LĠordre du discours chez THOMAS BERNHARD

 

Pour une invitation ˆ la lecture de Bernhard

 

 

Ç Mais quĠy a-t-il donc de si pŽrilleux dans le fait que les gens parlent,

et que leurs discours indŽfiniment prolifrent ? O donc est le danger ? È

Ç Il faut concevoir le discours comme une violence que nous faisons aux choses, en tout cas comme une pratique que nous leur imposons ; et cĠest dans cette pratique que les Žvnements du discours trouvent le principe de leur rŽgularitŽ. È

Michel Foucault[1]

 

Ç les rideaux que jĠavais, une fois, brusquement tirŽs, avaient fait sursauter

mon Walter, assis prs de la fentre, plongŽ dans ses livres, comme en train dĠŽtudier, et il avait levŽ les yeux vers moi, pendant que jĠobservais dans la rue dŽjˆ presque entirement assombrie par les montagnes quelques personnes qui allaient au thŽ‰treÉJĠai observŽ, coup sur coup, deux jeunes sÏurs, un couple de frres, deux professeurs en manteaux noirs, habituŽs ˆ leurs cannes,

portant des chapeaux gris ˆ rubans noirs ; È

Thomas Bernhard[2]

 

Ç Ési par hasard je ne regardais dĠune fentre des hommes qui passent dans

la rue, ˆ la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes,

tout de mme que je dis que je vois de la cire ; et cependant que vois-je

de cette fentre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir

des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ?

Mais je juge que ce sont de vrais hommes, et ainsi je comprends, par la seule

puissance de juger qui rŽside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux. È

Descartes[3]

 

 

Pour justifier la place et le r™le de ces trois citations en exergue et afin de clarifier ce que nous entendons par Ç ordre du discours È, partons de ce que Bernhard lui-mme Žcrit en exergue du roman que lĠon peut considŽrer comme la clef de vožte de son Ïuvre : Corrections[4]. Nous y lisons une phrase attribuŽe au personnage principal, Roithamer : ÇPour donner un appui stable ˆ un corps, il est nŽcessaire que celui-ci ait au moins trois points dĠassise qui ne soient pas en ligne droite. È[5]

Appuyons nous ds lors sur ces trois citations pour comprendre lĠenjeu de lĠordre du discours chez Bernhard. La rŽfŽrence ˆ Foucault nĠest pas une manire de placer notre sujet sous son patronage, mais plus humblement de retenir ce quĠil dit ici lorsquĠil parle du danger, de la violence et de la prolifŽration du discours qui engendrent une rŽgularitŽ : cĠest lˆ un trait constant de lĠÏuvre de Bernhard qui construit par sa langue lĠordre dĠun monde quĠil oppose au triste chaos de notre rŽalitŽ. Bernhard a beau estimer que Ç nous ne sommes rien et nous ne mŽritons que le chaos È[6], il relve le dŽfi de lĠordre afin de faire quelque chose de nous, de lĠhomme : il nĠest pas misanthrope, il nĠest pas nihiliste.

Pour sĠŽlever ˆ une telle exigence, Bernhard a besoin dĠun point de vue sur le monde. Celui que veut indiquer le passage de Bernhard mis en exergue, emblŽmatique de son style et de son regard sur le monde ˆ partir dĠune fentre[7]. La fentre est le seuil dĠo il est possible de juger le monde, de lĠexaminer (sichten : terme clŽ de Corrections), dĠen affronter la Ç rŽsistance È[8] pour y introduire lĠŽvŽnement du discours.

Le troisime point dĠappui dĠo nous partons, lĠappui cartŽsien, nĠest pas quĠun simple Žcho troublant au texte de Bernhard, mais un rappel renouvelŽ ˆ Ç lĠordre des raisons È, si cher ˆ Descartes et si prŽsent chez Bernhard. Descartes est une rŽfŽrence pour Bernhard, avec Pascal, Montaigne et autres Hegel ou Goethe. Il sĠagit de se nourrir de lĠŽcriture et de la pensŽe des ma”tres du passŽ pour Žlaborer un discours qui deviendra le point dĠArchimde, ce point dĠo lĠon pourra soulever le monde lui-mme.

Tel le narrateur de Corrections, il sĠagit pour Bernhard de trier et mettre en ordre[9] tout ce que lĠhumanitŽ est, et nous a lŽguŽ. Claude Porcell voit juste lorsquĠil ouvre sa recension de Corrections[10] et quĠil nous place Ç devant une Ïuvre qui aspire constamment ˆ une Ç mise en ordre È, mais que lĠon ne sait paradoxalement comment aborder. È Pour aborde lĠÏuvre de Bernhard, il faut partir de cette notion dĠordre, et montrer comment lĠordre est celui du discours. Pourquoi faut-il ordonner le discours ? Comment ? Sera-t-il alors ordonnateur ? Poser ces questions cĠest aborder lĠÏuvre de Bernhard ˆ la faon dont Bernhard abordait la rŽalitŽ et construisait le monde. Nous devons nous mettre ainsi dans la peau du narrateur de Corrections et tre trs attentif ˆ ce quĠil dit et fait dĠentrŽe de jeu. Car le dernier mot de la premire phrase (elle occupe les 3/4 de la page) de ce roman, mot que lĠon retrouve ˆ la dernire ligne de la premire page, mot qui rythme lĠouvrage en sa totalitŽ, est bien ordnen : ordonner, mettre en ordre. HŽlas, le lecteur franais passe ˆ c™tŽ de cette exigence du texte, et ce pour deux raisons : en franais le verbe est naturellement renvoyŽ dans le corps de la phrase, mais en outre on peut regretter quĠAlbert Kohn lĠait traduit ici par Ç trier È, ce qui nĠest pas faux, mais faible et incohŽrent, car ds la phrase suivante il opte pour Ç mettre en ordre È quĠil conservera pour le reste de lĠouvrage. Ce quĠil sĠagit en lĠoccurrence de mettre en ordre ce sont les papiers de Roithamer, ses Žcrits et son Ç volumineux manuscrit È sur Altensam. Et lĠŽcrivain nous signifie dĠemblŽe la difficultŽ et la nŽcessitŽ de ce travail en nous plongeant immŽdiatement aprs, dans la deuxime phrase, dans un exercice brillant de mise en ordre par la littŽrature : le rythme de cette phrase, performative en ce quĠelle rŽalise lĠacte de discours demandŽ par la premire phrase, est scandŽ, relancŽ, ŽquilibrŽ et rŽŽquilibrŽ sans rel‰che pendant trois pages. Ce prodigieux effort de mise en ordre fourni par lĠŽcrivain qui fait penser le narrateur, par le narrateur avec Ç les papiers laissŽs aprs son suicide par Roithamer È, Bernhard le fournit avec la pensŽe laissŽe par les hommes, engendrŽe par leur perpŽtuelle folie ; et nous devons le fournir pour rendre raison de lĠordre du discours chez lĠhermite autrichien[11].

