LĠnergtique de la pense
Reconnaissances
Fernando Gil
Ç Vrit, mensonge, certitude,
incertitudeÉ
Cet aveugle, l-bas sur la route, connat
aussi ces mots.
Je suis assis sur une haute marche et jĠai les
mains serres
Sur le plus haut de mes genoux croiss.
Bien : vrit, mensonge, certitude,
incertitude, et alors ?
LĠaveugle sĠarrte sur la route,
JĠai enlev mes mains du haut de mes genoux.
Vrit, mensonge, certitude, incertitude,
cĠest pareil ?
Quelque chose a boug dans un coin de la
ralit – mes genoux et mes mains –
Quelle est la science qui en a le
savoir ?
LĠaveugle poursuit son chemin et je ne fais
plus un geste.
Ce nĠest dj plus la mme heure, ni les mmes
gens, ni rien de semblable.
CĠest a, tre rel. È
F. Pessoa.
Ç Wie schwer
fllt mir zu sehen, was vor meinen Augen liegt. È
L. Wittgenstein.
.
Rien nĠest plus difficile que de rendre une pense aussi riche et difficile par elle-mme. Fernando Gil a fourni travers ses diffrentes oeuvres matire une thorie de la connaissance, une logique, une esthtique, enfin : une philosophie gnrale. Nous essayons ici dĠen esquisser les grands traits.
I
CROIRE EN LĠEVIDENCE : LA FORCE DES CHOSES.
Lors dĠune marche hasardeuse au long dĠun chemin, au milieu dĠune foule trpignante, ou encore dans le rduit dĠune chambre, nous avons dans lĠide les formations que nous reconnaissons naturellement comme penses, souvenirs, perceptionsÉ Serait-ce que nous avons ces figures ? Serait-ce que nous sommes quelque chose la source de lĠide, ou encore mme quelque chose que nous avons senti ou pens ? LĠvidence premire, empirique en partie, idelle en partie, est la suivante : nous croyons en ce sentiment dĠexister et par l, nous lui accordons comme un supplment de vie (Ç le sentiment est dj croyant[1] È). Etre et abstraction se nouent en ce sentiment qui est autant croyance que sentiment de lĠexistence en sa dure. La croyance semble supporter ce sentiment premier dĠexister dans la dure. La philosophie procde selon lĠexamen de lĠabstraction (ce quĠon se figure sans la main la pte), de lĠtre (en tant quĠil puisse tre pens), et du sensible (en tant que le dit tant quivoque puisse tout la fois tre peru et abstrait). La philosophie nat de ce Ç quelque chose È dans lĠesprit, ide ou sentiment partir de quoi lĠesprit mme tente dĠtablir des relations entre les choses et lĠtre individuel, entre les choses perues et les choses penses, et les choses dites, et propose apparemment par surcrot des synthses de formes de relations qui peuvent se dire et se penser comme SENS – est dit Ç sens È ce qui peut sĠtablir en pense selon certaines rgles.
Evidence il y a, lorsquĠon dit de prima facie dĠune perception et dĠun tmoignage quĠils le sont, Ç vidents È. Secondement, lĠvidence veut que perception ou tmoignage (ncessairement dĠun senti ou dĠune perception) sĠnoncent au Ç je È. Mais une fois passes ces Ç vidences È triviales, il reste soulever le problme smantique majeur dĠune telle caractrisation. Le terme dĠ Ç vidence È dit tout la fois lĠintuition immdiate, lĠopinion, ou la perception affirme mais forcment trompeuse ; et la donne probante, la preuve (Ç evidence È en anglais), cependant que toujours contestable. Mais dĠo provient ce rapport troit entre vidence et vrit ? Serait-ce que la vrit sĠaccointe la chose quĠon dsigne du doigt dans la perception dĠun monde dĠobjets ? Ou bien que lĠon fasse lĠexamen dans lĠintellect des forces et des choses qui contribuent la saisie du rel comme vrai ? Ç Ce qui est vident È exprime la fois le premier donn dĠun rel qui nous parat Ç vrai È et le rsultat dĠune abstraction de ce donn qui doit, pour tre Ç vrai È, subsister formellement au cÏur de cette abstraction processuellement rgle.
LĠvidence choit, comme exprience, autant aux mystiques quĠaux mathmaticiens, aux artistes autant quĠaux philosophesÉ ainsi quĠ la prsence nue dĠobjets dans la perception commune. Mais lĠineffable dĠune vision ne concide pas avec lĠindicible dĠune exprience ; autrement dit : ce quĠon ne peut supporter nĠquivaut pas ce quĠon ne peut dire. De la soustraction de la pense la soustraction de lĠexistence, il y a un pas. Deux excs de pense et dĠexprience en jaillissent : lĠun consacre lĠefficience magique de lĠinfigurable ; lĠautre admet les limites simples de lĠexistence humaine. En ces deux cas, nous sommes borns en pense par deux ngatifs. LĠvidence dbordera ces positions. Une ncessit philosophique primordiale veut quĠon se tienne Ç dans les bornes de lĠintelligible È, dirait Goethe. Car si lĠvidence embrassait lĠineffable comme tel et lĠindicible au cÏur de toute parole, de tout discours, le sort en serait jet : rien ne serait plus connatreÉ et mme ces derniers mots sĠvanouiraient aussitt prononcs. LĠvidence comme excs en ses limites : ineffable ou indicible, elle ne doit pas cder la facile indication du rien.
La philosophie est vrit, et peut-tre en tant quĠelle est recherche de la vrit. Et, en son fondement, cĠest le vrai qui sĠincarne comme vrai, et non le faux ml de vrai. Et, a fortiori, le faux ne peut sĠincarner comme vrai. Mais il y a vrit quand les bornes de lĠindicible et de lĠinintelligible sĠinfolient lĠintrieur du vrai. Elles se replient en sĠattnuant. Mais si on peut un premier temps retenir cette image, elle ne peut nous aider penser la force qui prend source lĠintrieur de lĠexprience de la conscience, de lĠintrieur de la pense qui garantirait lĠinluctabilit de lĠvidence comme telle. Fernando Gil a dtaill le processus. Plus, il lui a donn un rythme.
SĠil y a une Ç nergtique de la pense È, elle ne provient pas exactement des franges dĠabord inintelligibles qui bornent lĠintelligible, mais du cÏur de lĠintelligible lui-mme, o ce quĠon avait cru dĠabord devoir repousser hors du sens sĠy dvoile comme fondement, efficace du signe, noyau de croyance primordiale qui fonde et lĠvidence et lĠexistence. Et lĠun des noms de cette nergie est dsir – Gil reprend clairement le mot.
On doit sans doute tenir le Trait de lĠvidence de Fernando Gil comme centre pivot de toute sa pense. La force programmatique, son expression imprieuse, enfin sa rfrence une fondation quĠon expose, au sens kantien, rien dans ce grand livre ne manquait de nous lĠindiquer. Des termes recouvrent une phnomnalit en excs : donation et auto-donation ; monstration et dmonstration (o la charnire se nomme intuition) ; jugement et exprience (dont le nÏud doit tre appel imagination).
Au dbut du chapitre premier, Husserl guide la rflexion de Gil.
Ç Il faut sĠarrter sur le
statut dĠune vidence qui, dĠune faon peine mtaphorique, se ralise
charnellement et envahit la conscience en entier. Car il y a un excs au cÏur de lĠvidence, tant du point de vue
de la comprhension que de lĠextension.
