LĠŽnergŽtique de la pensŽe

 

Reconnaissances ˆ Fernando Gil

 

 

 

 

 

 

 

Ç VŽritŽ, mensonge, certitude, incertitudeÉ

Cet aveugle, lˆ-bas sur la route, conna”t aussi ces mots.

Je suis assis sur une haute marche et jĠai les mains serrŽes

Sur le plus haut de mes genoux croisŽs.

Bien : vŽritŽ, mensonge, certitude, incertitude, et alors ?

LĠaveugle sĠarrte sur la route,

JĠai enlevŽ mes mains du haut de mes genoux.

VŽritŽ, mensonge, certitude, incertitude, cĠest pareil ?

Quelque chose a bougŽ dans un coin de la rŽalitŽ – mes genoux et mes mains –

Quelle est la science qui en a le savoir ?

LĠaveugle poursuit son chemin et je ne fais plus un geste.

Ce nĠest dŽjˆ plus la mme heure, ni les mmes gens, ni rien de semblable.

CĠest a, tre rŽel. È

 

F. Pessoa.

 

 

Ç Wie schwer fŠllt mir zu sehen, was vor meinen Augen liegt. È

 

L. Wittgenstein.

.

 

 

 

 

Rien nĠest plus difficile que de rendre une pensŽe aussi riche et difficile par elle-mme. Fernando Gil a fourni ˆ travers ses diffŽrentes oeuvres matire ˆ une thŽorie de la connaissance, ˆ une logique, ˆ une esthŽtique, enfin : ˆ une philosophie gŽnŽrale. Nous essayons ici dĠen esquisser les grands traits.

 


 

 

I

CROIRE EN LĠEVIDENCE : LA FORCE DES CHOSES.

 

Lors dĠune marche hasardeuse au long dĠun chemin, au milieu dĠune foule trŽpignante, ou encore dans le rŽduit dĠune chambre, nous avons dans lĠidŽe les formations que nous reconnaissons naturellement comme pensŽes, souvenirs, perceptionsÉ Serait-ce que nous avons ces figures ? Serait-ce que nous sommes quelque chose ˆ la source de lĠidŽe, ou encore mme quelque chose que nous avons senti ou pensŽ ? LĠŽvidence premire, empirique en partie, idŽelle en partie, est la suivante : nous croyons en ce sentiment dĠexister et par lˆ, nous lui accordons comme un supplŽment de vie (Ç le sentiment est dŽjˆ croyant[1] È). Etre et abstraction se nouent en ce sentiment qui est autant croyance que sentiment de lĠexistence en sa durŽe. La croyance semble supporter ce sentiment premier dĠexister dans la durŽe. La philosophie procde selon lĠexamen de lĠabstraction (ce quĠon se figure sans la main ˆ la p‰te), de lĠtre (en tant quĠil puisse tre pensŽ), et du sensible (en tant que le dit Žtant Žquivoque puisse tout ˆ la fois tre peru et abstrait). La philosophie na”t de ce Ç quelque chose È dans lĠesprit, idŽe ou sentiment ˆ partir de quoi lĠesprit mme tente dĠŽtablir des relations entre les choses et lĠtre individuel, entre les choses perues et les choses pensŽes, et les choses dites, et propose apparemment par surcro”t des synthses de formes de relations qui peuvent se dire et se penser comme SENS – est dit Ç sens È ce qui peut sĠŽtablir en pensŽe selon certaines rgles.

Evidence il y a, lorsquĠon dit de prima facie dĠune perception et dĠun tŽmoignage quĠils le sont, Ç Žvidents È. Secondement, lĠŽvidence veut que perception ou tŽmoignage (nŽcessairement dĠun senti ou dĠune perception) sĠŽnoncent au Ç je È. Mais une fois passŽes ces Ç Žvidences È triviales, il reste ˆ soulever le problme sŽmantique majeur dĠune telle caractŽrisation. Le terme dĠ Ç Žvidence È dit tout ˆ la fois lĠintuition immŽdiate, lĠopinion, ou la perception affirmŽe mais forcŽment trompeuse ; et la donnŽe probante, la preuve (Ç evidence È en anglais), cependant que toujours contestable. Mais dĠo provient ce rapport Žtroit entre Žvidence et vŽritŽ ? Serait-ce que la vŽritŽ sĠaccointe ˆ la chose quĠon dŽsigne du doigt dans la perception dĠun monde dĠobjets ? Ou bien que lĠon fasse lĠexamen dans lĠintellect des forces et des choses qui contribuent ˆ la saisie du rŽel comme vrai ? Ç Ce qui est Žvident È exprime ˆ la fois le premier donnŽ dĠun rŽel qui nous para”t Ç vrai È et le rŽsultat dĠune abstraction de ce donnŽ qui doit, pour tre Ç vrai È, subsister formellement au cÏur de cette abstraction processuellement rŽglŽe.

LĠŽvidence Žchoit, comme expŽrience, autant aux mystiques quĠaux mathŽmaticiens, aux artistes autant quĠaux philosophesÉ ainsi quĠˆ la prŽsence nue dĠobjets dans la perception commune. Mais lĠineffable dĠune vision ne co•ncide pas avec lĠindicible dĠune expŽrience ; autrement dit : ce quĠon ne peut supporter nĠŽquivaut pas ˆ ce quĠon ne peut dire. De la soustraction de la pensŽe ˆ la soustraction de lĠexistence, il y a un pas. Deux excs de pensŽe et dĠexpŽrience en jaillissent : lĠun consacre lĠefficience magique de lĠinfigurable ; lĠautre admet les limites simples de lĠexistence humaine. En ces deux cas, nous sommes bornŽs en pensŽe par deux nŽgatifs. LĠŽvidence dŽbordera ces positions. Une nŽcessitŽ philosophique primordiale veut quĠon se tienne Ç dans les bornes de lĠintelligible È, dirait Goethe. Car si lĠŽvidence embrassait lĠineffable comme tel et lĠindicible au cÏur de toute parole, de tout discours, le sort en serait jetŽ : rien ne serait plus ˆ conna”treÉ et mme ces derniers mots sĠŽvanouiraient aussit™t prononcŽs. LĠŽvidence comme excs en ses limites : ineffable ou indicible, elle ne doit pas cŽder ˆ la facile indication du rien.

La philosophie est vŽritŽ, et peut-tre en tant quĠelle est recherche de la vŽritŽ. Et, en son fondement, cĠest le vrai qui sĠincarne comme vrai, et non le faux mlŽ de vrai. Et, a fortiori, le faux ne peut sĠincarner comme vrai. Mais il y a vŽritŽ quand les bornes de lĠindicible et de lĠinintelligible sĠinfolient ˆ lĠintŽrieur du vrai. Elles se replient en sĠattŽnuant. Mais si on peut un premier temps retenir cette image, elle ne peut nous aider ˆ penser la force qui prend source ˆ lĠintŽrieur de lĠexpŽrience de la conscience, de lĠintŽrieur de la pensŽe qui garantirait lĠinŽluctabilitŽ de lĠŽvidence comme telle. Fernando Gil a dŽtaillŽ le processus. Plus, il lui a donnŽ un rythme.

SĠil y a une Ç ŽnergŽtique de la pensŽe È, elle ne provient pas exactement des franges dĠabord inintelligibles qui bornent lĠintelligible, mais du cÏur de lĠintelligible lui-mme, o ce quĠon avait cru dĠabord devoir repousser hors du sens sĠy dŽvoile comme fondement, efficace du signe, noyau de croyance primordiale qui fonde et lĠŽvidence et lĠexistence. Et lĠun des noms de cette Žnergie est dŽsir – Gil reprend clairement le mot.

On doit sans doute tenir le TraitŽ de lĠŽvidence de Fernando Gil comme centre pivot de toute sa pensŽe. La force programmatique, son expression impŽrieuse, enfin sa rŽfŽrence ˆ une fondation quĠon expose, au sens kantien, rien dans ce grand livre ne manquait de nous lĠindiquer. Des termes recouvrent une phŽnomŽnalitŽ en excs : donation et auto-donation ; monstration et dŽmonstration (o la charnire se nomme intuition) ; jugement et expŽrience (dont le nÏud doit tre appelŽ imagination).

 

Au dŽbut du chapitre premier, Husserl guide la rŽflexion de Gil.

Ç Il faut sĠarrter sur le statut dĠune Žvidence qui, dĠune faon ˆ peine mŽtaphorique, se rŽalise charnellement et envahit la conscience en entier. Car il y a un excs au cÏur de lĠŽvidence, tant du point de vue de la comprŽhension que de lĠextension.

