Pour une acousmatique
du signe: loge du nomadisme de la voix
JĠaimerais aimer aimer.
Un instantÉ Passe-moi donc une
cigarette,
De ce paquet sur la table de nuit.
ContinueÉ Tu disais
Que dans le dveloppement de la
mtaphysique
De Kant Hegel
Quelque chose sĠest perdu.
Je suis absolument dĠaccord.
Oui, je tĠai bien cout.
Nondum amabam et amare amabam (saint
Augustin).
Comme cĠest curieux ces associations
dĠides!
Je suis fatigu de penser ressentir
autre chose.
Merci. Laisse, je vais lĠallumer. Continue.
HegelÉ
(çlvaro de Campos)
Le ¤459 de lĠEncyclopdie hglienne pose de
nombreuses questions cruciales concernant la philosophie du langage, ainsi que
Jrgen Trabant lĠa souvent soulign (Trabant 1999: 175, 203-205, 212 ...).
LĠune dĠentre elles a trait la conception du signe. Si la langue, en vertu de
la fonction-signe des mots, peut tre dite le prototype du signe, il semble
bien que cela sĠopre chez Hegel au dtriment de la dimension en quelque sorte
matrielle et/ou corporelle de tout acte de langage: sĠil passe quasiment sous
silence lĠcriture alphabtique, la Òlangue parleÓ nĠen est pas moins rduite
au statut de marque concrte ngative du signe, ce qui te toute dimension de
communication, mais aussi de crativit (dans des circonstances donnes), au
signe, ds lors vers du ct des notions, dans une course lĠabstraction
visant dcharner la langue pour lui permettre une prise inexpugnable sur le
monde. Certes lĠesprit, dont les notions sont les outils, est pour Hegel avant
tout production cratrice de signes, ce qui le fait passer dĠune facult dĠimagination (ÒEin-BildungÓ) une facult dĠin-vocation (ÒEin-TnungÓ), avec pour effet net
de dvaloriser lĠusage et les consquences de lĠcriture (Trabant 1999: 205).
Mais lĠin-vocation hglienne est dĠune part plus une convocation premptoire
quĠune gnreuse vocation, et dĠautre part moins une mise-en-voix quĠune
main-mise-sur-la-voix, comme si aprs avoir minimis lĠcrit, il fallait
touffer le son pour mieux lui faire rendre gorge, pour mieux faire se lever
lĠesprit vers la pense, dans le silence irrespirable de la surdit
philosophique.
En effet, sĠil est vrai
que le ÒsonÓ est prsent par Hegel comme ÒlĠexpression accomplie de
lĠintriorit qui se manifesteÓ,[1] il nĠen est pas moins vrai que ce son semble vers du ct du
soliloque sublime que le soi spirituel entretient avec lui-mme dans son
auto-affection, ce que Trabant rappelle ainsi: ÒLe son de lĠimagination
cratrice de signes est prsent exclusivement comme productivit du sujet,
comme voix dĠun sujet uniquement qui – en qualit dĠEsprit thorique,
donc de moi connaissant – nĠentend ni lui-mme ni les autres et nĠa pas
besoin non plus dĠtre entendu par les autres. LĠEsprit thorique est voix
vibrant en elle-mme, voix solitaire, ÔvoxĠ solipsisteÓ (Trabant 1999: 176).
Autrement dit, cette voix nĠa de voix que le nom car elle nĠest mme pas une
voix mtaphorique dans la mesure o toute voix suppose un retour auditif,
totalement pass sous silence dans le texte hglien de lĠEncyclopdie. La primaut de la voix
qui semble sĠen dgager nĠest quĠun trompe-lĠoreille: dans la ÒphonarchieÓ[2] ainsi constitue, cĠest tout le relief de la
voix, sa concrtude, sa chair, qui est illusion, car la voix de ÒlĠEsprit
thoriqueÓ nĠa que la dimension silencieuse dĠune pense porte au plus haut
degr de son abstraction au point quĠelle sĠoublie elle-mme comme
manifestation sonore. Cette ÒphonÓ absolue est compltement aphone, car elle nĠest ni voix
parle ni voix rellement coute dans le for intrieur, dans la mesure o
nulle oreille nĠest l, pour lĠaccueillir comme pour lĠmettre. Cette voix
nĠest quĠune voie dans lĠespace dialectique o triomphe la vision, une vue du
fameux ÒEspritÓ, pourrait-on dire.[3]
De fait, le premier
terme du paragraphe, ÒAnschauungÓ, mot si difficile rendre en franais
(ÒintuitionÓ, ÒcontemplationÓ?), semble bien activer en lui son tymologie,
laquelle place les oprations qui constituent lĠacte de pense dont il est le
concept sous lĠemprise paradigmatique de la modlisation visuelle. Or dans la
mme phrase, aprs avoir recouru la phase ngative essentielle au droulement
de sa rflexion, Hegel emploie un terme dont le champ lexical va dĠailleurs
tre parcouru dans la suite du texte, ÒBestimmungÓ (ÒdterminationÓ).
