Les cailloux blancs

 

- scŽnario -

 

Ç Du rouge au vert tout le jaune se meurt

Paris Vancouver Hyres Maintenon New York et les

Antilles

La fentre sĠouvre comme une orange

Le beau fruit de la lumire È ;

Apollinaire dernire strophe de son pome Ç Les Fentres È

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NOIR : On Žcoute dĠabord la campagne, qui nĠa rien de silencieuse quand on sait lĠŽcouter : Ç Un coq au loin, des vaches qui meuglent, un tracteur qui roule È. La campagne est en marche ds lĠaube. Pas de foule, ni de fureur, pas de mŽtro ou dĠautoroute mais autre chose. Durant une minute le silence sĠimpose.

 

AUTOMNE. Il est aux alentours de 7H du matin.

Ç Et quelle est la couleur du Pays Basque ? È ; Ç Le vert et le rouge È. Pour son drapeau, mais surtout pour les volets et les piments de ses maisons blanches immaculŽes, planantes ou entassŽes, dans la campagne vallonnŽe verdoyante.

Le Pays Basque est une rŽgion o il pleut beaucoup, la terre regorge dĠeau et lĠherbe alentour sĠimbibe dĠun vert tŽnŽbreux que seul le soleil ravive lors de ses apparitions inattendues.

 

Pome : Arthur Rimbaud, Octobre 1870, 1re strophe : Le Dormeur du val.

 

Ç CĠest un trou de verdure o chante une rivire

Accrochant follement aux herbes des haillons

DĠargent ; o le soleil, de la montagne fire,

Luit : CĠest une petit val qui mousse de rayons. È

 

1)  Le quartier : La Chapelle de La Bastide Clairence, ou Ç Le Dormeur du val È

 

Existe tĠil ? Etranges sont les personnes qui eussent entendu le nom de ces vallons qui assemblŽs forment le quartier dĠune minuscule commune au fin fond des PyrŽnŽes Atlantiques. Ici, ou plut™t lˆ bas, ce sont les collines de cette Bastide, construite au XIVme sicle par la volontŽ de Louis Ier de Navarre, futur Louis X dit le hutin, qui ont dessinŽ les premiers paysages de mon enfance. Un quartier devenu quelque peu moderne avec son ancienne chapelle, o la Vierge Marie traine quelque part accrochŽe ˆ un mur dans son voile bleu ; son ancienne Žcole construite dans les annŽes 50, o une classe unique invitait tous les enfants du secteur ˆ sĠinstruire. L'Žcole a ouvert en 1957 exactement, un tardif ricochet d'aprs guerre, une floraison d'enfants, un baby-boom prŽvisible aprs de trop longues et douloureuses absences.

LĠŽcole a fermŽ moins de 26 ans plus tard, soit deux ans avant ma naissance, o l'on appelait dŽjˆ les provinciaux ˆ se rapprocher du village sĠils dŽsiraient accŽder ˆ de quelconques activitŽs. CĠest un peu comme dans nos villes actuelles et vivantes, o les couleurs du modernisme et du luxe triomphent sur celles de la nature qui sont pourtant plus gaies, plus vives, plus humaines bizarrement. Je cite Armand FrŽmont, gŽographe : Ç La mŽtropolisation du territoire est le phŽnomne majeur des temps contemporains. È

Extrait du pome dĠArthur Rimbaud Mai 1870 : Ç Soleil et Chair È 

 

Ç Je regrette les temps de lĠantique jeunesse,

Des satyres lascifs, des faunes animaux,

Dieux qui mordaient dĠamour lĠŽcorce des rameaux

Et dans les nŽnufars baisaient la Nymphe blonde !

Je regrette les temps o la sve du monde,

LĠeau du fleuve, le sang rose des arbres verts

Dans les veines de Pan mettaient un univers !

O le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chvre ;

O baisant mollement le clair syrinx, sa lvre

Modulait sous le ciel le grand hymne dĠamour ;

O debout sur la plaine, il entendait autour

RŽpondre ˆ son appel la Nature vivante ;

O les arbres muets, berant lĠoiseau qui chante,

La terre berant lĠhomme, et tout lĠOcŽan bleu

Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu ! È

 

LĠŽcole fermŽe, elle est devenue une maison, o le salon est venu se substituer ˆ la salle de classe, le garage au prŽau, seul lĠappartement, de la ma”tresse disparue, a conservŽ ses fonctions. Cette Žnorme b‰tisse, pour des yeux dĠenfants, fut le foyer de mon enfance aux c™tŽs de mon frre et de mes parents durant 10 ans.