Du point de vue de la comprŽhension, lĠŽvidence se dŽfinit comme une Ç auto-donation en personne È (Selbstgegebenheit) – et cĠest dĠailleurs pourquoi elle peut faire signe[2].  È

Au point mme, ajoute Gil, que lĠextension conceptuelle que confre Husserl ˆ lĠŽvidence  - et bien que cette extension rŽponde au caractre Ç naturellement È fantasmatique de lĠŽvidence - atteint un tel degrŽ de gŽnŽralitŽ que la distinction entre Ç lĠŽvidence rationnelle, philosophique ou mathŽmatique È et Ç une Žvidence sans bornes qui embrasse toutes les formes de la conscience[3] È, ne se supporterait pas dĠune distinction stricte.

Mais paralllement ˆ une surabondance de la donation qui caractŽrise lĠŽvidence, il y a le Ç sol de lĠexpŽrience È o sĠenracinent perception et jugement antŽprŽdicatif.

Ç En deˆ du jugement de prŽdication il y a le jugement dĠexpŽrience, sous-tendu par une foi primordiale en lĠexistence.[4] È

Ç La foi primordiale [lĠUrglaube husserlien] est la foi perceptive, mode et modle originaire de lĠŽvidence ÈÉ Ç Mais, continue Gil,  on ne sait pas pourquoi la perception doit tre Žvidente : en poursuivant le programme de Husserl, dans une gense ˆ la fois transcendantale et anthropologique, il faudra revenir en amont de ce proton, dŽpister un Ur-Urglaube. È

Et, par suite[5] :

Ç En tout Žtat de cause, la perception reste la forme princeps, le fond et le fonds des versions rationnelles de lĠŽvidence. CĠest donc tout naturellement que lĠintelligibilitŽ de lĠŽvidence – se traduisant par des notions comme ostension ou intuition – a les sens pour assise. Le vocabulaire accueille et intensifie une certaine expŽrience du monde qui elle-mme reprŽsente lĠeffet conjoint des sens et du langage qui lĠŽnonce. È

Fernando Gil trouve une proto-catŽgorialitŽ redistribuant les rapports entre perception et langage, notamment ˆ travers une lecture de Malebranche. ÇLĠŽvidence mobilise tout le systme des sens. È

Ç On aura dŽmarquŽ trois groupes de donnŽes : la rŽfŽrence sensorielle de lĠŽvidence (elle se double dĠune linguistique), le dŽsir, la force Žclatante. È MŽtaphores de lĠorientation, du toucher et de la vue (un toucher qui voit assure la Ç captation de la lumire È), de lĠou•e ; Ç lĠactif et le passif (lĠentendement reoit, il nĠagit pas), la recherche, lĠinterrogation È ; Ç la puretŽ, la vivacitŽ, lĠŽclat de lĠŽvidenceÉ. [6] È

LĠŽvidence Ç comporte un registre sŽmiotique (le faire-signe de la vŽritŽ, ˆ partir de la sensorialitŽ et dĠune certaine linguistique) et un registre ŽnergŽtique (lĠaffect intellectuel, la modalisation dĠun dŽsir sui generis)È.

Cet Ç affect intellectuel È conditionne un geste dĠintelligibilitŽ. Une ŽnergŽtique de la pensŽe produit lĠaffect intellectuel et soutient lĠexister lui-mme.

 

Sur un autre versant, lĠapproche anthopologique que suit Gil lĠentra”ne dans lĠarcha•citŽ de Ç systmes de croyances et de pratiques[7]È o des aspects fondamentaux du droit archa•que, de la magie et du mythe se nouent en une sŽmiotique et une sŽmantique de lĠinjonction, de la prŽsencialitŽ et de lĠincarnation du sens.

Ç La force rŽside dans le sens et le sens est inscrit dans le signe, index du sacrŽ, de la faute, de lĠautoritŽ, de la promesse, et source dĠune efficacitŽ symbolique[8]. È

Dans le discours rituel, le signe (en tant quĠamorce primordiale de lĠexpŽrience religieuse) se dŽmarque dĠabord par une force de prŽsence, arbitraire du point de la rŽfŽrence sŽmiotique, quĠon identifie ˆ la divinitŽ. Son iconicitŽ nĠest pas ressemblance mais immanence. La divinitŽ Ç se consubstantialise dans le signe[9] È. LĠarbitraire du signe confirme Ç lĠexigence de lĠincarnation È plut™t que lĠ Ç affinitŽ mimŽtiqueÈ[10]. Ainsi en va-t-il de la souverainetŽ, de sa puissance, et de la dŽcision souveraine, dira plus tard Fernando Gil[11].

Un signe muni dĠune force et dont la signification comme provenance est effacŽeÉ LĠopacification de la signification, Ç procŽdŽ poŽtique universel È, Žcrit Gil. Tout cela sert Ç lĠinstauration dĠun discours sĠauto-validant[12] È. Le message est Žvident : il se laisse contempler sans pouvoir tre expliquŽ.

Le rituel actualise un passŽ immŽmorial et la prophŽtie actualise le futur[13]. Ç O est ce futur que le prophte voit ?[14] È Ç Le futur doit dĠune certaine faon se trouver dŽjˆ lˆ, dans toute sa plŽnitude. È CĠest une dŽfinition du virtuel que nous fournit ici Fernando Gil, de la co-prŽsence dĠune rŽalitŽ qui nĠa rien de potentielle.

Les signes en attente de significations (mais dont le sens est dŽjˆ une force) jaillissent comme ˆ la surface ou ˆ la jonction de la vision des choses et de soi-mme comme source de cette vision. Le premier signe est sans forme ni nom. Il avance vers nous avec la force dĠun visage animŽ dĠun regard. Avant dĠtre lĠembrayeur dĠune expŽrience qualifiant ses objets, le premier signe est une Žpiphanie. Un dŽtail Žclatant qui grossit aux dimensions de la vision entire. Un tissu du visible ; lĠUr-urdoxa dans la perception est la condition du perceptuel, ˆ la fois opŽration et tissu conjonctif entre soi et vision, surface dĠŽchanges o tout est vu et voyant.

LĠEtre, lĠesse, donc le verbe, se diffracte en un Žtant, subsistens, dont lĠattribut principal est lĠadjectif lucens, Ç le luisant È, et en essence Ç essentia È, dont lĠimage premire est la lumire comme flux. A chaque concept doit correspondre un nom, un verbe, un adjectif. Et tous, selon leurs modes, doivent indiquer une orientation vers la lumire. La lumire est lĠopŽrateur du par soi, opŽrateur qui a le nom de Nous chez Thomas dĠAquin comme dans toute la scolastique mŽdiŽvale. Comme pour la dŽfinition de lĠinfini chez Aristote, la dŽfinition du par soi et de lĠesse se dŽpartage entre un jugement dont la facture est une proposition syncatŽgorŽmatique (elle ne signifie rien par elle-mme) et un jugement dont la facture est dĠordre catŽgorŽmatique (signifiant par elle-mme). LĠens (par soi) Ç dŽsigne lĠŽtant quĠest le luisant È et Ç la lumire qui peut illuminer en vertu de son luire propre È. Le contact est toujours saisissement dĠune rŽfraction de lĠtre. La preuve anselmienne est une Ç archŽologie de Dieu È, alors que Dieu nĠa pas laissŽ de traces[15].

Les coupures blessent la Ç chair È dĠun substrat, comme lĠattribut Ç coupe È par le verbe le nom de Dieu. Par cette blessure sĠŽcoule un regard ruisselant dĠune prŽgnance universelle. Il y a un se-tenir-prŽsent de la chose comme leibhaftig, son effet figuratif se confond avec le signe-force qui la produit. La prŽgnance du nom (Dieu) est diffŽrente de son concept[16].

Le mme opŽrateur occasionne lĠexistence du singulier et lĠexistence de Dieu, parce quĠil localise lĠinfini dans le singulier et le fait tendre ˆ la position dĠexistence. De mme que lĠinfini dans lĠexistant tend ˆ la singularitŽ. LĠexistence de Dieu est dans le participable de lĠexistence singulire[17].

La thŽorie sto•cienne des exprimables qui introduit la conformation du nom au flot insŽcable de la proposition (alors quĠelle semble dĠabord Žliminer la copule de prime attribution) engage le point de la contamination forte au cÏur de toute attribution. On ne peut pas comprendre les logiques apparemment mŽtaphoriques de contamination du verbe et de lĠattribut, du sujet et du verbe, par exemple chez Ma”tre Eckhart[18] sans le prŽalable que nous formulons ici.