Cette demande de raison face ˆ une telle Ïuvre littŽraire nĠest pas un vÏu pieux de rationalitŽ pour expliquer une Ïuvre mais une dŽmarche calquŽe sur le dŽsir de raison de cet auteur pour interprŽter un regard sur le monde en demande de vŽritŽ. Car, exiger avec Bernhard une mise en ordre, cĠest parer ˆ toute tentation nihiliste et chercher avec lui ˆ rendre lĠhomme meilleur, plus honnte, plus juste avec soi et les autres. Le pessimisme et le nihilisme ne cherchent pas une mise en ordre, leur discours nie gratuitement. Ici, il sĠagit de nier pour affirmer, pour fournir un point de vue normatif sur le monde qui repose sur une conception de la valeur opposŽe aux simples faits. Ce nĠest quĠen surface et en apparence que lĠon trouvera un Bernhard pessimiste et nihiliste. Il faut sonder les profondeurs du texte et cette qute permanente chez Bernhard de ce qui est le plus haut (das Hšchste) en lĠhomme pour montrer que la littŽrature en son ordre Ç suprme È peut relever le dŽfi de la valeur de lĠhomme, contre sa dŽvalorisation par les discours ambiants, ŽculŽs, et dŽboussolŽs.

Ç Écar en un temps o lĠon Ždite et publie tout, sauf des choses remarquables, sauf des choses effectivement dĠune originalitŽ absolue et aussi par surcro”t scientifiquement gŽniales au plus haut point, en un temps o tous les ans des centaines et des millions de tonnes de stupiditŽ couchŽe sur le papier sont lancŽes sur le marchŽ, toutes les ordures de lĠavilissement de cette sociŽtŽ europŽenne ou, pour dire toute ma pensŽe, de cette sociŽtŽ mondiale tombŽe dans lĠavilissement, un temps qui toujours et sans cesse ne produit que des ordures intellectuelles et o lĠon fait passer de la faon la plus rŽpugnante pour des produits de lĠesprit ces ordures intellectuelles qui ne cessent dĠempester et de tout obstruer alors quĠil sĠagit seulement de sous-produits de lĠesprit, en un temps pareil je pense quĠon a carrŽment le devoir de publier une Ïuvre dĠartÉ È[12]

La puissance normative de lĠart est ici manifeste, comme elle peut lĠtre en bien des points de toute lĠÏuvre : la littŽrature doit mettre en ordre un discours qui mette en ordre le monde. Bernhard parle alors Ç de la joie croissante de lĠÏuvre. Ce sont les mots que jĠaligne, les phrases que je construis. Je les mets en bonne place comme on le fait de jouets et selon un dŽroulement musical - il sĠagit bien dĠune construction. È[13]


 

Ainsi, vouloir traiter de lĠordre du discours chez Thomas Bernhard cĠest chercher dĠemblŽe ˆ signifier la mise en ordre et en Ïuvre dĠune langue comme fentre ouverte sur le monde. Derrire lĠapparent dŽsordre du discours[14] (les monologues interminables et saccadŽs de son thŽ‰tre, la logorrhŽe systŽmatique et le verbiage nŽvrotiques de ses personnages de roman, les spirales incantatoires, la logomachie musicale etcÉ), et au-delˆ dĠun simple ordre du non-discours, cĠest-ˆ-dire un discours qui nie,  qui nie toujours, tout, et sans cesse, il faut lire le discours de Bernhard comme une exigence nouvelle de raison mise pratique. Il sĠagit dĠapprŽcier chez lui la langue en actes, de prendre la mesure des rŽalisations de sa langue, de comprendre comment il oppose au danger du monde le danger de ses paroles. Bernhard ne crŽe pas des personnages pour leur donner un contenu psychologique ; le flux de conscience de ses personnages ne vise pas ˆ nous apprendre ce quĠils sont en eux-mmes, mais nous ouvre les yeux sur le monde, gr‰ce ˆ un monologue qui masque un dialogue permanent avec tous les hommes. Ce discours aux allures monologiques est aussi essentiellement indirect[15] ; mais il nous touche directement, car ce sont les yeux de notre esprit quĠil ouvre, afin de juger le monde. Son texte est une action sur le destinataire ˆ qui il ose tout dire[16]. Il sĠagit de dire, de se donner les moyens de dire, et de savoir ce que lĠon a dit[17]. La langue de lĠŽcrivain construit, dŽconstruit, reconstruit la rŽalitŽ par une critique lucide du monde moderne, critique qui, aussi violente et radicale soit elle, nĠa rien dĠodieux car cette langue, dans sa nŽgation constitutive, affirme quĠil faut penser le monde et donner forme ˆ notre univers. Il se constitue en un discours qui, loin dĠtre un courant dĠair qui atiserait un feu pour consumer ce dont il parle, est un vŽritable souffle. Par la Ç fascination extraordinaire È[18] quĠil exerce, ce discours insuffle une Žnergie toujours renouvelŽe pour nous amener ˆ dire et ˆ penser lĠordre de ce monde. Pour citer encore Foucault, cĠest Ç un discours qui rena”t en chacun de ses points absolument nouveau et innocent, et qui repara”t sans cesse, en toute fra”cheur, ˆ partir des choses, des sentiments ou des pensŽes. È[19] (je souligne) Derrire la logorrhŽe, il ne faut pas voir sĠŽcouler le logos en fuite, mais Žcouter ce logos, tout ˆ la fois ordre et discours, ordre parce que discours.

CĠest pourquoi le style de Bernhard, par son rythme et sa musicalitŽ foudroyants, est suffocant (atemberaubend : ˆ couper le souffle). On voudrait sĠarrter, on voudrait pouvoir lĠarrter. Nous cherchons de lĠair, nous sommes dans son texte toujours en retard dĠune inspiration, en avance dĠune expiration[20]. La fentre du langage nĠest jamais assez ouverte, la projection ˆ laquelle nous invite Bernhard frise toujours la dŽfenestration, tel le narrateur dĠAmras derrire la fentre de sa tour (Turmfenster)[21] vers o son frre, Walter, se projette ˆ plusieurs reprises[22], avant de chuter ˆ c™tŽ[23], puis passer ˆ travers pour mourir la Ç [24]tte ŽclatŽe È; tel lĠenfant-narrateur Bernhard lui-mme qui ose ˆ peine sortir la tte de la lucarne du grenier, car la, sortir cĠest commencer ˆ se suicider[25] ; le narrateur dĠExtinction, Murau, qui passe environ 300 pages[26] dans son appartement, ˆ la fentre de son Ç cabinet de travail È qui donne sur la Piazza Minerva avant de rejoindre le ch‰teau de ses parents morts, o il passera aussi un certain nombre de pages[27] ˆ la fentre de sa chambre ; ou encore Herrenstein, le personnage principal de la pice Elisabeth II, dont lĠappartement ˆ Vienne donne sur le Ring, o passera en fin de matinŽe la Reine dĠAngleterre que viennent voir ses h™tes dŽtestables pour trouver leur mort sur le balcon qui sĠeffondre, telle une punition ˆ lĠŽgard de ceux qui ne se sont pas contentŽs du regard engagŽ et discret de derrire la fentre[28].

