Au crpuscule
Jean Frdric Oberlin, pasteur philanthrope, patriarche dĠune petite communaut dans le massif alsacien du Ban de la Roche, accueillit un soir dĠhiver 1778 Jacob Lenz, que lui envoyait Kaufmann, un ami commun, mdecin Strasbourg. Ce pote de 27 ans, lve de Kant, tait lĠun des auteurs du mouvement Sturm und Drang, et Oberlin avait lu ses pices ; mais depuis sa rupture avec Goethe et son expulsion de Weimar, en 1777, il nĠavait plus rien crit et errait en proie la folie. Ce Kaufmann pensa que le charisme dĠOberlin pourrait rgnrer le jeune pote et lui permettre de retrouver une vie normale. Mais ce fut un chec ; les crises rptes de Lenz, et surtout ses tentatives de suicide, contraignirent Oberlin le renvoyer un mois plus tard Strasbourg. De cet chec nous avons deux tmoignages : le journal dĠOberlin, et le rcit de Bchner inspir de la lecture de ce journal, en 1835[1].
Du compte-rendu dĠOberlin on extraira aisment, et malgr lĠanachronisme, les critres diagnostiques de la psychiatrie : tats dĠexcitation atypique (ds la premire nuit on le retrouve dans lĠeau du bassin ; il sĠenduit le visage de cendres ; il sĠenfuit, court dans toutes les directions) ; ides dlirantes (conviction que son amie est morte ; tentative de rsurrection dĠune enfant morte portant le mme prnom que cette amie) ; hallucinations probables (apparitions dĠanges dans le ciel, ou de Ç hiroglyphes È montrs du doigt) ; signes de discordance (clats de rire soudains ; paroles trs violentes dites Ç sans le moindre moi È voire Ç sur un ton aimable È ; phrases Ç incompltes È ou Ç haches È, cris : Ç Ah !...Ah !... Rconfort divinÉahÉdivinÉ È). Oberlin est mu de compassion et boulevers par ce quĠil appelle un Ç martyre È, mais ses exhortations sont impuissantes adoucir Lenz durablement. DĠaprs lui Lenz, qui a trop lu de livres la mode et a eu Ç un commerce rpt avec les femmes È, est victime de la civilisation moderne (Rousseau meurt prcisment cette mme anne 1778) ; puisquĠil erre depuis quĠil a quitt la maison paternelle, il sĠagit de lĠaider renouer avec son pre, pasteur lui aussi, selon le modle vanglique du fils prodigue. Mais lĠangoisse provoque par les tentatives de suicide est la plus forte : dfenestrations, coups de tte contre les murs ; Oberlin cde quand il voit sa femme terrifie par le jeune homme brandissant des ciseaux devant elle. Son journal nĠa pas seulement pour but la justification explicite quĠon lit la fin (sa femme et lui ont fait tout ce quĠils ont pu), il reconnat lĠimpuissance sauver ce Ç malheureux patient È, quĠOberlin ne peut plus alors que recommander aux prires de sa communaut.