Du point de vue de la
comprhension, lĠvidence se dfinit comme une Ç auto-donation en
personne È (Selbstgegebenheit) – et cĠest dĠailleurs pourquoi elle peut faire signe[2]. È
Au point mme, ajoute Gil, que lĠextension conceptuelle que confre Husserl lĠvidence - et bien que cette extension rponde au caractre Ç naturellement È fantasmatique de lĠvidence - atteint un tel degr de gnralit que la distinction entre Ç lĠvidence rationnelle, philosophique ou mathmatique È et Ç une vidence sans bornes qui embrasse toutes les formes de la conscience[3] È, ne se supporterait pas dĠune distinction stricte.
Mais paralllement une surabondance de la donation qui caractrise lĠvidence, il y a le Ç sol de lĠexprience È o sĠenracinent perception et jugement antprdicatif.
Ç En de du jugement de prdication il y a le jugement dĠexprience, sous-tendu par une foi primordiale en lĠexistence.[4] È
Ç La foi primordiale [lĠUrglaube husserlien] est la foi perceptive, mode et modle originaire de lĠvidence ÈÉ Ç Mais, continue Gil, on ne sait pas pourquoi la perception doit tre vidente : en poursuivant le programme de Husserl, dans une gense la fois transcendantale et anthropologique, il faudra revenir en amont de ce proton, dpister un Ur-Urglaube. È
Et, par suite[5] :
Ç En tout tat de cause, la
perception reste la forme princeps, le fond et le fonds des versions
rationnelles de lĠvidence. CĠest donc tout naturellement que lĠintelligibilit
de lĠvidence – se traduisant par des notions comme ostension ou
intuition – a les sens pour assise. Le vocabulaire accueille et
intensifie une certaine exprience du monde qui elle-mme reprsente lĠeffet
conjoint des sens et du langage qui lĠnonce. È
Fernando Gil trouve une proto-catgorialit redistribuant les rapports entre perception et langage, notamment travers une lecture de Malebranche. ÇLĠvidence mobilise tout le systme des sens. È
Ç On aura dmarqu trois
groupes de donnes : la rfrence sensorielle de lĠvidence (elle se double dĠune linguistique), le dsir, la force clatante. È Mtaphores de lĠorientation, du toucher et de la vue (un toucher qui voit assure la Ç captation de la lumire È), de
lĠoue ; Ç lĠactif et le passif (lĠentendement reoit, il nĠagit pas), la recherche, lĠinterrogation È ; Ç la puret, la vivacit, lĠclat de lĠvidenceÉ. [6] È
LĠvidence Ç comporte un registre smiotique (le faire-signe de la vrit, partir de la sensorialit et dĠune certaine linguistique) et un registre nergtique (lĠaffect intellectuel, la modalisation dĠun dsir sui generis)È.
Cet Ç affect intellectuel È conditionne un geste dĠintelligibilit. Une nergtique de la pense produit lĠaffect intellectuel et soutient lĠexister lui-mme.
Sur un autre versant, lĠapproche anthopologique que suit Gil lĠentrane dans lĠarchacit de Ç systmes de croyances et de pratiques[7]È o des aspects fondamentaux du droit archaque, de la magie et du mythe se nouent en une smiotique et une smantique de lĠinjonction, de la prsencialit et de lĠincarnation du sens.
Ç La force rside dans le sens et le sens est inscrit dans le signe, index du sacr, de la faute, de lĠautorit, de la promesse, et source dĠune efficacit symbolique[8]. È
Dans le discours rituel, le signe (en tant quĠamorce primordiale de lĠexprience religieuse) se dmarque dĠabord par une force de prsence, arbitraire du point de la rfrence smiotique, quĠon identifie la divinit. Son iconicit nĠest pas ressemblance mais immanence. La divinit Ç se consubstantialise dans le signe[9] È. LĠarbitraire du signe confirme Ç lĠexigence de lĠincarnation È plutt que lĠ Ç affinit mimtiqueÈ[10]. Ainsi en va-t-il de la souverainet, de sa puissance, et de la dcision souveraine, dira plus tard Fernando Gil[11].
Un signe muni dĠune force et dont la signification comme provenance est effaceÉ LĠopacification de la signification, Ç procd potique universel È, crit Gil. Tout cela sert Ç lĠinstauration dĠun discours sĠauto-validant[12] È. Le message est vident : il se laisse contempler sans pouvoir tre expliqu.
Le rituel actualise un pass immmorial et la prophtie actualise le futur[13]. Ç O est ce futur que le prophte voit ?[14] È Ç Le futur doit dĠune certaine faon se trouver dj l, dans toute sa plnitude. È CĠest une dfinition du virtuel que nous fournit ici Fernando Gil, de la co-prsence dĠune ralit qui nĠa rien de potentielle.
Les signes en attente de significations (mais dont le sens est dj une force) jaillissent comme la surface ou la jonction de la vision des choses et de soi-mme comme source de cette vision. Le premier signe est sans forme ni nom. Il avance vers nous avec la force dĠun visage anim dĠun regard. Avant dĠtre lĠembrayeur dĠune exprience qualifiant ses objets, le premier signe est une piphanie. Un dtail clatant qui grossit aux dimensions de la vision entire. Un tissu du visible ; lĠUr-urdoxa dans la perception est la condition du perceptuel, la fois opration et tissu conjonctif entre soi et vision, surface dĠchanges o tout est vu et voyant.
LĠEtre, lĠesse, donc le verbe, se diffracte en un tant, subsistens, dont lĠattribut principal est lĠadjectif lucens, Ç le luisant È, et en essence Ç essentia È, dont lĠimage premire est la lumire comme flux. A chaque concept doit correspondre un nom, un verbe, un adjectif. Et tous, selon leurs modes, doivent indiquer une orientation vers la lumire. La lumire est lĠoprateur du par soi, oprateur qui a le nom de Nous chez Thomas dĠAquin comme dans toute la scolastique mdivale. Comme pour la dfinition de lĠinfini chez Aristote, la dfinition du par soi et de lĠesse se dpartage entre un jugement dont la facture est une proposition syncatgormatique (elle ne signifie rien par elle-mme) et un jugement dont la facture est dĠordre catgormatique (signifiant par elle-mme). LĠens (par soi) Ç dsigne lĠtant quĠest le luisant È et Ç la lumire qui peut illuminer en vertu de son luire propre È. Le contact est toujours saisissement dĠune rfraction de lĠtre. La preuve anselmienne est une Ç archologie de Dieu È, alors que Dieu nĠa pas laiss de traces[15].
Les
coupures blessent la Ç chair È dĠun substrat, comme lĠattribut
Ç coupe È par le verbe le nom de Dieu. Par cette blessure sĠcoule un
regard ruisselant dĠune prgnance universelle. Il y
a un se-tenir-prsent de la chose comme leibhaftig,
son effet figuratif se confond avec le signe-force qui la produit. La prgnance
du nom (Dieu) est diffrente de son concept[16].
Le
mme oprateur occasionne lĠexistence du singulier et lĠexistence de Dieu,
parce quĠil localise lĠinfini dans le singulier et
le fait tendre la position dĠexistence. De mme que lĠinfini dans lĠexistant
tend la singularit. LĠexistence de Dieu est dans le participable de lĠexistence singulire[17].
La thorie stocienne des exprimables qui introduit la conformation du nom au flot inscable de la proposition (alors quĠelle semble dĠabord liminer la copule de prime attribution) engage le point de la contamination forte au cÏur de toute attribution. On ne peut pas comprendre les logiques apparemment mtaphoriques de contamination du verbe et de lĠattribut, du sujet et du verbe, par exemple chez Matre Eckhart[18] sans le pralable que nous formulons ici.
LĠesprit devrait-il se laisser capturer par son objet (de dsir et de connaissance) avant dĠen pouvoir dire la vrit ?