Les joueurs de chistera et de pelote basque du dimanche ont dŽsertŽ malgrŽ le fronton construit aux c™tŽs de lĠancienne Žcole. Le mur blanc aux courbes sinuso•dales fut rŽcemment restaurŽ, mais semble toujours aussi impopulaire ou dŽsertŽ en dĠautres termes. Seuls la pluie et le vent sĠoccupent quotidiennement de lĠusure de ce mur imbibŽ de tristesse et dĠabandon.

A lĠarrire plan de cette muraille, existe un chne que nous avons sauvŽ ma mre et moi. LĠarbuste commenait ˆ se faire ronger par les ronces qui grignotaient petit ˆ petit les prŽmices de son feuillage. Un coup de sŽcateur, des gants et au feu les plantes envahissantes. AujourdĠhui je ne peux mĠempcher dĠaller le voir et de lĠadmirer, lui qui sĠaffiche immense et fier gr‰ce aux mains maternelles et bienveillantes de ma mre.

Les jours de repos, lĠabribus en bois, construit ˆ lĠangle de la chapelle et de lĠancienne Žcole accueille certains fugitifs des corvŽes quotidiennes, qui sĠassoient et discutent en fumant une bonne pipe ˆ lĠabri des commŽrages. Cette cabane quelque peu rustique a ŽtŽ ŽrigŽe comme point de rencontre entre le quartier et le monde extŽrieur. Tous les matins scolaires, lĠantique mini bus blanc (cf dessin de Reiser), aux courbes rondes, ramasse les bambins du secteur, qui attendent patiemment le ronron des quatre roues, afin dĠtre dŽposŽs devant lĠune des deux Žcoles du village : lĠune privŽe, lĠautre publique.

Les jours dĠŽcole on peut donc observer le bus descendre la colline face ˆ la nouvelle maison (lĠancienne Žcole), aux grandes baies vitrŽes et aux volets rouges. A mon Žpoque de petite fille les volets de la gigantesque b‰tisse Žtaient bleu lavande, une envie de soleil de ma mre certainement.

Le bus dŽvale la pente doucement comme au ralenti, on a lĠimpression quĠil est minuscule et quĠil fait t‰che avec sa carrosserie blanche dans ce paysage verdoyant et automnal. Les chnes et les platanes sont robustes ici, mme si plus personne ne fait attention ˆ leurs postures de gŽants.

Le bruit du moteur de lĠengin scolaire se rapproche de plus en plus. Le mini bus dispara”t un instant dans le creux dĠune colline puis rŽapparait immense cette fois-ci de derrire le fronton. Ils ont la mme couleur tous les deux.

Trois enfants dont une petite fille (6 ans, 7 ans et 9ans), avec des sacs ˆ dos de diffŽrentes couleurs (violets, roses, et bleus) montent dans le bus.

La route commence pour ¾ dĠheure de trajet avant dĠarriver ˆ destination. 45 minutes dĠattente et de paysages pour des enfants qui nĠont rien ˆ se dire. La place du chef existait dŽjˆ dans le bus et a toujours ŽtŽ immuable. Elle se trouve au centre, les fauteuils alentours faisant partie de sa cour.

 

2)  Le trajet du bus scolaire dans le quartier de La Chapelle.

 

Au moment o les trois enfants montent dans le bus la musique dĠAlain Baschung commence : Ç Les Petits Enfants È de lĠalbum Live tour 85. 85 cĠest lĠannŽe o je suis nŽe. 93 lĠannŽe o je suis montŽe la premire fois dans ce bus et o jĠai compris une fois de plus que je nĠŽtais pas ˆ ma place. JĠŽtais habillŽe comme une poupŽe russe, tout en rouge, un nÏud blanc dans les cheveux, et des ballerines dorŽes de citadine. Mon 1er surnom : Ç la parisienne È a ŽmanŽ de ce dŽguisement de petite poupŽe chic et flambant. Une catastrophe dans le paysage des pulls gris, o seuls les cartable sont en couleurs. Un acte inconscient, une envie dĠautre chose, au loin brille un autre monde. La lumire.