LĠesprit devrait-il se laisser capturer par son objet (de dŽsir et de connaissance) avant dĠen pouvoir dire la vŽritŽ ?

Beaucoup ont vu dans lĠenseignement de Fernando Gil une ŽpistŽmologie de contr™le alors quĠil sĠagissait dĠune philosophie de lĠesprit. Comme RenŽ Thom, Fernando Gil occupe une position paradoxale. La contrainte de description (coupŽe du critre de la prŽdictibilitŽ) doit dominer les ontologies rŽgionales. La description doit en premier et en dernier lieu dominer la mŽthode de la connaissance : lĠexplication, ˆ la Nicolas de Cues, sĠy dŽploie dĠelle-mme[19].

La description (comme une Ç bonne peinture È) nous garantit la clartŽ du dŽtail. La localitŽ (comme le tod ti aristotŽlicien) est in fine lĠintelligibilitŽ visŽe ; mme si fondŽe sur un substrat intensivement Žtendu (un tissu non figuratif de prŽgnances), la saillance investie dĠune prŽgnance devient un objet pour la connaissance dont on a lĠexpŽrience. Plus, ˆ lĠinstar de la mŽtaphysique thomiste, ce nĠest pas le Ç fait dĠtre È, lĠexister qui doit mobiliser notre questionnement, mais la singularitŽ, son archŽtype dĠun point de vue rŽaliste fort, et son participable. La prŽgnance est dŽvorante (elle est, par exemple, une surestimation pathique dĠun prŽdicat qui absorbe son substrat). Ç Le ciel est bleu. È Le bleu envahit le ciel[20].

Les Žvidences langagires sont Žgalement des Žvidences psychiques. LĠanalogie dŽborde la mŽtaphore ; elle est entis et realis quand elle fusionne et transforme son substrat initial. CĠest la condition mme de la connaissance.

 

Or, par quelle opŽration une pensŽe, une parole, un signe peuvent-ils jouir de rŽalitŽ ? Ou, encore : comment une saillance dans le monde peru peut-tre investie dĠune prŽgnance ?

Il faut revenir ˆ cette Ç foi primordiale È prŽcŽdant le jugement dĠexpŽrience, ce dernier prŽcŽdant ˆ son tour le jugement prŽdicatif.

EnergŽtique de la pensŽe, efficace du signe et de la croyance primordiale, naturalitŽ asubjective de lĠesprit et de lĠexister, expŽrience perceptiveÉ vont trouver ici leur Ç premier opŽrateur È : lĠhallucination.

Dans En deˆ de lĠexistence et de lĠattribution : croyance et hallucination, Gil autorise la substituabilitŽ de lĠŽvidence par la croyance, au stade de lĠantŽrioritŽ ÇabsolueÈ ˆ toute factualitŽ et au jugement. LĠhallucination appara”t, dĠabord ˆ la suite Freud, comme cette disposition dĠ Èune entitŽ en deˆ de tout jugement È et comme Ç lĠopŽrateur naturel de lĠŽvidence[21] È.

La constitution dĠune Ç fiction È est celle dĠune Ç hallucination primitive (É) antŽrieure ˆ la schize de lĠobjectif et du subjectif È. Le soutnement antŽ-prŽdicatif de lĠattribution rŽside en une sphre des tendances. Dans un premier temps, suivant Freud et Gil, lĠEros est associŽ ˆ lĠaffirmation et Ç la pulsion de destruction, qui expulse, ˆ la nŽgation. È Le Ç cadre logique È de lĠattribution y est dŽfini. Un Ç moi-plaisir È archa•que Ç veut introjecter le bon et jeter hors de lui tout ce qui est mauvais È, Žcrit Freud. Et Gil : Ç LĠaffirmation mange le bon, la nŽgation crache le mauvais. È Deux Ç opŽrations originaires È qui ne sauraient pour autant Ç annuler la positivitŽ originaire du sens È. Gil reprend Husserl : la nŽgation Ç ne crŽe pas le nouvel objet dĠtre ; mme quand on Ç opre È le refus, ce qui est refusŽ accde ˆ la conscience avec son caractre de biffage È. Ç Le sens biffŽ nĠest pas un sens effacŽ. È (Ibid.) Irait-on jusquĠˆ dire quĠil rŽvle lĠtre ˆ lui-mme. Affirmation et nŽgation ne sont pas des opŽrateurs primitifs ; ce qui est premier est encore lĠtre comme sens. Avec de Bion, Gil prŽcisera que cĠest la personnalitŽ entire qui doit tre Ç ŽvacuŽe È ou Ç satisfaire È ˆ lĠhallucination[22].

Le jugement dĠexistence, qui consacre lĠentrŽe en rŽalitŽ dĠun Ç moi-rŽel È, introduit lĠinterrogation subjective et le doute sur les perceptions et la rŽalitŽ de leurs reprŽsentations. Comment Freud peut-il ensuite dŽclarer quĠil y a un moi-rŽel Ç plus originel È, antŽrieur au moi-plaisir ? Le sens originaire dĠun dŽsir et dĠune reprŽsentation qui jouissent de rŽalitŽ prime sur le cadre logique de lĠattribution et la perception dĠobjet Ç rŽels È. Une aperception dĠabord hallucinatoire est Ç destinŽe È ˆ se rŽpŽter. A ce prix se constitue-t-elle perception indubitable – Žvidente – dĠun objet. Ç LĠhallucination nĠest pas une perception sans objet, cĠest la perception qui est une hallucination avec un objet È (É) Ç Écomme si la perception Žtait le remplissement de lĠhallucination È. Hallucination primitive qui persuade de la satisfaction des Ç retrouvailles È avec un objet ayant dŽjˆ ŽtŽ donnŽ dans la perception. Ç LĠhallucination est ˆ la fois le mode originaire de la reprŽsentation et le modle de la reprŽsentation en gŽnŽral. È

LĠopŽration hallucinatoire de lĠexister Ç remonte È en amont du cadre logique de lĠattribution : cĠest elle qui pourvoit ˆ la liaison et ˆ la dŽliaison, ˆ lĠaffirmation ou ˆ la nŽgation. (Elle ne sĠy soumet pas comme Ç dŽni de rŽalitŽ È et Ç compromis entre lĠaffirmation et la nŽgation. È (¤140)) La force de lĠopŽration hallucinatoire imprime les valeurs (attracts, rejetsÉ) primordiales aux perceptions et aux reprŽsentations. Elle est dŽjˆ attention et ostension (¤145).

Ç LĠhallucination ne fait pas sens, elle est prŽsentation et Žnergie pures, le visage vert aux yeux rouges et lĠinexprimable terreur de lĠhomme aux loups[23]. È

LA Ç FORCE DES CHOSES È QUI SE PRESENTENT A NOUS AVEC EVIDENCE PROCEDE DE LĠHALLUCINATION DE CES CHOSES ET DE LA CROYANCE IRREVOCABLE EN LEUR REALITE. (Celle-ci prŽsente un objet comblant un dŽsir.) Encore plus fondamentalement, Ç lĠŽvidence hallucine la pensŽe comme une chose È. LĠŽvidence hallucinatoire donne une corporŽitŽ ˆ la pensŽe, la prŽsencialitŽ dĠun corps[24].

Il faut entendre dans lĠhallucination un double mouvement. La pensŽe Ç sĠhallucine È dans la chose en se lĠappropriant comme chose-pensŽe ; et la chose est hallucinŽe dans la pensŽe comme pensŽe vivante et vivace qui nous capte[25].

 

Et on peut encore dŽpister une Ç structure du dŽsir È qui soutient lĠhallucination primitive, et donc la croyance et lĠŽvidence. Une Ç traction ˆ vide imaginative[26] È, pure tendance, pulsion, tend ˆ lĠimage. LE FONDEMENT ENERGETIQUE DU PENSER SE DEPLOIE EN PENSEE FIGURALE[27].