Mais il semble bien que cette fois lĠtymologie lointaine soit occulte: malgr
la dclinaison, dans les lignes qui suivent, et plus loin encore dans le
paragraphe, de termes de la mme famille lexicale (ÒBestimmtheitÓ, Òbestimmten
VorstellungenÓ, ÒGrundbestimmungÓÉ), rien nĠautorise penser que la voix (Stimme) sĠy fasse entendre,
comme le confirme sans ambages le classement de la langue parle du ct des
simples outils ngatifs indispensables lĠaccomplissement de la pense
dialectique. DĠun ct, avec Anschauung, nous nous trouvons confronts au
paradigme visuel comme dfinissant tout acte de pense. De lĠautre, avec Bestimmung, terme abstrait sĠil en
est, on ne peut quĠentendre en lui lĠoubli de la voix: cette dtermination-l
fige et oublie la voix, mme si une certaine voix, voix sans cho, voix sans
voix, merge au bout de lĠachvement de lĠesprit. ÒPhonÓ aphone, cĠest dire si
la dtermination en question fige et oublie lĠoreille.[4] Certes on connat les reproches de Derrida au
phonocentrisme hglien. Mais redisons-le: la voix de Hegel est dcharne,
prive de toute dimension de communication, et mme de sa fonction dĠacousmate intrieur, autrement
dit dĠtrange son rsonnant dans lĠintriorit.[5] Plus que phonocentrisme, il faudrait parler dĠaphonocentrisme, de mise en place dĠun
centre rayonnant de lumire mais absorbant en lui tout son.
Trabant prsente ainsi les consquences de cet oubli de lĠoreille: ÒMais
le danger est grand que la voix se fasse de plus en plus forte – car le
matre nĠentend rien –, quĠelle devienne cri, rugissement, vacarme, que
la ÔphonĠ articule, solitaire et non perue, dgnre en ÔpsophosĠ
inarticul. La phonocratie devient psophocratie, et scelle la fin du langage
– et pas seulement de celui-ciÓ (Trabant 1999: 190). Il semble que le
danger nĠest pas moins grand dĠune strilisation complte du sonore, totalement
englouti dans le silence idal de lĠesprit, lequel ds lors ne peut mme pas
tre dit Òbruit blancÓ.
Dans un pome qui nĠa
lĠair de rien et que nous citons en exergue, Fernando Pessoa reproche Hegel,
par lĠentremise de son htronyme çlvaro de Campos, dĠavoir t lĠagent dĠune
perte (Pessoa 2001: 498). Le pome fait rfrence ds le premier vers, mais
aussi dans la citation, saint Augustin, tout particulirement au moteur de
lĠamour tel que ce dernier en parle dans les Confessions: or, justement, Augustin
pensait, lui, que le verbum in corde tait spcifiquement rsonant, comme on le
rappellera plus bas. De plus, le pome suppose une situation de communication,
une conversation: il est plus prcisment la prsentation de cette situation
travers les propos dĠun des participants, ce qui met lĠaccent sur le
retentissement des propos en lui, qui semble par ailleurs un tre revenu de
tout et ayant besoin, pour penser, dĠune coute aussi flottante que le parcours
de sa fume de cigarette. On pourrait interprter ce pome comme la
dmonstration en acte de ce qui sĠest perdu Òde Kant HegelÓ: la Òlangue
parleÓ, la positivit de toute marque concrte du signe, le rle des affects
dans la pense, lĠcoute, la dimension acousmatique de la rflexion.[6]
Nous entendons par
Òdimension acousmatique de la rflexionÓ la rsonance intrieure de la pense,
l mme o une oreille intime entend une voix jusque dans lĠmission des
abstractions les plus sophistiques, mais une voix qui ne scelle pas le
soliloque grandiose de lĠesprit sĠauto-affectant, une voix qui peut tre
plurielle (comme lĠhtronymie pessoenne en donne un exemple extrme) et quĠon
peut entendre comme une trangre en soi. En effet, sĠil est difficile de
penser sans le langage, il nĠen faut pas moins conserver ce dernier sa
concrtude constante, ft-elle aussi tnue que la voix acousmatique dont est
faite en ralit la conscience (qui nous ddouble et nous duplique lĠinfini),
ou encore que ce qui sĠarticule en nous lorsque nous lisons ou crivons un
texte.[7]
La question du Òdiscours
intrieurÓ sĠest pose en des termes variables tout au long de lĠhistoire de la
philosophie, avant mme de prendre un cours littraire particulier depuis
