ALBåTRE
(carnet
du lŽgionnaire)
Ç Voici :
il est passŽ sur moi
et je ne lÕai pas vu
voilˆ : il part
et je nÕai rien compris. È
Job
9/11
1
Discipline de la lumiére
1. Marine
La crise est un petit
paquet de couleurs
Je ne sais comment te dire
cette Žpine
fichŽe dans l'avant bras
La pensŽe d'ongle soulve
une pierre
et le monde devient un port
o se balancent des
navires.
2. Corbeaux
La signature par le nom
en prŽsence de nuŽes noires
Un animal vit ici
Sa fureur est un signe
Je le regarde calmement.
3. Lettre ˆ ceux du
rivage
Tu te mŽfieras de la place
laissŽe vacante ;
non pas que l'angle de ta
bouche
s'ouvre sans cesse pour un
appel (bien que ce soit ton droit)
mais construire ainsi sans
fondements
est un risque inutile, un
gaspillage
ˆ moins (et ce sera lˆ ton
intelligence)
que ce que tu nommes
le grand stratge ne se mine lui-mme
en vue de hauteurs plus solides
encore
Beaucoup s'Žtonneront de ta
mort difficile
quand bien mme tu avais su
nommer l'essentiel.
4. Les ”les
Il s'amuse ˆ coudre,
triturer des rayures, tendre des voiles
manipule de la caillasseÉ
Impossible de vivre ici
Les stations s'encha”nent
en une avancŽe immobile
Pourquoi s'imaginer
l'horizon ˆ l'inverse de son poids ?
Pourquoi, depuis ici, mlŽ
au noeud des grŽements
un corps se l‰che —
devient-il flaque ?
5. Journal du Capitaine
Bien qu'avec toi la fureur
Žtait au centre des tensions
bien qu'avec toi
marcher nue tte, marcher nus
pieds
dans les espaces difficiles
semblait un idŽal
tu n'as pas su allumer ces
brindilles entre deux pierres.
IsolŽs, nous nous rendons ˆ la
beautŽ la plus simple
et devinons qu'un je
t'aime offert
est aussi riche de promesses
que l'aile amoureuse de l'ŽphŽmre
dŽjˆ usŽe par les flammes.
Fatigue
Les racines sont pleines de
sable
le vent coupe
il fait chaud
tout est en fuite
L'accident devient lisse
l'ironie semble solaire
Et ce souffle revenu de
l'intŽrieur des terres...
Mon sourire
plus grand que tout visage
mange ˆ mme la terre
mange ˆ mme la terre
Comprends-tu ce moment
inadmissible en mots ?
[É]
ætre dŽpassŽ
perdre l'expŽrience d'un
corps plein
Dans cette vie de
changements
rien ne sert d'user prŽtendument
de sa force
Mon paradoxe : mourir
dans une armure
J'affronte, aujourd'hui,
des vents sans saveur
Mon corps est un dŽsert
Je dŽteste autant les
hommes que je les aime
J'affirme, ayant observŽ
leur visage grillŽ
qu'ils apportent le message
du Cyclope
Je ne jouerai plus avec ces
gens misŽrables
(je ne suis pas un Saint).
Le ventre apprend Ë sourire
pour
la fille
Le rose bonbon de
l'enveloppe est acide
Tu trouves, au sol, dans
les graviers, une Žcharde
Ce sont tes os qui parlent,
parfois mme le flux d'une pensŽe.
[É]
Le muscle, au plus tiraillŽ
de sa tension, redevient souple
Dans nos mains le corps de
la fille est vivant
La souffrance rel‰che un
passŽ de poussires croisŽes
(pour le meilleur ou pour
le pire)
mme s'il existe un torrent
Sous l'eau, du fer
et d'autres matires encore
une rouille, un liant
composŽ
c'est un pige de mailles,
un passage mat
Franchir l'obstacle
ou bien pourrir
Au-delˆ : l'abstrait
brillant.
Immensitƒ
L'essentiel Žtant de faire
ce qui est ˆ faire
ton dŽsir o il faut quand
il faut
(fine lame ˆ l'incise du
soleil)
Et tu t'imaginais atteindre
les crtes, chargŽ ˆ bloc !
Le voyageur haut est ailŽ
le voyageur haut est une
graine.
Dieu fauve
Sur cette crte, fouillant
la lande et les buis
j'ai vŽcu un amour archa•que
emportant avec moi toute
une lignŽe d'esprits
N'as-tu jamais, dans ton rve
bafouŽ de tes mains le
parterre de lianes ?
Au-dessus des forts nagent
les abeilles
la rŽserve de pollen
l'une dans l'autre, toutes
dans toutes – notre modle ?