Bchner, lui, nĠa pas connu Lenz. CĠest pourtant son tmoignage qui nous importe. Loin dĠtre une extrapolation, une fiction conue, comme on dit, Ç partir de faits rels È, ce tmoignage-l franchit les limites de la simple observation : cĠest une interprtation de la folie. Il en rsulte un dplacement essentiel par rapport au texte dĠOberlin : si Bchner le suit jusquĠ en recopier littralement certains passages, les rapports dĠimportance sont totalement remanis ; il rduit considrablement les passages spectaculaires qui avaient caus lĠangoisse de lĠentourage, tentatives de suicide et manifestations dlirantes, et dveloppe en revanche ce dont Oberlin nĠa pas dit un mot, parce quĠil nĠy tait pas, parce que Lenz nĠa pas pu le lui dire, mais que Bchner a pourtant entendu : ce qui sĠest pass dans la solitude de la montagne, au ban de la Roche. Cette solitude prend alors un tour paradoxal dĠtre dite, interprte, donc transmise. LĠintuition de Bchner, gnial prcurseur de Freud cet gard, revient indiquer que lĠessentiel de la folie nĠest pas dans les faits anormaux qui troublent lĠordre public. Au contraire, les pisodes dlirants sont encore les moments les plus heureux ; quant aux bains, dfenestrations, coups de tte contre les murs, etc, ils ne viennent pas dĠun dsir de se tuer, mais reprsentent lĠultime moyen de retrouver, par la douleur, une sensation corporelle, quand le corps lui-mme est en train de disparatre. Tout ce quĠobserve Oberlin nĠest que lĠeffet de cette nantisation, la tentative dsespre dĠy chapper. Quand le journal du pasteur commence par lĠarrive de Lenz chez lui le 20 janvier, Bchner crit ce qui sĠest pass avant, l-bas dans la montagne, ce mme 20 janvier.
Dans la
montagne, Lenz a perdu son corps. Ç Au commencement (Anfangs) a poussait dans sa poitrine È (drngte
es ihm in der Brust) ; Ç a poussait, a lĠoppressait et il
cherchait en lui quelque chose comme des rves perdus È (es drngte in
ihm, er suchte nach etwas, wie nach verlornen Trumen), mais en vain : cette pousse ne correspond
aucune reprsentation psychique, de mme que le corps ne ressent aucune fatigue
de la longue marche en montagne. Pas dĠimaginaire, pas de corps. La force qui
pousse, der Drang, ne
trouve pas dans le corps la source ni le but dont Freud qualifiait les autres
composantes de la pulsion. A la place surgit le monde et ses phnomnes :
partir de lĠinfime bruit dĠboulis qui dclencha der Drang, toute la nature bouge, sĠbroue ; la phrase, rveille, gonfle et sĠamplifie
interminablement et nous fait entendre lĠassaut (Sturm) tumultueux, tonitruant du silence du monde
dans la poitrine de Lenz, jusquĠ la fissurer[2].
Le monde se rue dans un corps dsaffect dont la bouche et les yeux sont grands
ouverts, weit offen ;
ils ne battent pas de ce clignement et cette respiration rythmiques par
lesquels un corps vivant le laisserait entrer et sortir comme son hte. L o
faillit la pulsation vitale clate la passion du Sturm und Drang. Et son ironie tragique : Lenz croit
dĠabord aspirer en lui der Sturm, la tempte du monde, en son entier ; la Terre lui semble petite,
le paysage tellement exigu quĠil a peur de sĠy cogner, et quĠil sĠtonne du
temps ncessaire pour aller dĠun endroit lĠautre. Tout embrasser, tout
treindre.
Mais
cĠest lĠinverse qui se produit. Le monde ne lĠa entirement travers que pour
le quitter entirement, loin de lui (weit von ihm) dans un assaut lĠenvers : tout sĠvapore. La
folie de Lenz vient de cette dbcle quĠil essaye dsesprment d'endiguer en
sĠagrippant au monde : Ç la pense
sans recours que tout nĠtait que son rve sĠouvrait devant lui (É); il se
collait (er drngte sich)
contre les choses, cĠtaient des ombres (es waren Schatten), la vie sĠchappait de lui (das
Leben wich aus ihm)È. Les
crises les plus terribles ont lieu la tombe du jour, au crpuscule, quand
disparaissent les choses dans une obscurit nigmatique (unheimliche Dunkel) ; elles ne sont rellement plus que des ombres. De mme, c'est
rellement que les mots disparaissent quand la phrase se termine : Lenz
parle sans cesse tel point quĠon entend dans sa chambre comme un bruit de
toupie bourdonnante, prcisment pour que dans ce vertige son discours ne
sĠarrte jamais. Ç Il pensait alors quĠil fallait quĠil garde et redise
sans arrt le dernier mot quĠil avait dit È. De mme enfin, c'est
rellement que les gens disparaissent quand ils ne sont plus dans la mme pice
que lui. Lenz se cramponne Oberlin Ç comme sĠil avait voulu sĠenfoncer
en lui È, as wolle er sich in ihn drngen[3]. Et avec les choses, les mots et les visages
des autres, cĠest sa propre vie qui sĠchappe de Lenz, malgr ce Drang dsespr pour la retenir. ĉtre seul cĠest
tre mort. Dnou dĠimaginaire, Lenz nĠa trouv aucun rve en lui, et certes il
a alors peru ouvertement
lĠextraordinaire rumeur du monde, plus rien nĠy faisant obstacle.