Le chauffeur de bus est une femme, toujours en jupe ˆ carreaux dŽlavŽs et aux grosses fesses qui affaissent de jours en jours, dĠannŽes en annŽes, le fauteuil en cuir beige. Cette femme a un regard bienveillant sur nous tous, les enfants des champs de ma•s. Elle sĠappelle Josette. Une fois le ramassage scolaire terminŽ, le bus se repose dans le jardin de cette femme. Il attend la fin de notre journŽe ˆ lĠabri dĠun chne centenaire. Pas de retraite pour le bus, seulement des vacances scolaires et des week-ends, les jours o les m™mes ne sont pas de sorties. Cet engin est devenu au fil du temps une mascotte, parce quĠil nous faisait voyager, et nous arrachait ˆ cette immobilitŽ territoriale.

Le bus roule toujours, son circuit nĠa pas changŽ. La municipalitŽ le presse jusquĠˆ son dernier souffle, comme on presserait un citron, comme lĠaffichaient deux immigrŽs sur le portail de lĠusine de fonte grise MANIL ˆ Charleville en 1972, dans lĠune des photos Noires et Blanches de GŽrald Bloncourt (dans Ç Les Prolos ˆ travers le tŽmoignage photographique de GŽrald Bloncourt È). La pancarte disait : Ç Manil, Nous sommes des humains, Non des citrons È. Le bus nĠest quĠun bus, il nĠy aura aucune revendication, ni retraite.

Les enfants ne chantent pas, ni entre eux, ni chez eux, ni ˆ lĠŽcole. Il me semble avoir connu Ç La Marseillaise È de LŽo FerrŽ avant lĠofficielle, lĠobligatoire, la connue. Ç Arrte un peu que je vois si tu as de la voix È LŽo FerrŽ La Marseillaise, LĠċge dĠor. Ils se dŽvisagent, pensent, regardent par les vitres les nuages gris de la campagne. AujourdĠhui dĠautres du mme ‰ge jouent aux jeux vidŽo, sĠenvoient des messages de leurs tŽlŽphones portables, connaissent internet, ˆ 8 ans dŽjˆ. Les temps changent.

Les vaches enfoncŽes dans la terre boueuse nĠattirent plus leur attention, elles sont banales, Žvidentes et apparaissent comme des t‰ches beiges dans les vallons de leur circuit quotidien. Par moment ces mammifres se mettent ˆ courir, subitement, on sĠinterroge : une mouche les a piquŽe ? On sourit intŽrieurement parce que lĠon repense aux syndromes mŽdiatiques de la vache folle, puis naturellement lĠesprit dŽrive et vient se cogner aux marasmes mŽdiatiques Žtablis autour de la grippe aviaire, puis de la grippe porcine. A quand la prochaine ? Ç Et tant de trucs encore ; Qui dorment dans les cranes ; Des gŽniaux ingŽnieurs ; Des jardiniers joviaux ; Des soucieux socialistes ; Des urbains urbanistes ; Et des pensifs penseurs ; Tant de choses ˆ voir ; A voir et ˆ z-entendre ; Temps de temps ˆ attendre ; A chercher dans le noir È, Boris Vian, Ç Je voudrais pas crever È.

 

3)  LĠŽcole privŽe du village La Bastide Clairence

 