Mettre en ordre le discours cĠest donc, ˆ partir de lˆ, trouver le point de vue exact dĠo regarder (schauen), observer (beobachten), examiner (sichten) afin de penser et dire. Ce point de vue dont il ne faut tre ni en avant, ni en arrire, pour bien se projeter, dont il faut avoir le courage de lĠadopter[29], est physiquement la fentre creusŽe dans la pierre, et symboliquement, le discours creusŽ dans le langage pour constituer une langue. Il faut tailler et travailler ce point de vue car son absence signifie, pour la fentre (fensterlos[30]), lĠŽtouffement, la pŽnombre, lĠimpossibilitŽ dĠaŽrer (ohne LŸftungsmšglichkeit[31]), la torture, ˆ terme, la mort[32] ; pour le langage, lĠimpossibilitŽ de penser, de constituer un discours, donc la confusion et la faiblesse, lĠindicible et le silence mortel. Car il sĠagit de renforcer lĠordre du discours face au monde, pour le tenir dans les mots. Dire le monde cĠest vaincre dans le combat qui nous y oppose et en lequel nous devons le soutenir (si lĠon se souvient du conseil de Kafka). Dire non ˆ la rŽalitŽ en son entier, cĠest dire oui ˆ la possibilitŽ mme de dire quelque chose de cette rŽalitŽ. On retrouve lˆ une idŽe de Lukˆcs : Ç Il faut, par consŽquent, que tout soit niŽ, car toute affirmation met fin au prŽcaire Žquilibre des forces : dire oui au monde, ce serait justifier une attitude philistine, privŽe de toute idŽe, la terne possibilitŽ dĠun accommodement quelconque avec la rŽalitŽ ; ce serait dŽboucher sur une satire facile et plate. È[33] Ici, nul accommodement avec la rŽalitŽ : lĠordre du discours combat le dŽsordre du monde, dans un perpŽtuel dŽsŽquilibre des forces qui vise, comme un idŽal rŽgulateur, ˆ rendre un ordre au monde. Donc, il faut injecter des idŽes dans ce monde par une critique difficile et profonde dont lĠemblme est lĠAutriche catholique-nazie[34]. Et cette critique existe ˆ travers les mots que choisit scrupuleusement, et dans une dŽmarche rŽflexive toujours rŽpŽtŽe, lĠŽcrivain. Il faut trouver le mot authentique pour se faire entendre. LĠordre de ce discours nĠest donc pas simplement lĠauto-rŽfŽrentialitŽ dĠune partition symphonique o tout se tient dans une musicalitŽ et un rythme parfaits[35] chez cet Žcrivain mŽlomane et musicien, mais le renvoi et la demande ˆ lĠautre dont lĠŽcoute est constitutive du discours[36]. Bernhard nĠŽcrit pas pour Žcrire, il Žcrit pour sĠadresser au monde : Ç mĠadressant en quelque sorte au monde entier È[37]. Car si son Žcriture se tient en elle mme, elle nĠaccde ˆ son sens que lors de la lecture et de la rŽflexion quĠelle Žveille chez celui qui accde au point de vue qui lui est ainsi offert dans une Ïuvre. Tout comme lĠair que nous respirons ne vaut rien en soi, mais existe dans la vie quĠil rŽalise, les mots et le texte de Bernhard sont lˆ pour tre respirŽs ˆ pleins poumons, jusquĠˆ lĠŽtouffement. Il faut continuer ˆ respirer pour continuer ˆ vivre, pour affirmer la volontŽ de vivre gr‰ce ˆ lĠŽcriture. LĠordre du discours est donc lĠordre de la vie ; son dŽsordre signifie la mort. LĠenjeu de lĠŽcriture, et par lˆ mme de la lecture, est donc vital, pour ne pas tre fatal[38]. La totalitŽ et la tonalitŽ du discours de Bernhard sont traversŽes par la maladie des poumons, la pleurŽsie dĠabord, purulente, qui a failli lĠemporter ˆ 17 ans, suivie dĠune tuberculose pulmonaire, qui a ŽtŽ mal soignŽe[39], et quĠil a trainŽe toute sa vie[40], habitŽ par la conscience aigŸe de sa fin imminente[41] qui le poussa toujours dans lĠurgence, nŽanmoins rŽflŽchie, de lĠŽcriture. LĠŽcriture est lĠinstrument principal de la survie tout comme la cage thoracique est lĠinstrument principal (mein Hauptinstrument[42]) de la vie. Fragile, chŽtif, et maladif[43] comme un Proust ou encore un Kafka quĠil admirait, il nĠen restait pas moins vaillant et debout autant que possible. CĠest ainsi quĠil a fui Ç lĠunivers mŽdico-carcŽral È[44] pour construire ses fermes et ses textes, pour sĠenfermer dans la possibilitŽ de sĠouvrir au monde. Construire une telle ouverture dans la roche, et dans le texte, signifiait pour lui choisir la bonne pierre et le bon mot[45]. Ce thme du choix du mot pour dire la vŽritŽ est omniprŽsent dans son Žcriture, bien que cela reste un choix incertain par nature car il est impossible de dire la vŽritŽ. Non pas que Bernhard soit sceptique mais il se garde de penser que lĠon puisse dŽtenir en tant que telle la vŽritŽ : Ç Nous sommes dans lĠerreur lorsque nous croyons tre dans la vŽritŽ et inversement È, Ç Le langage est inutilisable quand il sĠagit de dire la vŽritŽ È[46]. Il faut travailler ˆ la construire en construisant le point de vue langagier dĠo lĠon pourrait tenter de la signifier pour les autres. Pour cela, il faut tenter de ma”triser la relativitŽ des concepts[47] en travaillant en permanence les mmes concepts, et en Žtant toujours en excs sur eux gr‰ce au procŽdŽ de lĠexagŽration, de lĠemploi des superlatifs, et du mensonge ( creuser Ein Kind, p. 25 :emblŽmatique de lĠŽcriture de TB), en lesquels lĠŽcrivain exprime au maximum ses ressources langagires. CĠest ainsi que le texte bernhardien est un rŽseau de sens o sĠagencent des mots que lĠon retrouve dans les diffŽrentes Ïuvres, prŽcisŽment ˆ lĠÏuvre pour constituer lĠunitŽ dĠun discours o lĠon retrouve, sans exhaustivitŽ, les mots suivants : fentre, musique, catholique, nazi, Autriche[48], tout le champ lexical de la respiration, du souffle, des poumons[49], haine, volontŽ, vie, mort, maladie, idiotie, btise, cause, explication, question[50], se demander, dire, penser, esprit, ‰me, corps[51], Montaigne, Pascal, Dosto•evski, prison, h™pital[52], chambre[53], Ïuvre dĠart, mot, suicide[54], Žcriture[55], dŽsespoir, insensŽ, mre, sÏur, grand-pre, dŽgueulasse, perversitŽÉ

