en a plein des souvenirs douloureux. Tu le sais, nĠest-ce pas ? JĠai pensŽ que cĠŽtait ta faute. Ce nĠest pas si grave dĠaimer parfois. CĠest inutile de le cacher, de feindre que ce nĠest pas vrai, de dissimuler lĠaffection. Tu confectionnes des masques. Toujours. Si nous Žtions si prŽcieux pourquoi si peu de souvenirs de tes doigts se promenant dans mes oreilles. Ils faisaient le tour. Ils sĠy trouvaient bien.

 

LĠhomme

Il y a beaucoup dĠenfants plus malheureux que toi. NĠai-je pas veillŽ toujours ˆ ce que tu nĠaies pas faim, ni froid ? JĠai veillŽ ˆ ce que tu ne tombes pas malade, ne sois jamais seule. CĠest difficile de veiller sur dĠautres que soi. Etre pre ce nĠest pas mathŽmatique. CĠest plut™t chimique. Certaines solutions rŽagissent, dĠautres non. Je crois que jĠai bien fait de mon mieux. Demande-leur si ce nĠest pas vrai. JĠai fait mon devoir envers toi et mes infidŽlitŽs nĠont rien ˆ voir. Il y a une chimie des corps aussi. Certains composants sĠaccordent, voire fusionnent et dĠautres non. Je ne te demande pas pardon. Je ne suis pas coupable.

 

Une femme appara”t en robe de chambre. EbouriffŽe. Elle traverse la pice dĠun pas rapide mais incertain.

 

LĠŽpouse, ˆ part soi.

Mais quĠen ai-je fait ? CĠest incroyable. Ma mŽmoire mĠabandonnerait-elle, dŽjˆ ?

SĠadressant ˆ lĠenfant.

Sais-tu o se trouve mon collant ? CĠest bien ridicule mais alors que jĠallais le porter ˆ mes jambes, on a sonnŽ. NĠavez-vous pas entendu ? Non bien sžr vous teniez conseil. LĠair moqueur. Saura-t-on jamais ce qui vous traverse lĠesprit au point de vous maintenir ainsi ˆ lĠŽcart aussi longtemps? A son Žpoux. Ne crois-tu pas que la caisse est assez propre pour descendre. Tu en fais toujours trop quoiquĠil en soit. CĠest pŽnible de te voir ainsi disperser ton Žnergie. Mais je mĠen vais. Je vous sais tous deux complices. Oh puis-je tĠannoncer du courrier ˆ ton adresse. Le croque-mitaine cĠest bien probable te rappelle ˆ ton devoir.

 

LĠhomme

Je nĠy manquerai pas et cĠest une joie de te voir si rŽjouie ˆ lĠidŽe que je disparaisse.

 

LĠŽpouse

Que vas-tu imaginer. Nous y sommes tous vouŽs. Bient™t ce sera mon tour et dans lĠÏil de ta chre enfant la mme lueur de convoitise que dans le mien.

 

 

LĠenfant

Sorcire ! dit-elle tout bas. Si je pouvais tĠŽtouffer avec ton collant, sache que je mĠy adonnerais tout entire. Mais tu ne mĠentends plus, affairŽe dans tes dentelles, et tous ces dŽtails qui clignotent sur ta peau, dans tes cheveux mme tes os rappelleront ˆ quel point tu Žtais futile.

 

 

LĠŽpouse

Ah le voici !

La femme sort de la pice en sautillant.

 

LĠhomme

Tu la vois comme je la vois. Tu devines alors vers quoi jĠai souhaitŽ aller lorsque sans les attraits que jĠavais inventŽs pour elle, elle sĠest sŽparŽe de mon image dĠelle, de celle qui avait donnŽ le jour ˆ mes enfants. Dans mes tempes un sang souillŽ battait et battait encore. JĠai eu honte de sa compagnie, de sa frivolitŽ, de son moindre tre, ˆ chaque fois plus inexistante.

 

LĠenfant

Je devine un peu. CĠest juste que, si cĠest bien ma mre, jĠai peur alors dĠavoir ˆ la fin, les mmes traits cruels et hautains, la mme indiffŽrence, la mme indigence lorsquĠil sĠagit dĠaimer son prochain. Enfant avait-elle les joues rondes et un petit nez ? Se promenait-elle nue dans les jardins ? Dis-moi que ce nĠest pas vrai. Dis-moi que ce nĠest pas assez dĠtre lĠenfant de quelquĠun pour nourrir les mmes vices.

 

LĠhomme

Un jour, elle a dŽcidŽ quĠelle Žtait belle et sĠest mise ˆ regarder les autres hommes qui la regardaient aussi. Elle a apportŽ plus de soins ˆ sa toilette, ˆ mis du rouge partout, sur ses joues, sur ses lvres. Son visage Žtait rouge et ˆ lĠintŽrieur elle bouillait de me voir lĠhumiliŽ subir ses assauts plus hardis ˆ chaque fois vers les autres. Un jour elle a dŽcidŽ que si je nĠŽtais pas jaloux, cĠest que je ne lĠaimais point, moi qui lĠaimais tant et elle prit du plaisir ˆ se jouer de moi. CĠŽtait Žtrange mais je ne ressentais rien. Et puis jĠai connu des gorges abondantes, pour donner le change, jĠai jouŽ au dom juan. Je nĠavais pas dĠŽpŽe pour provoquer en duel les intrigants mais je prenais garde de ne jamais tre trompŽ. JĠŽtais toujours le premier ˆ prendre la fuite ds que les premiers signes dĠŽpuisement devenaient trop tangibles.