Beaucoup ont vu dans lĠenseignement de Fernando Gil une pistmologie de contrle alors quĠil sĠagissait dĠune philosophie de lĠesprit. Comme Ren Thom, Fernando Gil occupe une position paradoxale. La contrainte de description (coupe du critre de la prdictibilit) doit dominer les ontologies rgionales. La description doit en premier et en dernier lieu dominer la mthode de la connaissance : lĠexplication, la Nicolas de Cues, sĠy dploie dĠelle-mme[19].
La description (comme une Ç bonne peinture È) nous garantit la clart du dtail. La localit (comme le tod ti aristotlicien) est in fine lĠintelligibilit vise ; mme si fonde sur un substrat intensivement tendu (un tissu non figuratif de prgnances), la saillance investie dĠune prgnance devient un objet pour la connaissance dont on a lĠexprience. Plus, lĠinstar de la mtaphysique thomiste, ce nĠest pas le Ç fait dĠtre È, lĠexister qui doit mobiliser notre questionnement, mais la singularit, son archtype dĠun point de vue raliste fort, et son participable. La prgnance est dvorante (elle est, par exemple, une surestimation pathique dĠun prdicat qui absorbe son substrat). Ç Le ciel est bleu. È Le bleu envahit le ciel[20].
Les
vidences langagires sont galement des vidences psychiques. LĠanalogie
dborde la mtaphore ; elle est entis et realis quand elle fusionne et transforme son substrat initial. CĠest la
condition mme de la connaissance.
Or, par quelle opration une pense, une parole, un signe peuvent-ils jouir de ralit ? Ou, encore : comment une saillance dans le monde peru peut-tre investie dĠune prgnance ?
Il faut revenir cette Ç foi primordiale È prcdant le jugement dĠexprience, ce dernier prcdant son tour le jugement prdicatif.
Energtique de la pense, efficace du signe et de la croyance primordiale, naturalit asubjective de lĠesprit et de lĠexister, exprience perceptiveÉ vont trouver ici leur Ç premier oprateur È : lĠhallucination.
Dans En de de lĠexistence et de lĠattribution : croyance et hallucination, Gil autorise la substituabilit de lĠvidence par la croyance, au stade de lĠantriorit ÇabsolueÈ toute factualit et au jugement. LĠhallucination apparat, dĠabord la suite Freud, comme cette disposition dĠ Èune entit en de de tout jugement È et comme Ç lĠoprateur naturel de lĠvidence[21] È.
La constitution dĠune Ç fiction È est celle dĠune Ç hallucination primitive (É) antrieure la schize de lĠobjectif et du subjectif È. Le soutnement ant-prdicatif de lĠattribution rside en une sphre des tendances. Dans un premier temps, suivant Freud et Gil, lĠEros est associ lĠaffirmation et Ç la pulsion de destruction, qui expulse, la ngation. È Le Ç cadre logique È de lĠattribution y est dfini. Un Ç moi-plaisir È archaque Ç veut introjecter le bon et jeter hors de lui tout ce qui est mauvais È, crit Freud. Et Gil : Ç LĠaffirmation mange le bon, la ngation crache le mauvais. È Deux Ç oprations originaires È qui ne sauraient pour autant Ç annuler la positivit originaire du sens È. Gil reprend Husserl : la ngation Ç ne cre pas le nouvel objet dĠtre ; mme quand on Ç opre È le refus, ce qui est refus accde la conscience avec son caractre de biffage È. Ç Le sens biff nĠest pas un sens effac. È (Ibid.) Irait-on jusquĠ dire quĠil rvle lĠtre lui-mme. Affirmation et ngation ne sont pas des oprateurs primitifs ; ce qui est premier est encore lĠtre comme sens. Avec de Bion, Gil prcisera que cĠest la personnalit entire qui doit tre Ç vacue È ou Ç satisfaire È lĠhallucination[22].
Le jugement dĠexistence, qui consacre lĠentre en ralit dĠun Ç moi-rel È, introduit lĠinterrogation subjective et le doute sur les perceptions et la ralit de leurs reprsentations. Comment Freud peut-il ensuite dclarer quĠil y a un moi-rel Ç plus originel È, antrieur au moi-plaisir ? Le sens originaire dĠun dsir et dĠune reprsentation qui jouissent de ralit prime sur le cadre logique de lĠattribution et la perception dĠobjet Ç rels È. Une aperception dĠabord hallucinatoire est Ç destine È se rpter. A ce prix se constitue-t-elle perception indubitable – vidente – dĠun objet. Ç LĠhallucination nĠest pas une perception sans objet, cĠest la perception qui est une hallucination avec un objet È (É) Ç Écomme si la perception tait le remplissement de lĠhallucination È. Hallucination primitive qui persuade de la satisfaction des Ç retrouvailles È avec un objet ayant dj t donn dans la perception. Ç LĠhallucination est la fois le mode originaire de la reprsentation et le modle de la reprsentation en gnral. È
LĠopration hallucinatoire de lĠexister Ç remonte È en amont du cadre logique de lĠattribution : cĠest elle qui pourvoit la liaison et la dliaison, lĠaffirmation ou la ngation. (Elle ne sĠy soumet pas comme Ç dni de ralit È et Ç compromis entre lĠaffirmation et la ngation. È (¤140)) La force de lĠopration hallucinatoire imprime les valeurs (attracts, rejetsÉ) primordiales aux perceptions et aux reprsentations. Elle est dj attention et ostension (¤145).
Ç LĠhallucination ne fait
pas sens, elle est prsentation et nergie pures, le visage vert aux yeux
rouges et lĠinexprimable terreur de lĠhomme aux loups[23]. È
LA Ç FORCE DES CHOSES È QUI SE PRESENTENT A NOUS AVEC EVIDENCE PROCEDE DE LĠHALLUCINATION DE CES CHOSES ET DE LA CROYANCE IRREVOCABLE EN LEUR REALITE. (Celle-ci prsente un objet comblant un dsir.) Encore plus fondamentalement, Ç lĠvidence hallucine la pense comme une chose È. LĠvidence hallucinatoire donne une corporit la pense, la prsencialit dĠun corps[24].
Il faut entendre dans lĠhallucination un double mouvement. La pense Ç sĠhallucine È dans la chose en se lĠappropriant comme chose-pense ; et la chose est hallucine dans la pense comme pense vivante et vivace qui nous capte[25].
Et on peut encore dpister une Ç structure du dsir È qui soutient lĠhallucination primitive, et donc la croyance et lĠvidence. Une Ç traction vide imaginative[26] È, pure tendance, pulsion, tend lĠimage. LE FONDEMENT ENERGETIQUE DU PENSER SE DEPLOIE EN PENSEE FIGURALE[27].
Pr-intentionnelle, lumire in genita loge dans lĠesprit (dont le concept est lĠintuition)É la Ç fonction de prsentation È de lĠhallucination
Ç anime le rve, le
fantasme, la forclusion ; mais elle est lĠÏuvre dans lĠart comme dans la
prophtie et elle prside galement au schmatisme kantien, la rhtorique de
lĠexemplum, la pense
diagrammatique des mathmatiques suivant Peirce, lĠvidence
philosophique. È
Ç LĠimage est affecte
– mais il sĠagit plutt dĠune auto-affection du sujet – dĠun
coefficient de ralit. Le moi-sujet Ç croit È cette ralit, la vertu
ralisante de lĠhallucination
a pour seule fonction de fournir un support la croyance en cette mme ralit
quĠelle institue. Plus prcisment, lĠhallucination institue dĠun seul coup
et par le mme geste la foi et le support de la foi. È
Ç Existence et croyance se
donnent lĠune par lĠautre et lĠune pour lĠautre. Et elles le font par
lĠcriture de lĠhallucination. Car la croyance est crite, elle ne se confine
pas dans la seule intriorit Ç vcue È. LĠhallucination primitive
crit la croyance avec les graphmes de lĠimagination. La foi primordiale est dj la foi des religions du
Livre[28]. È
Aux ¤140 et ¤141 du Trait (et au tableau VII de lĠopration de lĠvidence), Gil dvoile la mthodologie de lĠarrachement des concepts-clefs du socle sur lequel ils ont dĠabord pris forme (lĠhallucination, de la psychopathologie, ou lĠattention, de la psychologie, par exemple). LĠensemble des formations et transformations de la pense et de la Ç ralit È de lĠvidence y est ressaisi en une structure qui en exhibe les fonctions et les lments.