En rester ce premier temps, voil lĠutopie de la Nature
:
Ç Ce devait tre (es msse sein) un sentiment de volupt infinie dĠtre ainsi touch par la vie profonde de toute forme, dĠavoir une me pour les cailloux, les mtaux, lĠeau et les plantes ; et dĠabsorber ainsi en soi-mme comme en rve le moindre tre prsent dans la nature, comme les fleurs absorbent lĠtre mesure que crot et dcrot la lune (É). Il y avait en tout une harmonie inexprimable, une tonalit, une flicitÉ È[4]
Cet
idal, cĠest ce qui devrait
tre, et Lenz a pu (imagine Bchner) le confier Oberlin lors dĠune
conversation. Mais en ralit lĠextase du premier moment ne tient pas : Lenz
assiste aussitt aprs au reflux du monde, dont il se demande alors sĠil nĠest
pas quĠun rve
inconsistant, un jeu dĠombres dsincarnes. La dissonance au lieu de lĠharmonie
; le Sturm, dĠabord
Ç grondement formidable È, Ç chants dĠallgresse
sauvage que [les voix] auraient voulu ddier la terreÈ[5],
dans un lan sublime et apocalyptique, sĠeffondre en un silence hurlant. Le
ravissement est alors angoisse, propos de laquelle Bchner multiplie les noms
de lĠindicible : namenlose, unnenbare, sonderbare, unbeschreibliche, unaussprechlicheÉ Pire que la douleur et la mort, lĠangoisse est ce
qui reste quand rien ne reste. DĠune telle exprience Lenz ne peut tmoigner
auprs dĠOberlin, sinon en une seule tentative :
Ç Voyez-vous, monsieur le Pasteur, si seulement je ne devais plus entendre tout a, cela mĠaiderait bien – Et quoi donc, mon cher ? – Vous nĠentendez donc pas, vous nĠentendez donc pas (hren Sie denn nichts) la voix pouvantable qui crie partout lĠhorizon et quĠon appelle ordinairement le silence ? È
Oberlin
ne peut rpondre, il lui est impossible d'entendre ce hurlement[6].
Le soir mme a lieu une nouvelle dfenestration, qui dcidera Oberlin le
faire embarquer le lendemain. Le corps de Lenz fait en tombant un bruit si fort
Ç quĠil sembla impossible Oberlin que ce bruit pt provenir de la chute
dĠun homme È[7], prcise
Bchner. La chute de Lenz est, comme exprience, intransmissible.