 

LĠenfant

Et jamais tu nĠas cherchŽ ˆ faire lĠexpŽrience de la solitude ? Comment est-ce avec la solitude ? NĠest-ce pas lĠŽtat quĠil faut espŽrer plus que tout autre ? Tu as prŽfŽrŽ la loi du talion. Mais comment est-ce avec la solitude. JĠaurais souhaitŽ que tu puisses me lĠapprendre. Beaucoup de choses que jĠaurais souhaitŽes et peu importe. Peu importe. SĠil faut partir alors, si cĠest vrai que tu es prt. Partons.

 

LĠhomme redresse la cage et passe sa main une dernire fois sur les tentures de nylon. Sa main est amicale comme sĠil t‰chait de consoler un ami.

LĠhomme

Il faut porter la cage au dehors et prendre garde aux herbes folles qui pourraient la grever. Aide-moi. CĠest un peu lourd pour un seul.

 

Ils peinent ˆ transporter la cage. La femme passe doucement entre eux. Ironique.

LĠŽpouse

Et bien, on faiblit ? Comment est ton cÏur, mon bon ami ? Je tĠavais prŽvenu. Tu te croyais fort mais avec toutes ses poules alentours pour toi seul, nul doute que tu tĠŽpuiserais ˆ les combler toutes.

 

LĠhomme

Epargne moi tes sarcasmes.

Tu nĠes pas trs belle aujourdĠhui.

 

LĠŽpouse, le visage tordu par la honte et lĠair mesquin quoique cherchant une voix dŽtachŽe.

Pardonnez-moi de ne pouvoir vous porter secours mais je risque de dŽchirer mes collants. CĠŽtait dŽjˆ une ŽquipŽe fantastique pour mettre la main dessus. Et puis jĠai une multitude de mains ˆ serrer ce matin.

LĠhomme

Vas ! Nous nĠavons pas besoin de toi.

LĠhomme lance un regard entendu ˆ lĠenfant qui rŽpond par une grimace de dŽgožt ˆ lĠattention de la femme.

 

LĠenfant

Tu sais, je sais que je ne lui ressemble pas. Mme de prs. Mes amis me disent toujours Ç dis donc quĠest-ce quĠelle est bien ta mre È mais quĠest-ce que Ç bien È veut dire. Bien veut dire bien, ni plus ni moins. Comme on parle dĠune paire de chaussures ou dĠune robe. Mais sans conviction. DĠailleurs mes amis nĠen ont point, de convictions.

 

LĠhomme

Tiens, tiens. Comme tu y vas. Tu ressembles ˆ PŽnŽlope qui finit par ha•r tout tre ˆ part Ulysse. Quel est ton Ulysse ?

 

LĠenfant

Je nĠen ai pas. Ou bien si. Mais je ne suis pas comme toi qui te prŽcipites tout entier sur une gorge abondante parce quĠelle promet dĠtre tendre. Je suis prudente. Prudente et avisŽe. Et les atours des hommes sont moins Žvidents que ceux des femmes, nĠest-ce pas ? Il nĠest pas grand, il nĠa pas les yeux bleus mais il est plus beau que quiconque. Tout le monde le voit et je nĠaime pas que tout le monde le voit. CĠest ma douleur. Le monde entier me provoque parce quĠil est mien et non point celle dĠune autre. Pourtant je suis collŽe. CollŽe. Sais-tu ce que cĠest que dĠtre collŽ ˆ un tre dont on sait pourtant quĠil nĠest pas fait pour vous ? Non tu ne sais pas. Tu es bien plus vieux et pourtant tu ne connais rien de la peine dĠaimer. SĠil ne mĠaimait plus, le monde entier ricanerait entre ses dents. Il me regarderait tomber tout en bas, plus bas encore que le lieu de ton trŽpas. Je sais bien quĠil mĠaimera toujours parce que je suis essentielle. Je fais monde et peu importe lĠautre monde o conspirent mes ennemis. Pourtant quelque fois il a su sĠimmiscer entre nous, il est perfide. Il mĠa accusŽ de le garder prisonnier de mon moi. De lĠempcher de sĠŽpanouir au-dehors. Moi je sais que dehors a ne sent pas bon. Je sais quĠil est assez grand et fort et bon pour se dŽbrouiller avec ses envies et ses dŽsirs. Ca mĠest Žgal.

 

LĠhomme

Je te crois. Nous sommes faits de la mme Žtoffe. Il y a ceux qui ne peuvent exister sans tre aimŽ et dĠautres qui ne peuvent exister sans aimer et nous en sommes. Voilˆ pourquoi nous serons toujours les plus malheureux. Seuls ceux qui donnent peuvent perdre. Tu perdras cĠest sžr mais lĠorgueil te soutiendra lorsquĠil le faudra. Ceux qui connaissent la peine peuvent sĠen accommoder plus aisŽment. CĠest un peu obscur mais tu comprendras vite par toi mme.

 

 

 

Un jeune homme, dŽpenaillŽ en habit de sport et chaussures usŽes intervient sans crier gare.

Et bien sÏur, voilˆ bien longtemps que nous nĠavions connu la joie oh combien inestimable de votre prŽsence parmi nous. La maison sĠenfle de visages nouveaux, chaque jour un peu plus mais les visages anciens se font rares. Si lĠon mĠinterroge sur ce quĠil en advient de vous, que dois-je rŽpondre ?

 

LĠenfant

Qui vous interrogerait, qui sĠen soucie ?

