Dialogue avec Jean Rustin

 

 

 

 

 

Odile Cortinovis : Jean Rustin, vous vous revendiquez comme Ò peintre-peintre Ó.

Jean Rustin : CĠest Jean Gaudibert qui a employŽ cette expression, alors quĠˆ cette Žpoque, dans les annŽes 70-71, la mode Žtait aux images ; il fallait que a ait une signification politique, surtout au moment de la guerre du Vietnam. Les peintres en gŽnŽral, et les critiques, considŽraient que sĠamuser ˆ vouloir tre peintre cĠŽtait ridicule, que ce qui Žtait important cĠŽtait gagner la rŽvolution. CĠest pour cela quĠon disait de moi que jĠŽtais un Ò peintre-peintre Ó. Et ce nĠest pas une insulte pour moi.

O.C. : En termes de technique, vous utilisez toujours lĠacrylique ?

J.R. : Oui, depuis trs exactement les annŽes 67-68. Pas du tout pour des questions picturales ou politiques, essentiellement parce quĠˆ cette Žpoque-lˆ, la marque de couleurs ˆ lĠhuile que jĠachetais a du changer la composition de lĠessence de tŽrŽbenthine, et jĠai eu les mains bržlŽes. Je ne pouvais pas continuer. Alors que je dŽtestais lĠacrylique, que je ne connaissais pas, je me suis dis que jĠallais quand mme rŽessayer sŽrieusement, voir ce que je pouvais faire ; finalement jĠai rŽussi ˆ reprendre tout ˆ la base, en partant de lĠacrylique. Et maintenant je suis bien content, parce que a  a des avantages considŽrables sur la peinture ˆ lĠhuile.

O.C. : Lesquels ?

J.R. : ‚a sche trs vite ; a veut dire quĠau bout de quelques minutes on peut reprendre quelque chose qui ne nous pla”t pas, par exemple un personnage que jĠai cru quĠil serait bien sur la toile, je peux lĠenlever sans problme. A lĠhuile cĠest absolument impossible. On ne peut pas repeindre sur de lĠhuile qui nĠest pas sche de plusieurs annŽes. Je suis venu ˆ lĠacrylique comme a.

O.C. : Les objets, les personnages, au cours de votre travail, peuvent entrer et dispara”tre de la toile ?

J.R. : Absolument. CĠest un des gros avantages de lĠacrylique.

O.C. : ‚a convient donc finalement mieux ˆ votre faon de travailler ?

J.R. : Oui. Et ˆ lĠŽpoque cĠŽtait pareil, les peintres pensaient pour beaucoup que lĠacrylique cĠŽtait un truc presque pour les enfants, un peu comme lĠaquarelle, ce qui est Žgalement faux.

O.C. : En dehors de la matire propre de la peinture, je voudrais vous poser une question qui porte sur la couleur. Quand vous travaillez, allez-vous tout de suite au corps, ou est-ce que pour rendre cette lumire, ces contrastes, faites-vous dĠabord des prŽparations ? CĠest-ˆ-dire, est-ce que comme dans la peinture classique ˆ lĠhuile, vous commencez par faire des aplats, ou des glacis de tonalitŽs dominantes sous-jacentes au tableau qui dŽcoupent au prŽalable la lumire ?

J.R. : CĠest trs difficile de rŽpondre, car il y a plusieurs questions dans ce que tu demandes. DĠabord, en 71, jĠai eu droit ˆ une grande exposition ˆ lĠARC, ˆ la ville de Paris, et qui Žtait trs trs colorŽe. Il devait y avoir 150 peintures, cĠŽtait trs joli, mais moi jĠai ŽtŽ catastrophŽ, parce que ce nĠest pas a que je voulais faire. Je voulais faire une peinture expressionniste, avec autre chose que des jolies couleurs. Si bien que quand lĠexposition a ŽtŽ terminŽe, je me suis jurŽ que plus jamais je ne mettrais de belles couleurs. JĠai tenu le pari, et jĠobtiens des choses beaucoup plus intŽressantes en utilisant des nuances que des aplats de couleurs.

‚a cĠest une rŽponse ˆ une de tes questions ; ton autre question, cĠest comment je commence une toile en fait ?

CĠest trs variable ; je ne peux pas rŽpondre de faon sžre. En gŽnŽral, je commence quand mme par couvrir le plus rapidement possible la toile, parce que je nĠaime pas le blanc trs cru des apprts de la toile. Voilˆ. En fait on ne sait pas trs bien ce quĠon fait, on est pris dans des habitudes.

O.C. : Il y a dans votre peinture comme des rehauts rouge magenta ou rose, qui la plupart du temps viennent souligner le sexe Žvidemment, mais aussi lĠÏil, les oreilles, la bouche. Est-ce que cĠest un vrai rehaut, cĠest-ˆ-dire qui vient aprs la peinture ?

J.R. : Oui. La peinture cĠest comme la structure de la composition qui, avec les lignes, crŽe un espace ; a cĠest trs important. Aprs je travaille un personnage, quelquefois je lĠabandonne et je le reprends dix ans aprs, cĠest possible, et mettre un petit point rouge dans lĠÏil, a fait bien.