Ç Un oprateur est un
algorithme susceptible de construire une expression nouvelle partir
dĠexpressions dj formes. (É) DĠune faon gnrale, on appellera oprateur
tout dispositif spcifique de transformation, ainsi lĠhallucination
transformera un donn sensoriel et linguistique en intelligibilit et
lĠintelligibilit en satisfaction de lĠesprit. È
Ç Les oprations se font
sur des objets. Le donn linguistique et sensoriel travaill par la premire
opration (Ç H È) reprsente un Ç objet 1 È,
lĠintelligibilit ainsi produite, un Ç objet 2 È, reconstruit son
tour comme vidence par la deuxime opration (Ç E È). Les deux
oprations sont le fait dĠun seul facteur, il faut donc quĠune mme structure
sous-tende lĠopration-H et lĠopration-E. Elle dbute dans une opration plus
primitive que lĠon nommera opration-X. Pour agir, il faut aussi que lĠoprateur possde une
force propre (exemple, le
pouvoir de liaison des connecteurs logiques) ; les oprations de
lĠvidence ont un versant nergtique, dsirant, qui a des noms diffrents en
X, H et E. Les oprations exhibent un second versant, figural, il a galement des contenus diffrents
suivant les cas. Figuration et force se donnent ensemble et fusionnes, depuis
le dbut du procs jusquĠ son remplissement. Vrit – la vrit de lĠvidence – et existence en reprsentent le sens ultime. È
On y rencontre une co-irrigation dĠune Ç forme vide È qui est une Ç force nue[29] È, dĠune hallucination inductrice de ralit objectale et, in fine, dĠune vidence opratoire qui produit la monstration apodictique de lĠexistence et la satisfaction de lĠesprit en son adquation au vrai. CĠest au cours des transformations dĠobjet et de lĠexprience que se distribue la prvalence ou de lĠnergtique ou du figural[30].
Les groupes de procs, de transformations et dĠoprations que dcrit Fernando Gil forment lĠanalyse fine des mmes procs qui mnent, par exemple chez Husserl, de lĠobjet donn par esquisses dans une Ç observation simple È (Betrachtung) au nome, ou du sujet pris dans lĠattitude nave au sujet phnomnologique prouvant la certitude de croyance en connaissant lĠobjet comme nome. Fernando Gil pointe mme jusquĠaux hors-champs de ce que lĠon peut connatre.
Le tour de force de la construction de lĠvidence par Fernando Gil tient une dissolution des frontires domaniales et des appartenances catgorielles qui rglementaient les donnes de la sensorialit et les concepts gnriques, les noms (avec leurs surcharges smantiques triviales ou practico-inertes) et pour une part certains clivages dans les ontologies rgionales. Tout le corpus de lĠvidence, de la croyance (comme ailleurs de la conviction) est absorb dans une perspective gnosologique. Et bien que lĠexcs du fondement, de la lumire (en un sens que nous approfondirons), de la force initiale de lĠimagination, de Dieu, ou de la souverainet demeureront aux frontires de lĠindicible et de lĠinintelligible, ils devront tenir une Ç place È opratoire – ils devront tre instancis (par exemple, la lumire deviendra lĠoprateur du par soi[31] – lĠintrieur dĠune thorie gnrale de la connaissance.
On notera une schmatisation davantage tabulaire dans le Trait qui diffre de la schmatisation diagrammatique de La conviction. On connat lĠimportance quĠa pour Fernando Gil la Ç spatialisation de la pense È. La structure numrique du Trait comme celle de Preuves est une Ç mtrique È de la pense. Patrice Loraux soulignera la forme et le style du Tratado[32] et sa Ç connotation mdicale È. De plus, un systme symbolique peut ressembler une carte gographique qui oriente la pense, une nouvelle description jalonne de nombres. En outre, la numrosit du Trait suggre le multi-nivellement de la pense : quĠon doive se faire chose pour le penser ; quĠon doive penser par soi-mme lorsquĠon poursuit en lisant ou en coutant, ce qui doit vouloir dire cheminer simultanment en plusieurs voies sans que les contradictions ne soient rdimantes.
Diffractante, rfractante, ou en pleine exposition, la lumire est toujours ce quĠelle est. Elle est transversalement lĠaspiration laquelle nous devons notre regard, et elle est par les objets que nous connaissons la luisance qui est notre attract premier.
II
PHILOSOPHIE DE LA LUMIERE.
Evidence et accordage : une force, le vent, une caresse ou un choc provoque un son. Une srie dĠharmoniques naturelles rsonnent, mais il y a indcidabilit selon le contenu et la provenance, entre la Ç signature des choses È et le geste volitif. Une force compulsive (qui allie en elle dsir et volont) tente de rpter le choc ou le vent. Vers un accordage qui assurera la ralit de lĠvidence. (De lĠvidence dĠun son premier dont on ne pourra dire sĠil est naturel ou artificiel[33].) Cet Ç accordage È, la scolastique mdivale le nomme encore claritas[34].
DĠune lumire on ne peut donner la carte. On peut seulement sĠy orienter. La lumire est lĠattract premier, la prgnance originelle pour qui vient au monde.
Comment rendre compte dĠune lumire qui est la fois le flux dans lequel on baigne et la multiplicit de rayons, dĠobjets rayonnants que lĠon peroit ? Comment savoir quelque chose de la lumire alors que nous sommes peut-tre encore dedans ? Nous ne savons de la lumire que la luisance. Comment dcrire les objets de notre monde que la lumire claire ?
Fernando Gil a comment les cartes gographiques, maritimes de lĠocan Indien tablies par les Reinel au XVIme sicle. Une carte gographique est en elle-mme la description dĠune vision et un message multi-nivel.
Ç Les cartes contiennent
des rcits historiques et dploient le mouvement des dcouvertes, vers lĠest et
vers lĠouest. Elles sont des objets dĠart, au mme titre que, par exemple, les
crucifix, les retables, etc. de lĠart chrtien : des objets ayant une
fonction qui nĠest pas au premier chef artistique, mais dont la peinture
sĠapproprie. Cette appropriation va bien au-del de lĠornementation. Les cartes
jouent diffrents niveaux de la relation complexe entre abstraction et
vidence, qui sont les deux ples de lĠÏuvre dĠart : jĠentends par
Ç vidence È un rgime intensifi du sensible, et par
Ç abstraction È la prise de distance par rapport ce sensible, en
quoi constitue lĠeffet premier de la reprsentation. De ce point de vue, les
cartes ralisent en quelque sorte une prsentation de lĠactivit artistique
elle-mme, car elles restituent le sensible comme tel (elles dcrivent des
paysages) par des procds abstraits. LĠabstraction permet ensuite que lĠart
communique – et dĠune certaine faon il lui faut communiquer – avec
toute autre pense non sensible, ce qui ouvre vers une question
redoutable : comment les formalismes des arts, les graphismes de la peinture
notamment, sont-ils aptes vhiculer des penses abstraites dĠune nature tout
fait autre que ces formalismes ? La rponse se trouve dans ce quĠil
faudrait appeler la Ç vocation spatialisante È de la pense abstraite
et dans la smantique qui lui est naturellement attache. Elle serait le
pendant, ct abstraction, de la fonction mimtique, ct sensible[35]. È
Le Ç paysage des rhumbs est structurant mais aussi inventif È (p.130). La structure, le maillage des rhumbs, conduit la ralit compacte dĠune vision. Dans la reprsentation, les rhumbs ne sont pas uniquement des lignes qui relient des points les uns aux autres, mais la matire dĠune vision qui devient solide. La protosyntaxe dĠune carte est performative : elle tmoigne dĠune gographie enregistre et forme un Ç appel È une autre gographie, une autre histoire. Comme le signe dans le discours rituel, la carte consacre une archacit mythique et actualise par prophtie, presque, les Ç donnes È de lĠavenir. La carte peut encore sĠauto-dsigner, comme matrice dĠorientations, pont trac entre le connu et lĠinconnu. LĠÏuvre sĠnonce, opus cogitans, la premire personne – comme lĠexprience et lĠvidence. Ostention, monstration, performation se lient en un mouvement conscutif dans lequel la carte sĠinstitue elle-mme.