douard Dujardin (Les lauriers sont coups, 1888). Et elle lĠa t parce quĠelle se
situe sur lĠarticulation exacte entre lĠcrit et lĠoral, lĠintrieur et
lĠextrieur, le sensible et lĠintelligible, bref, sur la ligne de fracture
quĠinstaurent les systmes gnosologiques corsets par la logique binaire. Il
nĠest donc pas tonnant quĠon puisse y recourir afin de driver partir du
paragraphe hglien, prcisment organis, entre autres, sur des dichotomies de
cette sorte. Loin de sĠestomper dans les lointains intrieurs, la voix
acousmatique est fonction dĠune coute seconde, constituant une manire de
circuit fait de boucles audiophonatoires: en effet, la voix extrieure nĠexiste
que grce sa rgulation en temps rel par de telles boucles audiophonatoires,
installes entre lĠappareil phonatoire et lĠappareil auditif; or, il y a bel et
bien une coute du corps, et dans cette attention auditive dirige sur soi
nulle voix intrieure nĠest sans oreille ou silencie dans le mutisme suprieur
de lĠauto-affection. La rflexion dirige est dĠailleurs un travail de lĠcoute
intrieure: si cette dernire laisse filer lĠacousmate, elle produit une
mditation rhapsodique, presque alatoire, riche en trouvailles inattendues; si
elle tient lĠacousmate au plus prs, elle peut le conduire plus ou moins sa
guise et constituer de la sorte des chanes de raisonnement, qui ne sont pas
moins utiles au rgime heureux de la conscience. Bref, lĠauto-affection est
multiple, jamais pure ou transparente, jamais abstraite seulement, jamais
coupe du corps et de ses vibrations acousmatiques. CĠest si vrai que la
fivre, qui modifie ces vibrations, rend la pense particulire, dans
lĠaffolement des circuits audiophonatoires acousmatiques: le hglianisme est
une pense sans fivre.. Peut-tre mme frise-t-il lĠhypothermie?
Le travail de Claude
Panaccio (1999) sur le passage du Òlogos endiathetosÓ grec au Òverbum in
cordeÓ
augustinien puis lĠ Òoratio in animoÓ de Boce, la Òlocutio interiorÓ dĠAvicenne et lĠ Òoratio
mentalisÓ
de Guillaume dĠOckham, via un grand nombre de notions qui font variantes
de ces termes pivots[8], semble lui aussi
montrer que les philosophes, Òde Platon Guillaume dĠOckhamÓ en tout cas,
Òproccups de comprendre les phnomnes mmes quĠils rencontraient
quotidiennement dans leur pratique dĠintellectuels, des phnomnes cognitifs et
smantiquesÓ[9], nĠen ont pas moins
rserv dans leur rflexion une place importante au sonore de nature
acousmatique, mme sĠil nĠont pas toujours vhicul le terme dĠacousmate dans leurs travaux.
Ainsi peut-on avancer
lĠhypothse suivante: avec Hegel un terme est provisoirement mis une longue
tradition qui a peu ou prou maintenu le sens de la dimension acousmatique dans
la rflexion philosophique, ce qui impliquait la fois que la voix nĠtait pas
dconnecte de lĠactivit de pense et que lĠactivit de pense ne lĠtait pas
du jeu sonore, bref quĠelle demeurait acroamatique, au sens o Jrgen
Trabant entend ce terme.[10] De plus, lĠusage et la
pratique de la philosophie semblait alors tirer parti, plus ou moins nettement
bien sr, de la nature vanescente et insaisissable de la voix, et mme de son
nomadisme, en reconnaissant lĠexistence dans le for intrieur dĠune sorte de
voix propice lĠmergence de manipulations heuristiques nombreuses, varies et
stimulantes. Avec Hegel un soupon philosophique de tous les instants est
dirig sur lĠacous˙mate, coupable dĠtre trop entach de chair, de ÒsentimentÓ
et dĠirrationalit: cĠest ainsi que dans sa charge contre ce quĠil nomme
lĠÓintuition˙nismeÓ, Hegel range les vnements acousmatiques du ct des
formes primitives du religieux, en parlant, pjorativement bien sr, non de
ÒdiscoursÓ mais dĠÓoracle intrieurÓ. Il va mme plus loin encore puisquĠil considre
cette instance louche comme un obstacle Òla ralisation dĠune communaut des
consciences.Ó Le sonore acous˙matique est renvoy ÒlĠanti-humainÓ,
ÒlĠanimalitÓ (Hegel 1939: 93). La voix hglienne nĠest plus acousmatique:
elle se veut silence absolu, car seul le silence absolu est garant de
lĠauto-affection de lĠesprit.