O.C. : ‚a ne souligne rien ?

J.R. : Si. ‚a rend vivant. JĠaime bien mettre un peu de rouge, comme toi sur les lvres.

O.C. : Dans certains peintures on a parfois lĠimpression que ce qui est de lĠordre du dessin, qui exprime les plis de la chair, nous appara”t presque comme des traits autonomes, voire des lacŽrations, mais aussi comme ce qui vient border le corps. Ou bien est-ce lĠŽpaisseur de la matire que donne le pinceau qui finit par dŽterminer les corps ?

J.R. : Oui, enfin tout a se mŽlange, cĠest complexe. Ce qui est sžr aussi, cĠest que je ne cherche pas du tout ˆ faire une peinture rŽaliste, parce que les traits a dŽtruit.

O.C. : ‚a dŽtruit quoi, les traits ?

J.R. : ‚a dŽcrit la rŽalitŽ. ‚a dŽtruit aussi. ‚a dŽcrit et a dŽtruit la rŽalitŽ. Mais je ne cherche pas du tout ˆ faire une peinture hyperrŽaliste comme depuis 20 ou 30 en AmŽrique et partout ailleurs. ‚a a ŽtŽ la grande mode, cĠest un peu en train de passer.

O.C. : Par ce qui est de lĠordre du dessin, du trait, je nĠentendais pas ce qui est rŽaliste. Ma question Žtait juste de savoir si cĠest la peinture qui finit par dŽlimiter le corps, ou si cĠest le trait ?

J.R. : ‚a dŽpend des peintures. Il y a des peintures o il nĠy a pas de trait du tout. En ce moment jĠaime bien que le trait soit marquŽ.

O.C. : Pour vous a a un sens de poser dans une mme peinture un problme de rapport trait/matire, dessin/peinture ?

J.R. : Oui, mais a ne se passe pas au niveau intellectuel. ‚a se passe sur la toile. Il nĠy a pas une rŽflexion intellectuelle qui dicte ce quĠil faut faire. En tout cas pas chez moi. Mais je connais beaucoup de peintres qui travaillent avec une conscience absolue de ce quĠils font.

O.C. : Je vous interrogeais aussi sur le trait, parce que a participe de la violence aspectuelle.

J.R. : Oui. Il y a un mot pour cela, cĠest lĠexpressionnisme. Il y a des peintres qui en jouent beaucoup ; moi jĠaime que ce soit trs calme, mais je sais bien que lĠeffet est certain.

O.C. : Dans vos toiles, certains personnages semblent se fondre dans la scne, alors que dĠautres sĠen dŽgagent trs nettement. ‚a a un sens pour vous ?

J.R. : Si je considre que la toile est finie, cĠest donc que je trouve quĠelle a un sens ; et si ce nĠest pas fini alors je continue. Mais tout ce que je fais est voulu.

O.C. : Est-ce que vous avez des influences en peinture ?

J.R. : Si je subis des influences ? Maintenant non. Evidemment jĠen ai subies. CĠest vrai de lĠhistoire de tous les peintres : on croit quĠon invente des choses et puis on sĠaperoit que finalement on suit - ce qui est la mode cĠest trop pŽjoratif - ce qui se fait ˆ lĠŽpoque. Quand je suis sorti de la guerre, en 45, jĠavais 18 ans, je voulais tre peintre, et je nĠavais quĠune envie, cĠŽtait de faire de la peinture abstraite, comme je lĠai fait dĠailleurs, trs colorŽe. A lĠƒcole des Beaux-Arts, jĠavais dessinŽ des kilomtres de femmes nues assises sur des chaises. Je ne voulais justement pas a. Et jĠai subi lĠinfluence de tout un tas de peintres de cette Žpoque, sans parler de Picasso, Bonnard, Rembrandt, Goya. Je ne suis pas du tout un peintre autodidacte qui a tout inventŽ, je connais trs bien lĠhistoire de la peinture. CĠest pourquoi jĠai vraiment rŽussi ˆ faire cette rupture en 71, alors que jĠŽtais un peintre assez bien reconnu, je vendais bien, et que je nĠavais aucune autre raison de le faire. Je me suis dit : non cĠest fini, je ne veux pas tre influencŽ par le pop art amŽricain, par lĠabstraction, tout ce qui sĠest fait ˆ lĠŽpoque. Et jĠai dŽcidŽ de couper tous les ponts, revenir ˆ la figuration la plus quelconque si tu veux. Pour moi, heureusement que jĠai fait a, sinon tu ne serais pas lˆ. CĠest mme sžr. Des Ç bons peintres È, tu sais, il y en a beaucoup.

O.C. : Justement, quand vous dites que vous subissiez la mode, ˆ lĠŽpoque, quand vous rompez avec lĠart abstrait pour aller vers la figuration, ce nĠest pas dans lĠair du temps ?