CĠest une toute petite Žcole, ˆ premire vue trs charmante, son portail peint en rouge, comme ses volets, donne sur une toute petite cour o tr™ne au centre : un fronton. LĠŽtage du haut est rŽservŽ ˆ la maternelle. La dame qui sĠen occupe a les cheveux courts et gris. LĠŽtage du bas, qui ressemble plut™t ˆ une cave, est destinŽ aux primaires. Une classe unique quelque soit la salle avec une seule institutrice, qui sĠoccupe des classes de CE1, CE2, CM1 et CM2 en mme temps. Si je me rappelle bien nous Žtions trois Žlves en CE2. Trois enfants du village avec trois styles de vie totalement diffŽrents. LĠun fils de paysan, seul garon hŽritier, connaissait dŽjˆ les sillages de son destin que sa famille, de pres en fils, perpŽtuait. [Travelling sur les sillages que forme la machine ˆ labourer la terre, o lĠon suit le tracŽ dĠun tracteur travaillant celle-ci. Fin du plan Panoramique qui remonte sur le tracteur au loin qui continue son chemin de dos, avec Philippe conduisant la machine. Plan rapprochŽ sur Philippe qui regarde devant lui en Žcoutant la radio, il augmente le son afin de faire dispara”tre le bruit du moteur et nĠentendre que les infos de la radio]. Une autre, fille de RMISTE, nĠavait accs ˆ aucune activitŽ extra scolaire, Žtant donnŽ que ses parents nĠavaient pas dĠargent donc pas de voiture, ni de permis de conduire. La gamine Žtait vouŽe ˆ rester dans ce village. Elle y est toujours. [On voit Ga‘lle assise sur des marches en pierre fumer une cigarette, regardant le sol. Ds quĠil y a une voiture qui passe elle lve sa tte vers lĠengin, elle est mal habillŽe, avec des vieux vtements passŽes de mode et de couleurs. Plan suivant, sur des habitations nouvelles ˆ caractres sociaux. Ga‘lle est devant chez elle, un enfant dans les bras, elle est en haut dĠune colline o lĠon voit le village de La Bastide, elle regarde le paysage avec lĠenfant.] Et moi je mĠennuyais, mon esprit Žtait en vacances, au loin dans les nuages de mes pensŽes vagabondes qui rvaient dĠun ailleurs, que je ne connaissais pas encore, mais qui allait sĠouvrir ˆ moi gr‰ce ˆ la curiositŽ, ˆ lĠenvie, aux besoins dĠautre chose. Toutes les classes confondues, nous apprenions encore et encore les tables de multiplication qui nĠŽtaient toujours pas sues. Les Žlves de CM1 Žtaient plus nombreux, parmi eux il y avait Fabienne, la grande sÏur de Philippe. Elle aussi fille de paysan est restŽe au village. La dernire fois que je l'ai aperue, elle Žtait dans le restaurant du village. Je ne sais pas si elle m'a reconnue, j'ai hŽsitŽ ˆ m'avancer vers elle afin de la saluer. Enfin, je n'ai pas osŽ, j'aurais dž, je pense. [Travelling avant qui entre dans le restaurant du village, Fabienne est assise ˆ la premire table du restaurant, devant elle un bŽbŽ sur la table, assis en face de Fabienne en homme, le pre de l'enfant. La camŽra entre dans le restaurant, le restaurant devient silencieux, ils tournent la tte vers la camŽra. Celle-ci panote ˆ l'intŽrieur du lieu. L'homme se lve en off et passe derrire le bar o il commence ˆ essuyer des verres. Le plan termine sur lui et moi qui entre pour commander un cafŽ. Il me le prŽpare, je me retourne pour regarder Fabienne].

A l'Žcole, nous pouvions donc laisser trainer nos oreilles dĠune classe ˆ une autre, si le dŽsir nous prenait, ce qui me permit dĠŽviter le CM2 et de passer directement du CM1 en 6me. Je voulais dŽjˆ partir loin, loin, Ç comme un bohŽmien ; Par la nature, heureux comme avec une femme È, Arthur Rimbaud, extrait de Sensation Mars 1870.

Le midi, les enfants sont envoyŽs ˆ la maison de retraite, de lĠautre c™tŽ de la rue, o des sÏurs BŽnŽdictines Žtaient employŽes. Elles faisaient le service et la cuisine. Aujourd'hui, je ne sais pas ce qu'elles sont devenues. Les personnes ‰gŽes Žtaient conviŽes ˆ manger dans la mme pice et ˆ la mme heure que les enfants, seules activitŽs pittoresques que la maison de retraite prŽvoyait dans leurs journŽes. Je nĠirai pas en maison de retraite. Hors de question. Elles me font peur, et je ne cesse dĠy voir Jack Nicholson dans Ç Vol au dessous dĠun nid de coucou È. Mon pre venait de temps ˆ autres travailler dans cette maison de retraitŽs, mais je ne me rappelle plus lĠavoir croisŽ. Ma mŽmoire a volontairement, semblerait-il, fait barrage ˆ certains souvenirs. Tous les jours nous traversions la route pour nous rendre dans cette cantine scolaire improvisŽe. Un trajet en hauteur qui permet de voir lĠŽglise du village, seul monument en pierre datant encore du XIVme. Autrefois, sĠaffichaient sur le porche du vieux b‰timent, les armes de la ville, qui furent arrachŽes durant la RŽvolution para”t-il. A lĠentrŽe du b‰timent religieux se dresse lĠimmense sapin qui aurait pu Žveiller nos sens et nos joies dĠenfants lors des ftes de fin dĠannŽes, sĠil avait ŽtŽ dŽcorŽ de gigantesques guirlandes lumineuses, revtu dĠŽtoiles et dĠobjets multicolores. Il semblerait que la destinŽe de ce sapin ne fusse liŽe quĠˆ son unique fonction de grand tas vert Žpineux et monochrome. La pente qui sĠoriente vers la place du village est de premier ordre pour les casse-cous des sports de glisse. Mais personne ne fait de roller ou de skate ici, il faut partir ˆ plus de 30 kilomtres si lĠon veut apercevoir des hommes en harmonie parfaite avec les vagues de lĠAtlantique. Mon pre fait partie de ces grenouilles en combinaison noire, armŽes de planches et dĠŽtincelles dans les yeux quand ils entendent lĠexplosion de ces gŽantes boules dĠeau venant se fracasser contre le sable. [Travelling latŽral sur les vagues gŽantes ˆ Anglet qui se fracassent contre le sable, contre champs en travelling latŽral Žgalement en sens inverse, sur des surfeurs alignŽs en combinaison noire (mon pre parmi eux), regardant la mer en la dŽvorant des yeux. Ils ont tous les yeux clairs, et les cheveux brulŽs par le soleil].

