Remarques sur la question du symptme
partir d'une lecture de K. Goldstein
Kurt Goldstein (1878-1965), psychiatre et neurologue allemand, migr au Etats-Unis en 1935, aborde diffrents champs des sciences et prsente une synthse de la neurologie, de la neuropsychiatrie, de la psychologie et de la biologie humaine ; paru en 1934, Der Aufbau des Organismus - La Structure de l'organisme - est une Introduction la biologie partir de la pathologie humaine. Ses travaux portent sur les lsions crbrales et les troubles lis aux aphasies verbales. Ils lui permettent d'aborder le problme de la relation esprit-cerveau, notamment le lien entre les localisations crbrales et nerveuses des troubles et les comportements pathologiques. D'une faon gnrale, K. Goldstein plaide pour une approche holiste de l'organisme et de la psychologie clinique, en tendant les thses de la Gestalt thorie la personne dans son intgralit.
Pour Goldstein, lĠchec thrapeutique de la biologie
mdicale doit se comprendre partir de la faon dont celle-ci rduit la
puissance explicative du symptme. Par sa volont de faire correspondre des
signes dtermins des thories sous-jacentes, la biologie mdicale condamne
le symptme nĠtre que lĠancrage matriel de gnralits abstraites. La
position de Goldstein est avant tout critique : pour ouvrir nouveau le
champ dĠune comprhension clinique de lĠorganisme, il lui apparat impratif de
donner un nouveau statut pistmologique au symptme. CĠest lĠapprhension mme
de lĠorganisme qui est en jeu, et pour ce faire, cette perception doit
emprunter le chemin inverse de celle que lĠobservation clinique tablit :
ne plus aller de la conception thorique de la maladie son expression
physique et pathologique mais joindre un faisceau de signes qui sont autant
dĠexpressions dĠun tat, ou plutt dĠune perturbation et dĠune modification
dĠun tat. Ce nĠest donc plus une dmarche de reconnaissance – celle dĠune conduite pralablement dtermine par des cadres
conceptuels –
La faon dont Goldstein cherche optimiser lĠanalyse
mdicale du traumatisme et sa thrapeutique pose donc le problme de la
dlimitation des caractristiques du normal et du pathologique. En ce sens, il
nĠest pas anecdotique de rappeler que Canguilhem lui-mme permit de faire
connatre en France les travaux de Goldstein.
La question pose par la polarit du normal et du
pathologique est avant tout celle des capacits de transformation dĠun
organisme dans sa totalit ; elle rencontre ncessairement une conception
holiste et soulve le problme de lĠapprhension de lĠunit de lĠorganisme et
de ce qui est amen la modifier.
Galien, dans De lĠexprience mdicale1, chapitre XXII, reproche Asclpiade de considrer que
Ç lĠempirique ne peut pas tout retenir dans sa mmoire parce que la
multiplicit des choses passe les limites de la finitude È, et lĠaccuse de
prtendre recenser les causes des maladies ainsi que leurs remdes en un
ouvrage, alors que Galien ne serait pas crdit de ce pouvoir, attendu quĠil
ferait de chaque malade un cas particulier. Entre les empiriques et les
dogmatiques, deux mthodes sĠopposent : Ç lĠpilogisme È,
soutenu par Galien et ceux quĠil nomme les empiriques, qui consiste Ç se
diriger dĠaprs les choses visibles et parvient un fondement et une racine
invisible, qui, du fait de leur caractre invisible, sont particuliers
certaines personnes et ne sont pas partags par dĠautres, savoir les lments
et les fonctions È, alors que les dogmatiques Ç ne se rfre[nt] quĠ
des choses invisibles È.
Bien quĠil ne
soit pas possible de lire et de rduire la dmarche de Goldstein au regard de
cette partition dĠorigine antique, un dplacement peut toutefois tre signal.
Nous pourrions dire que le principe de lecture du symptme tel que Goldstein le
rcuse au dbut de La Structure de lĠorganisme, et
quĠil attribue ses contemporains, est quĠil ne donne rien voir parce que les lments tangibles et physiques sur lesquels il
sĠappuie, les symptmes, sont dj tout entier asservis lĠinvisible qui est
cens en rendre raison. Le symptme apparat alors simplement comme une
preuve de la ralit dĠun comportement invisible de
lĠorganisme. Cette approche prsente deux consquences pour le moins dcisives.
La premire, cĠest la rduction de la capacit de
comprhension de la pluralit des manifestations dĠun changement du
comportement. La mdecine, en recourant ce mode dĠanalyse, est alors force
dĠavouer son incapacit fonctionnelle rendre compte de comportements sinon
nouveaux, du moins atypiques. Le problme semble davantage dĠavoir
apprhender la comprhension, le sens dĠun
comportement, que dĠavoir lui assigner des causes et lĠexpliquer partir dĠune thorie. CĠest ainsi lĠindividualit, la singularit
mme du cas qui nous interroge. Nous ne disposons pas de prime abord de la
grille de lecture, du code qui nous permettrait dĠidentifier lĠessence dĠun
comportement : celui-ci nous apparat comme autre en ses variations
singulires, et il chappe notre comprhension. CĠest la distinction mme du
normal et du pathologique qui, en face de cette variation dĠun tre au monde
qui apparat dĠabord dans sa singularit, est ainsi interroge, car lĠidentification
de ce qui est cart par rapport la norme ne peut pas dĠabord se comprendre
comme cart par rapport la norme. Dans la mesure o la pathologie impose ici
sa propre norme, les critres dont nous usons pour dlimiter celle de la sant
ne sont plus pertinents pour mener lĠanalyse de cette autre norme entirement singulire.
La deuxime consquence, cĠest la fixit du regard
scientifique, et lĠimpasse dĠune volution des possibilits dĠune
thrapeutique. NĠtendant pas son attention aux plus petits dtails, elle
tourne pour ainsi dire en vase clos. On voit alors mal comment elle pourrait se
donner les moyens de nouvelles orientations thrapeutiques, puisquĠelle nĠa pas
entrevu toutes les dimensions du comportement de lĠorganisme concern par une modification,
voire une altration. En ce sens, ce que Goldstein reproche cette approche,
cĠest de prtendre apporter des solutions thrapeutiques sans avoir dĠabord
entrevu la totalit du champ concern et par l, sans avoir compris quĠen ne
soignant quĠ partir des symptmes les plus visibles et pour ainsi dire dj
attendus, on ne pourra jamais agir sur toutes les tapes qui rendent possible
ou impossibles certaines oprations ; on ne peut parvenir que par hasard
la gurison des troubles qui semblent les plus affirms.
Ce que nous cherchons clairer avec cet exemple, ce nĠest pas lĠide quĠen largissant lĠhorizon des symptmes, Goldstein, paradoxalement, ne ferait de la maladie quĠun tat forcment individuel, parce que relatif une mise en rapport de plusieurs dimensions, internes et externes, celle de la maladie lĠorganisme et celle de lĠorganisme son environnement. La difficult semble plutt la suivante : en quoi lĠapparition dĠun symptme porte-t-elle atteinte lĠunit de ce corps ? Le symptme vient-il sĠajouter une entit globale quĠil vient affecter de manire externe, ou est-il lĠorigine dĠune perturbation gnrale de lĠorganisme atteint ? Cette question nĠa dĠailleurs de sens que par rapport la dualit des regards ports sur la maladie : pour le mdecin, le symptme est dĠabord un signe prlev sur la totalit organique ; mais pour le patient atteint, le symptme est une expression vcue, un vnement o sĠintgre la totalit de son mode dĠtre.
Julie
Gobillard