J.R. : Non, pas du tout ; au contraire mme, a a ŽtŽ rejetŽ. ‚a a coupŽ les ponts avec les galeries avec lesquelles je travaillais ; et puis je ne vendais plus rien du tout. Heureusement que jĠavais une femme qui Žtait mŽdecin.  Je nĠai depuis pas du tout lĠimpression de subir des influences. JĠai eu le courage et la chance de crŽer cette rupture.

Pourquoi ce sont des gens venus de Belgique, du Luxembourg, dĠAllemagne qui ont immŽdiatement dŽfendu mon travail, alors quĠen France il y avait un barrage, qui nĠest pas terminŽ dĠailleurs ? Je nĠai pas de rŽponse. Simplement, en 85 est venu ici, dans mon atelier, un jeune marchand belge qui avait vu mon travail au Salon de Mai et au Salon des RŽalitŽs Nouvelles. Il mĠa dit : Ò Ecoute, Rustin, si tu veux je tĠachte tout. Ó Et il a tout achetŽ. JĠai fait une btise car il achetŽ tous les dessins, toutes les aquarelles, il y avait ŽnormŽment de choses.

O.C. : CĠest une btise, pour vous, dĠavoir tout laissŽ partir ?

J.R. : Les peintures, encoreÉ mais les dessins, les aquarellesÉ Heureusement quĠil mĠen reste un peu, qui sont dans des cartons ˆ dessins.

Ce marchand a revendu la quasi totalitŽ de ce quĠil mĠavait achetŽ en Belgique, ˆ des prix incroyablement ŽlevŽs. Il y avait deux groupes de collectionneurs hollandais et belges qui lui achetaient des toiles, mais il nĠŽtait pas de la partie, si bien que la fondation pŽriclitait tout doucement, quand est arrivŽ en 90 ou 93 un deuxime Belge, Maurice Verbaert, qui mĠa aussi dit : Ò Si tu veux je tĠachte tout, et tu gardes ce que tu veux Ó. Et jĠen suis lˆ. CĠest extraordinaire, non ?

O.C. : Deux mŽcnes en une vie, oui.

J.R. : Je ne comprends pas du tout comment cĠest possible. Surtout que ce nĠest pas une peinture qui est tellement facile ˆ vendre. En France, a commence tout doucement, avec Maurice Verbaert qui vient dĠouvrir une fondation et qui organise des expositions.

O.C. : Du coup, vous avez lĠimpression, vous, dĠavoir influencŽ dĠautres peintres ?

J.R. : Maintenant, oui, beaucoup plus. Mais a cĠest normal, je suis un vieux peintre.

 

 

 

O.C. : Concernant le sujet de votre peinture : est-ce que vous peignez dĠaprs modle ?

J.R. : Non, jĠai refusŽ, absolument, en 71 Žgalement. Je voulais crŽer un monde expressionniste, qui vŽhicule des idŽes, mais sans mme savoir trop ce que sont ces idŽes, tout ce que jĠai pu vivre avant, tout ce quĠa ŽtŽ ma vie par rapport ˆ la littŽrature, ˆ la philosophie, ˆ la guerre dĠAlgŽrie, la guerre dĠIndochineÉ sans que a soit formulŽ de faon claire et Žvidente. Et cĠest ce qui mĠa poussŽ ˆ faire une peinture assez triste.

O.C. : Vous la qualifieriez de Ò triste Ó ?

J.R. : Non, pas du tout ; mais un peu agressive. ‚a dŽpend des gens, certains la considrent comme trs agressive. Moi je ne suis pas dĠaccord, je trouve quĠelle est trs jolie, trs belle, avec des gris magnifiques.

Ma vieille mre qui est morte maintenant, que jĠaimais beaucoup et qui mĠaimait beaucoup me disait : Ò Toi qui es si gentil, comment tu peux faire une peinture aussi dure ? Ó JusquĠau jour o, je ne sais pas ce qui sĠest passŽ, elle mĠa dit : Ò ‚a y est, jĠai compris, cĠest que tu peins la misre du monde. Ó Ds lors, je pouvais faire ce que je voulais, elle trouvait a trs bien.

O.C. : Peindre dĠaprs modle, a empcherait  quelque chose de se faire ?

J.R. : Oui, tout ˆ fait. Ce que je fais, cĠest presque une peinture abstraite figurative. JĠai essayŽ de refaire quelques portraits de mes enfants, ou dĠElsa : cĠest autre chose, cĠest la vraie rŽalitŽ, mais a ne correspondait pas ˆ ce que je voulais.   

O.C. : Je voulais revenir ˆ un article quĠon a dŽjˆ ŽvoquŽ ensemble, paru dans Le Monde, en 1982, lors de lĠexposition ˆ CrŽteil, Žcrit par Philippe Dagen : Ò Rustin peintre pornographique et rŽpŽtitif Ó. Laissons de c™tŽ la question de la pornographie – qui serait celle de vos supposŽes intentions -, le terme Ò rŽpŽtitif Ó mĠintŽresse beaucoup plus : Est-ce quĠeffectivement, vous peignez toujours le mme sujet ?