 

4)  Le Mercredi Matin

 

EXT/JOUR, ETE travelling sous le long porche de lĠŽglise.

Le mercredi matin, cĠŽtait catŽchisme ou Ç catŽ chips È, comme disait mon frre quand il Žtait petit, pour les enfants du village qui prŽparaient leur communion. Mon frre dŽsirait y aller lui aussi, pour tre avec ces quelques copains, les seuls que lĠon peut avoir dans un endroit aussi petit. Il voulait faire sa communion pour avoir plein de cadeaux comme tous les autres. Image sur mon frre (cheveux longs dans les yeux et barbe) en skate avec sa guitare Žlectrique sur le dos, glissant dans la pente de La Bastide. Il sĠarrte au niveau de lĠŽglise attrape son skate et monte les marches. On le retrouve devant le porche, aprs un long travelling entre les pilliers, avec sa guitare Žlectrique dans les mains sĠapprtant ˆ jouer en regardant la camŽra avec un sourire complice. Il commence ˆ jouer ˆ la guitare les premires notes du morceau : Ç House of the Rising Sun È de The Animals. Plan suivant sur mon frre en costume avec d'autres musiciens (un pianiste, un batteur, un bassiste et une fille travestie en garon, portant tous le mme costume), aprs un long travelling imitant le premier, qui fait apparaitre au fur et ˆ mesure les musiciens sous le cloitre de l'Žglise. La camŽra navigue entre ces poteaux blancs, faisant apparaitre tour ˆ tour les musiciens. Ici une chorŽgraphie est ˆ crŽer entre la camŽra, les pyl™nes et les guitaristes qui se dŽplacent jusqu'ˆ nous amener jusqu'ˆ la chanteuse, (travestie en homme) qui chante dans le micro les paroles de la chanson Ç House of the Rising Sun È :

 

There is a house in the New Orleans

They call the Rising Sun

And itĠs been the ruin of many a poor boy

And God I know iĠm one

 

My mother was a tailor

She sewed my newbluejeans

My father was a gamblin man

Down in New Orleans

 

Now the only thing a gambler needs

Is a suitcase and trunk

And the only time heĠs satisfied

Is when heĠs on a drunk

 

Oh mother tell your children

Not to do what i have done

Spend your lives in sin and misery

In the house of the Rising Sun

 

Well, I got one foot on the Platform

The other foot n the train

IĠm going back to New Orleans

To wear that ball and chain

 

Well, there is a house in New Orleans

They call the Rising Sun

And itĠs been the ruin of many a poor boy

And God I know iĠm one

 

Mon frre qui aurait voulu faire du "catŽ chips". Lui, qui nĠa jamais mis les pieds dans une Žglise, sauf pour certaines visites culturelles scolaires, bien sžr ! Le recueillement nĠest pas ˆ lĠordre du jour, mais le rockĠn rollÉ.It is !

Enfants, avec mon frre et les autres, nous Žtions dans des Žcoles privŽes. Et qui dit religieux dit : Ç Un Notre Pre È, le matin avant de dŽmarrer la journŽe. Les maitresses nous amenaient Žgalement ˆ lĠŽglise afin que nous puissions nous confesser. Je nĠai jamais pu imaginer ce que des enfants racontaient au curŽ lors du confessionnal. Ç Oh mother tell your children, Not to do what I have done, Spend your lives in sin and misery, In the house of the Rising Sun È.