Dans son commentaire sur
le Cratyle de Platon, Patrice Loraux, quant lui – mme sĠil recourt
la notion dĠÓoreille eidtiqueÓ (ou Òoreille idtiquement purifieÓ) pour
dmontrer que le damn socratique est lĠexprience dĠÓune audition originaire de
lĠessenceÓ, mme sĠil rduit la dimension sonore de cette opration en
affirmant que ÒlĠessence nĠmet quĠun seul sonÓ certes, mais dans le cadre,
dj trs hglien, dĠune Òphon imprononableÓ –, ne peut pas chapper
lĠacousmatique, qui retentit sans cesse dans son texte en le travaillant
ainsi de tensions rvlant la prgnance invitable de lĠacroamatique: Òla voix
dmonique est toujours quelque chose comme une audition silencieuse de
lĠessenceÓ, Òexprience auditive paradoxaleÓ, Òfantasmagorie auditive promise
par SocrateÓ, Òcontinu idtico-acoustiqueÓ, Òil y a de la rsonance dans les
nomsÓ, Òfantasme du sens qui serait directement voix aphoneÓ, Òinitiation
acoustiqueÓ, etc., autant dĠexpressions rvlatrices de ces tensions,
prcisment indiques par Loraux lorsquĠil pose la question suivante: ÒIl y
aurait donc un autre mode de sonorit?Ó (Loraux 1993: 198-218). Sans quĠil le
dise ou le reconnaisse explicitement, cet autre mode de sonorit est
lĠacousmate.[11]
Augustin parlera, lui,
dĠimaginatio vocis ou de verbum imaginabile. Pour lui en effet, qui avait commenc
par mettre la formule selon laquelle Òtout ce qui est verbe rsonneÓ[12], autrement dit frappe lĠair, la rsonance peut
tre galement observable lĠintrieur, et sa constatation implique une prise
en compte de lĠcoute et de la voix intrieures: Òsans mme profrer aucun son,
en pensant seulement les mots, nous nous parlons nous-mmes intrieurement.Ó[13] LĠacousmate trouve dĠailleurs une bonne
dfinition dans une autre formulation augustinienne: Òla pense roulant en
elle-mme lĠimage des sonsÓ.[14]
Or, ce roulement
intresse au premier chef notre rflexion du moment. Il indique nettement en
effet que, sĠil y a des signes relevant dĠune acousmatique, ils ne peuvent en
aucun cas tre tributaires exclusivement dĠun dispositif discret. Parce quĠil y
a roulement, il nĠy a pas, dans le processus diachronique de la rsonance
acousmatique, la moindre linarit construite dans la temporalit sur le modle
de lĠassemblage dĠlments logiquement dfinis par diffrenciations ngatives
et oppositionnelles. LĠavance est plutt tourbillonnaire, turbulence de sons
et de sens mls, plus que sillon directionnel recevant lĠensemencement
rationnel des graines dment espaces de la langue. LĠacousmatique du signe est
tout autant fonction de flux que de dispositif articul. Cela parat sans nul
doute un paradoxe[15], un peu dans le genre
de celui que pose la mcanique ondulatoire, mais il faut certainement sĠy
rsoudre: lĠarticulation discrte des signes nĠpuise nullement leur rel
agencement, lequel nĠest compris compltement que lorsquĠon tient compte aussi
de la globalit du flux continu de leur rsonance, acousmatique ou profre. CĠest
l la raison pour laquelle on se doit ici de rhabiliter la voix et de
rhabiliter, dans la voix, arienne ou acousmatique, sa flexibilit ondulante
qui fait vibrer les signes au-del de leur logique strictement articulatoire
(et dialectique), ce par quoi la voix voyage en ade nomade entre les signes,
de signe en signe, afin quĠils sĠaccomplissent, sĠpanouissent et rayonnent
(Ren Char dont nous allons parler plus bas dirait: afin quĠils scintillent), bref afin que leur
nature discrte se dpasse, pour la plus grande gloire du sens, dans ce quĠun
Fnagy a pu appeler le Òdouble encodageÓ,[16] la respiration vivante du langage.
On ne peut pas ici ne
pas penser aux Òemblmes vocauxÓ du chinois, tel que les analyse Marcel Granet:
ÒLe mot, en chinois, est bien autre chose quĠun signe servant noter un
concept. Il ne correspond pas une notion dont on tient fixer, de faon
aussi dfinie que possible, le degr dĠabstraction et de gnralit. Il voque,
en faisant dĠabord apparatre la plus active dĠentre elles, un complexe
indfini dĠimages particuliresÓ (Granet 1968: 37). Ce dispositif dynamique
incite de fait la rsonance acousmatique, et le chinois pourrait ds lors
tre pris comme un paradigme, puisque le Òcomplexe indfiniÓ peut servir de
modle opratoire pour dcrire les conditions de fonctionnement de tout
acousmate. Granet prcise: ÒLe mot, de mme quĠil ne correspond pas un
concept, nĠest pas non plus un simple signe. Ce nĠest pas un signe abstrait
auquel on ne donne vie quĠ lĠaide dĠartifices grammaticaux ou syntactiques.