J.R. : JĠai dŽcidŽ une fois pour toute que je ne changerais pas de sujet. Que la peinture pouvait servir ˆ exploiter une image et une signification. Je pourrais peindre une automobile, ou changer de texte. Mais cĠest  volontaire.

O.C. : Et comment le qualifieriez-vous, ce sujet ?

J.R. : Ò Pornographique et rŽpŽtitif Ó. En tout cas tout ce quĠon veut, mais pas pornographique. CĠest de lĠanti-pornographie. Tu sais dĠailleurs que Dagen a rŽŽcrit un texte, trs Žlogieux.

O.C. : Et il ne vous considre plus Ò pornographique et rŽpŽtitif Ó ?

J.R. : Non, pas du tout. Il dit que je suis le seul peintre en Europe ˆ savoir encore peindre comme il faut.

O.C. : Ma question suivante est liŽe : Est-ce par commoditŽ que vous donnez des titres, ou ceux-ci disent-ils quelque chose de chaque peinture ?

J.R. : Non. Quelquefois a tombe bien ; par exemple, tu fais une femme nue assise sur une chaise, et tu appelles la peinture Ò Dehors il pleut Ó. Mais je dŽteste les titres. ‚a vient encore de la peinture abstraite o lĠon mettait des numŽros : je ne trouvais a pas bien, alors jĠai inventŽ des titres trs poŽtiques, qui nĠavaient aucun rapport avec la rŽalitŽ. Je me rappelle dĠune toile o il y avait Elsa avec un petit chat, et que jĠavais appelŽe ÒO est donc BŽbert ? Ó. CĠest le nom du chat, a collait bien. Quand je suis passŽ ˆ une peinture sŽrieuse, a ne marchait plus. Mais il y a certains titres qui vont trs bien.

O.C. : Je vous posais cette question car, si vous revendiquez dĠtre rŽpŽtitif et de peindre toujours le mme sujet, on pourrait imaginer que vos peintures se passent de titres. Ou alors il pourrait y avoir un seul titre pour toutes. Je pense ˆ celui dĠune peinture de 2004 Ò Ce qui reste de lĠhomme Ó - un homme nu, debout, tenant son sexe des deux mains.

J.R. : Oui bien sžr, ce pourrait tre le titre de toute lĠÏuvre. CĠest Philippe Dagen qui a inventŽ a. CĠest le titre de son article pour le catalogue de lĠexposition dĠAthnes. Quand jĠai reu ce catalogue, jĠai vu que le titre de son article Žtait Ò Ce qui reste de lĠhomme Ó, et jĠai trouvŽ que cĠŽtait bien. Mais le problme avec les titres cĠest quĠil faut que a ne soit justement pas rŽpŽtitif. Porno peut-tre, mais pas rŽpŽtitif.

 

 

 

 

O.C. : Parlons de la Ò reprŽsentation Ó : ce qui frappe en premier lieu pour qui regarde vos peintures, cĠest la frontalitŽ.

J.R. : Je le sais. Je ne lĠai pas dŽcouvert tout de suite. Mais je me rends compte, quĠencore aujourdĠhui, je travaillais sur une toile, avec le visage lŽgrement tournŽ qui dŽtruisait la frontalitŽ ; et bien jĠai retournŽ la tte vers la frontalitŽ, parce que a devient anecdotique, un personnage qui regarde vers le c™tŽ. ‚a perd de cette frontalitŽ qui est dans toute la peinture de la Renaissance, et du Moyen Age, o les Saints sont toujours dans une frontalitŽ absolue. ‚a a un sens pictural trs fort.

O.C. : Vos personnages nous regardent toujours, mme lorsquĠils nous tournent le dos.

J.R. : Oui, cĠest vrai. Et mme quand ils ont les yeux fermŽs. JĠai dŽcouvert dans les dernires toiles, depuis un an peut-tre, que quand il nĠy avait pas le regard, a regardait encore plus ; ou mme quand ils se mettent les mains devant le visage.

O.C. : Leur derrire nous regarde, leur sexe nous regarde. CĠest comme si on nĠŽtait pas seulement regardŽ par les yeux, mais par tous les orifices du corps.

J.R. : Oui, et dĠailleurs je me suis souvent demandŽ : Comment a se fait que les autres peintres ne touchent pas ˆ ce sujet qui est les mains et le regard, qui peut avoir un r™le tellement important, et tellement dramatique ? Il faut que a soit fait avec beaucoup dĠintelligence, mais cĠest quand mme important.

O.C. : Cela aussi vous vous en rendez compte et on vous le dit souvent, mais mme lorsquĠil y a plusieurs personnages, leurs regards ne se croisent jamais.

J.R. : Jamais, non. Ah, si, parce que quand je le fais, aprs je lĠefface. ‚a ne me satisfait pas. Je ne sais pas pourquoi.

O.C. : Mme la sexualitŽ, quand elle est en scne, est trs frontale. Ce qui ne veut pas dire pornographique ; cĠest peut-tre lˆ quĠest la confusion.

J.R. : Oui, je sais bien.