Tout de mme que le grand-pre de Bernhard assne le mot Ç dehors È (Ç das Wort hinaus È[56]) au prtre qui vient lui administrer lĠultime bŽnŽdiction, pour mourir sur ce mot, Bernhard assne chaque mot quĠil Žcrit comme si cela Žtait son dernier et de telle sorte quĠil nous permette toujours de regarder prŽcisŽment Ç dehors È. LĠinjonction finale du grand-pre est constitutive du discours de Bernhard qui a voulu mener ˆ bien lĠÏuvre face ˆ laquelle son grand-pre avait ŽchouŽ. Le mot dĠordre est bel et bien Ç dehors È, tous dehors, allez voir ce qui sĠy passe, ouvrez vos fentres, respirez, observez, cherchez le point de vue juste dĠo parler du monde afin de le saisir. Ne vous enfermez pas chez vous pour vous assombrir et vous isolez dans une solitude mortifre, ne vous imaginez pas vous ouvrir au monde en vous posant devant le petit Žcran ou en vous plongeant dans la lecture des journaux[57], mais sachez vous tenir ˆ distance des hommes pour pouvoir les considŽrer, vous adresser ˆ eux, de telle sorte quĠils vous entendent. Contre la fuite hors de soi dans le divertissement, et contre lĠenfermement obtus et obscur chez et en soi, Bernhard a parfaitement compris la pensŽe de Pascal : Ç tout le malheur des hommes vient dĠune seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer  en repos dans une chambre È[58]. Le paradigme du narrateur bernhardien est lˆ : lĠhomme en repos dans une chambre dĠo il peut observer et chercher ˆ comprendre le monde[59] tel quĠil court ˆ sa perte. Ce qui ne veut pas dire quĠun Bernhard soit immobile ou fixŽ ˆ un point de vue, non, car il parcourt quelques grandes villes europŽennes[60], Rome notamment[61], ou encore en bord de mer en Espagne, bref lˆ o le soleil brille, loin de la grisaille autrichienne[62]. Cette mobilitŽ, ce changement de points de vue tŽmoignent que lĠordre du discours nĠest pas un ordre figŽ qui pontifie. Il ne sĠagit pas de discourir une fois pour toute, ni de croire que tout tiendrait ˆ un discours, mais de se donner les moyens dĠÏuvrer ˆ un ordre du discours qui ne soit pas la mise au pas du discours mais lĠouverture du discours au monde, en un mot : la littŽrature mondiale, die Weltliteratur.

Celle-ci, Bernhard lĠa dŽcouverte lors de sa maladie et de sa convalescence, car jusque-lˆ il dŽtestait les livres et lire, dĠo son choix de suivre une formation de commerant. Mais ˆ GroBgmain, au Sanatorium il se plonge avec fureur dans le discours dont il vient de trouver lĠordre : Ç In der ersten Zeit noch mit keinerlei, dann nach den ersten Tagen mit aus Salzburg mitgebrachter, gewŸnschter LektŸre, wie ich mich erinnere, habe ich in GroBgmain angefangen, mir die mir bis dahin verschlossene sogenannte Weltliteratur zu šffnen, ich war in diesem in GroBgmain aufeinmal in mir gleichsam Ÿber Nacht reif gewordenen EntschluB nach keinerlei Rezept vorgegangen und hatte von den Meinigen nur gewŸnscht, daB sie mir jene BŸcher aus dem BŸcherkasten meines GroBvaters nach GroBgmain herausbringen sollten, von welchen ich wuBte, das sie im Leben meines GroBvaters von allererster Bedeutung gewesen waren, und von welchen ich annahm, daB ich sie jetzt verstehen kšnnte. È[63] Suivent les rŽfŽrences aux Ïuvres auxquelles il sĠest adonnŽ : Shakespeare, Stifter, Lenau, Cervantes, Montaigne, Pascal, PŽguy, Schopenhauer, et plus loin, Hamsun, Dosto•evski, Goethe. Bernhard comprend alors soudainement que la littŽrature est Ç lĠart mathŽmatique suprme È[64], cĠest-ˆ-dire le discours le mieux ordonnŽ (les mathŽmatiques sont la science de lĠordre par excellence), et le plus ordonnant, sans tre donneur dĠordres pour autant. Il le comprend si bien quĠil va sĠy ouvrir au point de sĠy inclure, car la littŽrature est ce qui sauve[65]. LĠincipitExtinction mentionne les cinq ouvrages que le narrateur a donnŽs pour lecture ˆ son Žlve car ils sont nŽcessaires et il en aura besoin dans les semaines ˆ venir : Amras de Thomas Bernhard est citŽ aprs SiebenkŠs de Jean Paul, Le procs de Kafka, et avant Les portugais de Musil et Esch ou lĠanarchie  de Broch. Bernhard sĠinsre donc lui-mme dans la littŽrature mondiale, mais il faut tre attentif ˆ la manire dont il qualifie cette dernire dans le passage prŽcŽdemment citŽ : elle est ˆ la fois celle qui lui Žtait Ç fermŽe È, et donc ˆ laquelle il sĠest ouvert, et celle qui est Ç soit disant È LA littŽrature mondiale. Ë quoi nous pouvons ajouter que la relativitŽ des systmes mathŽmatiques contemporains tempre fortement lĠidŽe dĠune science exacte de lĠordre : la littŽrature en tant quĠart mathŽmatique est donc toujours livrŽe ˆ elle-mme dans la nŽcessitŽ dĠinstituer toujours ˆ nouveau un ordre. Ë la manire dont les mathŽmatiques du chaos cherchent ˆ reconstituer un ordre dynamique, et non plus linŽaire, lĠartiste Žcrivain, face au chaos[66] que nous mŽritons et au Ç cloaque È[67] du monde contemporain, tente de produire lĠordre comme une Ïuvre du discours. Bernhard prend donc la littŽrature pour ce quĠelle est, un ordre premier du discours et non une entitŽ ˆ mettre sur un piŽdestal. CĠest ainsi quĠil peut sĠy insŽrer, et sur le modle des grands Žcrivains, devenir un grand Žcrivain lui-mme. Sa propre Ç histoire È nĠest-elle pas Ç dŽjˆ une histoire mondiale È[68] comme il le souligne dans son autobiographie ? La critique nĠa-t-elle pas saluŽ dans le roman Extinction Ç le cadeau inconditionnel de Thomas Bernhard ˆ la littŽrature mondiale È[69]?  En se citant lui-mme dans ce roman comme faisant partie dĠune certaine manire de cette littŽrature mondiale, Bernhard signifie quĠil assume pleinement cette appartenance et fait comprendre quĠil a quelque chose ˆ dire, quĠil construit, lui aussi, cet ordre du discours quĠest la littŽrature. Mieux, il construit ex nihilo et ˆ neuf la littŽrature allemande dont il affirme quĠelle nĠarrive pas ˆ la cheville des littŽratures russe, franaise, espagnole et italienne car la langue allemande est lourde[70], est Ç laide È et Ç antimusicale È[71]. Ironie suprme sous la plume dĠun Bernhard, qui en disant cela en allemand, et dans lĠallemand le plus musical qui soit, et dans le roman qui passe pour son Ïuvre ma”tresse, hausse la littŽrature allemande au niveau de la littŽrature mondiale et sĠen pose implicitement comme le ma”tre. Donc il se donne les moyens dĠordonner le discours en langue allemande aux exigences de la littŽrature. Bref, il se donne les moyens de dire ce quĠil veut dire, et de rŽpŽter ce quĠil est nŽcessaire de dire, sur lĠhomme et le monde.