Dans sa forme immuable de monosyllabe, dans son aspect neutre, il retient toute
lĠnergie imprative de lĠacte dont il est le correspondant vocal, – dont
il est lĠemblmeÓ (Granet 1968: 38). Considrons donc les monosyllabes chinois
comme autant de diapasons aptes nous fournir lĠaune acroamatique avec
laquelle nous pourrons prendre la mesure exacte des phnomnes acousmatiques,
la fois comme matire premire de la pense, comme grain subtil de la voix et
comme liant ncessaire toutes les oprations de langage ou de musique.
Un avertissement de
Daniel Charles vient alors confirmer notre coute: ÒOn ne rendra compte de
la voix quĠen se situant au niveau qui est le sien, et qui ne se laisse
aucunement rduire la simple rception/manipulation dĠvnements acoustiques
ÔneutresĠ et isols, parce quĠelle engage des plages sonores vritables,
orientes, ÔcologiquementĠ agences et disposes.Ó (Charles 1978: 19). Autant
dire que nulle voix ne se peut concevoir comme irrelie et dtache, ni mme
dtachable selon le mcano astucieux des dterminations discrtes: le corps
humain lui-mme Òapparat travers, parcouru et innerv par les voix ÔduĠ
multivers, par les flux incessants, la fois vivants et machiniques, de tout le
contexte/processus quĠest le mondeÓ (Charles 1978: 22-23). Ces remarques
doivent tre ritres inlassablement, tant il est vrai que les prestiges de la
voix selon les traditions les plus diverses lui confrent trop souvent le
statut dĠune idalit sans gale et sans partage. Phnomne jug hors normes,
apprhende en tant que monstration parfaite et immdiate de lĠtre, la voix
est trop souvent considre comme le vicariant majeur de la pense sous les
espces dĠune prsence sans faille. Ce qui signifierait alors que dans lĠusage
du langage la voix serait malgr tout frappe dĠune sorte de dcalage, alors
que ce dernier serait combl dans la voix vocalisant volont, cĠest--dire se
livrant sa propre nature, libre des contraintes imposes par les mots. Or, si
lĠon continue de prter lĠoreille Daniel Charles, on ne peut opposer Òla
voix-musique la voix-langage en supposant celle-ci ÔporteuseĠ et celle-l
ÔobjetĠ. La musique met en ce sens un frein aux extrapolations des philosophes,
et notamment celles, touchant lĠcriture (quĠil sĠagit dĠopposer radicalement
une voix monopolisant la ÔprsenceĠ), de Derrida et de son coleÓ (Charles
1978: 25). Il faut donc que le philosophe soit attentif aux leons de musique,
en particulierde musique vocale, afin de ne pas trop enserrer dans des
taxinomies trop facilement binaires des dispositifs plus complexes et plus
mls quĠil nĠa tendance le penser. Pas de centre en musique, mais un long,
intense et rsonnant glissement de tout la surface des choses, caresse dĠapprivoisement
rciproque et sans fin, comme on prouve lĠacoustique dĠun lieu nouveau en
tentant lĠpreuve de lĠcho. Telle est la leon du musicien. Comme le dit fort
justement Daniel Charles, dans ces conditions, la voix Òest la faon dont
lĠalternance de nos humeurs glisse tout au long dĠun monde dont nous ne sommes
jamais les matresÓ (Charles 1978: 30).[17]
Mettant en relief Òles
parcours vibratoires qui instaurent une communication privilgie, de
lĠenvironnement lĠindividu et vice-versaÓ, Charles met en toute consquence
lĠhypothse que la voix permettrait dĠassurer Òle frayage dĠau moins lĠun de
ces parcours, son ou ses chosÓ, et il en conclut que Òle dsenfermement de la
voix dans la musique contemporaine par rapport au bel canto, sa restitution
lĠerrance strictement ÔphontiqueĠ dans la Ôposie concrteĠ dĠun Bernard
Heidsieck ou dans les vocalises dĠun Demetrio Stratos, tous ces
rinvestissements en direction dĠune nomadisation pr-signifiante
nĠquivaudraient nullement quelque rgression, ou un dcentrement gratuitÓ
(Charles 1978: 299). En effet, ÒrgressionÓ est un concept vexatoire et
pjoratif, compte tenu du contexte de rpartition des valeurs dont il est
gnralement extrait: or, se rinsrer dans les stries stridulantes des flux porteurs
de signes, les scies sinueuses de leur stimulation subreptice, les sites
vibratoires de leur respiration continue, ce nĠest pas se priver des rgions