PrŽ-intentionnelle, lumire in genita logŽe dans lĠesprit (dont le concept est lĠintuition)É la Ç fonction de prŽsentation È de lĠhallucination

Ç anime le rve, le fantasme, la forclusion ; mais elle est ˆ lĠÏuvre dans lĠart comme dans la prophŽtie et elle prŽside Žgalement au schŽmatisme kantien, ˆ la rhŽtorique de lĠexemplum, ˆ la pensŽe diagrammatique des mathŽmatiques suivant Peirce, ˆ lĠŽvidence philosophique. È

Ç LĠimage est affectŽe – mais il sĠagit plut™t dĠune auto-affection du sujet – dĠun coefficient de rŽalitŽ. Le moi-sujet Ç croit È ˆ cette rŽalitŽ, la vertu rŽalisante de lĠhallucination a pour seule fonction de fournir un support ˆ la croyance en cette mme rŽalitŽ quĠelle institue. Plus prŽcisŽment, lĠhallucination institue dĠun seul coup et par le mme geste la foi et le support de la foi. È

Ç Existence et croyance se donnent lĠune par lĠautre et lĠune pour lĠautre. Et elles le font par lĠŽcriture de lĠhallucination. Car la croyance est Žcrite, elle ne se confine pas dans la seule intŽrioritŽ Ç vŽcue È. LĠhallucination primitive Žcrit la croyance avec les graphmes de lĠimagination. La foi primordiale est dŽjˆ la foi des religions du Livre[28]. È

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Aux ¤140 et ¤141 du TraitŽ (et au tableau VII de lĠopŽration de lĠŽvidence), Gil dŽvoile la mŽthodologie de lĠarrachement des concepts-clefs du socle sur lequel ils ont dĠabord pris forme (lĠhallucination, de la psychopathologie, ou lĠattention, de la psychologie, par exemple). LĠensemble des formations et transformations de la pensŽe et de la Ç rŽalitŽ È de lĠŽvidence y est ressaisi en une structure qui en exhibe les fonctions et les ŽlŽments.

Ç Un opŽrateur est un algorithme susceptible de construire une expression nouvelle ˆ partir dĠexpressions dŽjˆ formŽes. (É) DĠune faon gŽnŽrale, on appellera opŽrateur tout dispositif spŽcifique de transformation, ainsi lĠhallucination transformera un donnŽ sensoriel et linguistique en intelligibilitŽ et lĠintelligibilitŽ en satisfaction de lĠesprit. È

Ç Les opŽrations se font sur des objets. Le donnŽ linguistique et sensoriel travaillŽ par la premire opŽration (Ç H È) reprŽsente un Ç objet 1 È, lĠintelligibilitŽ ainsi produite, un Ç objet 2 È, reconstruit ˆ son tour comme Žvidence par la deuxime opŽration (Ç E È). Les deux opŽrations sont le fait dĠun seul facteur, il faut donc quĠune mme structure sous-tende lĠopŽration-H et lĠopŽration-E. Elle dŽbute dans une opŽration plus primitive que lĠon nommera opŽration-X. Pour agir, il faut aussi que lĠopŽrateur possde une force propre (exemple, le pouvoir de liaison des connecteurs logiques) ; les opŽrations de lĠŽvidence ont un versant ŽnergŽtique, dŽsirant, qui a des noms diffŽrents en X, H et E. Les opŽrations exhibent un second versant, figural, il a Žgalement des contenus diffŽrents suivant les cas. Figuration et force se donnent ensemble et fusionnŽes, depuis le dŽbut du procs jusquĠˆ son remplissement. VŽritŽ – la vŽritŽ de lĠŽvidence – et existence en reprŽsentent le sens ultime. È

 

 

 

On y rencontre une co-irrigation dĠune Ç forme vide È qui est une Ç force nue[29] È, dĠune hallucination inductrice de rŽalitŽ objectale et, in fine, dĠune Žvidence opŽratoire qui produit la monstration apodictique de lĠexistence et la satisfaction de lĠesprit en son adŽquation au vrai. CĠest au cours des transformations dĠobjet et de lĠexpŽrience que se distribue la prŽvalence ou de lĠŽnergŽtique ou du figural[30].

Les groupes de procs, de transformations et dĠopŽrations que dŽcrit Fernando Gil forment lĠanalyse fine des mmes procs qui mnent, par exemple chez Husserl, de lĠobjet donnŽ par esquisses dans une Ç observation simple È (Betrachtung) au nome, ou du sujet pris dans lĠattitude na•ve au sujet phŽnomŽnologique Žprouvant la certitude de croyance en connaissant lĠobjet comme nome. Fernando Gil pointe mme jusquĠaux hors-champs de ce que lĠon peut conna”tre.

 

Le tour de force de la construction de lĠŽvidence par Fernando Gil tient ˆ une dissolution des frontires domaniales et des appartenances catŽgorielles qui rŽglementaient les donnŽes de la sensorialitŽ et les concepts gŽnŽriques, les noms (avec leurs surcharges sŽmantiques triviales ou practico-inertes) et pour une part certains clivages dans les ontologies rŽgionales. Tout le corpus de lĠŽvidence, de la croyance (comme ailleurs de la conviction) est absorbŽ dans une perspective gnosŽologique. Et bien que lĠexcs du fondement, de la lumire (en un sens que nous approfondirons), de la force initiale de lĠimagination, de Dieu, ou de la souverainetŽ demeureront aux frontires de lĠindicible et de lĠinintelligible, ils devront tenir une Ç place È opŽratoire – ils devront tre instanciŽs (par exemple, la lumire deviendra lĠopŽrateur du par soi[31]  – ˆ lĠintŽrieur dĠune thŽorie gŽnŽrale de la connaissance.

 

 

 

 

 

 

 

 

On notera une schŽmatisation davantage tabulaire dans le TraitŽ qui diffre de la schŽmatisation diagrammatique de La conviction. On conna”t lĠimportance quĠa pour Fernando Gil la Ç spatialisation de la pensŽe È. La structure numŽrique du TraitŽ comme celle de Preuves est une Ç mŽtrique È de la pensŽe. Patrice Loraux soulignera la forme et le style du Tratado[32] et sa Ç connotation mŽdicale È. De plus, un systme symbolique peut ressembler ˆ une carte gŽographique qui oriente la pensŽe, une nouvelle description jalonnŽe de nombres. En outre, la numŽrositŽ du TraitŽ suggre le multi-nivellement de la pensŽe : quĠon doive se faire chose pour le penser ; quĠon doive penser par soi-mme lorsquĠon poursuit en lisant ou en Žcoutant, ce qui doit vouloir dire cheminer simultanŽment en plusieurs voies sans que les contradictions ne soient rŽdimantes.

Diffractante, rŽfractante, ou en pleine exposition, la lumire est toujours ce quĠelle est. Elle est transversalement lĠaspiration ˆ laquelle nous devons notre regard, et elle est par les objets que nous connaissons la luisance qui est notre attract premier.

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

II

PHILOSOPHIE DE LA LUMIERE.

 

 

 

Evidence et accordage : une force, le vent, une caresse ou un choc provoque un son. Une sŽrie dĠharmoniques naturelles rŽsonnent, mais il y a indŽcidabilitŽ selon le contenu et la provenance, entre la Ç signature des choses È et le geste volitif. Une force compulsive (qui allie en elle dŽsir et volontŽ) tente de rŽpŽter le choc ou le vent. Vers un accordage qui assurera la rŽalitŽ de lĠŽvidence. (De lĠŽvidence dĠun son premier dont on ne pourra dire sĠil est naturel ou artificiel[33].) Cet Ç accordage È, la scolastique mŽdiŽvale le nomme encore claritas[34].

DĠune lumire on ne peut donner la carte. On peut seulement sĠy orienter. La lumire est lĠattract premier, la prŽgnance originelle pour qui vient au monde.

Comment rendre compte dĠune lumire qui est ˆ la fois le flux dans lequel on baigne et la multiplicitŽ de rayons, dĠobjets rayonnants que lĠon peroit ? Comment savoir quelque chose de la lumire alors que nous sommes peut-tre encore dedans ? Nous ne savons de la lumire que la luisance. Comment dŽcrire les objets de notre monde que la lumire Žclaire ?

 

Fernando Gil a commentŽ les cartes gŽographiques, maritimes de lĠocŽan Indien Žtablies par les Reinel au XVIme sicle. Une carte gŽographique est en elle-mme la description dĠune vision et un message multi-nivelŽ.