La nuit tombe
Je retourne ˆ ma fange
et m'asperge
comme une bte
C'est cela tre sauvage.
LÕƒtendue
1.
JÕarrive, nu
dans une vie lumineuse
et profonde.
2.
Impossible de comprendre
les conflits
Agitation, bouffonnerie, luttes sanglantesÉ
Ma faiblesse : avoir
cru ˆ la saveur innŽe.
3.
DÕinstinct, dans la vitesse
si la fatigue sÕapproche,
me recouvre
je chevauche le dŽsordre
comme poussire derrire le
cavalier qui fuit.
Ne pas s'ƒvanouir, rester d'un bloc
Carnet 23
D'ici, d'o part le trait
(mon humour transformŽ en b‰ton
d'encens)
L'expŽrience du face ˆ
face
Tailler une pierre de silex
sans rien conna”tre de la proie
Je cherche entre les mots
une expŽrience
fouille, observe et l‰che
ici et lˆ du lest
N'est-il pas vrai qu'entre
poussire et corps de pierre
se risque la place auquel
chacun aspire ?
[É]
Les animaux qui vivent en
nous
ont aujourd'hui perdu leur
or
Seule leur sauvagerie se
manifeste.
[É]
L'aile rapace, dans sa
courbe
soudain dŽtruit la proie
Vue de haut - point unique
-
Ïil noir fondu en flche :
boule immŽdiate
D'ici, d'o part le trait
Sur cette feuille
Notre organe.
[É]
L'image du sablier :
compte-gouttes
ˆ rebours.
[É]
Comme un aigle
je fus
comme un aigle
je volais
Mon territoire entier, dŽdiŽ
ˆ la lumire
plus grand chaque jour
me donnait la nourriture nŽcessaire
pour une folle ascension
Comme un aigle jÕŽtais
plus loin de moi que moi
seul
sans aventure
avec le dŽsir, pour alliŽ
—
le dŽsir de vie.
Une rencontre
Ni dŽguisement
ni fard
Sur la plage
on crie
on joue
lÕair circule
Alors, seulement :
Pourquoi
es-tu ici ?
Que
viens-tu faire en ce monde ?
Contradictions
Pour mes hommes
Tu jouiras de tuer
c'est le fauve qui est en
toi
La casse, la pagaille, les
cris du bas ventreÉ
et surtout cette vague
musculaire enroulant ton dos
jusqu'ˆ ta main
devenue pince ˆ briser
ˆ charcuter
[É]
Parler est ailleurs que dans le
simple fait de dire
parler est arriŽrŽ
parler est dans ta cuisse
plus que dans tout le mal que
tu te donnes ˆ explorer les recoins exigus d'une fausse modestie.
[É]
Les anciens tueurs de ta
famille
(il y en avait)
restrent sourds ˆ l'appel
des hautes mers
jamais n'abandonnrent leur
poste de ferraille
soi-disant scrutateur
DŽsormais, il te faut
penser ailleurs
Finalement tout a
cohabite, tout a fait bon mŽnage
se consume
et la flambŽe
c'est toi.
La paralysie du froid
Le visage a mangŽ
Un animal s'accroche, ne l‰che
pas, suce
Dans la fournaise seul
compte l'arc en ciel des couleurs
Le repos, si tu l'a bien
compris
ouvre une porte
Il neige.
[É]
Exercice
de pensŽe (juste avant de mourir) :
Une
colonne pour tes muscles
et non
pas les muscles autour de ta colonne.
La
hauteur se transmet subitement
au-delˆ
du mimŽtisme d'apparence.
En Žquilibre
au bord des torrents.
Le silence
Raz-El-Ma – 13/07/91
Je n'aime pas ce jardin,
sec, mort sans tre nŽ
Un puits, un four de
pierres mal jointes, une haie de cyprs
et la fatigue de ma main
qui pourrait tout tarir
On pose les armes
Je n'aime pas ce jardin sec
mme si les hommes ont de
quoi s'occuper
Depuis une heure, postŽ,
j'observe
L'angle gris de la baraque
d'o les enfants s'arrosent
en silence
vibre ˆ lui tout seul
semble une ironie solaire
un paradis incandescant.
Carnet 10
Pour mes hommes
Trop d'attachement, trop d'Žrosions
et toutes ces fuites qui
cohabitentÉ
(danger pour l'homme libre)
Tu n'existais pas il y a
peu
Soudain l'essence, la
ligne —
la chair se cabre
lance sa hache
Te voici seul.
