Connaissance des arbres

 

 

suivi de

 la veillée

 

 

 

 

 


 

arbre

tache d’ombre

où commence  et s’éteint

l’espace éclairé

 

le cratère rouvert

jure par tous les noms

 

il jure et il crache

et il vomit

de sa bouche grasse

 

les noms

que le désir a pratiqués

 

 

…si je peux t’embrasser et te fendre

dans cette neige langoureuse,

ce vif état du soir,

si j’arrache un à un tes membres délicats…

si les coups et la braise

meurtrissent le bois frais,

l’éclat de la bûche, du noyer, du tilleul

l’artère solide de ce membre tranché

 

 

travail d’un arbre généreux :

tailler dans le ciel

ses veines combustibles

 

 

verdure de la chose,

ouvrage entaillé, segment de nom

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

un point à peine visible

affronte toute la nuit,

parce qu’encore dans l’oeuf premier

il ne peut être divisé

ou trahi

 

la boue renonce à ton visage

(il tolère ce qui lave

sans souiller)

 

la sueur

comme la pluie

t’embellit jusqu’au sang

 

 

la méditation triste

où va et vient un oeuf de feu

dans ta chair tremblante -

mécanique qui délaisse sa lacune éblouie

arbre
   

 


 

 

 


*

 

 

 

ces herbes ont vu grandir

l’animal chaud

ennobli par son poids

 

je marche dans cet herbier,

ce petit traitement du soleil

 

si peuvent s’accoupler dans nos mains

le végétal et l’animal, et tous les blessés

recuits du soleil, aventuriers d’hier…

 

 

(personne ne vient

j’interroge la souche grasse)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

arbre

 fer de limon

 

 

 

la hache repose noircie dans la roche

et la terre opaque,

nul regard

pour en déterrer le reflet usé,

 

la coupe plate dans le laminoir

et le creux minier, inquiet et soucieux

de ce vestige en proie au linceul du couchant

 

 

bilan de chemins, longs chemins

sous le soc du soleil

descendant qui nous lacère

 

voilà je marche entre deux bordures fraîches

des cheveux défaits de la terre

où mes pieds

crevassés sont des fouets

 

le désert stupéfié voit revivre l’eau

défectueuse qu’il n’a pu détruire

 

 

 

 

 

 


 

 

le repos est plus précieux que tout

pour la lame debout dans mon poing

 

plus précieuse la dormeuse

dans mon esprit

qui m’offre de laisser bas

mon corps de colère

 

 

la monnaie de pierre ensevelit la base,

multiple, jalon

pour tous ces corps ascendants

 

 

 

 

 

 


résurrection

 

 

arbre

la voie des arbres

est une voie des images,

une main, une bouche,

des yeux tendus en pauvreté

vers l’écorce

font trembler un noyau nu

 

c’est un noyau dehors

qui frappe au dedans

à la source de nos étendues,

de nos petits essais de tact

 

c’est renaître par ce chant de part et d’autre,

de part en part fileté de nuit

pour qui s’attendrit en pauvreté

 

 

 

                 

 

 

 

 

 


 

 

 

                  chanson de la mort en moi

 

 

 

 

 

arbre

la tête dans le trou,

le hurleur des campagnes

 

le foie mange le coeur

qui mange

le sexe qui mange la tête

 

usure, vide, usure

prédateur dans les yeux

 

 

…si j’exaltais ce soir tes viscères et tes dons

en les élevant en trophées

dégageant la fine substance

de ton corps desséché

vanité…

 

perplexité, pour nos sens recueillis

l’étoffe est désormais acquise

pour effet de nos nuits hivernales

 

chair épaisse chair lourde du tissu

dans l’ombre duquel se tient ton regard

 

 

dans l’écorce foisonnante

sous le doigt de soleil

le tronc s’ouvre, le trou d’un abri

comme  un poing massif

qui desserre son étreinte

 

 

ce silence provient d’une moisson de cris

l’air était noir, vociférant

brûlé il conduit à ce terme

au vide, à ce temps

de suspens sur la terre

 

 

 

 

 

la tête dans le trou,

le hurleur des campagnes

 

le foie mange le coeur

qui mange

le sexe qui mange la tête

 

usure, vide, usure

prédateur dans les yeux

 

 

…si j’exaltais ce soir tes viscères et tes dons

en les élevant en trophées

dégageant la fine substance

de ton corps desséché

vanité…

 

perplexité, pour nos sens recueillis

l’étoffe est désormais acquise

pour effet de nos nuits hivernales

 

chair épaisse chair lourde du tissu

dans l’ombre duquel se tient ton regard

 

 

dans l’écorce foisonnante

sous le doigt de soleil

le tronc s’ouvre, le trou d’un abri

comme  un poing massif

qui desserre son étreinte

 

 

ce silence provient d’une moisson de cris

l’air était noir, vociférant

brûlé il conduit à ce terme

au vide, à ce temps

de suspens sur la terre

 

 

dune morte dans une géographie mutante

Point Vague est l’axe de ce monde écrit

 