O.C. : Je dis de votre peinture quĠelle est frontale, mais est-ce que pour vous cĠest la peinture qui doit tre frontale, quĠelle doit tre cela : une monstration ?

J.R. : Ce qui me frappe beaucoup, mme quand on regarde certains livres dĠart sur la peinture ˆ la Renaissance, montrant lĠassassinat dĠun tel par un tel, cĠest quĠil nĠy a pas de tension ; on le voit comme au cinŽma, si tu veux. Alors que la vue dĠun visage et dĠune attitude frontale, a crŽe tout de suite une tension.

Mais je ne connais pas dĠautres peintres qui aient utilisŽ cette image du regard qui vient de la toile versÉ

O.C. : CĠest vrai quĠon ne se sent pas souvent regardŽ. Mais cĠest aussi ce qui peut ou a pu parfois provoquer le malaise, voire le rejet ?

J.R. : Oui, certainement. Plus que la pornographie. Parce que je nĠai jamais fait de peinture pornographique.

Tu sais quĠici, jĠai vu plusieurs jeunes filles dĠailleurs, en gŽnŽral, qui sont venues me voir, des filles qui connaissaient pourtant bien la peinture, et qui sont sorties sur le balcon en pleurant. ‚a me surprend, pas toi ?

O.C. : Oui, mais vous le dites vous-mmes, beaucoup cherchent ˆ vos toiles des significations afin dĠŽviter de sĠidentifier ˆ ces Ò images Ó ; ou alors les rejettent. On peut en effet imaginer que des personnes se demandent : Ò Est-ce que je ressemble ˆ a lorsque je baise ou lorsque je me masturbe ? Est-ce ce corps-lˆ que je donne ˆ voir ? Ó Et cĠest justement lˆ quĠelles se trompent, parce que ce nĠest pas une peinture pornographique ou Žrotique, elle ne met pas en scne le dŽsir.

Mais effectivement, on nĠa pas envie de se voir reprŽsentŽ ainsi, et je pense que ceux qui rejettent votre peinture, y voient en plus comme un affront : Ò Non seulement vos personnages ont cette sexualitŽ frontale, un peu animale, et en plus, ils osent me regarder ! Ó

J.R. : Oui, et a me fait penser aux rŽactions quĠont eues mes frres et mes parents lorsque je suis passŽ de lĠabstraction ˆ la figuration. Mon pre, qui Žtait professeur, avait rŽussi aprs plusieurs annŽes ˆ admettre la peinture abstraite, et quand je suis passŽ ˆ la figuration, a a ŽtŽ une levŽe de bouclier. Tous mĠont dit : Ò Tu es compltement fou, tu vas crever de faim avec tes cochonneries. Ó Maintenant quĠil y a une certaine reconnaissance, ils repartent pour un tour. CĠest amusant.

O.C. : Est-ce que vous diriez alors que dans votre Ïuvre, vous montrez ce qui habituellement est cachŽ, et quĠon nĠa pas envie de voir ? Vous avez a ˆ lĠesprit, lorsque vous travaillez ?

J.R. : Oui, mais je nĠy pense pas lorsque je travaille. Je suis tellement dans le bain, tous les jours, que je ne vois plus ce que je fais. CĠest une peinture figurative au sens o ce nĠest pas abstrait, mais ce nĠest pas du tout rŽaliste, au contraire, il nĠy a aucune rŽalitŽ.

O.C. : Je vous disais que je nĠemployais pas le terme de pornographie pour parler de votre peinture, mais de plus elle Žchappe ˆ ces Žcueils que sont lĠexhibitionnisme, le voyeurisme ou la vulgaritŽ.

J.R. : Oui, parce quĠelle traduit autre chose quĠune agressivitŽ sexuelle. Elle renvoie plus ˆ la folie, ˆ la maladie, ˆ la vieillesse. CĠest a que les gens ont du mal ˆ accepter : Ò Pourquoi tu fais a ? Ó

O.C. : Est-ce que a tient aussi au regard que vous, vous portez sur vos personnages ?

J.R. : CĠest difficile de te rŽpondre. Je suis allŽ souvent ˆ lĠh™pital, voir des membres de la famille qui meurent. CĠest Žpouvantable, dĠune obscŽnitŽ tellement incroyable, ces gens qui nĠont plus conscience de ce quĠils sont. Je suis aussi allŽ pendant plus dĠun an tous les jours ˆ lĠh™pital psychiatrique de la fondation Vallet, qui ne doit plus exister, qui ne soignait que les jeunes filles ; cĠŽtait assez horrible. Le Directeur de lĠh™pital mĠavait demandŽ de peindre des fresques sur les murs de la grande salle dans laquelle les enfants jouaient. CĠŽtait des faux Picasso, des faux Chagall, des faux Matisse.

Les gens qui me connaissent bien, mais sans plus, sont persuadŽs que jĠai ŽtŽ internŽ comme malade mental. ‚a nĠa aucun rapport : jĠŽtais lˆ en tant que mari dĠElsa, qui y faisait son stage de dernire annŽe.

O.C. : Vous nĠy alliez donc pas du tout dans un projet pictural ? Ces jeunes filles nĠont jamais ŽtŽ des modles, ou une source dĠinspiration ?

