CONVERSATION

/VARIATIONS

(MEDITATION DE CHAMBRE)

 

Affleurements

De Giacinto Scelsi

 

 

 

 

 

 

RåMAKRISHNA.

Parole 1299.

  Lorsqu'on sonne une cloche, les ding-dong qui se succdent peuvent se distinguer les uns des autres, comme si chaque son avait une forme propre. Mais lorsque nous cessons de sonner, le son indŽfinissable, qui s'entend encore quelque temps et s'Žteint peu ˆ peu, para”t tre sans forme. Comme les sonneries de cloche, Dieu est ˆ la fois avec forme et sans forme.

 

 

 

 

Pupitres -

Le dŽsert suit les mouvements secrets de l'aube.

Accepter cette main (nous fžmes tous enfants) pour traverser, sans peur inutile, l'Žtendue.

Se poster ˆ l'avant du monde, quel que soit le lieu, le temps.

Le soleil se lve.

 

 

Eclosion -

Vous les ferez tous nombreux se disputer la mme note.

L'interprte, ˆ l'intŽrieur, chante. L'interprte abandonne, de lui-mme, quelque chose pour quelqu'un.

L'interprte chante avec un autre.

 

 

 

Satelle -

Vous ferez de cette adversitŽ rŽglŽe une prolifŽrationdu langage, dans les hauteurs.

 

Scne -

On voit des images quand une corde se tend. Si jamais retombait la tension exacte, la musique serait stoppŽe nŽant.

 

(La musique de Scelsi est exacte : CONTRACTEE.)

 

 

Compact -

Elle se rŽpand en hauteurs et en rythmes. Elle part d'un noyau insŽcable (une proposition).

 

 

Cette apparition (inutilement nommŽe pour celui qui n'a pas vu) tranche, au final, la surprise du compositeur lui-mme, piŽgŽ, sans retour, au filet de l'oeuvre accomplie.

Aucune idŽe derrire la tte.

Aucun idŽal.

Si ce n'est l'intelligence d'une stratŽgie

 

Miracle -

La proposition est quelquefois un ostinato qui para”t irrŽgulier... mais elle Žnonce quelque chose (un thme)...

 

Ostinato -

C'est un battement rŽpŽtŽ, trs rapide, qui provoque dans l'oreille un CONTINU.

 

J'ai entendu, aprs quelques heures de marche dans une fort touffue, mŽlangeant conifres, genŽvriers et quelques rares bouleaux d'altitude, des sons de m‰choire. Comme si la terre elle-mme Žtait mastiquŽe. En m'approchant de ce tas de brindilles savamment dŽcoupŽes, atteignant presque la hauteur d'un homme, j'ai dŽcouvert plus d'un millier de fourmis rouges (Formica rufa) ˆ l'ouvrage.

 

 

 

VIJNåNA-BHAIRAVA. (112 mŽditations tantriques).  MŽditations sonores.

15. Il atteint le brahman suprme, celui qui s'immerge dans le son absolu, l'an‰hata logŽ dans le rŽceptacle de l'oreille, son ininterrompu, tumultueux comme un fleuve.

16. Si l'on chante le OM ou toute autre formule sacrŽe et que l'on Žvoque le vide qui suit le son protractŽ : par la puissance Žminente de ce vide, ™ Bhairava, on s'ab”mera dans la vacuitŽ.

17. C'est dans son commencement ou dans son achvement qu'il faut s'emparer de n'importe quel phonme. Devenu vide par la vertu du vide, l'homme prendra forme de vide.

18. Si, indiffŽrent ˆ toute autre chose, on suit attentivement les sons prolongŽs d'instruments ˆ cordes, ou autres, ˆ la fin de chaque son, la splendeur infinie du firmament se dŽploiera.

19. Et puis l'on deviendra Shiva si l'on rŽcite un mantra quelconque d'un seul bloc, dans la succession ordonnŽe de ses consonnes, sous la poussŽe ascendante du vide aux trois phases subtiles du son.

 

 

 

*

 

Ma voix, enregistrŽe sur la cire molle du gramophone, semble dŽjˆ ancienne. Venue d'ailleurs. PicotŽe. StriŽe.

Suis-je mort ?

Suis-je parti lˆ-dedans ?

Mon ombre sonore, que je croyais enlacŽe ˆ l'horizon, se trouve dŽsormais dans une boite.

Mon enveloppe sonore : trouŽe.

Que vais-je devenir ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Pome -

Vous ferez du point une surface d'Žchanges et de jeux. Vous compliquerez les surfaces feuilletŽes en points Žminents que savent dŽsigner les doigts des astronomes.

 

Ma voix, enregistrŽe sur la cire molle du gramophone, semble dŽjˆ ancienne. Venue d'ailleurs. PicotŽe. StriŽe.

Suis-je mort ?

Suis-je parti lˆ-dedans ?

Mon ombre sonore, que je croyais enlacŽe ˆ l'horizon, se trouve dŽsormais dans une boite.

Mon enveloppe sonore : trouŽe.

Que vais-je devenir ?

Suis-je toujours vivant ?