suprieures de la signification, cĠest au contraire rester lĠcoute des
Òpierres vivesÓ qui sont leurs incessantes et vritables fondations. De plus,
ÒdcentrementÓ sous-entend que lĠabsence dĠassise sur un point nodal bien
tabli est un perte, une amputation mme, une mutilation gnratrice dĠangoisse
et de ressentiment: mais nous savons que certaines figures gomtriques ont
bien plusieurs centres sans pour autant perdre de leur dynamique, bien au
contraire, ce qui devrait une fois de plus nous inciter sans relche
dcentrer et dcentrer encore, pour mieux rpartir les capacits de notre
entendement, le dconcentrer et mme le dcentraliser. Que la voix, comprise
comme instance nomade, soit dans cette entreprise un guide errant, la faon
des vagantes[18] dĠautrefois, pour un
vagabondage loin des citadelles imprenables de la pense, bien enserres entre
leurs miroirs dpolis, royaumes touffants des reflets privs dĠchos, de la
raison sans rsonance.[19]
Le nomadisme de la voix
est insparable de lĠacousmatique du signe et cĠest pourquoi lĠintonation[20] nĠest pas que le simple coloriage dĠune forme
qui porterait le sens elle seule: elle module cette forme pour la parachever,
dans un mouvement incessant. Modulations: tels sont les processus qui font le
cheminement de la voix, arienne ou acousmatique, dans le dsert des signes
oraux ou crits, hiroglyphiques ou alphabtiques. Et les peuples nomades le
savent bien, qui maintiennent vives la voix et toutes les transmissions orales
de leur savoir, quĠil soit dĠailleurs, ou non, chamanique. Il faut aussi se
souvenir de ceux qui oublient o mne le chemin de la dialectique: ils nous
rappellent les chances heuristiques, cratrices, et mme spirituelles, dĠune
errance extrieure qui redouble le parcours dĠune ncessaire initiation
intrieure, laquelle ne peut que prendre lĠallure et les stations dĠune prgrination
travers soi.
Or, lorsquĠen un autre
texte Hegel sĠintresse au nomadisme, il en fait la caractristique de
peuplades en marge de la Òzone tempreÓ, laquelle est selon lui le Òthtre
pour le spectacle de lĠhistoire universelleÓ (Hegel 1965: 221). Les nomades
sont inscrits dans le Òhaut paysÓ, sorte de stade primitif dĠune dialectique
historique et anthropologique: ÒLe premier moment est compact, mtallique, et
reste indiffrent, ferm, informe: cĠest le haut pays, avec ses grandes steppes
et ses plaines. Les seuls mouvements qui peuvent provenir dĠici sont des
mouvements de nature impulsive, mcanique et sauvage.Ó Dans un tel cadre, les
nomades Òont en eux-mmes un caractre doux, mais le principe quĠils
constituent est fluctuant, vacillantÓ (Hegel 1965: 222). Ce qui permet Hegel
dĠavancer que des nomades comme les Mongols peuvent oublier leur Òhumeur
pacifiqueÓ et se prcipiter Òcomme un torrent destructeur sur les pays
civiliss [...] CĠest un mouvement de ce genre qui saisit les peuples sous
Gengis-Khan et Tamerlan; ils pitinrent tout, puis disparurent de nouveau,
comme sĠcoule le torrent ravageur qui se perd parce quĠil ne possde pas en
propre un principe de vitalitÓ (Hegel 1965: 225). Cette prsentation
rductrice du nomadisme participe de la mme logique que celle qui refuse au
sonore sa part active dans le langage, dans la pense et dans la cration: le
nomadisme est conu comme une phase imparfaite de lĠhumanit parce que non
passe au crible de la dialectique triomphante, seule garante de la
civilisation dment organise ensocits rgies par des lois fondes sur des
contrats sociaux; il ne peut en aucun cas fournir un modle anthropologique
acceptable par la pense; et lĠagitation permanente de son flux humain est
galement dommageable la bonne conduite de la pense et de lĠart. Si Hegel
avait su que le chanteur mongol fait entendre, mis par son seul appareil
phonatoire, deux sons distincts, cela aurait sans doute confirm son
aversion pour tant dĠincapacit la dtermination dialectique!
Il nĠest pas surprenant,
ds lors, de constater que les thories hgliennes sur la musique confirment
bien sa prvention contre le sonore, ainsi que contre le nomadisme de la voix.
