Conversation avec Denis Martin

 

 

 

 

 

 

Photographie de Josseline Minet

 

 

 

DENIS MARTIN : Je suis architecte de formation ; je suis d'une famille d'architecte ; d'o mon amour du btiment d'ailleurs. Mais je n'ai pas fait d'cole d'art : mon apprentissage est dans mes rencontres. J'ai rencontr un ami peintre et dcorateur, qui m'a tout appris. Il m'a appris  l'art des choses , pas ncessairement techniquement (a, on le dcouvre en le faisant), mais plutt un regard. J'ai travaill pendant quatre – cinq ans avec lui. On faisait des faux marbres en parlant de Bram Van Velde, et la fin, l'un de nous avait fait un faux marbre la Tal Coat... (Rires).

Il y a quelque chose de manuel, de terrestre dans la peinture, qu'on retrouve quand on doit faire un mur. Quand je fais des chantiers, je prpare les murs, et je pense toujours au fait que pour moi un mur doit pouvoir accueillir une peinture. J'essaye de le faire le plus beau possible, parce qu'une belle peinture doit tre pose sur un beau mur.

Mon frre tait peintre aussi mais moi, je n'tais pas destin faire de la peinture, j'aurais plutt fait du sport, donc tout cela est venu lentement, dans la dure. Quand on n'est pas destin faire quelque chose, cette chose semble toujours nouvelle.

 

LAMPE-TEMPETE : Parfois c'est mieux de ne pas tre fait pour quelque chose...Y a-t-il un passage dans vos oeuvres d'lments d'origine littraire ? Des rcits qui guident votre faon de figurer ?

DENIS MARTIN : Non, pas directement. Ce qui me guide, c'est plutt un temprament. Dostoevski. Cline. Ils dcrivent le monde avec violence. J'aime bien l'pret de Cline, parce qu'elle ne fait pas de cadeau. C'est a qui serait en correspondance avec mon propre travail.

 

LAMPE-TEMPETE : Et dans les influences picturales ?

DENIS MARTIN : J'aime Bonnard, depuis que je suis tout petit.  C'est quelqu'un qui a beaucoup t dcri, notamment par Picasso. Picasso ne pouvait pas comprendre Bonnard, ce sont deux mondes qui ne peuvent pas se rejoindre. Il y a une contemplation chez Bonnard, une mlancolie.

LAMPE-TEMPETE : Oui, et il y a une question profonde de gomtrisation de l'espace, des espaces ferms chez Bonnard, o la perspective bancale contribue la fermeture de l'espace. Picasso fait partie des gens solaires ; les espaces sont clats, ce qui est ferm n'est pas vraiment ferm, la gomtrie est ouverte Solaire, mais pas comme les peintres italiens. Le ciel de Picasso n'est pas le ciel lumineux des peintres italiens.

DENIS MARTIN : Il n'y a pas de douceur chez Picasso ; il y a une chair trs forte, un rotisme des choses, mais un rotisme mangeur, on n'en ressort pas vivant. Il mange tout. Ce que je trouve trs touchant chez Picasso, c'est que c'est le seul peintre, je crois, qui voit le rel travers la peinture des autres. Son rel lui, ce n'est pas de peindre une pomme comme il la voyait ; c'est Czanne qui sait faire a. Picasso n'est pas un novateur : il voit le monde travers le monde de la peinture.

LAMPE-TEMPETE : Il peint tout de suite dans un style inspir par les peintres, alors qu'on attend d'un peintre enfant, ft-il prcoce, un regard immdiat port sur les choses.

DENIS MARTIN : Czanne, quand il fait des pommes, il cre des pommes, alors que Picasso les voit comme Czanne les voit, pour ensuite les dformer, les transformer. Quel est le peintre qui peut se permettre a ?

(On regarde des peintures).

 

LAMPE-TEMPETE : a me fait penser Zoran Music, ses peintures qui semblent figurer des patates rhizomes. Racines, des annes soixante-dix, par exemple.

DENIS MARTIN : C'est une filiation que je reconnais, mais il y un rapport la matire compltement oppos : ma peinture c'est une accumulation de strates, je reprends toujours mes tableaux, ils ne sont jamais finis.  L'ide du temps, de ce qu'on a mis derrire est importante : la rsolution se fait vite, parfois, mais j'aime bien qu'il y ait une notion de temps, de matire, ce qui ne veut pas dire accumuler de la matire. En peignant. Par exemple j'aime beaucoup Tal Coat : il y a beaucoup de matire, mais quand on regarde de prs, il a y aussi beaucoup de transparence. Mon univers est moins  lyrique  que le sien, mais j'aime cette ide d'enracinement,  par la prsence de la matire. Dans les tableaux du moins, car sur le papier, c'est diffrent.

 

LAMPE-TEMPETE : Y a-t-il une prparation spcifique ?

DENIS MARTIN : Je commence souvent par faire un fond rouge, un ocre rouge souvent. Je ne peins jamais sur fond blanc, sur une toile nue. Je crois que a me rassure ; a donne galement de la lumire. C'est galement classique, chez les peintres italiens. Le blanc, le retrait, c'est pour le travail sur papier, o l'on peut jouer sur la surface. C'est pourquoi je prfre parfois mes papiers : ils sont moins chargs, moins denses, du moins, la densit dans la peinture est diffrente.