 

Le jeune homme

Certains. Et puis, est-ce lˆ une faon dĠexister ainsi repliŽe comme le jaune de lĠÏuf dans le blanc ?

 

LĠenfant

Prenez garde que le jaune ne fende un jour son manteau blanc.

 

Le jeune homme,

Et ?

 

LĠenfant

Et rien. Dites simplement, je ne sais pas, que je persŽvre dans mon tre et que jĠai peu dĠenvies.

Pas mme de toi, je ne suis envieuse. Je nĠenvie pas tes obsessions, ton irascibilitŽ, ta domination. Mais tu nous joueras bien un air de flamenco pour nous ravir.

 

Le jeune homme

Est-ce une provocation ?

 

LĠenfant

Peut-tre bien. Mais nĠest-ce pas vrai que tu tĠy Žpuises tout entier ? Sais-tu au moins ce quĠil en est encore du penser ? Approche que je puisse te voir de plus prs.

 

LĠenfant le regarde ˆ peine.

 

LĠenfant

JĠai vu. Tu peux tĠen aller. Nous devons rejoindre la fosse. Il est impatient.

 

 

Une petite fille traverse la pice ˆ toute allure en mimant un avion, elle fait quelques tours en soufflant comme un moteur puis sĠarrte subitement, droite comme un i, dans lĠattitude du soldat. Elle sĠadresse ˆ lĠhomme qui attend, les yeux posŽs sur le sol, il se gratte la tte, perplexe.

La petite fille

Papa, porte-moi sur tes Žpaules. JĠai rvŽ que tes cheveux poussaient en plante grimpante. JĠŽtais sur tes Žpaules, je les arrosais puis en coupais les fleurs pour les offrir ˆ ma sÏur tressŽes en couronne.

 

LĠhomme

JĠai peur que mes Žpaules ne soient un peu fatiguŽes. Un long soupir. Nous pouvons essayer. Allons.

 

Il porte lĠenfant ˆ ses Žpaules. Elle rit grand et lve les bras au plafond comme si elle en supportait le poids.

La petite fille

Voyez comme je suis grande. A-t-on jamais imaginŽ un tre plus fantasque que mon pre et moi confondus, animal ˆ deux ttes et quatre bras et quatre jambes. Je cultiverai tes cheveux papa.

 

 

LĠhomme

Descends maintenant. Il est lĠheure pour moi. Je dois rassembler mes affaires.

 

Il la fait descendre de son Žpaule comme si cĠŽtait un oiseau, doucement pour ne pas plier ses ailes, elle est toute petite et reposerait presque en entier dans sa main.

Elle le regarde dans les yeux, mutine.

 

 

 

La petite fille

Papa, est-ce vrai que ce soir tu partiras dans la bo”te avec ma sÏur et quĠelle seule en reviendra ?

 

LĠhomme

Et toi, demeurerais-tu auprs de moi ? Accepterais-tu de ne plus voir les fleurs Žcloses, le sable du jardin, de ne plus courir dans la fort, glisser sur la montagne, de ne plus voir tes camarades, de ne plus te baigner, de ne plus sentir la pluie, les Žtreintes, les baisers, de ne plus voir grandir tes enfants, les saisons, les arbres revtirent leur manteau ?

 

Il sĠinterrompt. Ses yeux sont rouges et son visage comme ŽpuisŽ. Il le cache entre ses mains. LĠenfant voudrait absorber son tourment. Elle lui prend la main et fait signe ˆ la petite fille de partir au plus vite.

LĠenfant

Pars, mais pars !

 

La petite fille

Je suis malheureuse, si malheureuse, je tĠaime papa. Ne vois-tu pas que je tĠaime. Plus peut-tre que les gouttes de pluie, les fraises ˆ la crme, mes poupŽes, la luge et tous mes camarades !

 

LĠhomme

Petite fille, petite fille, ne crois rien de ce que tu vois, je ne suis pas triste, juste un peu fatiguŽ et cette bo”te qui nĠest pas encore prte pour le voyage, le dernier. JĠai tant ˆ faire et je suis ŽpuisŽ. Pardonne-moi.

 

La petite fille

Ce nĠest rien papa, rien du tout. Je reviendrai plus tard. JĠai mes devoirs ˆ faire. Je dois Žcrire un pome sur le printemps en alexandrins. Et cĠest mardi gras demain, je vais essayer mon costume de libellule.

 

LĠhomme

Vas, libellule, ne te retourne pas encore. Attends dĠtre un peu plus loin et pense ˆ moi trs fort comme si tu me voyais pour la dernire fois.

La petite fille

CĠest dĠaccord. Je le ferai.

 

La petite fille retrouve lĠŽnergie aŽrodynamique de lĠavion et se retire en vrombissant les bras ŽcartŽs fendant lĠair.

 

LĠenfant

CĠest toi qui ne souhaite pas que je demeure auprs de toi. Tu me lĠas si souvent dit et aujourdĠhui encore, je pensais te tenir compagnie quelques jours mais tu refusais.

 

LĠhomme

Je refuse un enfant mort ˆ mes c™tŽs. Comprends-bien que je ne pars pas en vacance petite OrphŽe. Je sais que tu nĠas pas peur. Mais moi si, jĠai peur. Depuis longtemps je redoute cette heure o il faudra finir. Il nĠ y aura plus rien pour moi et je ne serai plus pour vous. JĠy ai pensŽ et repensŽ tant que je peux dorŽnavant donner une figure ˆ ma pensŽe. CĠest curieux mais lĠimage mĠŽpouvante moins. La mort en image est presque ridicule. On lui donne les attributs de lĠhumain, des dŽsirs, des passions, un corps, un visage. Je la vois belle et longue, tu reconna”tras ton pre dans cette fantaisie.