J.R. : Pas du tout, ˆ lĠŽpoque je faisais de la peinture abstraite. Par contre, en 71, quand je suis revenu ˆ la figuration jĠŽtais un peu perdu, et jĠai fait poser deux ou trois personnes, surtout de la famille : Elsa, Franois, Pierrot. Mais comme je te lĠai dit, jĠai vu que a ne correspondait pas du tout ˆ ce que je voulais faire.

O.C. : Je reviens ˆ ce que nous disions : cĠest quand mme difficile de ne pas parler de sexualitŽ quand on Žvoque votre peinture figurative, et pourtant on nĠest pas dans un registre Žmotif, il y a une adresse, mais qui nĠest pas de lĠordre dĠune sollicitation Žrotique.

J.R. : Mais il y a un mot quĠon nĠemploie pas, cĠest obscne. Je veux bien admettre que ma peinture est obscne, parce que cĠest un terme suffisamment vague pour recouvrir ce que je fais.

O.C. : QuĠentendez-vous par obscne : ce qui montre, simplement ?

J.R. : Oui, qui montre ce que personne dĠautre ne montre.

O.C. : Si cĠest ce que vous entendez par Ò obscne Ó, montrer ce que personne dĠautre ne montre, alors oui, votre peinture est obscne.

J.R. : Oui, parce quĠil nĠy a pas dĠintention agressive, il nĠy a pas de comŽdie.

O.C. : Ce que je trouve aussi assez singulier, dans votre travail, cĠest quĠil nĠy a pas de signifiant, a ne sert pas de propos, vos personnages ne sont pas les images dĠautres choses. On a lĠimpression quĠils ne renvoient quĠˆ eux-mmes, avec leur dŽsir dont parfois ils ne savent pas trop quoi faire. Ils ne renvoient quĠˆ eux-mmes, et ils nous renvoient le regard quĠon porte sur eux.

J.R. : CĠest vrai. Ce que tu dis, cĠest exactement ce que je pense. Je pourrais les faire en train de manger de la soupe, ce nĠest pas difficile, mais ds quĠil se passe quelque chose, a brise cette frontalitŽ qui est tellement importante maintenant pour moi. Alors quĠil ne se passe rien, a se passe dans la tte des personnages.

O.C. : Je pense justement ˆ une peinture qui sĠintitule Ò Trop de bruit Ó. Dans un compte-rendu de la Salptrire sur la voix, entre 1887-1894, un mŽdecin, parlant dĠun malade, dit que Ò le bruit des voix couvre sa propre voix Ó. Si on lĠappliquait ˆ cette peinture hiŽratique et silencieuse, diriez-vous que pour ce personnage cĠest rempli de voix ?

J.R. : Oui, tout ˆ fait. Parce quĠil y a le monde extŽrieur et le monde intŽrieur.

O.C. : Et a ne vaut que pour cette toile –lˆ ?

J.R. : Non, il y en a dĠautres. JĠai moins jouŽ avec la voix quĠavec les regards ou avec les mains mais, effectivement, je pense quĠune des images de ce que je reprŽsente cĠest lĠenfermement, qui coupe du monde.

O.C. : Le mme mŽdecin dit encore : Ò Il ne croit pas seulement aux voix, il les croit et leur obŽit. Ó Est-ce quĠil nĠy  a pas quelque chose dĠune voix qui de lĠintŽrieur de la peinture parle aux personnages, les fait Ò poser Ó ?

J.R. : Peut-tre que le mot Ò voix Ó ne va pas trs bien, mais quĠil y ait une espce dĠobŽissance ˆ un ordre, oui. Parce ce cadre que jĠutilise tout le temps et qui ne change pas, avec une pice une porte, a crŽe une structure trs rŽpŽtitive et figŽe. Mais lĠon peut effectivement penser que la voix joue Žgalement un r™le dans cette situation-lˆ. Oui.

O.C. : Laissons la voix. Ce que trs souvent l'on dit de vos personnages, cĠest quĠils sont sans ‰ge. Chacun pourrait presque tre ˆ la fois un nouveau nŽ et un vieillard, si ce nĠŽtait les attributs sexuels.

J.R. : Oui, et moi-mme, quand je travaille sur une toile un personnage, ou mme un personnage que jĠai travaillŽ trs longtemps, je ne sais toujours pas si ce sera un homme ou une femme, un vieux ou un jeune. CĠest au dernier moment que a se dŽcide.

O.C. : ‚a se dŽcide par quoi ?

J.R. : Il nĠy a pas beaucoup de diffŽrence entre les deux. Un homme, si on ne voit pas son sexe on ne sait pas que cĠest un homme, ou une femme si on ne voit pas ses seins. Donc a tient ˆ trs peu de chose.

O.C. : Ils ont aussi lĠair un peu effarouchŽ, ou un peu hŽbŽtŽ, avec un corps et une sexualitŽ dont ils semblent ne pas trop savoir que faire.

J.R. : ‚a me semble Žvident.