Ç Les cartes contiennent des rŽcits historiques et dŽploient le mouvement des dŽcouvertes, vers lĠest et vers lĠouest. Elles sont des objets dĠart, au mme titre que, par exemple, les crucifix, les retables, etc. de lĠart chrŽtien : des objets ayant une fonction qui nĠest pas au premier chef artistique, mais dont la peinture sĠapproprie. Cette appropriation va bien au-delˆ de lĠornementation. Les cartes jouent ˆ diffŽrents niveaux de la relation complexe entre abstraction et Žvidence, qui sont les deux p™les de lĠÏuvre dĠart : jĠentends par Ç Žvidence È un rŽgime intensifiŽ du sensible, et par Ç abstraction È la prise de distance par rapport ˆ ce sensible, en quoi constitue lĠeffet premier de la reprŽsentation. De ce point de vue, les cartes rŽalisent en quelque sorte une prŽsentation de lĠactivitŽ artistique elle-mme, car elles restituent le sensible comme tel (elles dŽcrivent des paysages) par des procŽdŽs abstraits. LĠabstraction permet ensuite que lĠart communique – et dĠune certaine faon il lui faut communiquer – avec toute autre pensŽe non sensible, ce qui ouvre vers une question redoutable : comment les formalismes des arts, les graphismes de la peinture notamment, sont-ils aptes ˆ vŽhiculer des pensŽes abstraites dĠune nature tout ˆ fait autre que ces formalismes ? La rŽponse se trouve dans ce quĠil faudrait appeler la Ç vocation spatialisante È de la pensŽe abstraite et dans la sŽmantique qui lui est naturellement attachŽe. Elle serait le pendant, c™tŽ abstraction, de la fonction mimŽtique, c™tŽ sensible[35]. È

Le Ç paysage des rhumbs est structurant mais aussi inventif È (p.130). La structure, le maillage des rhumbs, conduit ˆ la rŽalitŽ compacte dĠune vision. Dans la reprŽsentation, les rhumbs ne sont pas uniquement des lignes qui relient des points les uns aux autres, mais la matire dĠune vision qui devient solide. La protosyntaxe dĠune carte est performative : elle tŽmoigne dĠune gŽographie enregistrŽe et forme un Ç appel È ˆ une autre gŽographie, ˆ une autre histoire. Comme le signe dans le discours rituel, la carte consacre une archa•citŽ mythique et actualise par prophŽtie, presque, les Ç donnŽes È de lĠavenir. La carte peut encore sĠauto-dŽsigner, comme matrice dĠorientations, pont tracŽ entre le connu et lĠinconnu. LĠÏuvre sĠŽnonce, opus cogitans, ˆ la premire personne – comme lĠexpŽrience et lĠŽvidence. Ostention, monstration, performation se lient en un mouvement consŽcutif dans lequel la carte sĠinstitue elle-mme.

 Ç Moi, carte faite par Pedro Reinel, je suis le lion entre la Serra Li™a et la Mina, qui tient debout le drapeau portugais. Ce lion nĠest pas quĠune reprŽsentation iconique faite par le cartographe suivant les conventions de lĠart, livrant la lŽgende Ç hic sunt leones È. Le cartographe mĠa voulue vivante, de sorte ˆ authentiquer et ˆ donner vie ˆ lĠimage, je suis la transfiguration de lĠic™ne en lion-roi, le symbole abstrait de la majestŽ portugaise[36]. È

Les caravelles et leurs symboles dŽterminent en sĠautodŽterminant la force et la prŽsence comme corps ˆ la fois de la mer et de la carte elle-mme. Ç CĠest leur posture qui les personnifie encore le mieux : elles sont pour la plupart, y compris les plus grandes, tournŽes vers nous, comme un visage qui montre toujours le mme visage. È (p.133) Mais Ç le regard nĠest pas, comme le mot, signifiant en soi È (p.137). Il y a bien un Ç fait È que le langage ou lĠexpŽrience nĠenregistre pas, une Ç sur-rŽalitŽ È.

Ç Son secret rŽside dans une surcharge de prŽsence, Ç excessive È par rapport ˆ la perception, quĠon peut appeler Ç aura È de lĠindividuel ou individuel intensifiŽ. Le champ des possibles et lĠactualitŽ de lĠoccupation se compltent par lĠinvestissement du regard dans les choses que la carte exhibe. Pour quĠil y ait prŽsence – pour que lĠeffet de prŽsence se produise – il faudra isoler lĠindividuel, car seul le concret individualisŽ possde une prŽsence[37]. È

Une fois encore, Fernando Gil met le doigt sur lĠŽnigme qui relie lĠindividuum intensifiŽ, sur sa place et son intensitŽ dans un espace tissulaire, rŽticulŽ, qui en permet la prŽsence et la propagation. Il y va de la carte comme du pome, lĠŽvidence opre sur le sensible comme sur lĠintellect. La sur-rŽalitŽ est cŽnesthŽsique. Ç Les cartes sont des objets artistiques[38]. È Et : Ç sans prŽsence, par dĠart. È LĠŽpiphanie qui para”t dĠabord comme une Ç haecceitas sans concept È est en fait, simultanŽment, lĠŽtincelle du Nous (apex mentis, scintilla mentis) de lĠintellect.

Fernando Gil avait situŽ les motivations dĠune telle gŽographie entre Ç refondation et conqute È. Mais des sous-notions semblent sĠy adjoindre : prospection et invention. La prospection est avant tout une description, un tracŽ, une estimation. LĠinvention est effectivitŽ : elle rŽpond chez Fernando Gil ˆ la capture effective du sens comme vrai. Tendre un pige ce nĠest pas forcŽment rŽaliser effectivement la capture de la proie. Une structure Ç rŽalise È une fonction, mais cette dernire nĠest effective quĠen vertu dĠautres forces ou dĠautres impulsions. La combinaison, le graphe, la seule organologie ne permettent pas lĠeffectivitŽ finale. LĠabstraction est avant tout prospection ; lĠŽvidence est avant tout invention. Le jeu, lĠÏuvre dĠart, la carte de gŽographie, mais aussi la pensŽe, et mme la rencontre sensorielle entre un Ïil et un objetÉ sont toujours virtuellement une surface dĠŽchanges entre deux systmes perceptifs. Ce qui suffit ˆ montrer lĠexcs sur un dispositif, sur le caractre dispositionnel ordonnancŽ ˆ une fin dĠune structure (dĠun pige). Image, tel est le nom que lĠon peut donner ˆ cette continuitŽ non-figurative, ˆ ce tissu propagatif de prŽgnances. Fernando Gil dit un jour : Ç LĠespace est une image qui jouit de rŽalitŽ. È Il dit de ces cartes que leur pensŽe est double : Ç refondation et conqute, voyage et dŽcouverte, quĠil faut considŽrer en un sens quasi kantien : dans lĠimaginaire du XVI sicle portugais, nouvelle fondation du Portugal et voyage sont des valeurs Ç suprasensibles È. Les cartes sont aussi des symboles, tels que Kant les entendait. Tout ceci, abstraction et Žvidence, prŽsentation et reprŽsentation, idŽe et sensible, se donne en mme temps[39]. È

Or, il y a une certaine Ç nature È du symbole qui dit tant™t lĠanalogie tant™t la fusion. La DISTANCE (celle de la reprŽsentation, de lĠ Ç abstraction ÈÉ) est celle dĠune couleur, dĠun ensemble de points qui appara”tÉ LĠANALOGIE est anhypothŽtique – cĠest une reconnaissance longitudinale ; elle dit : Ç ceci est un visage È, ou Ç cĠest un visage È (comme celui que jĠai vu ou bien que jĠai). La FUSION nous fait dire : Ç je suis ce visage, de telle couleur, de telles relations de lignes et de points ÈÉ Le symbole se rŽvle au cÏur de la fusion (mme si son Ç statut È sŽmiotique Žtait constituŽ dans la distance). Le symbole est aveu : Ç je suis la moitiŽ dĠune reprŽsentation ; et la moitiŽ que je vois est ce dont je suis moi-mme une reprŽsentation È.

Ce qui sŽpare la distance de la fusion, cĠest ce qui sŽpare lĠabstraction reprŽsentationnelle ˆ lĠŽtat natif de la lumire sans mŽdiation – celle qui enveloppe ce qui est vu et ce qui est voyant en un mme flux.

 

 

Gil a Žtabli une distinction entre invention et prospection. LĠenfant du conte dessine une porte sur un mur afin de lĠouvrir ; lĠenfant prospecteur cherche les lignes et les signes dŽchiffrables dĠune porte dissimulŽe dans le lieu.

Une allŽgorie de la connaissance et de la lumire ?

Je songe ˆ LĠAstronome de Vermeer. Dans lĠombre ses doigts (dans lĠŽcart de 45 degrŽs qui sŽpare le pouce et lĠindex) mesurent une portion de globe terrestre. La lumire pŽnŽtrant la fentre ˆ la gauche du tableau le prive dĠune vision claire. La main articule en un point toutes les fuyantes et les lignes perspectives. Le cosmos y est microcosme qui redŽploie les formes en objets ˆ partir dĠune rŽflexion originelle de la lumire (et comme dans toute cosmologie, il y a un haut et un bas, une gauche et une droite). Toute peinture est pour Vermeer, comme pour beaucoup de peintres, une Ç allŽgorie de la peinture È ; il y a toujours un tableau du tableau dans le tableau, un Mo•se, ou une carte marine, comme dans Le GŽographe. Enfin, que mesure cet astronome dans lĠobscuritŽ dĠun globe que si peu de lumire Žclaire ? Mais le globe tournait un instant auparavant. Ce nĠest pas lĠobjet qui est inconnaissable, mais le geste dĠintelligibilitŽ qui sĠoppose ˆ la lumire. Quelque soit le degrŽ de vie ou de mouvement dĠun objet, nous sommes rŽduits ˆ cela : mesurer dans le cabinet de confusions ombreuses les rŽflexions de la lumire sur la terre. La Ç bonne description È soit surgir dĠun aveuglement et dĠune illumination.