 

LĠenfant

Oui. Mais alors, est-ce pour cela que tu as dit ˆ lĠinstant que tu y serais bien ?

 

LĠhomme

Bien sžr. Sous de tels attraits, la mort est on ne peut plus dŽlectable. SucrŽe, rose, presque candide. Je me plais ˆ penser que je pourrais peut-tre, je ne sais pas. Peu importe. Je pense trop. Allons, il faut finir de prŽparer la bo”te.

 

LĠhomme retourne ˆ lĠintŽrieur de la bo”te. LĠenfant le suit des yeux.

 

LĠhomme

Il y a des trous ici et lˆ dans la toile. Je peux tre chirurgien. Avec un fil et une aiguille je peux guŽrir les plaies.

 

 

LĠenfant

Mais comment sans eux pourras-tu respirer ?

(lĠenfant mime une asphyxie)

 

LĠhomme

Respirer ? Que veux-tu dire ? Pourquoi respirer ? Au commencement on me donnera une bouteille. Dans cette bouteille il y aura de lĠair. Avec une paille jĠy puiserai une fin de vie, chaque heure, un morceau dĠoxygne. Lorsque la bouteille sera vide, je ne serai plus. Tu sentiras du c™tŽ droit comme une poche qui explose. Un liquide comme de la glace ˆ la vanille se rŽpandra dans tes poumons. Ce sera moi, mon expression. Dans ton souffle, je demeurerai.

 

LĠenfant

De la glace ˆ la vanille ?

 

LĠhomme

Oui. CĠest trs curieux, nĠest-ce pas, ces transformations du corps ? Trs trs curieux. Je mĠy intŽresse depuis peu. Dans mon cerveau des rubans de glycŽrine se font et se dŽfont. CĠest un laboratoire. JĠy apprends ˆ partir ou bien je ne sais pas, ˆ ne plus vouloir rester peut-tre. JĠai eu un soudain besoin de clartŽ. O en suis-je et pourquoi suis-je ici, je me demande parfois. Je voudrais, je voudrais. Non rien. CĠest cela quĠil faut vouloir.

 

LĠenfant le considre, dubitative.

Tu commences et jamais ne finis. Tu ressembles ˆ un oiseau de papier. Tu te chiffonnes seul et tĠŽtonnes ensuite de ne plus pouvoir voler.

 

LĠhomme

Je sais que je ne peux plus voler et cĠest bien ce qui importe, savoir. Le savoir est un bouclier qui prŽserve de la peur.

 

LĠenfant

Tu sais et moi je ne sais pas. Ma peine est infinie. Je ne me figure rien. Je ne peux faire aucun croquis, aucun dessin. Lorsque dans la bo”te il nous faudra tomber tout en basÉ Je redoute la griffure des racines, les piqžres de moustiques. Plus aucun arbre ne poussera lˆ. Je remonterai seule, je rattraperai la terre avec mes ongles. Ca lui fera mal. Je ne le ferai pas exprs mais ce sera douloureux. Mes ongles dans les racines comme on arrache une molaire. Je suis si triste que jĠai mal ˆ la tte et de la fivre aussi. Tiens, touche mon front, cĠest chaud comme un pain au lait sorti du four.

 

LĠhomme appose deux doigts ˆ plat contre le front de lĠenfant et reste ainsi un long moment ˆ la regarder alors quĠelle maintient ses yeux ˆ terre et tourne et retourne la pointe de son pied droit contre le sol. Puis lĠenfant ferme les yeux et contracte tout son tre pour prolonger lĠŽtreinte.

 

LĠhomme

Tu nĠas pas de tempŽrature, cĠest juste, peut-tre,É Est-ce lĠinquiŽtude ? Pour remonter ˆ la surface du monde, tu mettras des gants. Ainsi tu ne dois pas craindre dĠtre blessŽe.

 

 

LĠenfant, stupŽfaite et violente

Ca mĠest bien Žgal dĠtre blessŽe, les griffures, les piqžres. QuĠon me coupe les doigts, les jambes, les oreilles, le nez ! Pourquoi, pourquoi donc ne parviens-tu pas ˆ mesurer la perte que je vais devoir endurer ! Tu comptes en centimtres, je souffre en kilomtres. CĠest toi que je vais perdre.

 

Noir.

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte II

 

LĠhomme

LĠenfant

LĠŽpouse

Le jeune homme

 

 

LĠhomme et lĠenfant sont assis dans la caisse en nylon. LĠenfant gratte la toile avec un ongle.

LĠhomme coud la toile avec une aiguille aussi immense quĠune ŽpŽe.

LĠhomme

CĠest terrible. JĠai lĠimpression de ne parvenir quĠˆ agrandir les trous. Je mĠattendais ˆ plus d discipline de cette bo”te.

 

LĠenfant

Peu ˆ peu tu deviens pareil ˆ la toile, gris et tŽnu. Est-ce vrai que les gens qui vont mourir finissent par se ressembler ?

 

LĠhomme

Nous nous ressemblons tous. Sous nos oripeaux cĠest toujours le mme tre ˆ chaque fois qui vient au monde, fait monde et sĠen Žloigne. Regarde bien autour de toi, ta petite sÏur et ton grand frre.

 

LĠenfant

Tu exagres. QuĠai-je de commun avec une guitare ou un avion ? Et puis je hais le flamenco !