LAMPE-TEMPETE : Le blanc, la page blanche peut aussi faire peur, comme quelque chose qui interdit le geste, qui demande rester immacul, et qui a tendance imprimer une sorte de volont propre.

DENIS MARTIN : Ma peinture est plutt remplie. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'espace; c'est d'ailleurs souvent trs centr.

LAMPE-TEMPETE : Est-ce qu'il y a l'ide que la peinture, a merge, et que le trait, la ligne dure, c'est plutt pour le dessin ?

DENIS MARTIN : Je fais partie des gens qui peignent en dessinant, ou qui dessinent en peignant. Et les choses ne viennent pas par hasard : elles mergent, justement. Les choses arrivent et on les capte, ou pas. Et c'est ce moment que le dessin entre en jeu. Comme si on tait dans le chaos, qu' un moment une forme merge, et qu'on dcide :  cette forme-l, je la garde .

Et je peux avoir le mme rapport aux formes humaines qu'aux arbres, par exemple ; d'ailleurs parfois, mes arbres se transforment en ttes. Ce qui m'intresse dans un arbre, ce n'est pas que c'est un arbre, mais un tre seul.

Je regarde souvent les arbres, les nuages, les sols... pour moi, ce ne sont que des tableaux en devenir.

LAMPE-TEMPETE : C'est un exercice indiqu par Leonard de Vinci, et qu'il faisait lui-mme, un exercice mlancolique : se perdre dans les lzardes du mur... une flaque d'eau... comme font les autistes

DENIS MARTIN : Pour moi un tableau c'est un peu comme une flaque d'eau, laquelle on donnerait un sens, dans laquelle on verrait des signes.

Je ne peins d'ailleurs jamais d'aprs nature, ce n'est pas ce que je recherche.

LAMPE-TEMPETE : Donc pas de figure avant, et s'il y a des traits, ils ne sont pas l pour dlimiter une figure?

DENIS MARTIN : Non, et si je devais me dfinir comme peintre, je me dfinirais plutt comme peintre abstrait. Pas figuratif. C'est travers le travail abstrait que, lentement, les formes humaines sont apparues. Je n'ai jamais voulu faire des personnages, des oiseaux, a vient comme a. Et si on veut y voir une ligne simple, pure, tant mieux. Pour moi la peinture ce n'est que de la matire pose sur un support.

J'tais plutt du ct de l'abstraction lyrique, au dbut, mme si on est dans toujours les mmes proccupations – ici le jeu du double, les mmes dessins qu'on faisait enfant : on fait toujours le mme tableau.

 

 

 

LAMPE-TEMPETE : Dans ce que la matire peut suggrer de figuratif dans vos peintures, est-ce que a a un sens parler deau, de terre, etc. ?

DENIS MARTIN : Pour certaines peintures, oui : il y a un haut et un bas, une ligne dhorizon, cest presque incarn dans un  paysage , un espace donn, alors que dans les dessins, cest parfois en suspension.

Certains trouvent mon travail dramatique, presque sinistre, mais souvent les gens sont plutt apaiss. Je crois que cest parce quil y a une certaine simplicit dans les formes, une conomie de ton, de matire, et parce que cest la plupart du temps centr, avec peu de choses autour.

LAMPE-TEMPETE : Les symtries jouent en effet beaucoup dans la non-dramatisation.

DENIS MARTIN : Oui. A mes tout dbuts, jՎtais dans une dmarche  constructiviste , avec des carrs, puis jai fait des dessins la Twombly, avec des hauts et des bas qui tournaient, et la figuration est venue le jour o je me suis dit : il faudrait que les formes se rejoignent, arrivent nen former plus quune, par le dessin.

LAMPE-TEMPETE : La question de savoir si ces formes apparaissent ou disparaissent nest pas innocente, car il suffirait de trs peu de choses, par le dessin, pour choisir de faire apparatre ou disparatre une figure. Et le fait que ce soit indcidable est trs intressant, non ?

DENIS MARTIN : Cest en effet une vraie volont que a soit indcidable.

LAMPE-TEMPETE : Il y a plusieurs niveaux de facture dans votre travail. Ce qui tarde apparatre, ce qui est prsent mais de faon un peu  prcieuse , ce sont les bleus, les violets, qui apparaissent quand on remonte dans vos travaux plus anciens.

DENIS MARTIN : Quand jai commenc, je faisais beaucoup de pastels secs, que jutilisais presque comme une terre, galement de lhuile sur papier.

 

Un temps.

Jaime beaucoup les paysages de Flandres, de Belgique. On le sent dans mon travail, je crois, cette intimit. Et jaime bien lhiver Il y a une quinzaine danne, cՎtait en hiver, la nuit que jՎtais le plus cratif. Il y a galement peu de couleurs en dehors des noirs, bruns, gris.

 

Un temps.

Les tableaux, on pourrait les signer de la date o on les commence.

 

 

 

 

 

Entretien ralis Paris en janvier 2009

 

Photographie de Josseline Minet

Josseline Minet

Galerie Sabine Puget

 

 

Denis Martin expose la galerie Sabine Puget, la galerie Vieille du Temple et art/espace Galerie Pome Turbil

 

 

 

 

 

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