La puissance du discours littŽraire est aussi affirmŽe dans cette autre dŽcouverte de la littŽrature, celle faite par le narrateur, Murau, dans Extinction[72]. Enfant il est tombŽ dans lĠune des cinq bibliothques du ch‰teau ˆ Wolfsegg, bibliothques que personne dans la famille ne frŽquentait, sur le SiebenkŠs de Jean Paul. Il sĠy est plongŽ pendant des heures, entrant dans un nouvel ordre du discours, oubliant tout le reste, jusquĠau rendez-vous hebdomadaire avec sa mre pour classer son courrier, autre ordre du discours compltement inepte, tout en discutant, unique discussion de la semaine avec la mre. LĠenfant passe cinq heures dans ce livre et dans cette bibliothque o il nĠa pas le droit dĠaller, il ne loupe pas seulement le rendez-vous avec sa mre, mais aussi le d”ner en famille. Soudain, il sĠen rend compte et descend auprs de sa famille. Aprs un long silence (Ç Sie empfingen mich wortlos È, p. 266), sa mre le rŽprimande et l‰che : Ç tu es notre inhumain È (Ç du bist unser Unmensch È, p. 267), et lorsque lĠenfant de neuf ou dix ans alors se justifie et explique quĠil lisait SiebenkŠs, sa mre le gifle et lĠenvoie au lit, lĠenferme dans sa chambre pendant trois jours sans nourriture. Autant dire que la littŽrature est un discours difficile ˆ entendre, un ordre du discours qui fait peur et qui suscite les rŽactions les plus violentes, car nous ne savons pas lire : nous entrons dans les livres comme dans des moulins[73]. CĠest donc lĠordre du discours le plus puissant et cĠest avec celui-ci quĠil faut agir, voilˆ ce que comprend lĠauteur-narrateur, et ce quĠil veut nous dire en distinguant bien la littŽrature comme art dĠune littŽrature seconde qui nĠest pas lĠordre du discours. Cette mauvaise littŽrature est pŽtrie de petitesse et de nŽant, telle la littŽrature quĠil trouve dans la bibliothque du sanatorium, qui regorge de mauvais gožt, dĠidiotie, de catholicisme, et de nazisme[74]. Contre cette littŽrature lŽnifiante, il faut prendre le risque dĠŽcrire.

ƒcrire, encore une fois, cĠest vivre. LĠenfant de lĠautobiographie, contrairement au narrateur dĠExtinction, partage avec sa mre la littŽrature quĠil produit, ses pomes. Thomas Bernhard a 18 ans, il est gravement malade, et sa mre est en train de mourir dĠun cancer. Il la quitte pour aller se soigner et ne trouve rien de mieux, pour la quitter, que de lui lire ses pomes. LĠordre poŽtique fait pleurer la mre et son fils qui ici est tout le contraire de lĠinhumain, mais bien lĠhumain mme. Bernhard analyse alors ainsi cette force de lĠŽcriture : Ç  Ich hatte mich schon zu dieser Zeit in das Schreiben geflŸchtet, ich schrieb und schrieb, ich weiB nicht mehr, Hunderte, Aberhunderte Gedichte, ich existierte nur, wenn ich schrieb, mein GroBvater, der Dichter, war tot, jetzt durfte ich schreiben, jetzt hatte ich die Mšglichkeit, selbst zu dichten, jetzt getraute ich mich, jetzt hatte ich dieses Mittel zum Zweck, in das ich mich mit allen meinen KrŠften hineinstŸrzte, ich miBbrauchte die ganze Welt, indem ich sie zu Gedichten machte, auch wenn diese Gedichte wertlos waren, sie bedeuteten mir alles, nichts bedeutete mir mehr auf der Welt, ich hatte nichts mehr, nur die Mšglichkeit, Gedichte zu schreiben. È[75] Le jeune Žcrivain abuse du monde pour le transformer en discours poŽtique, donc pour le crŽer comme monde. Il lui donne signification (Bedeutung) par ce qui seul fait sens : lĠŽcriture.

Il faut absolument prendre le risque de lĠŽcriture car cĠest le risque qui sauve pour ceux qui lĠentendent, mme si cĠest un risque mortel et limitŽ car la rŽalitŽ sera toujours plus terrible que ce quĠŽcrivent les Žcrivains. Bernhard fait dire au Professeur Robert dans sa pice Heldenplatz, que Ç ce quĠŽcrivent les Žcrivains / nĠest vraiment rien contre la rŽalitŽ (É) qui est si terrible È[76]. Le dŽfi est donc lˆ, que lĠordre du discours soit aussi terrible que celui de la rŽalitŽ ! Et la littŽrature sera vŽritablement mondiale, et non plus soit-disant mondiale, lorsquĠelle saura hisser son discours au niveau de lĠordre du monde. Bref, lorsquĠelle sera discursive. Il faut quĠelle soit ce quĠil y a de plus ŽlevŽ (das Hšchste) pour effacer, Žteindre[77] ce que le monde a de Ç pitoyable et de ridicule È[78].

 

Bernhard avait compris ce que parler veut dire : Žcrire. LĠordre du discours sera littŽraire ou ne sera pas.

 

 

ValŽry Pratt

 

sommaire

 

 

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[1] In LĠordre du discours, Leon inaugurale au Collge de France (02/12/1970), Paris, Gallimard, 1971, p. 10 et p. 55.

[2] Amras, Paris, Gallimard, 1987, trad. J.-C. HŽmery, p. 16, Bernhard souligne Ç comme en train dĠŽtudier È, je souligne le reste ; Ç Édie von mir einmal rasch zurŸckgezogenen VorhŠnge hatten meinen am Fenster sitzenden, mit seinen BŸchern beschŠftigten, wie studierenden Walter erschrocken zu mir aufschauen lassen, wŠhrend ich auf der durch die Berge schon beinahe všllig verfinsterten StraBe ein paar Menschen beobachtete, die ins Theater gingenÉIch beobachtete zwei GeschwistermŠdchen, ein BrŸderpaar, zwei Professoren in schwarzen MŠnteln, an ihre Stšcke gewšhnt, mit grauen schwarzbebŠnderten HŸten ; È (Amras, Frankfurt-am-Main, Suhrkamp, 1988, p. 17. Bernhard souligne Ç wie studierenden È ; je souligne le reste.

[3] MŽditations mŽtaphysiques, II, in Îuvres philosophiques compltes, Classiques Garnier, Paris, 1996, p. 426-427 (je souligne).

[4] Korrektur, Frankfurt-am-Main, Suhrkamp, 1975. Traduction par A. Kohn, Paris, Gallimard, 1978.

[5] Id., p. 5 ; Ç Zur stabilen StŸtzung eines Kšrpers ist es notwendig, da§ er mindestens drei Auflagepunkte hat, die nicht in einer Gerade liegen, so Roithamer È p. 7.

[6] Dans son Discours prononcŽ le 22 mars 1968 ˆ lĠoccasion de la remise du Prix National Autrichien, in TŽnbres (textes, discours, entretiens), Paris, Maurice Nadeau, 1990, p. 44.

[7] Le choix dĠAmras nĠest pas innocent car cĠest une des toutes premires Ïuvre en prose de Bernhard, une Ïuvre quĠil a toujours apprŽciŽ et citŽ par la suite.

[8] Cette notion est capitale  chez Bernhard, elle est la raison mme de son Žcriture, voir notamment TŽnbres, op. cit., p. 61 s.

[9] CĠest le titre de la deuxime moitiŽ de ce roman qui comporte deux parties. Cette expression, en allemand sichten und ordnen, est toutefois omniprŽsente ds la premire partie. Le traducteur, A. Kohn, hŽsite pour sichten entre Ç examiner È et Ç trier È, ce qui ne va pas sans problme de cohŽrence, nous le verrons.