 

 

Le jeune homme passe entre lĠhomme et lĠenfant. Il tient sa guitare contre son sein et joue la sŽrŽnade.

Pardon de venir ainsi encore couper votre complicitŽ qui nĠest que trop visible mais jĠai cru quĠun peu de musique vous serait profitable. Savez-vous que lĠon peut mourir de silence comme on meurt de soif. Les liaisons nerveuses sont affectŽes par lĠabsence de son et se dŽtŽriorent rapidement, sĠengourdissent, la matire grise devient p‰teuse comme du dentifrice et se fluidifie ˆ mesureÉ Mais vous semblez agacŽs.

 

 

 

 

LĠhomme

Tu te mŽprends, nous tĠŽcoutons. Je viens dĠapprendre ˆ ta sÏur en quoi nous sommes tous comme un seul. CĠest si Žvident. Nous brillons ensemble et puis nous Žteignons de mme.

 

Jeu de lumire, noir, lumire, noir, lumire.

LĠhomme

JĠai rencontrŽ il y a peu une jeune femme qui recherchait des personnes volontaires pour animer les samedis de personnes subissant un handicap. Je lui ai posŽ beaucoup de questions, avidement, je tenais ˆ ce quĠelle me dise par maints dŽtails cette condition. Elle est devenue plus confuse ˆ mesure que mon attention pour elle grandissait puisque aussi bien je ne semblais pas vouloir me destiner ˆ ce volontariat. Je lui ai fait conna”tre mes mobiles. Je souhaitais provoquer un accident, provoquer ma paralysie. Ainsi contraint ˆ lĠimmobilitŽ, je me plaisais ˆ deviner ce quĠil en serait de mon tre prt ˆ tre croquŽ par la communautŽ des hommes normaux et sains. Elle fut effrayŽe par ma requte. Dans son effroi toute la pitiŽ et lĠhorreur que je lui inspirais dŽjˆ, quoique indemne. Les hommes sont fragiles et froids. Ils cherchent ˆ combler leur vide affectif en se prouvant leur capacitŽ dĠabnŽgation. Combien de temps supporte-t-on dĠtre exposŽ ˆ un tre au visage rongŽ, aux doigts repliŽs comme des serres de harpie , au menton gonflŽÉ La plupart des hommes ne sĠessaient pas mme ˆ la compassion et ceux qui sĠy adonnent tout entiers sont dignes dĠadmiration et nous font plus odieux , nous qui avanons masquŽs. Si on enlve une lettre ˆ un mot, plus jamais on ne peut le prononcer comme avant. Enlevez une jambe ˆ un enfant, plus jamais il ne pourra courir comme avant. Le handicap est une mort en avance comme on arrive en avance ˆ un spectacle, dans lĠattente et le visage des autres, cĠest dŽjˆ le spectacle qui advient.

 

 

Le jeune homme, impatient :

Tes propos sont incohŽrents. Que veux-tu dire ˆ la fin. PrŽfrerais-tu partir amputŽ ? Veux-tu que nous tentions quelque chose avec lĠauto. Un accident propre et discret, entre nous ?

 

LĠhomme

Non, bien sžr mais je crois que la mort devrait tre une dŽcision. Si lĠon ne demande pas ˆ tre au monde, on devrait pouvoir demander ˆ sĠen dŽfaire, ˆ le mettre de c™tŽ. Comme on se dŽfait dĠune Žpouse ou dĠun mŽtier.

 

Le jeune homme

Demander ˆ qui ? As-tu dŽjˆ entendu parler de ces gens qui mettent leur tte dans le four, allument le gaz, se pendent aux arbres, avalent des annŽes lumire de sommeil dans des pilules, se noient un rocher nouŽ ˆ la cheville ? Ceux-lˆ dŽcident bel et bien.

 

LĠhomme

Je ne suis pas dĠaccord. Ce nĠest pas eux qui dŽcident cĠest leur peine ou leur impossibilitŽ ˆ demeurer ici. Ce nĠest pas une dŽcision, cĠest une rŽsignation. Moi je parle de quitter la vie de plein grŽ, par choix parce que jĠen ai envie comme parfois dĠun verre de vin, dĠune partie de tennis ou je ne sais. Je refuse de penser quĠune dŽcision relve du remde, cĠest entirement faux et pire cĠest Žgarant. On ne se dŽcide pas pour un moindre mal. On se dŽcide pour un ŽvŽnement qui viendra rompre le cours des chose mais non pas en rŽponse ˆ un mal dont on chercherait ˆ se dŽbarrasser.

 

Le jeune homme

CĠest trs confus. Tu le vois bien, tu ne parviens pas ˆ tĠexprimer correctement. Comment le pourrais-tu dĠailleurs. Tu invoques quelque chose qui nĠexiste pas. Que tu le veuilles ou non, toute dŽcision a ses mobiles, se motifs, ses ressorts. Ce que tu dis lˆ relve dĠun Žtat o lĠaffectivitŽ serait un non-lieu. Je vois bien que tu as peur et honte surtout de devoir finir alors que tu ne le souhaites pas. Tu inventes des conditions dans lesquelles ton honneur serait sauf mais elles nĠont dĠtre que pour toi. Si au moins tu avouais ta peine et ta peur, peut-tre en serais-tu un peu dŽlestŽ. Mais non, tu persŽvres. Comme dans cette horrible bo”te que tu voudrais faire ressembler ˆ un palais. Je te plaints. Non pas que je me figure en te disant cela que tu prendras conscience de ta l‰chetŽ que tu voudrais dissimuler dans une fausse luciditŽ. Je tĠai toujours ha• pour cette fichue sagesse que tu exposais partout avec toi.