Les
premiers jours, une solution semble se profiler du ct de l'engagement
religieux. Oberlin confie son prche l'ancien tudiant en thologie, et la
prire, les chants en commun, dans l'glise, appelant au salut par la
souffrance, assurent un moment de rconfort (Trost) Lenz, volupt provoque par
la pousse (Drang) de la musique en lui. Mais, nouveau, a ne tient pas;
aussitt la messe dite, loin du soulagement durable que confre la communion,
c'est une angoisse de dissolution qui s'empare de lui (es war ihm, als msse
er sich auflsen, Ç il lui semblait qu'il allait devoir se
dissoudre È). Aprs l'chec de la rsurrection de l'enfant mort, ce
doublon de Lenz, la rupture est consomme avec la voie religieuse : Ç ah,
oui... la consolation divine (gttlicher Trost)... È rpond-il aux appels
l'esprance du pasteur dans une drision consterne. Oberlin ne peut savoir
quel point de certitude l'athisme s'est
accroch au jeune homme quand l'appel lanc l'enfant, Ç lve-toi
et marche È, n'eut d'autre retour que l'cho absurde renvoy par les murs,
Ç comme s'ils se moquaient È. Quand seuls les murs rpondent, la
force de la parole s'effondre en une farce grotesque : la parole ne s'appuie
plus sur Jsus pour puiser sa force en lui ; elle n'est plus que l'imitation
drisoire d'un discours dont elle dvoile l'imposture. La certitude s'oppose
alors la foi. On doit Lacan d'avoir articul cette lucidit psychotique
la rvlation d'une imposture frappant la figure paternelle, quand le pre
prtend incarner la Loi avec une rigidit obscne, au lieu de la transmettre : ce fut, semble-t-il,
le cas du pre de Lenz, pasteur, puis surintendant gnral de l'Eglise
luthrienne de Livonie, qui imposa la voie religieuse tous ses fils, chassant
le seul d'entre eux, Jacob, qui avait os la refuser.
Ç Les effets ravageants de la figure paternelle sĠobservent avec une particulire frquence dans les cas o le pre a rellement la fonction de lgislateur ou sĠen prvaut, quĠil soit en fait de ceux qui font les lois ou quĠils se pose en pilier de la foi, en parangon de lĠintgrit ou de la dvotion, en vertueux ou en virtuose (É), tous idaux qui ne lui offrent que trop dĠoccasions dĠtre en posture de dmrite, dĠinsuffisance, voire de fraude (É). Nul de ceux qui pratiquent lĠanalyse des enfants ne niera que le mensonge de la conduite ne soit par eux peru jusquĠau ravage È[8].
Ainsi
du pre de Schreber, ducateur fanatique et rformateur social : pas
tonnant que lĠenfant dĠun tel pre,
Ç lĠinstar du mousse de la pche clbre de Prvert,
envoie balader (werwerfe) la baleine de lĠimposture, aprs en avoir, selon le trait de ce morceau
immortel, perc la trame de pre en part È
Oberlin
et Kaufmann, dans leur morale paternaliste, font du retour chez le pre un
idal ducatif. Ils oublient que, selon l'Evangile, le retour du fils prodigue
n'est une bonne nouvelle que dans la mesure o le pre s'en rjouit, faisant
rsonner par la joie des retrouvailles une toute autre dimension que celle du
jugement. Dans le texte de Bchner, au contraire, le seul moment o Lenz accde
une parole vraie qui lui fait enfin perdre Ç toute sensation de
lui-mme È sans que cette perte soit un terrifiant vidage, est prcisment
interrompu par Kaufmann qui lui conseille de retrouver son pre. S'ensuit une
raction violente : Ç Partir d'ici, partir ? Chez lui ? Devenir fou l-bas
? (...) Laissez-moi donc tranquille ! È[9]
Il serait vain et naf de prtendre trouver dans l'Ïuvre du Lenz historique des
signes de folie. Le lecteur est seulement frapp par la drision qui y rgne de bout en bout, et qui dvie la
comdie, genre dont se rclamait le jeune crivain, dans un sens bien
particulier. Si la comdie veut depuis Plaute que les pres y soient ridicules,
ici une inflexion grinante et obscne est tendue tous les personnages, et
frappe donc aussi le dsir des jeunes gens. Le ridicule paternel n'est plus
l'obstacle grce auquel s'affirme le dsir, c'est au contraire le modle d'une
mascarade gnrale empchant tout dsir d'advenir. Aprs sa liaison avec une
Juliette de pacotille, le jeune prcepteur Laffer n'a d'autre projet que de
s'masculer, ide qu'il met bientt en application (Le Prcepteur) : c'est le Chrubin de Beaumarchais qui
s'automutilerait faute de pouvoir tre initi au Ç feu È par un
rgiment. Et la pice Les Soldats, crite deux ans plus tard, se conclut en annonant le salut de l'Humanit
dans l'institution de bordels pour militaires[10].