Ç Moi, carte faite par Pedro Reinel, je suis le lion
entre la Serra Lia et la Mina, qui tient debout le drapeau portugais. Ce lion
nĠest pas quĠune reprsentation iconique faite par le cartographe suivant les
conventions de lĠart, livrant la lgende Ç hic sunt leones È. Le cartographe mĠa voulue vivante, de sorte
authentiquer et donner vie lĠimage, je suis la transfiguration de lĠicne
en lion-roi, le symbole abstrait de la majest portugaise[36]. È
Les caravelles et leurs symboles dterminent en sĠautodterminant la force et la prsence comme corps la fois de la mer et de la carte elle-mme. Ç CĠest leur posture qui les personnifie encore le mieux : elles sont pour la plupart, y compris les plus grandes, tournes vers nous, comme un visage qui montre toujours le mme visage. È (p.133) Mais Ç le regard nĠest pas, comme le mot, signifiant en soi È (p.137). Il y a bien un Ç fait È que le langage ou lĠexprience nĠenregistre pas, une Ç sur-ralit È.
Ç Son secret rside dans
une surcharge de prsence, Ç excessive È par rapport la perception,
quĠon peut appeler Ç aura È de lĠindividuel ou individuel intensifi.
Le champ des possibles et lĠactualit de lĠoccupation se compltent par
lĠinvestissement du regard dans les choses que la carte exhibe. Pour quĠil y
ait prsence – pour que lĠeffet de prsence se produise – il faudra
isoler lĠindividuel, car seul le concret individualis possde une prsence[37]. È
Une fois encore, Fernando Gil met le doigt sur lĠnigme qui relie lĠindividuum intensifi, sur sa place et son intensit dans un espace tissulaire, rticul, qui en permet la prsence et la propagation. Il y va de la carte comme du pome, lĠvidence opre sur le sensible comme sur lĠintellect. La sur-ralit est cnesthsique. Ç Les cartes sont des objets artistiques[38]. È Et : Ç sans prsence, par dĠart. È LĠpiphanie qui parat dĠabord comme une Ç haecceitas sans concept È est en fait, simultanment, lĠtincelle du Nous (apex mentis, scintilla mentis) de lĠintellect.
Fernando Gil avait situ les motivations dĠune telle gographie entre Ç refondation et conqute È. Mais des sous-notions semblent sĠy adjoindre : prospection et invention. La prospection est avant tout une description, un trac, une estimation. LĠinvention est effectivit : elle rpond chez Fernando Gil la capture effective du sens comme vrai. Tendre un pige ce nĠest pas forcment raliser effectivement la capture de la proie. Une structure Ç ralise È une fonction, mais cette dernire nĠest effective quĠen vertu dĠautres forces ou dĠautres impulsions. La combinaison, le graphe, la seule organologie ne permettent pas lĠeffectivit finale. LĠabstraction est avant tout prospection ; lĠvidence est avant tout invention. Le jeu, lĠÏuvre dĠart, la carte de gographie, mais aussi la pense, et mme la rencontre sensorielle entre un Ïil et un objetÉ sont toujours virtuellement une surface dĠchanges entre deux systmes perceptifs. Ce qui suffit montrer lĠexcs sur un dispositif, sur le caractre dispositionnel ordonnanc une fin dĠune structure (dĠun pige). Image, tel est le nom que lĠon peut donner cette continuit non-figurative, ce tissu propagatif de prgnances. Fernando Gil dit un jour : Ç LĠespace est une image qui jouit de ralit. È Il dit de ces cartes que leur pense est double : Ç refondation et conqute, voyage et dcouverte, quĠil faut considrer en un sens quasi kantien : dans lĠimaginaire du XVI sicle portugais, nouvelle fondation du Portugal et voyage sont des valeurs Ç suprasensibles È. Les cartes sont aussi des symboles, tels que Kant les entendait. Tout ceci, abstraction et vidence, prsentation et reprsentation, ide et sensible, se donne en mme temps[39]. È
Or, il y a une certaine Ç nature È du symbole qui dit tantt lĠanalogie tantt la fusion. La DISTANCE (celle de la reprsentation, de lĠ Ç abstraction ÈÉ) est celle dĠune couleur, dĠun ensemble de points qui apparatÉ LĠANALOGIE est anhypothtique – cĠest une reconnaissance longitudinale ; elle dit : Ç ceci est un visage È, ou Ç cĠest un visage È (comme celui que jĠai vu ou bien que jĠai). La FUSION nous fait dire : Ç je suis ce visage, de telle couleur, de telles relations de lignes et de points ÈÉ Le symbole se rvle au cÏur de la fusion (mme si son Ç statut È smiotique tait constitu dans la distance). Le symbole est aveu : Ç je suis la moiti dĠune reprsentation ; et la moiti que je vois est ce dont je suis moi-mme une reprsentation È.
Ce qui spare la distance de la fusion, cĠest ce qui spare lĠabstraction reprsentationnelle lĠtat natif de la lumire sans mdiation – celle qui enveloppe ce qui est vu et ce qui est voyant en un mme flux.
Gil a tabli une distinction entre invention et prospection. LĠenfant du conte dessine une porte sur un mur afin de lĠouvrir ; lĠenfant prospecteur cherche les lignes et les signes dchiffrables dĠune porte dissimule dans le lieu.
Une allgorie de la connaissance et de la lumire ?
Je songe LĠAstronome de Vermeer. Dans lĠombre ses doigts (dans lĠcart de 45 degrs qui spare le pouce et lĠindex) mesurent une portion de globe terrestre. La lumire pntrant la fentre la gauche du tableau le prive dĠune vision claire. La main articule en un point toutes les fuyantes et les lignes perspectives. Le cosmos y est microcosme qui redploie les formes en objets partir dĠune rflexion originelle de la lumire (et comme dans toute cosmologie, il y a un haut et un bas, une gauche et une droite). Toute peinture est pour Vermeer, comme pour beaucoup de peintres, une Ç allgorie de la peinture È ; il y a toujours un tableau du tableau dans le tableau, un Mose, ou une carte marine, comme dans Le Gographe. Enfin, que mesure cet astronome dans lĠobscurit dĠun globe que si peu de lumire claire ? Mais le globe tournait un instant auparavant. Ce nĠest pas lĠobjet qui est inconnaissable, mais le geste dĠintelligibilit qui sĠoppose la lumire. Quelque soit le degr de vie ou de mouvement dĠun objet, nous sommes rduits cela : mesurer dans le cabinet de confusions ombreuses les rflexions de la lumire sur la terre. La Ç bonne description È soit surgir dĠun aveuglement et dĠune illumination.