Daniel Arasse, dŽchiffrant LĠArt de la peinture, une allŽgorie de la peinture par VermeerÉ Ç Il y a une carte gŽographique, magnifiquement reproduite mais illisible, parce que la lumire empche de la voir. On peut lire une seule chose : Nuova descriptio, en haut, dans la bande. (É) Cet Art de la peinture, comme lĠappelait Vermeer, cĠest une nuova descriptio, et descriptio a voulait dire peinture. CĠest-ˆ-dire que Vermeer a parfaitement conscience que, tout en se situant dans la tradition de la grande peinture dĠHistoire (É)[40] È [incluant la GŽographie qui est] Ç comme le disent les gens du XVIIe sicle (É) lĠHistoire mise devant les yeux  (É) È [Quelle est cette Ç nuova descriptio È que nous propose Vermeer ? OuÉ] Ç De quoi la peinture de Vermeer est-elle la connaissance dŽmontrŽe ? De la lumire. LĠaspect des choses est le Ç prospect È, aurait dit Poussin, de Vermeer. Le prospect de Vermeer, dans cette optique, cĠest lĠaspect lumineux des choses. Cette science de la lumire a pour rŽsultat, et cĠest un paradoxe magnifique, dĠŽblouir les connaissances de ce quĠelle montre. CĠest-ˆ-dire que quand la carte gŽographique est ŽclairŽe par la lumire, on ne peut plus la lire. CĠest normal ! CĠest une carte de peinture, une carte ˆ voir et non une carte ˆ lire. Mais cette lumire qui fait voir, et qui Žblouit la connaissance de ce quĠelle montre, permet de passer ˆ la mŽtaphysique de la lumire chez Vermeer. È

 

 

 

 

Ç Elle [la connaissance] semble donc travailler ˆ rebours de la rigueur que lĠon est en droit dĠexiger dĠun savoir et se suffire dĠune bigarrure analogique que lui procure lĠextensivitŽ de lĠimagination (É) LĠaffinitŽ tient ensemble le sujet et lĠobjet et lŽgitime les procŽdŽs de lĠentendement par la prŽsupposition dĠun accord possible, si ce nĠest garanti[41]. È

 

 

 

 

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Ç Le Tableau III indique la systŽmaticitŽ des mŽtaphores dĠun mme concept par la corrŽlation entre integritas, claritas et consonantia. Ces termes dŽnotent chez Saint Thomas les caractŽristiques de la beautŽ (pulchritudo), dans le contexte de la rŽpartition des attributs divins par le Pre, le Fils et le Saint-Esprit. Trois propriŽtŽs sont requises pour la beautŽ, lĠintŽgritŽ ou perfectio, la consonance ou proportion (proportio), la clartŽ effet de la nettetŽ de la couleur [Summa Theologiae, I, q. 39, a. 8, arg. 2, Ç (É) unde quae habent colorem nitidum, pulchra esse dicuntur È.] ; elles se rapportent au Contact et ˆ la Capture (cette cl™ture sur soi que le toucher apprŽhende mieux que tout autre sens) ˆ lĠAccord des voix, ˆ la Lumire qui fait voir, tous des mŽtaphores de lĠŽvidence.

Cette Žvocation de Saint Thomas, on lĠa trouvŽe dans Stephen Hero – et ce en prise directe avec lĠŽvidence. Dans leurs errances ˆ travers Dublin, Stephen explique une fois ˆ lĠami Cranly que les choses que lĠon a vues cent fois dĠun Ïil distrait, parfois Ç Žpiphanisent È :

Ç Puis un beau jour je la regarde et je vois aussit™t ce que cĠest : une Žpiphanie.

- Quoi ?

- ReprŽsente-toi mes regards sur cette horloge comme des essais dĠun Ïil spirituel cherchant ˆ fixer sa vision sur un foyer prŽcis. Or cĠest dans cette Žpiphanie que je trouve la troisime qualitŽ, la qualitŽ suprme du beau. È [James Joyce, Stephen Hero, in Joyce, Îuvres, I, PlŽiade, Gallimard, Paris, 1982, p. 512 ss.]

Stephen sĠembarque lˆ dans une savante glose des qualitŽs du Beau selon Thomas. Il les rend par wholeness (Ç tu sŽpares nŽcessairement cet objet de tout le reste et tu perois alors que cĠest une chose intŽgrale, un objet È), symmetry (Ç lĠesprit considre lĠobjet en son entier et dans ses parties, par rapport ˆ lui-mme et ˆ dĠautres objets <...>, lĠesprit reconna”t que lĠobjet est, au sens strict du mot, une chose, une entitŽ constituŽe dĠune certaine faon È) – et radiance, la qualitŽ de lĠŽpiphanie :

Ç CĠest lˆ lĠinstant que jĠappelle Žpiphanie. Nous constatons dĠabord que lĠobjet est une chose intŽgrale ; nous constatons ensuite quĠil prŽsente une structure composite et organisŽe, quĠil est, effectivement, une chose ; enfin, lorsque les rapports entre ses parties sont bien Žtablis, lorsque les dŽtails sont conformes ˆ lĠintention particulire, nous constatons que cet objet est la chose quĠil est. È

Stephen comme Saint Thomas se reprŽsentent la beautŽ comme une structure, les mŽtaphores qui lĠŽnoncent font systme [Stephen sait en outre que son interprŽtation de la claritas est toute personnelle, elle se rapprocherait davantage, ce qui a son piquant, de la philosophie franciscaine : Ç JĠai mis longtemps ˆ comprendre ce que Thomas dĠAquin voulait dire. Il emploie ici (chose rare de sa part), un mot au sens figurŽ. Mais jĠai dŽchiffrŽ lĠexpression. Claritas, cĠest Quidditas È, ibid. DĠaprs la description de Joyce, la quidditas se rapporterait ˆ la deuxime plut™t quĠˆ la troisime qualitŽ.] La beautŽ produit pour Joyce lĠeffet de lĠŽvidence, la dŽtermination intŽgralement effectuŽe entre du mme coup dans lĠexistence, la chose est la chose, lĠidŽe de la chose rendue rŽelle. CĠest cela mme que lĠŽpiphanie dŽpeint. Epi-pha’no se traduit par super-ostendo, epiphanes est ce qui appara”t supra alios, au-dessus des autres phŽnomnes, supra apparens [Thesaurus Graecae Linguae, Didot, III, Paris, 1835, pp. 1869-1870]. LĠŽpiphanie est une ostension marquŽe qui fait signe, dans les mots de Joyce Ç lĠ‰me de lĠobjet le plus commun dont la structure est ainsi prŽcisŽe prend un rayonnement ˆ nos yeux (seems to us radiant) È.

 

Nous lĠavons dŽjˆ dit, lĠanalogie rend compte de la reprŽsentation comme de la fusion. La claritas exprime la fusion ; deux couleurs dĠanges Ç incompossibles È mais dont il faudra rechercher la paritŽ, chez Albert le Grand. Elle dit tout ˆ la fois lĠŽtat de lĠesprit qui saisit et lĠŽtat de lĠobjet qui est saisi.

Claritas et pulchritudoÉ leur interdŽpendance fonde une esthŽtique de lĠŽvidence. (On songe ˆ Umberto Eco qui tint les mmes linŽaments dĠune pratique littŽraire de lĠ Ç Žpiphanie È thomiste-joycienne.)

 

 

           

 

 

      Critres subjectifs                       Ç sentiment È de :

                                  

intŽrt  (vigilance)                      DISTANCE                              Proportio

attention                                   (ReprŽsentation)                         (symŽtrie des rapports)

promptitude                                                    

 

accueil, passivitŽ,                       ANALOGIE                              Integritas

rverie, manque, attente               (Assentiment)

 

(hallucinose)                  FUSION                                   Claritas

Ç amour È

activitŽ dans la passivitŽ

vision des choses du Ç point de vue È des choses

 

CicŽron lĠa dit : Ç ZŽnon le dŽmontrait par des gestes. Il montrait sa main ouverte, les doigts Žtendus : Ç Voici la reprŽsentation È, disait-il ; puis il contractait lŽgrement les doigts : Ç Voici lĠassentiment È. Puis il fermait la main et serrait le poing, en disant : Ç Voici la comprŽhension È.