O.C. : Pas seulement dans la peinture ?

J.R. : Peut-tre pas seulement dans la peinture, mais surtout dans la peinture. CĠest Žvident que cette espce dĠavachissement, a me fascine. La vue des gens malades et qui sĠeffondrent mĠa toujours fascinŽ, comme a fascine tout le monde dĠailleurs, jĠimagine.

O.C. : Vous les voyez comme sĠeffondrant ?

J.R. : Oui, par exemple quand ils sont couchŽs par terre ; enfin, il nĠy en a aucun qui fait de la gymnastique.

O.C. : CĠest vrai quĠils sont toujours dans des postures trs simples : assis, couchŽ, debout. DĠailleurs, il y a des postures, frontales, mais il nĠy a pas ˆ proprement parler de Ò pose Ó. 

J.R. : Non, parce que sĠil y a pose il y a comŽdie. Donc a ne marche plus.

O.C. : Ce que je vais vous dire ne signifie pas que je ne considre pas vos personnages comme des hommes, mais jĠy vois Žgalement des petits animaux sauvages, qui seraient surpris par le regard des hommes, et qui comme eux ne fuient pas tout de suite ; ils sĠarrtent un instant, et ils vous regardent.

J.R. : Oui, bien sžr : une espce dĠahurissement. CĠest trs important. Et a ne peut pas dŽboucher sur quelque chose, parce que cĠest lĠahurissement comme complet.

O.C. : La peinture cĠest aussi a pour vous : une suspension, ou ce qui suspend un geste ?

J.R. : ‚a cĠest une autre question. Car ce quĠon vient de dire, a concerne la partie la plus importante de toute la peinture, sauf la partie essentielle pour moi, qui est la peinture elle-mme. CĠest facile pour un peintre de trouver des sujets dramatiques, mais si ce nĠest pas admirablement peint cĠest insupportable. Et cĠest lˆ o se joue le drame, entre moi et la peinture. Il y a a, et puis la lumire du tableau.

Il y a deux choses : il y a ce que lĠon veut dire, la maladie, la folie, etc., et puis il y a la peinture, avec la lumire de la peinture.

O.C. : Effectivement, ce qui frappe quiconque regarde vos toiles, cĠest la peinture elle-mme, et la qualitŽ de la peinture, la lumire, la matire et la profondeur.

J.R. : Et ce nĠest pas technique ; cĠest plus que technique. Je ne pourrais absolument jamais expliquer ˆ un peintre comment il faut faire pour faire a. Ce nĠest pas possible. CĠest pourquoi je suis sžr que si on revoit une peinture dix ans aprs, ou vingt ans aprs, on nĠa quĠune envie cĠest de la retravailler. CĠest Bonnard qui faisait a dĠailleurs.

O.C. : CĠest votre cas ?

J.R. : Oui, quand je revois des peintures dĠil y a vingt ans, jĠai trs envie de les retravailler ; car je suis persuadŽ que ce que je fais maintenant est beaucoup mieux que ce que je faisais avant, ce qui nĠest pas du tout forcŽ. Mais je le pense. Tant mieux, sinon je mĠarrterais de peindre.

O.C. : DĠailleurs, est-ce que vous considŽrez que vous avez fait ce que vous aviez ˆ faire, dans une idŽe dĠÏuvre, ou que vous avez encore une Ïuvre ˆ produire ?

J.R. : Non, jĠai ˆ continuer, dans la mesure du possible ; mais je ne peux pas ˆ mon ‰ge recommencer. Surtout que jĠai eu un parcours assez compliquŽ avec ces histoires de passage de lĠabstraction ˆ la figuration.

O.C. : Pour en revenir ˆ la peinture, jĠexprimerais assez trivialement un sentiment quĠelle suscite, ˆ savoir que Ò vous ne vous moquez pas de nous Ó, et vous ne vous moquez pas de ce que vous peignez, ou de vos personnages, bref, de la peinture.

J.R. : Oui, cĠest Žvident ; alors quĠil y a tellement de peintres depuis le dŽbut du XXme sicle qui ont jouŽ avec la peinture. Mais moi je nĠai jamais voulu jouer avec la peinture.

O.C. : Ce qui est Žtonnant aussi, vous me direz ensuite ce que a doit ˆ la peinture elle-mme, cĠest finalement, et malgrŽ ces couleurs assez froides, ces gris, ces bleus, que la peinture elle-mme nĠest pas du tout agressive. Elle est mme trs tendre, et trs lumineuse.

J.R. : Et cĠest ce qui fait sa force ; parce que si elle Žtait agressive a ne serait pas intŽressant. CĠest justement parce que cĠest trs dŽlicat que a touche des choses plus profondes. CĠest le contraire dĠune peinture volontaire, expressionniste. Je pense quĠil y a plus de force dans la peinture telle que je la fais, que dans celle dĠautres peintres qui utilisent des moyens expressionnistes dĠesbroufe, dĠeffet.

 

 

 

 

O.C. : Vous employiez le terme de Ò force Ó. QuĠentendez-vous par lˆ ?