Daniel Arasse, dchiffrant LĠArt de la peinture, une allgorie de la peinture par VermeerÉ Ç Il y a une carte gographique, magnifiquement reproduite mais illisible, parce que la lumire empche de la voir. On peut lire une seule chose : Nuova descriptio, en haut, dans la bande. (É) Cet Art de la peinture, comme lĠappelait Vermeer, cĠest une nuova descriptio, et descriptio a voulait dire peinture. CĠest--dire que Vermeer a parfaitement conscience que, tout en se situant dans la tradition de la grande peinture dĠHistoire (É)[40] È [incluant la Gographie qui est] Ç comme le disent les gens du XVIIe sicle (É) lĠHistoire mise devant les yeux (É) È [Quelle est cette Ç nuova descriptio È que nous propose Vermeer ? OuÉ] Ç De quoi la peinture de Vermeer est-elle la connaissance dmontre ? De la lumire. LĠaspect des choses est le Ç prospect È, aurait dit Poussin, de Vermeer. Le prospect de Vermeer, dans cette optique, cĠest lĠaspect lumineux des choses. Cette science de la lumire a pour rsultat, et cĠest un paradoxe magnifique, dĠblouir les connaissances de ce quĠelle montre. CĠest--dire que quand la carte gographique est claire par la lumire, on ne peut plus la lire. CĠest normal ! CĠest une carte de peinture, une carte voir et non une carte lire. Mais cette lumire qui fait voir, et qui blouit la connaissance de ce quĠelle montre, permet de passer la mtaphysique de la lumire chez Vermeer. È
Ç Elle [la connaissance] semble donc travailler rebours de la rigueur que lĠon est en droit dĠexiger dĠun savoir et se suffire dĠune bigarrure analogique que lui procure lĠextensivit de lĠimagination (É) LĠaffinit tient ensemble le sujet et lĠobjet et lgitime les procds de lĠentendement par la prsupposition dĠun accord possible, si ce nĠest garanti[41]. È
Ç Le Tableau III indique la systmaticit des
mtaphores dĠun mme concept par la corrlation entre integritas, claritas et consonantia. Ces termes dnotent chez Saint Thomas les
caractristiques de la beaut (pulchritudo), dans le contexte de la rpartition des attributs
divins par le Pre, le Fils et le Saint-Esprit. Trois proprits sont requises
pour la beaut, lĠintgrit ou perfectio, la consonance ou proportion (proportio), la clart effet de la nettet de la couleur
[Summa Theologiae, I, q.
39, a. 8, arg. 2, Ç (É) unde quae habent colorem nitidum, pulchra esse
dicuntur È.] ;
elles se rapportent au Contact et la Capture (cette clture sur soi que le
toucher apprhende mieux que tout autre sens) lĠAccord des voix, la Lumire
qui fait voir, tous des mtaphores de lĠvidence.
Cette vocation de Saint Thomas, on lĠa trouve dans Stephen
Hero – et ce en prise
directe avec lĠvidence. Dans leurs errances travers Dublin, Stephen explique
une fois lĠami Cranly que les choses que lĠon a vues cent fois dĠun Ïil
distrait, parfois Ç piphanisent È :
Ç Puis un beau jour je la regarde et je vois
aussitt ce que cĠest : une piphanie.
- Quoi ?
- Reprsente-toi mes regards sur cette horloge comme
des essais dĠun Ïil spirituel cherchant fixer sa vision sur un foyer prcis.
Or cĠest dans cette piphanie que je trouve la troisime qualit, la qualit
suprme du beau. È [James Joyce, Stephen Hero, in Joyce, Îuvres, I, Pliade,
Gallimard, Paris, 1982, p. 512 ss.]
Stephen sĠembarque l dans une savante glose des
qualits du Beau selon Thomas. Il les rend par wholeness (Ç tu spares ncessairement cet objet
de tout le reste et tu perois alors que cĠest une chose intgrale, un
objet È), symmetry
(Ç lĠesprit considre lĠobjet en son entier et dans ses parties, par
rapport lui-mme et dĠautres objets <...>, lĠesprit reconnat que
lĠobjet est, au sens strict du mot, une chose, une entit constitue dĠune certaine faon È)
– et radiance, la
qualit de lĠpiphanie :
Ç CĠest l lĠinstant que jĠappelle piphanie.
Nous constatons dĠabord que lĠobjet est une chose intgrale ; nous constatons ensuite quĠil
prsente une structure composite et organise, quĠil est, effectivement, une chose ; enfin, lorsque les rapports entre ses
parties sont bien tablis, lorsque les dtails sont conformes lĠintention
particulire, nous constatons que cet objet est la chose quĠil est. È
Stephen comme Saint Thomas se reprsentent la beaut
comme une structure, les mtaphores qui lĠnoncent font systme [Stephen sait
en outre que son interprtation de la claritas est toute personnelle, elle se rapprocherait
davantage, ce qui a son piquant, de la philosophie franciscaine :
Ç JĠai mis longtemps comprendre ce que Thomas dĠAquin voulait dire. Il
emploie ici (chose rare de sa part), un mot au sens figur. Mais jĠai dchiffr
lĠexpression. Claritas,
cĠest Quidditas È, ibid. DĠaprs la description de Joyce, la quidditas se rapporterait la deuxime plutt quĠ la
troisime qualit.] La beaut produit pour Joyce lĠeffet de lĠvidence, la
dtermination intgralement effectue entre du mme coup dans lĠexistence, la
chose est la chose, lĠide
de la chose rendue relle. CĠest cela mme que lĠpiphanie dpeint. Epi-phano se traduit par super-ostendo, epiphanes est ce qui apparat supra alios, au-dessus des autres phnomnes, supra
apparens [Thesaurus
Graecae Linguae, Didot, III,
Paris, 1835, pp. 1869-1870]. LĠpiphanie est une ostension marque qui fait
signe, dans les mots de Joyce Ç lĠme de lĠobjet le plus commun dont la
structure est ainsi prcise prend un rayonnement nos yeux (seems to us
radiant) È.
Nous lĠavons dj dit, lĠanalogie rend compte de la
reprsentation comme de la fusion. La claritas
exprime la fusion ; deux couleurs dĠanges Ç incompossibles È
mais dont il faudra rechercher la parit, chez Albert le Grand. Elle dit tout
la fois lĠtat de lĠesprit qui saisit et lĠtat de lĠobjet qui est saisi.
Claritas et pulchritudoÉ leur interdpendance fonde une esthtique de lĠvidence. (On songe Umberto Eco qui tint les mmes linaments dĠune pratique littraire de lĠ Ç piphanie È thomiste-joycienne.)
Critres subjectifs Ç sentiment È
de :
intrt (vigilance) DISTANCE Proportio
attention (Reprsentation) (symtrie
des rapports)
promptitude
accueil, passivit, ANALOGIE Integritas
rverie, manque, attente (Assentiment)
(hallucinose) FUSION Claritas
Ç amour È
activit dans la passivit
vision des choses du Ç point de vue È des
choses
Cicron lĠa dit : Ç Znon le dmontrait par des gestes. Il montrait sa main ouverte, les doigts tendus : Ç Voici la reprsentation È, disait-il ; puis il contractait lgrement les doigts : Ç Voici lĠassentiment È. Puis il fermait la main et serrait le poing, en disant : Ç Voici la comprhension È.
Contact, Capture, Incorporation, Fusion[42]. È
LĠclat piphanique dnote le flux invasif de la lumire entire. La lumire comme flux rejaillit chaque occasion de prgnance, o sujet et objet sont particips dans le connatre.