La drision dont nous parlons n'est pas l'ironie. On sait par Goethe que Lenz,
qui dtestait Voltaire et l'esprit franais en gnral, avait crit un trait
de rforme sociale dfendant trs srieusement ce projet de bordels pour
soldats.
Revenons
cependant ce moment d'ouverture la parole interrompu par Kaufmann. Lenz y
rejette l'idalisme en art, cet idalisme par lequel le public prfre
applaudir des pantins, des marionnettes, plutt que d'avoir la moindre ide
de ce qu'il appelle Ç la ralit È. Ils prfrent les belles
singeries l'imitation vraie. Ce passage est directement issu des Notes sur
le Thtre du Lenz
historique, texte dterminant pour le propre thtre de Bchner[11].
Les vraies gnies au contraire, poursuit Lenz, sont ceux qui comme Shakespeare
savent restituer la vie dans l'art, Ç la vie du plus humble des
tres È; pour cela, il leur a fallu Çouvrir les yeux et les
oreilles È. Mais alors, voil le point crucial, le point de bifurcation :
car Lenz l'anti-idaliste, qui avait, lors de sa traverse de la montagne,
Ç la bouche et les yeux grands ouverts È la ralit, cette ralit
apparut pourtant dans toute sa vacuit comme un pur dcor, peupl d'ombres sans vie. Or il nous semble
qu'en ce point Bchner intervient pour Lenz, en prolongeant son discours d'une prcision
d'autant plus dcisive qu'on ne trouvera rien de tel dans les textes du Lenz
historique. Que nos yeux et nos oreilles s'ouvrent suppose en effet une condition
:
Ç il faut aimer
l'humanit pour pntrer dans l'tre profond de
chacun, personne ne doit tre jug trop petit, trop laid; c'est seulement
cette condition qu'on peut les comprendre; le visage le plus insignifiant fait
une impression plus profonde que le simple sentiment du beau È[12]
Par cet amour qui n'a voir ni avec la
morale ni avec le Bien, Bchner redonne vie l'enfant mort Lenz; il prte aux paroles du Lenz
historique un sens nouveau, indit: c'est une interprtation. Et de donner l'exemple d'un tableau
hollandais reprsentant l'pisode des disciples d'Emmas. Bchner se base sur
l'Evangile de Luc, dont nous saisissons l'tonnante analogie avec tout ce que
vit Lenz : mme crpuscule ( Ç le soir approche et le jour baisse È,
Lc 24, 29), mme frayeur pour les disciples, mme tentative de retenir soi
l'autre tranger. Mais, l'inverse des ombres revenues du royaume des Morts
(telles le pre de Hamlet), l'apparition de cet tranger suit un jeu indit de
cache-cache : aussitt reconnu comme Jsus Christ, il disparat comme un voleur[13];
aussitt les yeux se sont-ils ouverts qu'ils ne peuvent plus voir cela mme qui
leur a permis de s'ouvrir. Le monde n'est pas entier, il est trou d'une
absence; mais c'est par cette absence, laquelle la parole rend tmoignage,
qu'il se maintient vivant et que le corps se soutient. Dans ce corps debout, et
pas quatre pattes, la vie ne fait que passer. Sans quoi on la laisse
Ç aller È, comme le dit terriblement Bchner dans sa dernire phrase
(so lebte er hin, Ç ainsi
laissa-t-il ds lors aller sa vie È), certes sans angoisse, et en faisant
Ç comme font les autres È; mais sans dsir et dans un Ç vide
affreux È.