Long travelling silencieux, sous le porche de lĠŽglise, travelling qui caresse les tombes incrustŽes dans le sol. En fond sonore orgue qui joue les notes de la musique : Ç Des armes È de Noir DŽsir, il nĠy aura pas les paroles. Puis la camŽra entre dans lĠŽglise, on entend dorŽnavant lĠorgue jouer en son rŽel. La camŽra traverse lĠŽglise au milieu des bancs jusquĠˆ arriver ˆ lĠautel. Une fois la camŽra devant lĠautel, la musique sĠarrte (elle sĠestompe doucement), puis Noir, et la camŽra se retrouve dans le cimetire avec lĠorgue qui redŽmarre. Elle navigue entre les vieilles tombes et les belles fleurs Žclatantes de couleurs et de fraicheur. Un beau contraste de vie et de mort. Quand les grands ne se soucient plus des petits. Les petits sĠarrangent pour vivre comme ils peuvent.

 

5)  Le village de La Bastide Clairence. ETE Soleil, Lumire trs forte.

 

La descente du village mne ˆ la place centrale et unique, o chaque annŽe le marchŽ potier ouvre ses tables dŽpliantes afin dĠaccueillir tous les talents modelŽs des artisans environnants. Gr‰ce ˆ sa place encadrŽe dĠarcades, le village sĠest vu attribuer le label des "plus beaux villages de France", un atout visant ˆ promouvoir les petites communes franaises, riches dĠun patrimoine de qualitŽ. La dŽfinition dĠune Bastide selon un petit dictionnaire franais est une ville neuve fortifiŽe dans le sud-ouest de la France. Si l'on dŽsire en savoir un peu plus, la fondation des bastides au XIVme sicle, dŽcoule de rivalitŽs politiques et du dŽsir de contr™ler certains sites stratŽgiques. La Bastide Clairence protŽgeait un poste avancŽ navarrais permettant par le fleuve, un accs ˆ Bayonne. Les motifs de sŽcuritŽ et la volontŽ de protŽger certaines routes entrainrent donc la crŽation de ces diffŽrentes bastides du BŽarn et du Pays Basque.

Sur la place vide de La Bastide, on trouve un seul restaurant, et juste en dessous de celui-ci, toujours sous les arcades, un tŽlŽphone ˆ carte est fixŽ aux vieilles pierresÉ.QuĠimporte. JĠappelais ma mre de ce poste afin quĠelle vienne me rŽcupŽrer pour me ramener ˆ la maison. Quand jĠŽtais courageuse et quĠil faisait beau, je parcourais ˆ pied ces 5 kilomtres pour rentrer jusquĠau quartier de La Chapelle. 5 km cĠŽtait une heure de marche. Autrefois les vieux du quartier empruntaient deux fois par jour, aller/retour, ce chemin aux travers des vallons, pour aller ˆ la messe, lĠancienne chapelle Žtant dŽjˆ devenu une habitation. Cela se chiffrait ˆ 20km par jour. AujourdĠhui on peut voir dans les couloirs du mŽtro parisien, dans les rues angevines, et certainement ailleurs, une invitation ˆ la marche au travers de panneaux publicitaires qui nous indique le temps quĠil nous faudrait ˆ pied pour nous rendre ˆ tel ou tel endroit. Comme si la marche Žtait une grande et nouvelle dŽcouverte de bien tre pour le corps. Heureusement nos grands-parents et arrires grands-parents nĠont pas attendu tous ces bienfaiteurs inquiets de notre santŽ physique, pour se rendre dĠun point ˆ un autre sans transport. DĠailleurs nĠest ce pas ce quĠils essayent de faire. Une nouvelle directive : les postes de conducteurs se faisant de plus en plus rares, les mŽtros aussi, il faut vider tous ces couloirs de ces mendiants qui dŽsirent vivre comme des hommes ! Allez hop tout le monde dehors, tout le monde ˆ pied. Enfin tout le monde, que lĠon sĠentende, la cour ne se privera pas de ses carrosses o la machine ˆ cafŽ est ˆ 25000Û. Oui oui, pris sur nos imp™ts, ne vous faites pas dĠillusions. Elle est dr™le cette cour loin des honneurs. Dr™le ˆ pleurer.

 