Une disparition
La vitesse, dans la nuit
attrape notre dos
Nous croyions rejoindre les
rapides
partager lÕŽrosion
cette frappe altire de
tous les galetsÉ
ÉlÕhumeur de la terre pour
le bas ocŽan
Nous croyions correspondre
avec toi
Žtrange pensŽe sans tte
Mais rien, rien en rŽponse
Nous avons trouvŽ une
nature sans contact.
L'herbe
presque dans l'Ïil
O donc es-tu ?
Pourquoi m'as-tu laissŽ ?
ƒtait-ce toi qui me parla
entre ce filet de pierres ŽboulŽes ?
ƒtait-ce toi, dans la lumire
changeante des jardins, lorsque enfant
je jouais sous le grand
peuplier, Žtait-ce toi ?
ƒtait-ce toi, souffle long
avouant ma nuque, mon dos
ma dŽmarche alignŽe sur un
fil sans futur ?
- le moment privilŽgiŽ lui
aussi peut tuer -
Žtait-ce toi ?
L'expŽrience
venue
vivre dans la main
sera dŽposŽe
sans
labeur.
LÕeau
Il
cherche entre les mots la venue d'une flamme
Tu apparais ici
avec ta nuditŽ
JÕaime ton visage
me glisse le long dÕune
ligne
prŽsage de
blancheur — notre rve dÕunion.
Nocturne
Ç Une
bonne action se prŽsente ˆ toi,
ne
la laisse pas pourrir. È
Ses anneaux
entre les ronces
Une tte ici
un morceau de corps
plus loin.
2
La Terre
1.
Mes enfers depuis longtemps
dŽvastŽs
sont le terreau d'une Žtendue
plus belle encore
Je ne crois pas pouvoir
vomir l'animal
ni quelconque autre
monstruositŽ
J'en reste lˆ
Ma gorge est sombre
mon squelette, sans avenir
Mes ab”mes se partagent
Je souffre d'un Žclair noir
que tourmentent des lueurs
L'eau des flaques devient
dure
DŽjˆ loin, l'affreuse
accalmie se retourne
et lance un regard.
2.
Je sais des mots dansants
(malgrŽ mon aspect)
je sais des mots
dansants
qui rŽsonnent pour le
combat
L'Žtendue est un corps ˆ
suivre
L'Žtendue me touche,
respire sous le ciel
sans confondre,
heureusement, l'image avec le vice
Mes enfers
vous tes dans l'autre sicle
avec l'autre sicle
comme des papillons
piquŽs.
La main de verre
Comment dompter ma conduite
animale ?
immobilise
puis se refuse —
Les mots glissent les uns sur
les autres
se brisent
comme du verre —
Une multitude de rivires
et lÕocŽan.
ThČtre
Dans un rve
Une voix
dispara”t sous ta voix
Surgie du sol
une flamme lance un millier
de ttes
L'air se tend comme une
musicalitŽ noire, un trou respirŽ
un masque de mains
Ton visage s'Žrotise :
tu t'Žtrangles, louches,
bourres ta gueule de cotonsÉ
Tu lves encore la tte :
— Ç Dans
mes mains
un
morceau de roche volcanique. È
— Ç LÕhorizon
souffre
ˆ
l'aplomb silencieux d'une nuit noire
devenue
pige. È
Cauchemar
1.
La plage crayeuse d'une
main rvŽe
occupe les ocŽans
broie des galets, des
cadavres
Toutes les nuits un peuple
s'active et luit
d'Žtranges lucioles
toutes les nuits le combat
s'achve
c'est la rgle
Lˆ-haut la digue malmne
les eaux
lˆ-haut prend pied l'armature.
2.
J'ai vu une fourmilire
casser le socle d'un monde de brindilles
mes bras gonflŽs de miel se
tendre ˆ l'encontre d'un pige
j'ai observŽ cette
chevelure tissŽe de mots
transportant mon propre cr‰ne,
tatouŽ
disant :
—
Ç Enfant, tu ressentais l'aura des corpsÉ È
J'ai vu la rivire
pourrissante
balayer toute la scne de
son large sourire
j'ai vu un animal
la peau piquŽe de vers
dresser vers moi sa tte et
implorer
j'ai vu, beaucoup plus haut
un homme dŽgagŽ de son
aimant suceur
sans ossature
rŽvŽler son tre de laideur
Ce matin j'avoue ma fatigue
les ruines de mon corps se
court-circuitent
me voici couchŽ dans la
ferraille
De ma bouche Žcl™t cette
phrase :
— Ç Dans
mes mains tu conna”tras les torrents. È
Autre ræve
Carnet 27
Sous la peau de l'intŽrieur
de mon cr‰ne na”t l'image
Le corps sera toujours de
viande
c'est le pige du regard.