Pour Hegel la musique doit dsamorcer la ÒviolenceÓ de ÒlĠexpression
naturelleÓ, ÒlĠadoucir, la ÒtemprerÓ, bref passer des hauts pays qui
favorisent le nomadisme aux zones tempres propices lĠmergence de la
raison. En effet, pour lui, Ò le son, comme interjection, comme cri de la
douleur, comme soupir, rire, est la manifestation immdiate la plus vivante des
tats et des sentiments de lĠme, lĠexclamation du cÏur.Ó Mais Òces
exclamationsÓ, qui ne sont par ailleurs Ònullement des signes artificiels comme
ceux du langage articulÓ, ÒnĠexpriment pas une pense reprsente dans sa
gnralitÓ (Hegel 1967: 98). Et si Hegel reconnat que Òdans le chant, cĠest
de son corps que lĠme tire les sonsÓ, il ne peut concevoir la voix que dans un
rapport idal avec lĠme: Òla voix humaine se fait reconnatre comme lĠcho de
lĠme elle-mmeÓ (Hegel 1967: 108, 107). En toute logique la musique ne vaut
ds lors quĠen tant quĠelle est autre chose que du sonore, autre chose que du
corporel, ce que la mesure (au sens musical du terme) atteste lĠvidence:
dans ÒlĠuniformitÓ de la mesure, Òle moi retrouve lĠimage de sa propre unit;
[...] Le plaisir que le moi trouve, par la mesure, dans ce retour mesur, est
dĠautant plus complet que lĠunit et lĠuniformit ne viennent ni du temps ni
des sons en eux-mmes [...] En effet, dans le monde physique, cette abstraite
identit ne se rencontre pasÓ (Hegel 1967: 105).
Face cet attentat
hglien perptr contre le corps, et contre le corps dans la musique, donc
contre la musique, on pourrait citer ici comme tmoin charge le compositeur
Franois-Bernard Mche: ÒEn musique, comme dans toute pense, tout ce qui est
de lĠordre du concept cumule dans un mme mouvement les avantages de la
prcision et de lĠefficacit consciente, mais avec lĠinconvnient majeur de
dissimuler certains dtails rels de ce quĠil apprhendeÓ (Mche 2001: 92).
Autrement dit, recourons au concept, certes, mais nĠen faisons pas lĠalgorithme
unique de notre entendement: coutons plutt comment il sĠenlve sur un flux
dĠvnements qui tombent aussi sous les sens, tous les sens, dans leur activit
dirige au-dehors comme au-dedans. LĠacousmatique du signe est cette coute des
interstices qui font jouer les lments smantiques, des pulsations qui
redistribuent sans cesse les valeurs smiotiques, des rythmes qui recomposent
de faon dterminante la double articulation. LĠacousmatique du signe est cette
coute organique du langage qui fait si cruellement dfaut tout centrisme
systmatique, phonocentrisme ou grammatalogie, parce que lĠacous˙matique du
signe est cette coute du tiers-inclus nomade, insaisissable et pourtant
fondateur de toute activit langagire. Et ce, en comprenant Òactivit
langagireÓ en un sens trs large: activit impliquant la voix, directement ou
indirectement, arienne ou acousmatique, en mme temps que lĠoue, extrieure
et intrieure, spirituelle et corporelle. Ce qui nous fait penser au passage
suivant dans lequel Franois-Bernard Mche met lĠhypothse selon laquelle
Òtoutes les populations humaines ont pu dvelopper, partir dĠune forme de
signalisation sonore primitive, trois types dĠorganisations ingalement
rpandue: une musique, communiquant des tats motionnels globaux; un langage
siffl ou instrument, communiquant des messages en gnral simples, mais
partir dĠlments combinables; un langage parl enfin (ou cri, ou chuchotÉ),
dveloppant considrablement la relation signifiant (sonore)-signifi, et ne
conservant la communication motionnelle quĠ lĠtat de traces dans les aspects
dits suprasegmentaux (comme le contour intonatif, les accents, le rythme), ou
encore les onomatopesÓ (Mche 2001: 107).[21] Ce sont en effet l Òtrois formes de vocalisationÓ fondatrices de
diverses activits humaines de communication, rflexion et cration,
reprsentatives dĠune invention et dĠune habilet remarquables. Le facteur
commun ces trois pratiques ne peut tre que lĠusage de lĠoue tous azimuts:
dans le for intrieur de chacun, la dimension acousmatique fonctionne ds lors
un peu comme une caisse de rsonance et dĠamplification permettant dĠune part
lĠlaboration de la musique, au plus prs de la vie du corps (mais sans nier
les perces de lĠesprit qui trouent en gloire le paysage sonore intrieur);
dĠautre part, le cas chant, lĠint elligence de la communication des langages
siffls; enfin, de faon continue et constante, la fabrication des langues et,
dans ces langues, la culture infinie de lĠinvention des concepts.
Musique, langages
siffls, langues, ces trois formes de vocalisation sont de fait des activits
o lĠacousmate est ncessaire, alors quĠon fait trop souvent lĠimpasse sur lui.[22]
DĠailleurs, si les
musiciens ont beaucoup apprendre au philosophe qui nĠaurait pas rendue sourde
en lui lĠoreille intrieure, les potes ne sont pas en reste sur une telle
voie.