 

ce coup est une prière

en brisant les os il révèle la lumière

qui anima  longtemps

les organes le corps entier

 

 

 

 


 

 

 

 

à celle qui avait pris l’habitude

de dater les disparitions et les noms

un simple arbrisseau décompte les naissances

les chutes de bourgeons, de fleurs et de fruits

 

éteindre, voir

cette nuit noire n’a pas de coeur

 

donne-moi une réponse provisoire

au travail des arcs entamant

la chair tiède de nos arbres

les plus jeunes, les plus grands

ont répondu intimement

en discrétion et en pudeur

par tout le fer qu’ils ont émoussé

 

 

 

 


 

 

 

 

            la voie des arbres

           

 

 

la valeur réelle et ses degrés

la déduire en quantités égales

dont apparaît le premier pli

tonal, ancrage de tous les tons

 

ce fluide a aussi sa cloison de briques

en lui, et sans encore l’emmurer

 

sur la paroi ton soleil personnel

enduira un plan de mortier

 

et tailladera ensuite

 

que les entailles dans ton corps

imitent la valeur

des entailles dans les arbres

 


 

 

 

 

l’étendue urbaine mentale

à travailler aux griffes ou bien

d’une circulation d’aspects

doit naître une surface polie, sans événement

 

 

 

la voie des arbres :

du travail des surfaces

qui sont privées de corps

 

 

 

une chaise : elle s’anime

sans rien trahir de son immobilité

à la table marbrée

qui endure la passion d’une chaise

 

 

 


 

 

 

 

voie des arbres, des bois cannés

du temps et des aspects,

toujours scellée si ne viennent

patience, promptitude dans l’attente,

l’attention droite qui décide de l’image

 

 

prépare un verre rempli de toi

d’une couleur de bois rance

de la mixtion d’un cerveau

trop longtemps étanché

 

 

chaque chambre chaque membre de ton esprit

attend la dessication

au travail dans la nuit

 

 

une main épouse le coffret

une autre rebondit

les efforts sont semblables

ils ont construit ensemble

une seule main qui descelle

 


 

 

 

            le verdaccio des anciens

 

 

 

ocre, chaux, noir de vigne

et l’eau qui fluidifie le tout

 

le fruit de ses eaux

naît sec des lumières intérieures

il fait nuit

 

ton de chair brûlée

attaque la chair rose

mais la terre perce et dessous

vit encore le premier des solides

 

avant l’élévation

l’élément chante, liquide

l’usure des anciens

 

 


 

 

            le vieux pierrier de la mémoire

 

 

 

 

 

 

 

 

d’un vol rapide

dans la tête

en haut de l’arbre

 

 

racines d’en bas

racines d’en haut

 

 

arbre de vie

arbre de la folie

et un dernier

lié à l’ombre d’œil

caché

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

Scire Scissor

 

 

 

 

 

 

 

 

 

sous le ciel déclinant

je sculptais un tronc

comme une viande  - on s’acharne

mais là-bas pas de sang

 

une nuit s’écoule

sur un soleil moribond

mes larmes  tombent sur mes mains

 

rien n’arrête les ciseaux

devant un corps impénétré

 

…comme si la certitude de connaître

s’appuyait sur un corps

découpé et tué

ô corps ouvert sur sa clarté…

 


 

 

Medecine naturelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

les racines sont ma demeure

j’imite l’eau

avenante qui te reçoit

libère mes attaches limite mes contagions

et fais sortir de terre

un nouveau germe de rosée

sur des pétales de sang

 

 

 

 

 

 

 

 

Arbre et forme

 

 

 

 

je cherche la forme qui peut prendre

toutes les formes

 

promène-toi doucement et deviens

l'instrument de sphères plus élevées

(soumis aux branches souples et aux fruits)

 

que de vents paresseux

incapables de nous soulever de terre

 

la beauté est l'exception

(le feu apparut à Moïse

et la tasse ébréchée

a lui sur la table)

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

la  veillée

 

sous  un  arbre  foudroyé

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce qu’un bras

qui se referme

sur une corbeille absente,

mais dont les fruits

font monter aux yeux

des couleurs vibrantes et claires ?

 

 

 

 

La nuit, nous nous tenons près d’une silhouette d’arbre mort

plus noire que la nuit

 

Qu’en est-il d’une parole

à laquelle le geste et le regard

ne viennent pas en aide ?

 

Une pensée nous est venue.

Nous avons ri de ce qui nous était donné.

Et de cette pensée, nous avons formé des images

animaux, chiens, oiseaux,

des murs et un toit

que la nuit en nous recouvrant

a effacés, ou emportés

avec les dernières vies du jour

 

Une question concernait l’instant perdu

où l’arbre avait reçu la foudre.

 

Nous avons quêté les proies amères

de nos questions plus amères

sans deviner

qu’un regard pût se remplir

et recréer en lui le foudroiement

 

 

 

 

Plus tard, l’aube ne vint pas.

Qu’est-ce qu’une veillée

qui ne se nourrit pas de la patience

soumise à l’attente de demain ?

 

 

Le rêve ne nous apporte

l’arbre, ni la foudre, dit un second.