Une place en pente. Des murs blancs, des volets rouges, des fleurs aux balcons. Derrire cette faade vernie se cache une curiositŽ dont seuls quelques rares rŽsidants du village connaissent lĠexistence : le cimetire juif. Une soixantaine de pierres tombales gravŽes attestent de la prŽsence dĠune communautŽ juive entre 1610 et 1785. En 1492, sous l'inquisition, des juifs chassŽs d'Espagne, gagnent le Portugal, mais doivent ˆ nouveau quitter ce dernier en 1496. Ils trouvent alors refuge dans les villes frontires de la France, telle Bayonne ou La Bastide Clairence. Partis de cette Bastide avant la RŽvolution, il ne reste aujourd'hui que ces pierres, noyŽes dans les herbes, comme preuve de leur passage. Le cimetire appartient aujourdĠhui au Consistoire IsraŽlite de Bayonne. Si on ne sĠintŽresse pas ˆ lĠHistoire ou si on ne nous la transmet pas, lĠHistoire avec un Grand H dispara”t et un peu de nous mme par la mme occasion ! Toutes nos annŽes : sociales, solidaires, humaines, enfin dans la limite de lĠacceptable, tombent ˆ lĠeau, la jeunesse avec. Cette jeunesse sacrifiŽe o seuls les Ç copains de È sĠen sortent. Triste France, qui se transforme en p‰le copie de ce qui existe dŽjˆ.

Ici dans cette Bastide de la France profonde rien nĠa changŽ. Je suis partie il y a huit ans maintenant, il me semble que cĠŽtait hier, tant le paysage est immuable. Tandis que moi, devenue nouvelle citadine, jĠai du mĠhabituer aux changements rapides, prŽcoces, irrŽflŽchis des nouveaux urbains urbanistes. Ç Et moi je vois la fin ; Qui grouille et qui sĠamne ; Avec sa gueule moche È, BorisVian, Je voudrais pas crever.

Au village lorsquĠun petit vieux nĠest plus assis sur son muret en fin de journŽe, ˆ regarder la fin de sa vie dŽfiler devant ses yeux, on sĠinquite. Ils ont leurs habitudes de jeunes retraitŽs mme sĠils sont vieux. Ils nous saluent, nous sourient, parlent de nous : les jeunes. Fellag dirait quĠils tiennent les murs. Ils sont devenus muristes avec le temps. JĠai un grand respect pour ces personnes qui ont travaillŽ toute leur vie parce quĠils nĠavaient pas le choix. Tous les jours, mme le dimanche et les jours fŽriŽs, mme combat. AujourdĠhui ils sont immobiles, ˆ cause du travail inhumain qui les a tuŽs, sucŽs jusquĠˆ lĠos, et pourtant ils ne Ç rŽclament ni gloire, ni larmes, ni lĠorgue, ni la prire aux agonisants È, extrait de LĠAffiche Rouge, Aragon. Seuls leurs corps exigent gr‰ce, pŽnitence, apaisement, repos, aprs tant de labeur, et de sacrifices. Un repos qui sera dŽjˆ trop vite Žternel ˆ tout jamais. Ils ont ŽtŽ jeunes eux aussi. Il ne faudrait pas lĠoublier. Ç Nous sommes des humains, Non des citrons È. GŽrald je reprends la phrase de tes ouvriers ! Avec toi je ne risque rien, tu es des humains humanistes. Toi qui as sacrifiŽ ta vie pour lĠimmortalitŽ des cris de la rŽvolte, de la justice, de la vie tout simplement, de tous ces gens ˆ qui lĠon rajoute cette particule : Ç De rien, rien, rien È.

Le soleil se couche sur La Bastide. Toujours aussi belle. Toujours aussi vide. Un jour de plus en moins pour nous autres les fils De rien. Musique : Ç Volontaire È Alain Bashung Live Tour 85. Plan ˆ partir dĠune colline en hauteur o lĠon voit le village en entier, la camŽra reste en plan fixe (time laps) sur toute la dŽcomposition de la lumire et du soleil au travers de ce village. On assiste au coucher du soleil intŽgralement.

 

 

 

6)  Le folklore dĠune rŽgion. ETE.

 

INT/JOUR. Salle des ftes de La Bastide Clairence.

Un professeur (une femme ˆ la tte burinŽe et aux cheveux blonds dŽlavŽs) donne des cours de danse basque ˆ des jeunes filles et garons. On dŽcortique les mouvements, ils dansent de manire individuelle, puis collective entre filles et garons. Dans un mouvement o ils tournent sur eux mme, on les retrouve en ETE sur la place du village, ils sont en costumes blanc et rouges. Ils dansent ensemble.

EXT/JOUR. Place du Village.

Des hauts parleurs passent de la musique sur laquelle les danseurs se callent afin dĠeffectuer leurs pas. Ils continuent de danser tout en s'approchant de la camŽra. Puis dans un autre tour effectuŽ sur eux-mmes, les danseurs disparaissent, la camŽra reste fixe, des jeunes hommes courent du bas de la rue vers la camŽra (situŽe en haut de la rue centrale du village), ils se dirigent vers la camŽra jusqu'ˆ sortir du champ. Derrire eux des vachettes foncent dans la direction des hommes qui courent, les vachettes foncent vers la camŽra. Celle-ci remonte en travelling avant jusqu'ˆ voir la place entire du village o l'on dŽcouvre les spectateurs. Au loin le son des sabots des chevaux approchent de plus en plus, jusqu'ˆ apparaitre dans le champ. Ils sont trois cavaliers ˆ fermer la marche des danseurs et des vachettes.