[10] In Universalia, 1979, p. 524. Il y fait aussi mention dans sa recension des Ç romans autobiographiques È de Thomas Bernhard o il parle du Ç matŽriau mme que le Ç hŽros È de Corrections, Roithamer, sĠattach(e) ˆ mettre en ordre : la biographie, la vie directement vŽcue. È (Universalia 1985, p. 478) 

[11] Expression empruntŽe ˆ Gemma Salem qui a Žcrit une Lettre ˆ lĠhermite autrichien, La Table Ronde, 1989. Thomas Bernhard lĠa lue juste avant de mourir.

[12] Corrections, op. cit., p. 75-76, je souligne ; Ç Édenn in einer Zeit, in welcher alles, nur nicht etwas bemerkenswertes, herausgegeben und veršffentlicht wird, nur nicht etwas tatsŠchlich Ureigenes und dazu auch noch hšchst Wissenschaftlich-genialisches und jedes Jahr hunderte und Tausende Tonnen Stumpfsinn auf dem Papier auf den Markt geworfen werden, der ganze VerlotterungsmŸll dieser durch und durch verlotterten europŠischen oder, nur nicht zurŸckhalten, verlotterten Weltgesellschaft, in einer Zeit, in welcher immer und immer wieder nur GeistesmŸll produziert und dieser fortwŠhrend stinkende und fortwŠhrend alles verstopfende GeistesmŸll  auf das widerwŠrtigste immerfort als Geistesprodukte ausgegeben wird, wo es sich doch nur um Abfallprodukte des Geistes handelt, in einer solchen Zeit sei es geradezu die Pflicht , eine solche (É)Kunst (É)herauszugebenÉÒ (p. 84-85)

[13] Trois jours in TŽnbres, op. cit., p. 60.

[14] Qui rendrait le texte illisible pour certains lecteurs, et on le voit dŽjˆ chez lĠenfant Bernhard qui ne sait pas Žcrire correctement : Ç ich war kein Schšnschreiber, es war nicht zu lesen, was ich ablieferte.È et : Ç Ich schrieb eine Schrift, die jedesmal, wenn die Schulaufgaben abgegeben worden waren, als ein Musterbeispiel grenzenloser Zerstreuung und FahrlŠssigkeit angeprangert wurde. È (Ein Kind, Residenz Verlag, Salzburg und Wien, 1998, p. 63 et 79) Ç je nĠŽtais pas un calligraphe, on ne pouvait pas lire ce que je remettais È et : Ç JĠŽcrivais une Žcriture qui toutes les fois quĠon remettait les devoirs Žtait stigmatisŽe comme un exemple parfait de distraction et de nŽgligences sans limites. È (Un enfant, trad. par A. Kohn, Gallimard, Paris, 1984, p. 88 et 110)

[15] Ç La manire indirecte me convient, tout simplement È (Extinction, p. 213)

[16] Contre Foucault, op. cit., p. 11.

[17] On songe au leitmotiv des Ç habe ich gesagt È, Ç sagte ich È, dans Auslšschung. Ein Zerfall,Francfort, Suhrkamp, 1986, trad. Gilberte Lambrichs, Extinction. Un effondrement, Paris, Gallimard, 1990 ; mais aussi aux non moins innombrables (il faudrait les compter !) Ç Reger a dit È ou encore Ç a dit Reger È de Alte Meister. Komšdie, Francfort, Suhrkamp, 1985, trad. Gilberte Lambrichs, Ma”tres anciens, Paris, Gallimard, 1990.

[18] G. Stieg in Universalia 1990, p. 564.

[19] Foucault, op. cit., p. 25. Sauf que le discours de Bernhard nĠest pas innocentÉ

[20] Claude Porcell  dans sa recension de Corrections parle ˆ cet Žgard de Ç prose lancinante È et de Ç tourbillon minutieux .È (in Universalia 1979, p. 525).

[21]Amras, op. cit., p. 17 et 54 (trad. p. 16 et 43). Notons en outre que Bernhard est un fervent admirateur de Montaigne qui Žcrivit ses Essais au dernier Žtage de la tour de son ch‰teau, dĠo les trois fentres lui permettaient dĠobserver tout ˆ la fois la cour intŽrieure du ch‰teau, le jardin et le domaine, et aussi lĠentrŽe du ch‰teau, et donc lĠarrivŽe des visiteurs, triŽs ds lors sur le volet. Ç Chez moi, je me dŽtourne un peu plus souvent ˆ ma librairie, dĠo tout dĠune main je commande ˆ mon mŽnage. Je suis sur lĠentrŽe et vois sous moi mon jardin, ma basse-cour, ma cour, et dans la plupart des membres de ma maison. (É) Elle est au troisime Žtage dĠune tour. È (Montaigne, Essais, III, 3, Žd. prŽsentŽe, Žtablie et annotŽe par Pierre Michel, Gallimard, 1965, coll. Folio, p. 71)

[22] Ibid., trad. p. 25 : Ç mais chaque fois, le mme Ç Ce nĠest rien ÈÉcela se rŽpŽtait chaque jour ˆ intervalles plus rapprochŽs, quĠil saute de sa paillasse et se prŽcipite ˆ la fentreÉpuis son silence comme affreusement rŽsignŽ È ; p. 28 : Ç Éjedesmal aber das gleiche ÔEs ist nichts ÔÉ, es wiederholte sich tŠglich in immer kŸrzerem Abstand, daB er vom Strohsack aufsprang und an das Fenster stŸrzteÉdann sein Schweigen wie in fŸrchterlicher ErgebenheitÉ È 

[23] Ibid., trad. p. 56 : Ç La veille, prs de la fentre de la tour, il Žtait tombŽ de son fauteuil la tte la premire et il Žtait restŽ deux heures sans connaissanceÉ È ; p. 70 : Ç Am Vortage war er von seinem Sessel am Turmfenster kopfŸber heruntergestŸrzt und zwei Stunden bewuBtlos geblieben.. .È

[24] Idem., trad. : Au bout dĠune heure je suis rentrŽ, et, aprs lĠavoir cherchŽ partout pendant un bon moment, jĠai retrouvŽ Walter, la tte fracassŽ, au-dessous de moi, gisant juste sous la fen^tre de la tour grande ouverte È ; p. 71 : Ç Nach einer Stunde kam ich zurŸck und fand Walter, nachdem ich ihn lŠngere Zeit nicht gefunden hatte, mit zerschmettertem Kopf unter mir, gerade unter dem offenen Turmfenster liegend. È

[25] Ç Ich ging auf den Dachboden und schaute auf den Taubenmarkt hinunter, senkrecht. Zum erstenmal hatte ich den Gedanken, mich umzubringen. Immer wieder steckte ich den Kopf durch die Dachbodenluke, aber ich zog ihn immer wieder ein, ich war ein Feigling. È (Ein Kind, op. cit.,p. 76) Ç Je montais au grenier et jĠabaissais les yeux sur le MarchŽ aux pigeons au-dessous de moi, verticalement. Pour la premire fois jĠeus lĠidŽe de me tuer. Sans cesse, je passais la tte par la lucarne du grenier, mais toujours je la rentrais, jĠŽtais un l‰che. È (trad. p. 106)

[26] 310 dans lĠŽdition allemande ; 292 dans lĠŽdition franaise.

[27] Voir notamment Auslšschung,  op. cit., p. 433 s.

[28] StŸcke, IV, Francfort, Suhrkamp, 1988, p. 356 pour la chute, et la fin de la pice.

