fragments d'une science interdite
EXTERIEUR JOUR.
Série de plans d’ensemble de la campagne.
Approche.
Plan général du portail.
NOIR.
Lueur naissante dans le noir.
Voix off :
- Depuis toujours, il me semble avoir eu le goût fasciné de jeux furtifs et secrets –
INTERIEUR JOUR.
Série de plans fixes d’escaliers.
- que l'on contracte seulement dans la solitude. Mes amies, les plantes. Mes amis les arbres. Mes frères, poupées, jouets, balles, crayons et papiers.
Voilà le peuple solidaire de mes jours et de mes nuits. Une chenille jaune dans un jardin, un vase au col étrange, tels furent toujours les objets de mon intérêt, de mon amour ou de ma haine.
(Silence)
NOIR. Carton : “ fragments d'une science interdite ”.
- Aux premières insinuations pénibles de mes sens et de ma pensée, je décidai de me retirer –
EXTERIEUR JOUR.
Scènes de jeux d’enfants dans une rivière.
- de me retirer, de fuir les échauffements et les agitations qui faisaient jusque là ma vie, mon travail, mes relations avec le monde humain. Ces insinuations me pressaient de rompre avec cette sorte d'existence, parce qu'elles me dictaient tout un chapelet angoissant de questions portant sur la mort, l'âge, l'indifférence et la stérilité, bref tous les petits bagages de la perdition et du désarroi des voyageurs sans carte ni boussole.
NOIR.
Je ne voulais plus de proies dérisoires.
Depuis lors, mon refuge improvisé est cette résidence où le temps semble s'être figé, marqué pour toujours à l'horloge hivernale de mon silence.
Fait-il froid aujourd’hui ? Fait-il chaud ? En quelques semaines je perdis presque toute sensibilité aux choses du dehors, tout intérêt pour les occupations naturelles et celles que forge l’habitude.
Dans l'attente de se voir reformulé mon instinct de vivre, je passais l'essentiel de mes journées en promenades et en récits à ma table, immuables, monotones. Jusqu'au jour d'hier, où l'inattendu se produisit.
NOIR. Musique. Une figure lumineuse s'achemine vers une forme.
- Vous voulez voir quelque chose. Et vous ne le pouvez pas. Vous voulez savoir, mais c'est impossible.
EXTERIEUR NUIT. Forêt, lueurs, bâtisses.
- Le feu brûle, vous ne le sentez pas. Les flammes enveloppent et détruisent tout ce qui vous est familier. Mais ce feu, vous ne le sentez ni ne pouvez l'éteindre.
Maintenant je recherche dans le dessin, -
NOIR.
- à travers mes esquisses, la sensation que j'ai oubliée, ou bien que je n'ai jamais éprouvée.
Je ne suis pas le propriétaire d'une merveille. Comment le serais-je ? Un miracle qui terrifie toute la nature, qui paralyse toute vie, cette chose qui n'a trouvé de place nulle part jusqu'ici éteint jusqu'à la couleur du ciel.
EXTERIEUR JOUR. Extraits du corps.
Le silence qui avait pétrifié ma vie a été recouvert d'un nouveau linceul de silence. Ce silence, plus noir, a ceci d'insidieux que, non content de m'envelopper, il me pénètre et innerve jusqu'à la moindre de mes actions.
EXTERIEUR JOUR. La nature végétale.
Off : voix chuchotées d’enfants :
- ce matin jouerons
le soleil fait le matin
chaud
les mains blanches
Irons courir, irons jouer
faire nos mains
rouges et sales
Chanterons et courrons
NOIR.
- comment jouerons-nous
sans feu
dis-le moi ?
sans le feu
qui souffle et nous adonne
au vertige
comment jouer, comment courir
et perdre l’ennui
- l’ennui, toujours
jamais ne nous quitte
avions des jeux
plutôt des jouets
et abondaient
dans nos chambres
et nos jardins
- nous avons essayé d’inventer
jeux,
cela n’allait pas
cela s’écroulait
aussitôt
- le matin, de dire que tout changera
nous le disons chaque matin
ça changera...
jamais ne change
pensons l’air change
le vent tourne
le feu s’active
illusion, et rien ne change
- pensons le vent tourne
ça ne tourne pas, non
cherchions à masquer le visage de l’ennui
le visage nous poursuivit
- oui, il nous suivait
comme un chien,
un vieux chien, sauvage
un vieux rire, un vieux chien de rire
qui ne nous quittait plus
- alors, attendons quelque chose
quelqu’un, porteur de feu
porteur de jeux, joie
pour chasser la risée
le chien d’ennui
- le chien fait des souffrances
qui ruinent la vie
lui me ruine l’entente
au point d’entendre
des bruits
Voix du narrateur :
- Il arrive que cette forme se perde en mille chemins brisés, en des variétés indéfinissables de teintes.
EXTERIEUR NUIT. Les phares d’une voiture.
Elle traverse la campagne.
Voix des enfants :
- les bruits je les entends
moi aussi
ils viennent,
me semblent
véritablement des bruits
qui grandissent
INTERIEUR NUIT. Dans la voiture.
Série de gros plans de visages qu’une lumière affecte et dénature.
- nous entendons
depuis la même souffrance
cela qui nous paraît
bruit
et nous tournons
et tournons
mieux que les planètes,
nous avons les nôtres
qui gravitent
au creux de nos ventres
(…)
texte d'Olivier Capparos, photographies d'Eric Beauron