Gal Gratet - fvrier
2009
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[1] Runis dans une dition rcente : Georg Bchner, Lenz, d. Points, 2007, trad.fr. Jean-Pierre Lefebvre. On y trouvera galement le texte de Paul Celan, Le Dialogue dans la montagne. Les citations du texte original viennent de Georg Bchner, Smtliche Werke und Briefe, DTV, 1965.
[2] Riss es ihm in der Brust (Ç a lui faisait une dchirure dans la poitrine È). Plus loin : die Welt (É) hatte einen ungeheuern Riss (Ç le monde avait une gigantesque fissure È). Faille du monde, schize, dans laquelle chute le sujet faute dĠun corps pour lĠhabiller.
[3] CĠest certainement ce type de comportement avide quĠil a eu avec Goethe, lĠimitant en tout, collant son personnage, de son style ses choix amoureux (Frederike Brion, dont il est question dans le texte, est lĠancienne fiance de Goethe ), bref se faisant son ombre jusquĠ ce que celui-ci, exaspr, rompe avec lui. Goethe et Lenz taient au dpart deux Ç frres È dont le gnie de l'un fut reconnu et clbr, celui de l'autre non. Goethe refusa la publication de pices crites par Lenz sur leur relation (l'une est intitule Ç notre mariage È, Unsere Ehe); il garda un secret absolu (brlant toute leur correspondance) sur l'pisode qui provoqua sa rupture dfinitive. C'est aprs cette rupture que survinrent les premiers signes de maladie mentale. Plus tard, Goethe trouva en Schiller le nouveau gnie, cette fois solide, qui se mesurer et avec qui travailler. Le premier acte de Pandaemonium Germanicum, de Lenz, publi aprs sa mort en 1819 du fait de la censure de Goethe, montre les deux potes gravissant une montagne. Goethe franchit tous les obstacles Ç d'un bond È, alors que Lenz marche quatre pattes et tente pniblement de se mettre debout. Allusion ironique, certes, aux thories de Rousseau sur l'homme primitif, mais dans laquelle se dit aussi l'ingalit profonde entre les deux hommes. Ç LENZ – Cette escalade m'a fait monter le sang la tte. ï si seul. Puiss-je mourir ! Je vois bien des traces ici, mais toutes mnent vers le bas, aucune vers le haut. Doux Jsus, si seul È (trad. Hugo Hengl, ditions Grges, 2003). Bchner a assurment lu cette pice (dans l'dition Tieck de 1828).
[4] Traduction JP Lefebvre, op. cit., p.31
[5] op. cit. p.22
[6] op.cit., p.53. Le clbre pome de Goethe Der Erlknig (Le Roi des Aulnes), de 1782, peut faire cho ce passage : Ç Mon pre, mon pre, n'entends-tu pas (hrest du nicht) / Ce que le Roi des Aulnes me promet voix basse ? È ; Ç Mon pre, mon pre, ne vois-tu pas l-bas (siehst du nicht dort) / Les filles du Roi des Aulnes dans ce lieu sombre ? È. Le pre nĠentend ni ne voit, et lĠenfant meurt. Bchner fait un pas de plus : ce que Oberlin ne voit ni nĠentend nĠa pas de contenu (hallucination), cĠest le vide mme du monde.
[7] Ibid.
[8]Ecrits , Seuil, 1966, p.579
[9] Trad. Lefebvre, op. cit., p.36
[10] Ç nous aurions des milliers de malheureuses en moins. La socit, ruine par nos dsordres, serait de nouveau florissante È, etc (Jacob Lenz, Thtre, l'Arche d., p.298).
[11] Sur l'obsession bchnerienne de l'art comme spectacle de pantins, on se reportera au texte essentiel de Paul Celan, Le Mridien.
[12]Lenz, op.cit. p.34. Bchner a par ailleurs traduit le thtre de Hugo, chez qui on trouve une conception trs proche.
[13]Ç Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut leurs regards. È, Lc 24, 31. Ç Voici que je viens comme un voleur È, Ap 16, 15.