[29] Ç Nur selten getrauten wir uns an die Fenster und drŠngten die LŠden zurŸckÉ È (Amras, op. cit., p. 14)

[30] Amras, op. cit., p. 49. Notons que ce qualificatif fait Žcho dans cette phrase ˆ elternlos : tout se passe comme si, sans fentre, on Žtait orphelin, ce que Bernhard Žtait de pre (voir notamment Die KŠlte, p. 47 et s. : Ç wer war mein Vater ? È). Ne pas Žcrire, ne pas se placer derrire la fentre du langage, cĠest rester orphelin.

[31] Idem, p. 49-50.

[32] Voir notamment Amras, p. 49-50. Ou encore Der Atem, Residenz Verlag, Salzburg et Vienne, 1998, p. 30 : Ç Wegen der grossen JŠnnerkŠlte war das einzige Fenster im Sterbezimmer die ganze Nacht und dann bis in den spŠteren Vormittag nicht und erst knapp vor der Visite aufgemacht worden, und war der Sauerstoff schon in der Nacht lŠngst verbraucht und die Luft stinkend und schwer. Das Fenster war mit dickem Dunst beschlagen, und der Geruch von den vielen Kšrpern und von den Mauern und den Medikamenten machte in der FrŸhe das Ein- und Ausatmen zur Qual È.

[33] La thŽorie du roman, trad. J. Clairevoye, Gonthier, coll. Ç mŽdiations È, 1963, p. 117.

[34] Brouillon : voir dans Die Ursache, p.67, le parallle extraordinaire entre le portrait de Hitler et le crucifix. Sur le catholicisme voir Ein Kind, p. 35. Et cette phrase interminable et incendiaire contre lĠAutriche dans Corrections. Pour Cl. Porcell (recension de lĠautobio) le catholicisme et le nazisme ne font quĠun, ce sont deux piliers interchangeables.

[35] Claude Porcell parlant de lĠunivers de Bernhard souligne Ç les notes de cette musique rŽpŽtitive et fuguŽe È, et quant aux Ç formes, elles se rattachent ˆ la musique sŽrielle et aux recherches des annŽes 50, dans une orchestration bien entendu tout ˆ fait personnelle È (op. cit.)

[36] ÇDen Mann, der im Badezimmer vor mir plštzlich zu atmen aufgehšrt hatte, hatte ich sterben gehšrt, nicht sterben gesehen È. (Der Atem, op. cit., p. 17) Les deux modalitŽs constitutives de lĠŽcriture de Bernhard, la vue et lĠŽcoute, sont soulignŽes par Bernhard lui-mme.

[37] Extinction, p. 13, cette adresse figure au tout dŽbut du roman o lĠauteur-narrateur signifie donc le statut de son discours. Ç Éund legte sie sozusagen fŸr alle Welt. È (Auslšschung, p. 9)

[38] Voir ˆ ce sujet Der Atem, op. cit., p. 15 : Ç Ich hatte nicht, wie der andere vor mir, aufhšren wollen zu atmen, ich hatte weiteratmen und weiterleben wollen È.

[39] La haine de Bernhard pour les mŽdecins et lĠinstitution mŽdicale, nĠa rien de celle dĠun malade imaginaire. Il a connu la maladie, les h™pitaux, les cures et retient que Ç Das SchŠdliche war das €rztliche. È (Die KŠlte, Residenz Verlag, Salzburg et Vienne, 1998, p. 89)

[40] Ç Wahrscheinlich, so denke ich heute, habe ich mir die Tuberkulose und die letzten Endes schwere eigene Lungenkrankheit dort im Vštterl, in GroBgmain geholt,denn in dem damals bis auf das €uBerste geschwŠchten Zustand, in welchem ich nach GroBgmain gekommen war, hatte ich naturgemŠB keinerlei ImmunitŠt haben kšnnen, und mein Gedanke ist heute tatsŠchlich, daB ich nach GroBgmain gekommen bin, um mir meine spŠtere schwere Lungenkrakheit, meine Lebenskrankheit, zu holen, nicht um mich auszukurieren und gesund zu werden, was mir die €rzte versprochen hatten, aber davon nicht jetzt. È (Der Atem, op. cit., p. 87-88, je souligne)

[41] La vie nĠest quĠun processus mortifre : Ç Wir sterben von dem Augenblick an, in welchem wir geboren werden (É) Wir bezeichnen als Sterben die Endphase unseres lebenslŠnglichen Sterbeprozesses È. (Der Atem, op. cit., p. 53)

[42] Der Atem, op. cit., p. 57.

[43] Ç du hast einen klaren Kopf, wenn du auch sonst ein kšrperlicher KrŸppel bist. È (Ein Kind, p. 24)

[44] Claude Porcelle, art. Thomas Bernhard in EncyclopŽdie Universalis.

[45] Ç Das Wort war hundertmal mŠchtiger als der Stock. È (Ibid., p. 34)

[46] Die KŠlte, p. 46 et 59.

[47] Ç Éaber Sauberkeit ist, wie alle anderen, ein relativer Begriff .È (Die KŠlte, p. 15)

[48] Ç Man merkte Ÿberall, daB ich zugereist war, und gab mir von Anfang an den Spitznamen Der …sterreicher, genauer gesagt Der Esterreicher, es war durchaus abschŠtzig gemeint, denn …sterreich war, von Deutschland aus gesehen, ein Nichts. Ich war also aus dem Nichts gekommen. È (Ein Kind, p. 74) Ç On remarqua partout que jĠŽtais un nouvel arrivant et ds le dŽbut on me donna pour sobriquet lĠAutrichien ou plus exactement lĠƒtrichien, cĠŽtait avec une intention tout ˆ fait mŽprisante car, vue de lĠAllemagne, lĠAutriche Žtait un nŽant. JĠarrivais donc du nŽant. È (trad. p. 103, trad. modifiŽe)

[49] Ç Allein das Wort lungenkrank hatte mich immer schon entsetzt gehabt. È (Der Atem, op. cit. , p. 86.)

[50] Ç LebenslŠnglich schieben wir die groBen Fragen hinaus, bis sie zu einem Fragengebirge geworden sind und uns verdŸstern. Aber dann ist es zu spŠt. È (Die KŠlte, p. 76) ; Ç Die Fragen hŠufen sich, die Antworten waren immer mehr Mosaiksteine des groBen Weltbilds. Und wenn wir dans ganze Leben ununterbrochen Fragen beantwortet bekŠmen und hŠtten schlieBlich alle Fragen gelšst, wir wŠren am Ende doch nicht viel weiter gekommen, so mein GroBvater. È (Ein Kind, p. 48)

[51] La maxime que T.B. a hŽritŽ de son grand pre est que Ç cĠest lĠesprit qui dŽtermine le corps et non lĠinverse È.

[52] Cette machine ˆ dŽtruire les hommes : Ç Éaus dem Krankenhaus, aus dieser entsetzlichen Antiheilungs-, ja Menschenvernichtungsmaschine, herausgekommen seiÉ È (Der Atem, op. cit., p. 64)

[53] Voir le passage de la chambre mortuaire ˆ une chambre plus chaleureuse : Ç in ein anderes, freundlicheres Zimmer È, op. cit., p. 73.