Contact, Capture, Incorporation, Fusion[42]. È

LĠŽclat Žpiphanique dŽnote le flux invasif de la lumire entire. La lumire comme flux rejaillit ˆ chaque occasion de prŽgnance, o sujet et objet sont participŽs dans le conna”tre.

 

Dans la lumire, que veut dire une gense des formes ? Fernando Gil rŽpond, par exemple, dans Eloge du minimum.

Ç Mais comment peuvent-elles, ensuite, se maintenir, se donner ˆ conna”tre, sĠattirer, se repousser, se rŽpondre – si la nŽcessitŽ nĠa cours quĠˆ lĠintŽrieur du processus de diffŽrenciation ? La lumire est ici lĠŽquivalent de la dynamique, assurant la cohŽsion propre ˆ chaque forme (manifestŽe par son granulŽ) et les correspondances et liaisons (marquŽes par des duplications, oppositions, exaspŽrations de luminositŽ). La lumire vient du dedans, elle nĠest pas reflet mais Ç phosphorescence È, en parfaite consonance avec les exigences dĠune nŽcessitŽ interne. Elle habite autant le noir que le gris et le blanc ; elle est brume qui confond des petites formes dŽtachŽes : elle peut aussi demeurer comme un interstice Žclatant qui blesse des formes jumelles, ou sĠintroduire, bienfaisante et apaisante, entre la forme pure et la calligraphie sous-jacente ; elle peut encore ronger les limites du dessin, crŽant des bords, ou lĠenvers, et cĠest alors le dessin qui est Žclat et les limites consisteront en des suggestions dĠombre. È

 

 

 

Ne faut-il pas voir, enfin, la plus neuve description intelligible du monde dans une peinture ? Peut-tre parce que savoir, quand on voit, est le savoir du monde dĠobjets comme peintureÉ

Et ensuite, aprs avoir vu et connu la lumire interne, intŽrieure en toute chose, ne voit-on pas la lumire qui sĠŽchappe sous une porte, qui se reflte en luisant ? Les sons aussi nous orientent dans un monde autant sensible quĠintelligible. Tout nĠest quĠallusion ˆ lĠinertie selon lĠintellect. La matire ne survit ˆ nos yeux que parce quĠelle est encore plastique et dynamique. Nous nĠavons jamais le temps. LĠesthŽtique nĠest pas le produit, lĠexcipient dĠune thŽorie Ç pure È de la connaissance. Comme dans lĠhallucination primitive, elle a dŽjˆ devancŽ nos perceptions habituelles. Le temps est un sentiment qui sĠignore comme tel, il refuse la subjectivitŽ qui sĠy implique facilement.

Je dors dans une barque qui flotte. Je mĠendors calmement, enregistrant les accords et dŽsaccords de la nature en bruits. Mais voilˆ que le flot, la barque, moi-mme devenons un et indistincts en devenant un. Nous sommes un dans un flux ininterrompu que je dois dŽsormais appeler temps. Ce flux est une crue. Dans ma conscience, il est seulement ce qui me permet de voir, sans que je puisse le voir, ni lĠentendre ou le sentir, etc. LĠexpŽrience primordiale qui motive lĠintelligibilitŽ est une expŽrience sensorielle intense. De lˆ, je tirerai peut-tre les concepts (idŽes, dĠabord) de flot, corps, ciel, lacÉ Mais je sais que lĠexpŽrience est donnŽe dans une acuitŽ qui ne sera pas renouvelŽe.

La lumire est vraiment lĠaspiration transversale. Le nourrisson, comme la plante y aspirent. La satisfaction produite par une dŽmonstration formelle ou une intuition erratique est toujours la mme : elle comble un vide laissŽ par une lumire qui sĠest absentŽe.

 

Ç Puis un jour vient o la pluie ne nous apporte plus de joie. Mais alors la lumire qui se les ait assimilŽes nous les rend, la lumire solaire quĠˆ la longue nous avons su faire humaine, et qui nĠest plus pour nous quĠune rŽminiscence du bonheur ; elle nous les fait gožter, ˆ la fois dans lĠinstant prŽsent o elle brille et dans lĠinstant passŽ quĠelle nous rappelle, ou plut™t entre les deux, hors du temps, elle en fait vraiment des joies de toujours. Si les potes qui ont ˆ peindre un lieu de dŽlices nous le montrent habituellement si ennuyeux, cĠest quĠau lieu de se rappeler ˆ lĠaide de leur propre vie, quelles choses trs particulires y furent, les dŽlices, ils le baignent dĠune lumire Žclatante, y font circuler des parfums inconnus. Il nĠest pour nous de rayons, ni de parfums, dŽlicieux, que ceux que notre mŽmoire a autrefois enregistrŽs ; ils savent nous faire entendre la lŽgre instrumentation que leur avait ajoutŽe notre faon de sentir dĠalors, faon de sentir qui nous semble plus originale, maintenant que les modifications souvent indiscernables mais incessantes de notre pensŽe et de nos nerfs nous a conduits si loin dĠelle. Il nĠy a quĠeux, - et non pas des btes de rayons et de parfums nouveaux qui ne savent encore rien de la vie, - qui puissent nous rapporter un peu de lĠair dĠautrefois que nous ne respirerons plus, qui puissent nous donner lĠimpression des seuls vrais paradis, les paradis perdus ! Et cĠest peut-tre ˆ cause de la petite Ç Scne dĠenfant È que je viens de rappeler, que jĠai trouvŽ tout ˆ lĠheure aux rayons qui sĠŽtaient posŽs sur le balcon, et dans lesquels elle avait transfusŽ son ‰me, quelque chose de fantasque, de mŽlancolique et de caressant, comme ˆ une phrase de Schumann.[43] È

 

 

 

 

O. Capparos

 

sommaire

 

 

 

 



[1] SŽminaire de lĠEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, le 17/12/1998. [On notera dŽsormais cette rŽfŽrence SŽm., suivi de la date 17/12/98]  

[2] F. Gil, TraitŽ de lĠŽvidence, Žd. JŽr™me Millon, 1993.

 Ç Contours È, (6), p.13. Et, de citer J.-L. Marion ˆ propos de lĠ Ç Žblouissement È de Husserl Ç par la donation sans limite È.

[3] Ibid., p. 14.

[4] Ibid., (7), p.15.

[5] Ibid., (8), p.16.

[6] Ibid., (8), p.17.

[7] Ibid., (11), p.20.

[8] Ibid., p.21.

[9] In TraitŽ, ¤13, p.25.

[10] Ibid., p.26.

[11] Voir F. Gil, in La Conviction, Flammarion, 2000. LĠincarnation du signe permettra ˆ la substance dĠ Ç exhiber plus tard ses prŽdicats È, comme toute rŽvŽlation unitaire prŽcde le dŽploiement des qualitŽs et des noms divins dans les religions du Livre.

[12] Ibid., ¤15, p.28.

[13] Ibid., ¤16.

[14] Ibid., ¤17.

[15] SŽm., 09/03/95.

[16] Voir ÒA soberania como alucina‹o do fundamentoÓ, in Modos da Evidncia, Imprensa Nacional-Casa de Moeda, 1998.

[17] SŽm., 09/03/95. Lors du dŽbat de la preuve anselmienne de Dieu, Ç quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus haut È, Gil a Žtabli les approches qui ne font de la preuve anselmienne rien de nŽgatif. (On en trouvera les dŽveloppements les plus complets dans La Conviction.)

[18] Sermon Q9, Quasi stella matutinaÉ(in M. Eckhart, Deutsche Predigten). Ç Il [lĠhomme] doit tre auprs du verbe un attribut È (Wort Belwort).

[19] LĠun des plus grands dangers est de tirer au global. (Gil a montrŽ dans Preuves (Aubier, 1988) le manque de controverse entre Leibniz et Newton (ou Clarke) sur ce sujet.) Selon la controverse la po•sis procde dĠune innovation conceptuelle. Tirer des propositions de fait ˆ partir dĠŽtats de choses observables ; et tirer de ces propositions des propositions gŽnŽrales soit-disant indubitablesÉ voilˆ comment lĠempirisme dogmatique devient science. Or, lĠaiguille de la croyance et de lĠintelligibilitŽ doit lire Ç pas ˆ pas È le sillon des Žtapes dĠune construction qui sert la dŽmonstration (Ç une dŽduction contemplŽe È).