 

 

 

 

Musique -

L'oubli de tous les minuscules Žcarts entre les sons engendre le sentiment de la musique. Elle n'est rien d'autre que cette somme incongrue d'infimes dŽtails, mais l'entendre et l'Žcouter efface le dŽtail et engendre un tout du multiple impur, toujours imprŽcis, de toutes les choses.

 

Histoire -

On ne se demande pas si un pome ou une musique est "possible" aprs Auschwitz, mais on tient qu'un pome ou une musique est nŽcessaire d'aprs Auschwitz. Selon l'anŽantissement, ˆ son degrŽ. A sa hauteur de soleil et de cendres.

 

Violon -

Alors la musique s'Žchappe. Elle rgne, pour ainsi dire, sur notre petit destin d'os et de viande.

 

 

Silence -

RŽgner en silence. Projet enttant de toute musique. Instrument de pouvoir qui imite la conscience des hommes.

 

Silence (II) -

Le silence est, pour le musicien, une dŽlicatesse dans l'inachevŽ. Quand l'Žcart est bien trop creusŽ pour l'habitude entre un son et un autre.

 

Epouvante -

Le son de l'Žpouvante : il menace d'unisson.

 

 

Retard -

Tout attend dans la musique de Scelsi. A dire vrai, toute musique excellente se fonde sur une attente prolongŽe ˆ l'excs. Bach a retardŽ comme Scelsi, et l'on croyait ˆ leurs histoires. On y croyait parce qu'ils connaissaient la musique de l'attente qui est ˆ la fois anticipation et plŽnitude du temps. On y croyait comme des enfants croient au Pre-No‘l qui ne vient pas et au mouvement des feuilles d'arbres que l'esprit bouge.

La musique est tout cela. Elle retarde la prŽcipitation vers la fin. Et cela, c'est exactement ce que l'on nomme "vie".

 

YOGA-SóTRA de PATANJALI. VIBHóTI PåDA.

41. Pratiquer le samyama sur la relation entre l'ou•e et l'espace dŽveloppe un extraordinaire sens de l'ou•e. Nous savons que le son voyage ˆ travers l'espace. Si l'espace est obstruŽ, on ne peut entendre.

 

...un simple coup d'oeil sur une masse prŽtendument organisŽe ; une oreille jetŽe...

 

Celui qui parle offre, par sa bouche, sa musique, son monde sonore enregistrŽ, toute la promesse d'une vraie vie, passŽe, prŽsente, future et dŽsigne, ˆ l'instant, son horizon.

Mme si le compositeur tente de dŽbuter son oeuvre par un pige (que pourrait tre, par exemple, un acte na•vement colorŽ pour affaiblir l'attention en vue d'un saut...) un germe, dŽjˆ lˆ, contenu, chante une saison.

L'ouvrage, quand il est dans la tte, au quotidien face ˆ face, flamme perpŽtuelle et vive comme un Žclair horizontal, jamais ne se permet l'offrande stŽrile.

L'ouvrage respecte le regard.

L'ouvrage est humus.

 

 

DŽsert -

Le compositeur d'aujourd'hui est partagŽ entre nostalgie et ironie - son ambition ne peut tre que classique et il doit s'en moquer, parce qu'il y survit. (Disant le contraire, il ment.)

L'inquiŽtude, ici essentielle, considre l'ambition : classicisme, romantisme, baroquisme... dŽsignent en fait des postures de l'‰me inquite.

 

Se poser un problme strictement musical Žquivaut ˆ entreprendre la gŽographie de proximitŽ d'un dŽsert bien ˆ soi. Tout le dŽsert demeurera silence tant que les problmes demeureront ininterrogŽs.

 

Tchuang tseu. VOLEURS DE COFFRETS.

  DŽtruisez les six tubes musicaux, mettez en pices la flžte et la guitare, bouchez et assourdissez les oreilles de Che-k'ouang et chacun conservera la finesse de son ou•e. Effacez les dŽcorations, dispersez les cinq couleurs et aveuglez Li-tchou, et chacun conservera la finesse de sa vue. Supprimez le crochet et le cordeau, jetez le compas et l'Žquerre, sciez les doigts de Kong-chouei et chacun conservera son habiletŽ. C'est pourquoi il est dit : "La grande habiletŽ ressemble ˆ la maladresse".

 

Pour le grand musicien, la grande habiletŽ doit ressembler ˆ la maladresseÉ.

 

Lao tseu. TAO TE KING.

12.

Les cinq couleurs aveuglent

Les cinq notes rendent sourd

Les cinq saveurs Žmoussent le gožt.

 

Courses et chasses excitent la bestialitŽ

Biens prŽcieux entravent le progrs.

 

Aussi le sage

Se concentre dans l'abdomen

Et non dans l'oeil.

Rejette toute l'influence

Et demeure centrŽ.

 

 

Des 5 sens

enfourchŽs

pour

parler

(plus que tu ne sais dire)

 

L'Žnigme est plus grande

 

L'Žnigme s'approche, fait volte-face

sans laisser le temps, ˆ la main

de saisir

 

L'Žnigme

poussire adamantine

te gobe

sans digestion

 

L'Žnigme

alliŽe de notre vie.

 

 

 

 

O. Capparos, L. Marchetti

 

 

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