J.R. : Je suis ˆ peu prs sžr que les gens qui aiment la peinture sont beaucoup plus touchŽs par ma peinture que par la peinture de ceux qui font des choses beaucoup plus spectaculaires.

O.C. : Si cĠŽtait le cas, vous seriez, comme vous le disiez de votre pŽriode abstraite, Ò un peintre parmi dĠautres Ó.

J.R. : Oui, absolument. Et jĠespre bien quĠavec la Fondation on va pouvoir faire enfin une exposition des anciennes toiles. JĠaimerais bien les revoir, trente ou quarante ans aprs. Je suis sžr quelles sont trs belles.

Je sais bien que 99% des gens qui regardent ma peinture ne regardent pas la peinture, cĠest lĠhistoire qui les intŽresse. Toutes les questions quĠils posent y sont liŽes : Ò Pourquoi est-ce quĠil a un pantalon ? Ó, Ò Pourquoi est-ce quĠil nĠa pas de pantalon ? Ó

O.C. : Oui, mais je crois quĠen mme temps, ce quĠon dit de ces personnages que vous peignez, quĠils ne renvoient pas ˆ autre chose quĠˆ eux-mmes, ce quĠon dit de la frontalitŽ, de ce regard trs troublant qui nous est renvoyŽ, on ne pourrait pas le dire sĠil nĠ y avait pas la qualitŽ de la peinture.

Ce qui fait aussi lĠintŽrt de votre oeuvre et qui nĠest pas la peinture elle-mme, finalement est dans la peinture, au sens o a ne serait ni visible ni mme rendu possible sans la qualitŽ de la peinture. ‚a serait ratŽ, ou a passerait ˆ c™tŽ.

J.R. : Oui, cĠest Žvident. On sŽpare un peu en parlant parce quĠon ne peut pas faire autrement, mais on sait trs bien que les deux choses sont profondŽment liŽes.

O.C. : Un mauvais peintre qui voudrait faire la mme chose que vous, on y verrait tout ˆ fait autre chose ; et pour le coup on y verrait peut-tre, et seulement, de la pornographie, ou lĠexpression dĠune idŽe, ou la dŽnonciation dĠune autre. Et ce qui fait quĠon peut considŽrer la peinture en elle-mme et les personnages pour ce quĠils sont, tient ˆ votre travail, ˆ la matire, la lumire qui en Žmane, etc.

Encore une autre raison, sĠil en fallait, de dire quĠil nĠy a rien dans votre peinture de pornographique, cĠest quĠil nĠy a pas de pudeur chez vos personnages.

J.R. : Oui, je crois que lĠobscŽnitŽ cĠest lĠabsence de pudeur.

O.C. : Oui, mais sans tre dans une provocation.

J.R. : Non, il nĠy a pas de provocation. Ils sont plus victimes que provocants.

O.C. : JĠy voyais plut™t quelque chose de trs innocent. Et de trs pur, justement dans cette absence de pudeur. CĠest comme des enfants, qui se montrent ou qui se touchent, un peu par instinct, ou sans dŽsir vraiment conscient, ou comme dans lĠignorance des valeurs et des codes de la sociŽtŽ des hommes ; et finalement cĠest ce qui fait quĠil y a une immense puretŽ.

J.R. : Oui, cĠest lĠinnocence. Je suis tout ˆ fait dĠaccord. Mais le regard quĠon porte sur mes peintures comme sur celles des autres est variable ; a dŽpend de la culture picturale quĠon a, de sa vie personnelle, de beaucoup de choses.

O.C. : Oui, bien sžr. Mais je pense que a tient aussi, on lĠa dŽjˆ dit,  au regard que vous portez, vousÉ

J.R. : É sur le monde ? Sur la peinture ?

O.C. : Sur ces tres que vous peignez. Et la faon dont vous les traitez, mme picturalement.

Ils apparaissent comme nus de tout attribut ou de toute valeur spŽcifiquement humaine. Ils nĠexpriment pas la dignitŽ, le sentiment ou tout ce quĠon considre comme Žtant les valeurs de lĠhumanitŽ. JĠy vois lĠhumanitŽ, mais dŽbarrassŽe de ce quĠon considre tre le propre de lĠhumanitŽ, et qui serait du c™tŽ des codes, des artifices, et mme des valeurs. La vie nue.

J.R. : Oui, cĠest une espce de na•vetŽ premire. Comme les enfants, comme les vieux ; cĠest pour a quĠon ne sait pas si ce sont des enfants ou des vieux. Mais il faut que tu admettes bien une chose, cĠest que tout a ne se passe pas au niveau de la cervelle, a se passe sur la toile. Et il suffit de si peu de choses pour que a ne fonctionne pas. Le moindre petit dŽtail qui nĠest pas ˆ sa place, a peut dŽtruire toute la frontalitŽ. CĠest lˆ que a se passe. Et a, je le ma”trise. En travaillant beaucoup.

 

 

 

Propos recueillis par Odile Cortinovis.

Le 10 avril 2007 ˆ Bagnolet.

photos : O. Cortinovis

 

  sommaire