Dans la lumire, que veut dire une gense des formes ? Fernando Gil rpond, par exemple, dans Eloge du minimum.
Ç Mais comment
peuvent-elles, ensuite, se maintenir, se donner connatre, sĠattirer, se
repousser, se rpondre – si la ncessit nĠa cours quĠ lĠintrieur du
processus de diffrenciation ? La lumire est ici lĠquivalent de la
dynamique, assurant la cohsion propre chaque forme (manifeste par son
granul) et les correspondances et liaisons (marques par des duplications, oppositions,
exasprations de luminosit). La lumire vient du dedans, elle nĠest pas reflet
mais Ç phosphorescence È, en parfaite consonance avec les exigences
dĠune ncessit interne. Elle habite autant le noir que le gris et le
blanc ; elle est brume qui confond des petites formes dtaches :
elle peut aussi demeurer comme un interstice clatant qui blesse des formes
jumelles, ou sĠintroduire, bienfaisante et apaisante, entre la forme pure et la
calligraphie sous-jacente ; elle peut encore ronger les limites du dessin,
crant des bords, ou lĠenvers, et cĠest alors le dessin qui est clat et les
limites consisteront en des suggestions dĠombre. È
Ne faut-il pas voir, enfin, la plus neuve description intelligible du monde dans une peinture ? Peut-tre parce que savoir, quand on voit, est le savoir du monde dĠobjets comme peintureÉ
Et ensuite, aprs avoir vu et connu la lumire interne, intrieure en toute chose, ne voit-on pas la lumire qui sĠchappe sous une porte, qui se reflte en luisant ? Les sons aussi nous orientent dans un monde autant sensible quĠintelligible. Tout nĠest quĠallusion lĠinertie selon lĠintellect. La matire ne survit nos yeux que parce quĠelle est encore plastique et dynamique. Nous nĠavons jamais le temps. LĠesthtique nĠest pas le produit, lĠexcipient dĠune thorie Ç pure È de la connaissance. Comme dans lĠhallucination primitive, elle a dj devanc nos perceptions habituelles. Le temps est un sentiment qui sĠignore comme tel, il refuse la subjectivit qui sĠy implique facilement.
Je dors dans une barque qui flotte. Je mĠendors calmement, enregistrant les accords et dsaccords de la nature en bruits. Mais voil que le flot, la barque, moi-mme devenons un et indistincts en devenant un. Nous sommes un dans un flux ininterrompu que je dois dsormais appeler temps. Ce flux est une crue. Dans ma conscience, il est seulement ce qui me permet de voir, sans que je puisse le voir, ni lĠentendre ou le sentir, etc. LĠexprience primordiale qui motive lĠintelligibilit est une exprience sensorielle intense. De l, je tirerai peut-tre les concepts (ides, dĠabord) de flot, corps, ciel, lacÉ Mais je sais que lĠexprience est donne dans une acuit qui ne sera pas renouvele.
La lumire est vraiment lĠaspiration transversale. Le nourrisson, comme la plante y aspirent. La satisfaction produite par une dmonstration formelle ou une intuition erratique est toujours la mme : elle comble un vide laiss par une lumire qui sĠest absente.
Ç Puis un jour vient o la
pluie ne nous apporte plus de joie. Mais alors la lumire qui se les ait
assimiles nous les rend, la lumire solaire quĠ la longue nous avons su faire
humaine, et qui nĠest plus pour nous quĠune rminiscence du bonheur ; elle
nous les fait goter, la fois dans lĠinstant prsent o elle brille et dans
lĠinstant pass quĠelle nous rappelle, ou plutt entre les deux, hors du temps,
elle en fait vraiment des joies de toujours. Si les potes qui ont peindre un
lieu de dlices nous le montrent habituellement si ennuyeux, cĠest quĠau lieu
de se rappeler lĠaide de leur propre vie, quelles choses trs particulires y
furent, les dlices, ils le baignent dĠune lumire clatante, y font circuler
des parfums inconnus. Il nĠest pour nous de rayons, ni de parfums, dlicieux,
que ceux que notre mmoire a autrefois enregistrs ; ils savent nous faire
entendre la lgre instrumentation que leur avait ajoute notre faon de sentir
dĠalors, faon de sentir qui nous semble plus originale, maintenant que les
modifications souvent indiscernables mais incessantes de notre pense et de nos
nerfs nous a conduits si loin dĠelle. Il nĠy a quĠeux, - et non pas des btes
de rayons et de parfums nouveaux qui ne savent encore rien de la vie, - qui
puissent nous rapporter un peu de lĠair dĠautrefois que nous ne respirerons
plus, qui puissent nous donner lĠimpression des seuls vrais paradis, les
paradis perdus ! Et cĠest peut-tre cause de la petite Ç Scne
dĠenfant È que je viens de rappeler, que jĠai trouv tout lĠheure aux
rayons qui sĠtaient poss sur le balcon, et dans lesquels elle avait transfus
son me, quelque chose de fantasque, de mlancolique et de caressant, comme
une phrase de Schumann.[43] È
O. Capparos
[1] Sminaire de lĠEcole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales, le 17/12/1998. [On notera dsormais cette rfrence Sm.,
suivi de la date 17/12/98]
[2] F. Gil, Trait de lĠvidence, d. Jrme Millon, 1993.
Ç Contours È, (6), p.13. Et, de citer J.-L. Marion propos de lĠ Ç blouissement È de Husserl Ç par la donation sans limite È.
[3] Ibid., p. 14.
[4] Ibid., (7), p.15.
[5] Ibid., (8), p.16.
[6] Ibid., (8), p.17.
[7] Ibid., (11), p.20.
[8] Ibid., p.21.
[9] In Trait, ¤13, p.25.
[10] Ibid., p.26.
[11] Voir F. Gil, in La Conviction, Flammarion, 2000. LĠincarnation du signe
permettra la substance dĠ Ç exhiber plus tard ses prdicats È,
comme toute rvlation unitaire prcde le dploiement des qualits et des noms
divins dans les religions du Livre.
[12] Ibid., ¤15, p.28.
[13] Ibid., ¤16.
[14] Ibid., ¤17.
[15] Sm., 09/03/95.
[16] Voir ÒA soberania como alucinao do
fundamentoÓ, in Modos da Evidncia, Imprensa Nacional-Casa de Moeda, 1998.
[17] Sm., 09/03/95. Lors du dbat de la preuve
anselmienne de Dieu, Ç quelque chose de tel que rien ne se peut penser de
plus haut È, Gil a tabli les approches qui ne font de la preuve
anselmienne rien de ngatif.
[18] Sermon Q9, Quasi stella matutinaÉ(in M. Eckhart, Deutsche Predigten). Ç Il
[lĠhomme] doit tre auprs du verbe un attribut È (Wort Belwort).
[19] LĠun des plus grands dangers est de tirer
au global. (Gil a montr dans
Preuves
(Aubier, 1988) le manque de controverse entre Leibniz et Newton (ou Clarke) sur ce sujet.)
Selon la controverse la posis procde dĠune innovation conceptuelle. Tirer des propositions de fait
partir dĠtats de choses observables ; et tirer de ces propositions des
propositions gnrales soit-disant indubitablesÉ voil comment lĠempirisme
dogmatique devient science. Or, lĠaiguille de la croyance et de lĠintelligibilit
doit lire Ç pas pas È le sillon des tapes dĠune construction qui
sert la dmonstration (Ç une dduction contemple È).
[20] Cf. Ç QuĠest-ce que comprendre ? È par F. Gil, in Passion des formes / Dynamique qualitative et intelligibilit / A Ren Thom, t. 1, Dir. M. Porte, ENS Ed., 1994, p. 146.