EXT/A LA TOMBEE DU JOUR. Fte du village. Place du village.

Les spectateurs du spectacle de la journŽe sont devenus acteurs. Ils errent sur la place, ils se parlent. A partir de ce moment camŽra Žpaule. Certains sont dŽjˆ ˆ la buvette, ils s'invitent ˆ boire des verres. Une estrade avec une sono et un chapiteau ont ŽtŽ montŽs temporairement devant le fronton du village. Les gens vont et viennent, certains sont habillŽs en blanc et rouge d'autres non. Premier et seul moment du film o il y a de la vie humaine et dense ˆ l'Žcran. On suit les activitŽs des uns et des autres, ceux qui fument en cachette, les bisous volŽs, ceux qui vont d'un bar ˆ un autre, ceux qui mangent ˆ table (les adultes), les enfants qui courent et qui s'amusent entre eux sur la place. On dŽcouvre ainsi les rues annexes ˆ la rue principale. Un groupe de jeunes s'Žclipse, la camŽra le suit. Ils descendent tout en bas de la rue principale du village. Ils arrivent ˆ la piscine municipale dŽcouverte o ils entrent par effraction. Ils ne font pas de bruit, la gendarmerie est en face. Elle aussi est appelŽe ˆ disparaitre, pour donner naissance ˆ des villages sans homme de la loi. Les jeunes se dŽshabillent et plongent dans la piscine, c'est l'heure du bain de minuit. On les voit batifoler dans l'eau. Ils se coulent entrent eux. Un petit malin pique toutes les affaires et s'enfuit en courant comme un fou vers la place du village. On entend les autres crier dans l'eau. En chemin, chargŽ comme un mulet, le jeune garon sme, sans faire exprs, plein de vtements, un peu comme le Petit Poucet. Il remonte vers la place du village, les bras encore encombrŽs. Il bifurque sur sa droite et arrive dans un mignon petit chemin qui le mne au Moulin du village. Il s'arrte regarde autour de lui, Žcoute la sono lointaine, sourit et se dirige vers le lavoir du moulin. Les autres sortent de la piscine en sous vtement et commencent ˆ courir et ˆ ramasser sur la route toutes leurs affaires. Le petit garon revient sur la Place du village, o les adultes errent de bar en bar. L'ambiance a changŽ, il y a quelque chose de plus lourd, de plus pesant. Deux hommes commencent ˆ se battre, on tente de les sŽparer. Un autre est allongŽ dans le caniveau, il est malade. Un autre homme pisse debout, dos ˆ la camŽra dans un pot de fleurs, une clope au bec. La camŽra quitte petit ˆ petit toutes les personnes prŽsentent, puis s'Žloigne doucement de la place du village en travelling arrire en empruntant la rue en pente. La dernire voix off commence alors :

 

"LE PETIT POUCET

On est perdu sur le chemin du retour et on sme les indices d'une enqute qui dessine la carte du prŽsent.

J'ai rvŽ de fragmentation, de dispersions; des mots, des objets, des idŽes ŽparpillŽes. Un Petit Poucet titubant, ivre, un Petit Poucet qui aurait pris des cailloux non pas pour marquer son chemin ˆ l'aller mais pour indiquer son errance en retour. Un Petit Poucet qui voudrait faire le point sur sa disparition.

C'est toujours l'anabase, la remontŽe vers l'origine, le passŽ plus riche en futur qu'aujourd'hui. On cherche le chemin du retour et on finit par se perdre.

C'est en se perdant qu'on laisse les traces de son existence.

Pas de prŽsent sans paresse, sans ivresse, sans errance, pas de prŽsent sans d'infinies spŽculations, pas de prŽsent sans dŽsÏuvrement.". Fabrice Raymond ANABASE

 

Le travelling arrire continue jusqu'ˆ la sortie du village. Il descend toute la pente, passe devant la piscine, la gendarmerie Žteinte, et enfin aux c™tŽs du panneau qui signale l'entrŽe dans une commune : LA BASTIDE CLAIRENCE. (on est travelling arrire !). Et ici le mot : FIN.

 

 

 

 

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