[54] Ç Nichts habe ich zeitlebens mehr bewundert als die Selbstmšrder È (Die KŠlte, p. 43-44) Voir aussi Ein Kind : Das Wort Selbstmord war eines seiner selbstverstŠndlichen Wšrter, es ist mir seit der frŸhesten Kindheit vor allem aus dem Mund meines GroBvaters vertraut. Ich habe Erfahrung im Umgang mit diesem Wort. È (p. 21 et suivantes)

[55] Ç Schreibfaulheit ? Ich haBte dieses Wort, wenn es mir einfiel. È (Die KŠlte, p. 39)

[56] Der Atem, op. cit., p. 67. Bernhard souligne lui-mme le mot crucial et rŽpte cette expression trois fois en quatre lignes.

[57] Ce qui nĠempchait pas Bernhard de dŽvorer la presse pour finalement nĠen faire quĠune bouchŽe. Il est notamment trs sŽvre avec la presse autrichienne, mais la presse allemande et suisse ne sont pas en reste. Voir Heldenplatz, Suhrkamp, 1988, p. 121 et suivantes, entre autres : Ç die Zeitungsredaktionen in …sterreich/ sind ja nichts als skrupellose parteiorientierte/ SchweinestŠlle È ; et Der Atem, p. 90 : ÇÉschon damals war ich ganz und gar diesem alltŠglichen sich wiederholenden, jetzt, wie ich weiB, lebenslŠnglichen Mechanismus verfallen gewesen, Zeitungen zu besorgen und zu lesen und von ihnen immer abgestoBen zu sein. (É) war auch ich jener Zeitungskrankheit verfallen, die unheilbar ist. È Pour une autre analyse du discours journalistique : Auslšschung, p. 405. Dans Amras, op. cit., p. 60, le narrateur se remŽmore les coups de pieds quĠil vient de donner ˆ des pages du Ç TIMES ! È.

[58] PensŽes, L 136, Seuil, Paris, 1962, p. 76-77.

[59] Ç Ich verstand die Welt nicht, nichts verstand ich, ich begriff Ÿberhaupt nichts mehr. È (Ein Kind, p. 80) On retrouve cette idŽe chez le rŽcent prix nobel de littŽrature, Gao Xingjiang, en conclusion de La montagne de lĠ‰me, Žd. de lĠAube, 2000, trad. N. et L. Dutrait, p. 670 : Ç Le mieux, cĠest de faire semblant de comprendre./ Faire semblant de comprendre, mais en fait ne rien comprendre. / En rŽalitŽ je ne comprends rien, strictement rien. / CĠest comme a. È

[60] Ë partir des annŽes 60, Žcrit Claude Porcell (op. cit.) au sujet de Bernhard, Ç sa vie se partage entre lĠhermitage dĠOhlsdorf, Vienne et lĠŽtranger, o il effectue de nombreux sŽjours, Bruxelles, Londres, Lisbonne, Madrid, Majorque, RomeÉ È

[61] Voici un extrait de lĠincipit trs parlant dĠExtinction o le narrateur monologue : Ç de plus en plus joyeux ˆ lĠidŽe que dŽjˆ depuis longtemps, je nĠŽtais plus chez moi en Autriche mais ˆ Rome È (p. 11, trad. mod.)) ; Ç ja in einer derart erfrischenden Weise begeistert gewesen bin (É) auch  in dem Gedanken, tatsŠchlich schon lange in Rom und nicht mehr in …sterreich zuhause zu sein È (p. 7)

[62] Cela dit, la place du village ˆ Wolfsegg offre un point de vue unique sur toute lĠAutriche, un jour sans nuages qui invite ˆ respirer ˆ pleins poumons : Ç mit einem einzigen Blick die ganze, an die zweihundert Kilometer weite Landschaft von Westen anch Osten erfasst, was nur von hier aus mšglich ist, von keinem anderen šsterreichischen Punkt aus. Genau an jener Stelle, an welcher ich immer schon stehengeblieben bin, weil es die beste ist, hatte ich auf einmal wieder die ganze Landschaft gesehen an diesem wolkenlosen Tag und ich hatte tief eingeatmet. È Auslšschung, op. cit., p. 316. Cependant tout a lĠair mort, car le village est en deuil : les parents et le frre du narrateur ont succombŽ ˆ un accident de voiture. Autant dire que ce point de vue lumineux sur lĠAutriche est tout de suite assombri par une autre rŽalitŽ. Cela est symptomatique du rapport dĠamour-haine quĠentretient Bernhard avec son pays.

[63] Der Atem, op. cit., p. 89.

[64] Ç die hšchste mathematische Kunst È (idem, p. 97)

[65] Voir Die KŠlte, p. 92.

[66] Ç Mein GroBvater liebte das ChaosÉ È Ein Kind, p. 30. Dans son discours de rŽception du prix dĠƒtat de la RŽpublique dĠAutriche en 1968, Bernhard dŽclara : Ç nous ne sommes rien non plus, et ne mŽritons que le chaos È. (citŽ par G. Stieg in Universalia 1990, p. 564)

[67] Ç Édie Welt ist zum gršBten Teil ekelerregend, in eine Kloake schauen wir hinein, wenn wir in sie hineinschauen. È (Die KŠlte, p. 45)

[68] Die KŠlte, p. 46.

[69] Frankfurter Allgemeine Zeitung.

[70] Ç Les mots allemands sont suspendus comme des poids de plomb ˆ la langue allemande (É) et maintiennent ˆ chaque fois lĠesprit ˆ un niveau nuisible pour cet esprit. La pensŽe allemande ainsi que la parole allemande sont trs vite paralysŽes sous le poids humainement indigne de cette langue qui opprime toute pensŽe avant mme quĠelle se soit exprimŽe. È (Extinction, p. 12 et suivante) ; Ç Die deutschen Wšrter hŠngen wie Bleigewichte an der deutschen Sprache (É) und drŸcken in jedem Fall den Geist auf eine diesem Geist schŠdliche Ebene. Das deutsche Denken wie das deutsche Sprechen erlahmen sehr schnell unter der menschenunwŸrdigen Last seiner Sprache, die alles Gedachte, noch bevor es Ÿberhaupt ausgesprochen wird, unterdrŸckt. È (Auslšschung, p. 8 et suivante)

[71] Auslšschung, op. cit., p. 238-239.

[72] Idem, p. 264 s.

[73] Ç Wir gehen in BŸcher hinein wie in GasthŠuser / das ist unser UnglŸck È affirme Voss dans Ritter, Dene, Voss, in StŸcke, IV, p. 197.

[74] Die KŠlte, p. 92-93.

[75] Idem, p. 25.

[76] Ç Was die Schriftsteller schreiben / ist ja nichts gegen die Wirklichkeit / jaja sie schreiben ja daB alles fŸrchterlich ist / daB alles verdorben und verkommen ist / daB alles katastrophal ist / und daB alles ausweglos ist / aber alles daB sie schreiben / ist nichts gegen die Wirklichkeit / die Wirklichkeit ist so schlimm / das sie nicht beschrieben werden kann / noch kein Schriftsteller hat die Wirklichkeit so / beschrieben / wie sie wirklich ist / das ist das FŸrchterliche È. Heldenplatz, op. cit., p. 115.

[77] Auslšschung, p. 199 et 542.

[78] Ein Kind, p. 55 (trad. p. 77), o lĠexigence du Ç plus ŽlevŽ È est rŽpŽtŽe six fois.