[21] LĠune des matrices par laquelle sĠcrit le Trait a paru lĠAssociation lacanienne internationale (editeursatfreud-lacan.com) dĠaprs un sminaire du 18/10/93 lĠE.H.E.S.S. On en retrouve les analyses essentielles dans lĠintroduction (Ç Contours È) et dans les ¤140-145.
[22] Trait, ¤142. Et cf. Sm. 07/01/1995.
[23] Trait, ¤142, p.223.
[24] A propos de cette pense sature de prsence,
Marc Richir parle de Leibhaftigkeit. (in Modos da Evidncia, op. cit., p.367). Dsir et volont procdent
traditionnellement dĠun fond commun ; la tendance la plus naturelle et lĠeffort participent dĠune mme structure tensive. Celle-ci ralise une Ç effusion
corporelle È dans la pense et une effectuation hallucinatoire de la
pense dans le monde comme au-dedans de soi. La vivacit – lĠclat
quasi-corporel de la prsence (Gil dit Lebhaftigkeit Ç de lĠvidence rationnelle È
(¤145, p.228 du Trait)) -
voque dans un rapport entre dsir et image une Leibhaftigkeit (chez un Franz von Baader) ou un Kraftleib (chez un Valentin Weigel) ; le vigor de la vie intensifie de Nietzsche qui lie
processuellement dsirs, images, sons, concepts (Fragments posthumes/Automne1887-Mars 1888) et la Ç force
dĠimagination È de lĠEinbildungskraft notamment chez Kant (cf. Gil, Trait, ¤145, p.229). (Ç Einbilden È en
allemand est exactement le Ç formare È latin : lĠimagination est
une force de mise en forme,
de faonnage des images, qui Ç traverse È la perception interne et la
ralit – la perception externe.) Cf. Richir, p.367. Et p.363 :
Ç La pense se transforme en chose. È
Marc Richir, lors dĠun dbat avec Fernando Gil, nous a
fourni une introduction lumineuse au Trait de lĠvidence. Ç Sobre o Tratado da Evidncia :
debate com Marc Richir, Antonia Soulez e Patrice Loraux È, in F. Gil, Modos
da Evidncia, Imprensa
Nacional-Casa de Moeda, 1998, p.362.
[25] Ç LĠaction de sĠapproprier un objet
dsign confre cet objet une prgnance, celle mme associe lĠaction qui
procure la Ç satisfaction È. È R. Thom in Esquisse dĠune
smiophysique, cit in La
conviction, Flammarion, 2000,
p.153. Parlant dĠune Ç morphodynamique È de la dmonstration, de la
comprhension et de la conviction.
[26] Voir le commentaire du phantastikon et du phantasma de Chrysippe au ¤144 du Trait.
[27] Ç Le dsir se fait connatre en tant quĠimagination, lĠimagination se dploie comme vision sensible. È (Ibid., p.228, ¤144.)
[28] Sem. du 18/10/93.
[29] Trait, p.228, ¤145.
[30] Cf. ¤84, p.125. Le facteur nergtique
(dsir) sĠaccointe au facteur figural (vision) la faveur de lĠintelligibilit
tactile. Fernando Gil dit que la lumire est insaisissable par elle-mme
– elle est insaisissable parce quĠelle nous parcourt -, et que la
prospection attentive des signes du pass comme des signes de lĠavenir nous choit
(ils peuvent sĠaccorder en
nous-mmes) ; et il sait que dans lĠombre nous nĠavons que des signes pour
ainsi dire occults. Dans un monde visuel et spatial, il faut lĠintuition
visuelle qui oriente une sympathie (une consonance) qui dpend de la voix (Ibid.,
p78). LĠunit des sens en est pour ainsi dire garantie. Avec le haptique la
communion des sens exprime ce que lĠon veut exprimer ; la simple perception en tant quĠelle
se puisse concevoir. Le toucher appartient la langue naturelle.
(Trait, cit.
Rousseau, p. 122 :
Ç Galate se touche et dit :
Moi.
(É)
Galathe fait quelques pas et touche un marbre.
Ce nĠest plus moi. È)
Le toucher nĠimplique pas un contenant mais une enveloppe (Ibid., ¤83
p124). CĠest un rejet sur un attract. Mais ce que promet le toucher dans la vision est un
toucher-tre touch ; une virtualit de contact sur un plan de
fusionnement. Le toucher garantit le moi en ses limites, et il confirme une
continuit des saillances particulires.
[31] Sm., 09/03/95.
[32] In ModosÉ, op. cit., p.355.
La puissance de penser nĠest pas lĠavance dĠun corps massif de
questions se questionnant elles-mmes – malgr la noblesse du bousier,
rien ne survient dĠintelligible du ressassement inlassable de la question (en
particulier si la question est celle dite de lĠtre). Le multi-nivellement est
tout oppos au style massif, noclassique tel que celui qui en architecture
rendit Ç kitsch È la galerie dĠantiques. Entre lĠexistence et la
pense il nĠy a pas la thmatisation sempiternelle du vcu, ni la prescription
volubile dĠune philosophie qui sĠimprovise sagesse pour les vivants. La plupart
du temps, de telles philosophies nĠatteignent jamais la valeur intellectuelle
et la valence signifiante du moindre vers de Shakespeare, de la moindre
rplique de Dostoevski. Les dmarcations artificielles nĠenseignent quĠ moins
vivre, quĠ penser moins. La Ç vie de lĠesprit È est lĠhistoire
actuelle de cette adquation. Elle nĠa aucune lgalit philosophique hors
dĠelle-mme. Puissance de penser = pense de la puissance.
Cf. Systmes
symboliques, Science et Philosophie, Editions du CNRS,
1978. Notamment Ç Le systme de numrotation du Tractatus È (de Wittgenstein) par E.R. Moreno et Ç La structure
cyclique de Tractatus È par M. Aenishnslin.
Ce dernier crit en conclusion : Ç Le Tractatus nĠa ni dbut ni fin ; il nous offre un parcours de lecture
quasiment illimit. Il existe un parcours qui fait passer par les thses selon
un ordre linaire, et qui nĠest pas lĠordre imprim des thses. È
[33] Cf. Ç O amor da
evidncia È, in ModosÉ, p.79.
[34] S. Catucci, La filosofia critica di
Husserl, Ed. A. Guerini e
Associati, 1995. pp.207, sq. (in Ç LĠevidenza come principio
estetico È.)
(On devrait parler dĠune vritable Ç cole
italienne È de la lecture de Husserl (avec Catucci, Melandri, Scaramuzza,
ZecchiÉ) qui a explor trs tt le nouage de lĠesthtique et de lĠthique
(sous-tendue par lĠvidence) chez Husserl.)
[35] F. Gil, Ç Voyages du regard È,
Les mers des Lusiades, in Y voir mieux, y regarder de plus
prs/Autour dĠHubert Damisch,
sous la direction de Danile Cohn, Aesthetica, Ed. Rue dĠUlm, 2003.
[36] Ibid., p.132.
[37] Ibid., p.138.
[38] Ibid., note 23 p.277.
[39] Ibid., p.125.
[40] D. Arasse, Vermeer fin et flou, in Histoires de peintures, Gallimard/Denol, 2004, p. 216.
[41] D. Cohn, La lyre dĠOrphe/Goethe et
lĠesthtique, Flammarion, 1999,
p. 166-167. LĠanalogie figurale tend maintenir le plan cohr dĠun monde
dĠobjets. Danile Cohn a forg, partir de Goethe, le concept
dĠ Ç affinit È pour dcrire les propagations de prgnances.
[42] Cit par F. Gil, in Trait, ¤83, p.124.
[43] M. Proust, Chroniques, Gallimard, 1927, pp.104-105. (Le Figaro, Juin 1912).