 

LĠenfant courroucŽe,

Tu parles de ha•r mais seuls ceux qui aiment peuvent ha•r. Et toi tu es si froid, si prŽsomptueux, si plein de toi-mme que cela tĠest refusŽ, lĠamour comme la haine. Tu nĠas jamais pris la peine dĠessayer de te commettre avec les autres et tu oses ici tĠadresser ˆ ton pre comme ˆ ton Žgal alors que tu ne le connais mme pas.

 

Le jeune homme sĠadressant ˆ lĠenfant

Je ne suis curieux que de ce qui mŽrite que je mĠy arrte. Et toi qui crois-tu tre ? Toi qui nĠas jamais tant aimŽ ton pre que depuis que tu sais que dans quelques heures, il ne sera plus. Pense ˆ cela, penses-y trs fort. Concentre-toi et regarde bien quel genre dĠtre tu vois. Regarde-le longtemps, tiens le devant toi et tu verras comme il te bržlera les doigts, t™t ou tard ˆ la fin.

 

LĠenfant voudrait parler mais se retient.

 

LĠhomme

Tu as tort de nous malmener ainsi. Tu deviens bien impudent ˆ la fin avec ta vanitŽ et ton orgueil. Laisse-nous maintenant. Tu es bien incapable de discuter de quoi que ce soit, tu ne fais que discourir et cĠest bien assez dŽjˆ de devoir te subir sans cela. Mon indulgence nĠen finit pas de se cogner ˆ toi, toujours plus mŽprisant, jĠen perds patience. Allez, vas. Le monde tĠattend pour que tu lĠŽmerveilles de tes mille et un talents. Moi cĠest ˆ la mort que je me vois conviŽ et je vois que celle-ci ne nous rassemble pas. Et cĠest bien ˆ peine si nos vies ont su sĠaccorder parfois.

 

Le jeune homme qui ne cherche point le repentir, sĠen va avec dŽdain.

 

LĠenfant triomphante.

Tu as bien parlŽ. Si seulement il Žtait moins butŽ. Il comprendrait peut-tre. Je ne sais pas, peut-tre, tu ne crois pas ? Je lĠai bien regardŽ cette fois et jĠai pensŽ tu as raison, jĠai cru un instant quĠil Žtait le mme que moi. Ainsi donc tu aurais raison et ce pourrait-il que mĠinsultant comme il lĠa fait cĠest lui-mme quĠil condamnait aussi dans un mme emportement ? Ce serait bien. Ainsi je ne serais pas seule ˆ penser que peut-tre bien oui cĠest depuis lĠannonce de ta mort que jĠai commencŽ ˆ tĠaimer. Et puis quĠimporte ! Ce nĠest pas grave, nĠest-ce pas ? Je suis prte ˆ rester auprs de toi si tu le souhaites. NĠest-ce pas lˆ la preuve de ma bonne foi ?

 

LĠhomme

Je nĠai pas besoin de preuves et ta prŽsence sera inutile lˆ-bas. Une fois encore, je ne veux pas dĠenfant mort. Pourquoi dĠailleurs investiguer sur ton attachement. Nous ne sommes jamais tout entiers tendus lĠun vers lĠautre. Et si ce nĠest quĠˆ moitiŽ cĠest dŽjˆ beaucoup. Je souhaite parce que je tĠaime quĠici on puisse continuer ˆ tĠaimer pour moi. Tu es sensible et Žveille lĠaffection. Peut-tre bien Žveilles-tu le meilleur en chacun. Je nĠai pas peur que tu sois seule quand je ne serai plus lˆ. Je pars, cĠest tout et ne tĠavise pas de mĠattendre, petite OrphŽe, ou mme de me rejoindre. Tu aurais des cheveux blancs sans mme que tu tĠen aperoives, qui pousseraient sur tes tempes, le long de ton doux ovale, tu serais devenue une vieille femme en deuil. Ce nĠest pas moi ton Ulysse. Jamais je ne serai tel pour toi. Parfois tes yeux mĠeffraient si gorgŽs dĠamour. Je ne suis pas ton Ulysse.

 

Jazz. LĠŽpouse vient danser dans la pice o se trouve la bo”te en nylon. Elle porte une fine Žcharpe ˆ son cou quĠelle tient ˆ deux mains et la fait coulisser en rythme. Elle relve ses jambes et montre ses cuisses avec ostentation comme si elle sĠattendait ˆ ce quĠon vienne y habiter, sous ses jupons.

LĠŽpouse

Oh, ainsi donc vous tes encore lˆ. JĠavais besoin de me dŽfouler. CĠest harassant tous ces visages en mme temps. Ç Elle a tant dĠamoureux, quĠelle ne sait lequel prendre, lon la, quĠelle ne sait lequel prendre. È Peut-tre mĠaideriez-vous ˆ vous trouver un successeur dans ma couche. Je crois que cela vous revient. Aprs tout, je ne souhaiterais pas vous manquer de respect en faisant preuve de frivolitŽ en ces endroits. JĠaime tant la jeunesse, cĠest vrai que jĠen perds la raison et le sens des affaires.