[É]
JÕabsorbe des fumŽes
Les graviers jouent,
apportent ˆ ma bouche
une panoplie de couleurs
ambres
Les profondeurs du lac m'attirent
Les hommes se reposent
(rien d'autre ˆ dire).
[É]
Exercice
de pensŽe (juste avant de mourir) :
un
corps est un corps ;
son
travail : tre corps
vivre
dans la ronde du sol
Il y a
plus, bien sžr :
le
corps est une fleur solaire
sa dŽpense :
totalitŽ
un don
l'assurance
d'une stabilitŽ
d'un Žchange
fŽcond.
[É]
Quelques notes prises au rŽveil :
L'amie
des yeux se dŽbat
Un
crochet pendouille
Dans
cette haute chambre repose un essaim
Une musique se fait entendreÉ
(É la musique est une ligne
au-dessus des formes et des vices
et
cette ligne, tout ˆ coup, se perd. C'Žtait le pige. Tous sont mortsÉ)
Le piége
Carnet 11
La croisŽe dÕune ombre
suffirait ˆ transformer ton
tre ?
Quelle est ta tenue, ta
vigilance !
Les rves d'une fournaise o
la pagaille fornique avec la pagaille
(les rves de boue, de
pisse, de chairÉ) —
— ta force, ta
faiblesse.
[É]
Une figure se dŽmultiplie,
grandit
souriante pour l'instant
fŽminin fantastique
pige ouvert et
chantant :
L'harmonie
des couleurs ne veut pas dire foison
mais
abondance, tuerie dŽlicieuse.
[É]
En Žcrivant, les phrases du
monde meurent sur les berges
en Žcrivant l'Žpure
s'attise
Il sera nŽcessaire ce
retour de flammes
pour attiser la visŽe
haute :
douŽ de
vie
sans
trop de vie alentours
surajoutŽe
Ta vision, ds lors,
devient sensible :
Horizon
blanc
faille
sans fin
o l'on
s'engouffre.
Mit Humor
1. Il chante
C'est ainsi !
Intestins d'alcool, crues, tte-monde
parcourue sans saveurs
croisŽe du fer avec l'idiot - isolŽ
vŽritable - c'est ainsi !
Matire bois
— qu'as-tu ˆ faire avec le bois ?
Matire fer
— qu'as-tu ˆ faire avec le feu ?
Matire fer — bržleras-tu
?
Les jardins serpentent
les jardins (mon esprit de
poudre)
m‰chent, tuent
pressent l'attente du squelette
C'est ainsi ! Pourquoi ceci,
pourquoi cela ?
C'est ainsi !
L'impossible existe.
2. Le feu (retour ˆ soi)
Ce que j'ai vu
je n'en parle pas
Un sourire de plus dÕun
millier de ttes
lche les grves de
l'abstraction
Il existe, pour chacun
la renommŽe du sourire
Ici, sens et idŽes se
touchent
La vie est complexe.
Eau et riviére
1.
Tu finiras par dispara”tre
sur le dos dÕun animal
luxuriant
persuadŽ, ˆ tort selon moi
que des mots mal agencŽs
ne suffisent pas ˆ dŽclencher
lÕorage
La mŽthode de chacun est
singulire
Ne pas possŽder la syntaxe
nÕest pas
ne pas possŽder la vision
Les mots tombent
comme des fleurs
pourquoi laisser sÕenfuir
leurs parfums ?
2.
Nous irons passer la nuit,
tout lˆ haut
attendre la venue des Žclairs
(une bouteille de whisky
pour chacun, cÕest ok !)
De lˆ, tu observeras
la glace —
Enfin, le chant dÕune
corneille solitaire
accompagnera notre descente
dans le givre et le froid
Pieds froissŽs, corps
fatiguŽ.
3.
Ici, dis-tu
nous sommes au centre
Et saluons, dans ce partage
la beautŽ du monde et ses
mystres.
Par le feu
1.
D'une impossibilitŽ
(un tunnel de lacunes, plut™t)
tra”nŽe comme un ver
en bas de la colonne
C'est ta lignŽe, il te faut
faire avec
Qu'il est dur le grand saut
la venue
sur le lisse.
2.
Des vagues se retournent
ˆ l'affžt des faiblesses
empchent le dŽpart
de l'animal
des vagues annoncent, sans
cesse, leur exigence
La battue : socle
nourricier pour les grands fonds
Mais ta bouche reste p‰teuse
ta bouche est bgue
quelque soit la discipline
la frontire se repousse.
3.
O est-il l'espace dŽgagŽ
celui, difficile
Qu'ils nomment : la lumire ?
Lionel Marchetti
dessins de FrŽdŽric Malenfer