 

Le rêve nous apporte le rêve, dit un troisième,

et le rêve, le désir.

 

 

Arbre, éclair, nuit

mots nous touchant comme des injures

tant nous voudrions leur donner tous les sens

et aucun

 

Nous chantons, et ainsi

le mot rassemble les voix

en les déjoignant de leur corps

 

Qu’est-ce qu’un mot,

ou une seule bouche

auxquels une seule voix suffit ?

 

Toute la sève

réfugiée dans le cercle que nous formons

autour de rien, autour de toi

repousse l’espace de la fin

où somnambuliques nous rejoindrons

ce qui n’est partagé, ce qui est tout divisé

 

 

Une nuit, où le vent descendit dans la plaine,

nous entendîmes le coche

et les sabots grondent

l’orage est passé

sur la branche noire.

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce qu’une vérité conquise

livrée à des bouches

dédaigneuses de la faim ?

Nos bouches s’ouvraient

à chaque étoile

à toutes les lumières

qui ne tombent pas.

 

 

T’es-tu prémuni de la soif ? me demanda le deuxième,

as-tu étouffé le désir

qui siège dans ta gorge,

en pensée, en toute chair ?

 

Qu’est-ce qu’une chose armée

contre ses forces de perdition et d’oubli ?

 

De telle chose, nous n’en avons

jamais vue,

jamais nous n’en avons touchée.

Le questionneur se tint debout

contre le tronc de l’arbre,

et d’une main désigna les branches hautes,

tandis que l’autre main se tendit

aux racines.

 

Tu dis un mensonge,

alors que tout mensonge conduit

à ressembler à l’arbre,

comdamne tes doigts

et tes orteils à bourgeonner,

fleurir et porter fruit.

 

 

le soir voulant manger et boire

quand dans le jour le ciel

avait été gris, piqué de corbeaux

 

nous étions abattus, ralentis

blessés sous des ailes lourdes

des oiseaux plus lourds que la nuit déchargeait

de sa haute profondeur

 

sillons noirs qui ne domptent

ni la faim ni la soif

mais attisent par le claquement

la rigueur du désir

 

les chemins nous ont usés...

 

 

 

                  Je rencontrai une nuit plus sombre, et en elle une souche plus sombre et plus profonde que la souche de notre arbre. Ce fondement était brûlant et noir, et son feu noir se rappela le feu oublié de la première foudre, de première brûlure.

                  Mais comme je tentai d’exprimer ce que je vis, et de le faire partager à tous, ma bouche se remplit d’un goût de cendre et cracha à terre des langues de feu noir qui éclataient dans le sable en fumées, étincelles. Tous firent un pas en arrière, et de leurs yeux m’accusèrent de ma monstruosité. Je me détournai finalement de la souche brûlante, et définitivement ne voulus plus rien voir. Les mots me revinrent. Mon palais se mouilla. Le feu et la cendre furent chassés de ma bouche. Lorsque je voulus revoir le feu noir qui avait tant bouleversé le cours de la veillée, je ne pus retrouver l’endroit de la souche, ni la cendre, ni l’ombre dansante d’une flamme qui y avait brillé.

 

 

 

 

 

 

entrer

dans une souche morte

et y perdre la vue,

n’est-ce pas faire jaillir de nouvelles sources ?

 

 

contrairement au sourcier

qui du bout de son bâton

découvre tremblant la source enfouie,

l’homme qui plonge ses mains

sous la terre et les racines

et perd tout ce qu’il est

crée la source

qui fertilise le limon

 

 

Qu’est-ce que le repos

en lequel l’éclair demeure ?

le feu continue de brûler...

Nous ne savions pas non plus répondre à cela.

 

Certains se disaient soldats

émissaires d’un dieu mort

et s’apaisaient comme nous

sous arbre à l’ombre mince,

pensant se rapprocher

de ce qu’ils avaient perdu.

 

 

 

nous compterons les villes que nous aurons traversées

 

 

la conversation s’achève

les mains se lèvent pour me souiller de terre,

de telles mains, reconnaissantes

s’ouvrent à la soif, 

 

ne juge pas la méchanceté de ces mains, mais

leur maladresse

et puis, ces mains ne sont pas vraiment des mains

tout juste de vagues images

des griffes inarticulées,

ballons

 

j’appartiens à la rencontre,

ma veine rarement l’occasion d’une source

 

 

 

 

le ciel n’a pas encore éteint sa rage contre nous,

dit un autre.

 

peut-on refuser au grain

une lente et pénible germination ?

 

 

 

                  Ce que j’écris dans une langue imprécise, tu le lis sans peine comme tu lis au visage aimé. Ce que je dis,crachant et bégayant, tu l’entends

section

vive de pierre

de taille.

 

La veillée sous l’acte foudroyé.

 

fiction crasse rassie

mais éveilleuse

du jaune parmi l’oeuf

 

je touche l’étonnement

quelle ombre de certitude

ne veut pas que je m’y arrête ?

 

 

 

 

dessins : O. Capparos

photographies : E. Beauron

 

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