 

LĠhomme

Vous ne cessez plus de me dŽshonorer depuis des annŽes. NĠest-ce pas lˆ le moment adŽquat pour mĠexprimer votre mŽpris une dernire fois ? JĠai perdu toutes les belles images que jĠavais gardŽes de vous pour que votre prŽsence ici me soit moins insupportable mais je les ai perdues depuis. JĠai tant souffert de la honte que jĠen ai presque perdu la mŽmoire. JĠai perdu ma mŽmoire de vous. DŽbrouillez vous avec vos amants rŽguliers et les autres, moi je nĠai aucun gožt. En lĠhomme jĠaime la loyautŽ et la constance. Mais je devine que ces vertus vont indiffrent. Vous avez toujours privilŽgiŽ les corps et le v™tre perd ses charmes alors dŽpchez-vous.

 

LĠŽpouse se dŽtourne, pitoyable malgrŽ ses attraits, un rictus vacillant sur des lvres trop rouges.

LĠŽpouse

JĠespre que tu vas crever dans la douleur. Je nĠespre plus rien dĠautre que ta souffrance. Tu nĠas jamais rien su faire dĠautre que de me rendre ridicule auprs de tes amis, de tes enfants, tu mĠas diabolisŽe auprs dĠeux. Ta fille, celle que tu appelles lĠenfant, mĠabhorre, elle est tout entire dans sa haine de moi et tu la laisses dire, tu la laisses me crucifier en pensŽe, tu la laisses me meurtrir.

 

LĠhomme

CĠest vrai. Je ne te dŽfendrai pas.

 

LĠŽpouse

Je nĠattends rien de ta part. Meurs, cĠest tout et dŽlivre-moi enfin de ta prŽsence qui contredit ma joie dĠtre en vie.

 

LĠhomme

Bien. Que ta volontŽ soit faite mais sache que je ne dispara”trai pas tout entier. Il y a mon odeur sur ses meubles, ses tentures, et sur ta peau, dans tes cheveux, un peu de moi qui survivra toujours que tu le veuilles ou non. Et crois- moi je ne mĠen rŽjouis pas. Tout ce qui me rappelle ˆ toi me fait mal aux dents.

 

LĠenfant qui a tout entendu cherche ˆ Žloigner lĠŽpouse furibonde.

Tes invitŽs tĠattendent. Ils ne demandent que toi. Vas les rejoindre car cĠest bien, nĠest ce pas, vers eux que ton corps dŽborde. Je vois ton cou qui sĠŽpaissit, dŽpche-toi, il est lĠheure.

 

LĠŽpouse se retire en silence, une rougeur sur les joues.

 

LĠhomme

Tout glisse sur elle comme enfant tu glissais les pentes sur une couverture. Mais a nĠa pas la mme incidence. Si seulement elle avait pu mĠaimer un peu.

 

 

 

LĠenfant

Pourquoi donc ? Tu en as eues tant dĠautres, des femmes. Si on additionne leur coefficient dĠaffection ˆ ton Žgard, on aboutit ˆ un nombre tel que peu dĠhommes mme les plus comblŽs ont pu se vanter. CĠest si banal et attendu de regretter alors que cĠest la fin. NĠas-tu pas mieux ˆ penser, ˆ penser plus loin ? CĠest Žtrange de tĠentendre te lamenter. Pour elle surtout, a sonne odieusement ˆ mes oreilles.

QuĠas-tu ? Tu es tout raide tout ˆ coup ?

 

LĠhomme se retient ˆ une commode.

LĠhomme

Je ne sais pas, une faiblesse. Me sont revenus en mŽmoire les journŽes lĠhiver ˆ la mŽmoire. Ca sentait le sucre et le sapin. La lumire alors me bouleversait toujours. Les regards coquins de ta mre, toutes ces choses de femmes, ses lunettes de soleil quĠelle portait sur le bout de son nez et qui tombaient toujours. Elle regardait les hommes, elle les regardait ces hommes, se mouvoir, depuis la courbe de leurs reins jusquĠˆ la pointe de leurs cils, elle buvait leur corps et moi je nĠy pouvais rien. JĠŽtais devenu si transparent quĠelle ne me voyait mme plus. Je nĠavais plus de chair, plus que cette prŽsence qui rŽconforte, lĠargent, le sens de la famille, le sens pratique, pour ainsi dire. En observant ta mre, je me demandais parfois, est-ce lˆ une femme, est-ce lˆ ma femme, celle que jĠai choisie et qui mĠa choisi ? Une envie de vomir mon cÏur me prenait ˆ la fin et je renonais ˆ nĠavoir ne serait-ce quĠune pensŽe pour elle.

Ma premire conqute fut une enfant. Ma source vive, elle Žtait alors ˆ peine plus ‰gŽe que toi. Elle jouait du violon pour moi. Et puis un jour elle a eu peur de moi et sĠest rŽfugiŽe dans un ailleurs quĠelle avait conu pour elle et un autre homme.

Je me suis aperu quĠavec sa perte je ne ressentais rien. JĠai connu tant dĠautres femmes, plus belles, plus sensuelles, et pourtant cĠest celle-ci que jĠemmne avec moi ˆ la fin, elle et son violon, ses longues mains et ses dents qui disaient tout dĠelle en un rire.

Maintenant si a ne tĠennuie pas, je voudrais partir. Je ne vois pas ce que lĠon pourrait faire de plus pour la bo”te, jĠai recousu ce que jĠai pu, brosser la toile, renforcŽ les anglesÉ QuĠen penses-tu ? Crois-tu toi aussi que nous sommes prts.