[20] Cf. Ç QuĠest-ce que comprendre ? È par F. Gil, in Passion des formes / Dynamique qualitative et intelligibilitŽ / A RenŽ Thom, t. 1, Dir. M. Porte, ENS Ed., 1994, p. 146.

[21] LĠune des matrices par laquelle sĠŽcrit le TraitŽ a paru ˆ lĠAssociation lacanienne internationale (editeursatfreud-lacan.com) dĠaprs un sŽminaire du 18/10/93 ˆ lĠE.H.E.S.S. On en retrouve les analyses essentielles dans lĠintroduction (Ç Contours È) et dans les ¤140-145.

[22] TraitŽ, ¤142. Et cf. SŽm. 07/01/1995.

[23] TraitŽ, ¤142, p.223.

[24] A propos de cette pensŽe saturŽe de prŽsence, Marc Richir parle de Leibhaftigkeit. (in Modos da Evidncia, op. cit., p.367). DŽsir et volontŽ procdent traditionnellement dĠun fond commun ; la tendance la plus naturelle et lĠeffort participent dĠune mme structure tensive. Celle-ci rŽalise une Ç effusion corporelle È dans la pensŽe et une effectuation hallucinatoire de la pensŽe dans le monde comme au-dedans de soi. La vivacitŽ – lĠŽclat quasi-corporel de la prŽsence (Gil dit Lebhaftigkeit Ç de lĠŽvidence rationnelle È (¤145, p.228 du TraitŽ)) - Žvoque dans un rapport entre dŽsir et image une Leibhaftigkeit (chez un Franz von Baader) ou un Kraftleib (chez un Valentin Weigel) ; le  vigor de la vie intensifiŽe de Nietzsche qui lie processuellement dŽsirs, images, sons, concepts (Fragments posthumes/Automne1887-Mars 1888) et la Ç force dĠimagination È de lĠEinbildungskraft notamment chez Kant (cf. Gil, TraitŽ, ¤145, p.229). (Ç Einbilden È en allemand est exactement le Ç formare È latin : lĠimagination est une force de mise en forme, de faonnage des images, qui Ç traverse È la perception interne et la rŽalitŽ – la perception externe.) Cf. Richir, p.367. Et p.363 : Ç La pensŽe se transforme en chose. È

Marc Richir, lors dĠun dŽbat avec Fernando Gil, nous a fourni une introduction lumineuse au TraitŽ de lĠŽvidence. Ç Sobre o Tratado da Evidncia : debate com Marc Richir, Antonia Soulez e Patrice Loraux È, in F. Gil, Modos da Evidncia, Imprensa Nacional-Casa de Moeda, 1998, p.362.  

[25] Ç LĠaction de sĠapproprier un objet dŽsignŽ confre ˆ cet objet une prŽgnance, celle mme associŽe ˆ lĠaction qui procure la Ç satisfaction È. È R. Thom in Esquisse dĠune sŽmiophysique, citŽ in La conviction, Flammarion, 2000, p.153. Parlant dĠune Ç morphodynamique È de la dŽmonstration, de la comprŽhension et de la conviction.  

[26] Voir le commentaire du phantastikon et du phantasma de Chrysippe au ¤144 du TraitŽ.

[27]  Ç Le dŽsir se fait conna”tre en tant quĠimagination, lĠimagination se dŽploie comme vision sensible. È (Ibid., p.228, ¤144.)

[28] Sem. du 18/10/93.

[29] TraitŽ, p.228, ¤145.

[30] Cf. ¤84, p.125. Le facteur ŽnergŽtique (dŽsir) sĠaccointe au facteur figural (vision) ˆ la faveur de lĠintelligibilitŽ tactile. Fernando Gil dit que la lumire est insaisissable par elle-mme – elle est insaisissable parce quĠelle nous parcourt -, et que la prospection attentive des signes du passŽ comme des signes de lĠavenir nous Žchoit (ils peuvent sĠaccorder en nous-mmes) ; et il sait que dans lĠombre nous nĠavons que des signes pour ainsi dire occultŽs. Dans un monde visuel et spatial, il faut ˆ lĠintuition visuelle qui oriente une sympathie (une consonance) qui dŽpend de la voix (Ibid., p78). LĠunitŽ des sens en est pour ainsi dire garantie. Avec le haptique la communion des sens exprime ce que lĠon veut exprimer ; la simple perception en tant quĠelle se puisse concevoir. Le toucher appartient ˆ la langue naturelle.

(TraitŽ, cit. Rousseau, p. 122 :

Ç GalatŽe se touche et dit :

Moi.

(É)

GalathŽe fait quelques pas et touche un marbre.

Ce nĠest plus moi. È)

Le toucher nĠimplique pas un contenant mais une enveloppe (Ibid., ¤83 p124). CĠest un rejet sur un attract. Mais ce que promet le toucher dans la vision est un toucher-tre touchŽ ; une virtualitŽ de contact sur un plan de fusionnement. Le toucher garantit le moi en ses limites, et il confirme une continuitŽ des saillances particulires.

[31] SŽm., 09/03/95.

[32] In ModosÉ, op. cit., p.355. La puissance de penser nĠest pas lĠavancŽe dĠun corps massif de questions se questionnant elles-mmes – malgrŽ la noblesse du bousier, rien ne survient dĠintelligible du ressassement inlassable de la question (en particulier si la question est celle dite de lĠtre). Le multi-nivellement est tout opposŽ au style massif, nŽoclassique tel que celui qui en architecture rendit Ç kitsch È la galerie dĠantiques. Entre lĠexistence et la pensŽe il nĠy a pas la thŽmatisation sempiternelle du vŽcu, ni la prescription volubile dĠune philosophie qui sĠimprovise sagesse pour les vivants. La plupart du temps, de telles philosophies nĠatteignent jamais la valeur intellectuelle et la valence signifiante du moindre vers de Shakespeare, de la moindre rŽplique de Dosto•evski. Les dŽmarcations artificielles nĠenseignent quĠˆ moins vivre, quĠˆ penser moins. La Ç vie de lĠesprit È est lĠhistoire actuelle de cette adŽquation. Elle nĠa aucune lŽgalitŽ philosophique hors dĠelle-mme. Puissance de penser = pensŽe de la puissance.

Cf. Systmes symboliques, Science et Philosophie, Editions du CNRS, 1978. Notamment Ç Le systme de numŽrotation du Tractatus È (de Wittgenstein) par E.R. Moreno et Ç La structure cyclique de Tractatus È par M. AenishŠnslin. Ce dernier Žcrit en conclusion : Ç Le Tractatus nĠa ni dŽbut ni fin ; il nous offre un parcours de lecture quasiment illimitŽ. Il existe un parcours qui fait passer par les thses selon un ordre linŽaire, et qui nĠest pas lĠordre imprimŽ des thses. È

[33] Cf. Ç O amor da evidncia È, in ModosÉ, p.79.

[34] S. Catucci, La filosofia critica di Husserl, Ed. A. Guerini e Associati, 1995. pp.207, sq. (in Ç LĠevidenza come principio estetico È.)

(On devrait parler dĠune vŽritable Ç Žcole italienne È de la lecture de Husserl (avec Catucci, Melandri, Scaramuzza, ZecchiÉ) qui a explorŽ trs t™t le nouage de lĠesthŽtique et de lĠŽthique (sous-tendue par lĠŽvidence) chez Husserl.)  

[35] F. Gil, Ç Voyages du regard È, Les mers des Lusiades, in Y voir mieux, y regarder de plus prs/Autour dĠHubert Damisch, sous la direction de Danile Cohn, Aesthetica, Ed. Rue dĠUlm, 2003.

[36] Ibid., p.132.

[37] Ibid., p.138.

[38]  Ibid., note 23 p.277.

[39] Ibid., p.125.

[40] D. Arasse, Vermeer fin et flou, in Histoires de peintures, Gallimard/Deno‘l, 2004, p. 216.  

[41] D. Cohn, La lyre dĠOrphŽe/Goethe et lĠesthŽtique, Flammarion, 1999, p. 166-167. LĠanalogie figurale tend ˆ maintenir le plan cohŽrŽ dĠun monde dĠobjets. Danile Cohn a forgŽ, ˆ partir de Goethe, le concept dĠ Ç affinitŽ È pour dŽcrire les propagations de prŽgnances.    

[42] CitŽ par F. Gil, in TraitŽ, ¤83, p.124.

[43] M. Proust, Chroniques, Gallimard, 1927, pp.104-105. (Le Figaro, Juin 1912).

 

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