 

LĠenfant

Oui je le crois, allons-nous en.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte III

 

 

Des ballons sont suspendus partout dans le salon, la toute petite chantonne ˆ vive voix

 

CĠest mon pre, cĠest mon pre, je le vois, dans les ballons il remue, mon pre, mon souffle, tout autour de nous, tu te rŽjouis, parmi nous, dĠtre encore en vie. Tu vois, jĠai su que je serais celle qui tĠoublierait le moins vite, jĠai su , je sais tout, jĠai emportŽ tous mes jouets avec moi afin de te tenir compagnie, ici, ton corps dĠair est ˆ lĠabri dans les ventres ronds en caoutchouc, tu peux dormir, tu peux lire aussi peut-tre, je ne sais pas, il y fait bon au-dedans ? Entends-tu lˆ-bas cĠest mre qui sautille, elle semble joyeuse, peut-tre, peut-tre que tu ne lui manques pas plus que cela, peut-tre, jĠai tort ou bien, jĠai rvŽ que je repassais ses joues au fer Žlectrique, elle avait du fard encore plus que de coutume, elle choisissait un autre papa pour moi, elle mĠa dit quĠil serait grand et beau et jeune et riche et courageux et fidle et je ne sais plus quoi, brillant peut-tre, il y avait de la lumire dans ses mots et jĠai pensŽ nĠest-ce pas quĠelle devrait tre blanche et noire par Žgard pour mon pre qui est mort et bien mort, cĠest bien incroyable, je suis petite mais nĠempche je sais quelle cruautŽ il y a sur ses joues, dans sa bouche, je sais dŽjˆ beaucoup de choses. SÏur sĠen est allŽe de bon matin, elle sanglotait, ses mains Žtaient rouges, elles sont toujours rouges et froides aussi, elle disait toute seule, Ç mais moi aussi alors je suis blessŽe, jĠai vu lĠange, croyez vous que dans lĠintervalle, quelque part en son creux, je pourrais jamais encore guŽrir ? Croyez vous ? È. Je ne comprenais pas bien pourquoi sa peine et ses mains mais ce nĠŽtait pas grave, jĠavais mes ballons, je les ai gonflŽs de toi et jĠai soufflŽ et soufflŽ encore et je suis si fatiguŽe, si fatiguŽe, un instant, jĠai cru, et puis non, rien, je veux dormir.

La toute petite sĠendort, recroquevillŽe sur le tapis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte IV

 

 

 

LĠenfant

La petite fille

 

LĠenfant a lĠair ŽpuisŽ, elle demeure pensive accoudŽe ˆ la commode, elle a le visage un peu bleu et des pansements sur les joues et le cou. Elle songe.

 

La petite fille

Ç Me laisseras-tu, me laisseras-tu mourir ? È

La petite fille joue lĠŽtourdie et vient se perdre dans la robe de lĠenfant.

Tu sais, jĠai dormi.

CĠest doux, cĠest si doux. Est-ce que papa tĠa donnŽ un message pour moi de lˆ tout en bas ?

 

LĠenfant

Je ne sais. Lorsque je lĠai observŽ tout occupŽ ˆ trouver une position pour quĠil nĠait pas mal au dos, je me suis transformŽe en eau, je ne pouvais plus mĠarrter de pleurer. Je le voyais lˆ tout seul, dŽjˆ, dans un autre monde remuer dĠun c™tŽ puis de lĠautre. Dans la cage il ne pouvait tenir debout et son dos courbŽ tout entier dans la recherche dĠune position un peu plus confortable, je ne le supportais pas. Peut-tre ne comprends-tu pas et cĠest mieux ainsi. Je tĠembrasse parce que je sais quĠil lĠaurait fait de toute faon.

 

LĠenfant prend la petite fille dans ses bras et la serre trs fort. La petite fille un peu effrayŽe cherche ˆ fuir lĠŽtreinte et se faufile entre les bras de lĠenfant.

LĠenfant

Non je ne comprends pas. Tu as raison, je ne comprends pas. JĠai fait comme il mĠa dit, je me suis retournŽe et jĠai pensŽ trs fort ˆ lui et puis rien. Il ne sĠest rien passŽ.

Souffle, allez, souffle ! Il est ici dans notre souffle, il me lĠa dit. Moi jĠai senti en remontant vers la vie, la poche se rŽpandre dans mes poumons, le glace ˆ la vanille, a sentait bon, cĠŽtait lui qui venait habiter ma respiration.

 

La petite fille

Oh ? Mais si tu dis vrai, il nĠest pas vraiment mort, il a juste changŽ un peu de forme, perdu un peu de son bidon pour se transformer en air ? CĠest amusant, je nĠaurais jamais pensŽ que papa deviendrait lĠair que je souffle. Quand je courrai alors en classe de sport il sera encore plus lˆ ?

 

LĠenfant

Oui cĠest ainsi et, essoufflŽe aprs lĠeffort, tu le croiras disparu mais il sera toujours lˆ. A lĠabri en toi, il veille.

 

La petite fille

Papa, si tu es lˆ, dis-le moi.

La petite fille pousse un cri de surprise,

Il est lˆ ! Je lĠai senti, il a pincŽ mon poumon droit, il est lˆ, il est lˆ !

 

La petite fille sĠen va, sautillante, se rŽpŽtant ˆ par soi, Ç il est lˆ, il est lˆ È.

 

LĠenfant prend un feutre sur la table du salon et se dessine des points de barbe sur les joues et le menton et passe le feutre sur ses sourcils aussi. Elle sĠapproche du miroir et sĠy mire.

 

LĠenfant avec une voix grave

Je suis lˆ, mon enfant, je suis lˆ.

 

LĠenfant embrasse le miroir.

 

Noir.

 

CŽcile Cornibert

 

                                         

 

 

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