CĠest ainsi que Pessoa
ou Char, parmi dĠautres adeptes des thories du signe sous les espces de
lĠacousmatique, ne peut que nous renvoyer une logique de la vibration,
non-binaire, telles celles quĠun Janklvitch a pu penser et mettre en Ïuvre.[23]
Mais il ne faudrait pas croire que Char et Pessoa sont sur ce point des figures
exceptionnelles. DĠautres potes ont, leur faon, clbr le nomadisme de la
voix dans leur faon dĠagencer les lettres de leurs pomes. Un exemple
remarquable est celui du galicien Jos çngel Valente dans sa plaquette Trois
leons de tnbres. Nous confiant quĠelle tire son origine de la musique, en
particulier des Ç leons de tnbres È de Couperin, le pote justifie
le fait quĠil a glos par chaque pome les quatorze premires lettres de
lĠalphabet hbreu (lesquelles dbutaient dans cet ordre les premiers versets
des Lamentations de Jrmie, texte fournissant la matire langagire des
compositions musicales dont il sĠinspire) en recourant un terme musical
significatif : Ç le chant des lettres nĠa pas dĠargument, cĠest un
chant mlismatique. È[24] Les mlismes commencent ds lors que plus dĠune note est chante
sur une syllabe, et les mlismes prolongs qui sont chants sur la lettre sont
donc tout spcialement des vocalises qui se dtachent de ce que Valente appelle
Ç lĠargument È, savoir la dimension smantique du texte
chant : volutes se droulant sans autre logique que la leur, sonore,
mditative, musicale, nomadisme de la voix sĠchappant exemplairement des
contraintes du sens. Dans la suite de son Ç auto-lecture È, le pote
espagnol met lĠaccent sur les continuits et le flux sans cesse recommenc du
chant mlismatique tel quĠil le transcrit dans le pome : Ç Les
quatorze textes qui composent les Trois leons de tnbres se sont forms sur
lĠaxe des lettres qui est, en effet, celui qui donne entendre le mouvement
originaire, le mouvement qui ne cesse de commencer. Ils peuvent donc se lire
comme un pome unique : chant de la germination et de lĠorigine ou de la
vie comme imminence et proximit. È[25] Si ces quatorze pomes tournent, en mlismes
potiques et non plus musicaux, autour des lettres, on comprend bien que
nous ne sommes pas pour autant dans un rgime exclusivement
grammatologique : il y a l alliance de la lettre et de la voix, et la premire
ne serait rien sans la deuxime. Certaines formulations de la plaquette le
disent sans ambages. Le premier pome se situe Ç au point o commence la
respiration È[26], un autre affirme que Ç ce qui palpite a un rythme et
advient par le rythme È[27], un autre encore voque Ç le flux de lĠobscur qui monte en
houle : le vagissement brutal de ce qui gt et sĠacharne vers le
haut È[28] et les derniers
dclinent le thme de la Ç vibration È[29], au nom duquel le pote peut noncer
lĠobscurit voile de la voix ds lors quĠelle nĠa pas t passe au crible de
lĠabstraction, ds lors quĠelle nĠa pas t oublie, incessant mouvement
mlismatique, dans les dterminations formelles de la lettre : Ç ma
voix nĠest pas nue È.[30] On peut ds lors considrer la posie de Valente comme un travail
acroamatique, fond sur une acousmatique du signe et affirmant sans cesse, dans
son jeu mlismatique, les bienfaits du nomadisme de la voix.
Recourons encore, pour
finir sans finir, comme il convient tout nomadisme, Mehdi Belhaj Kacem, qui
exprime peut-tre lĠutopie ncessaire de lĠacousmatique: ÒLe paradis de la
vrit des corps aurait tout dĠun espace aveugle et infini o nĠauraient cours
que les danses errantes, les frlements, les treintes et les loignements des
voix; car lĠinfini dĠun corps se devine dans le tissu de rsonances et de
vibrations quĠest sa voix; et lĠenfer de la transparution effrne des corps,
lĠinjustice infinie dĠune loi divine qui les divise sans fin et sans gards
pour lĠinfinit de leurs voix, succderait le temps cleste dĠun au-del
parapsychologique o les corps ne pourraient plus se faire justice que par
leurs voix; ils sĠentameraient les uns les autres, sĠaccrotraient par leurs
conqutes ou se diminueraient, se dilateraient dans leurs rsonances ou se
rtrciraient par lĠincapacit se faire entendre [...]Ó (Kacem 2001:
361-362).
P. Quillier
Bibliographie
Baccou Robert
1939: Un
grammairien latin de la dcadence: Virgile de Toulouse, Tolosa.
Badir. S. & Parret, H., d.
2001: Puissances
de la voix – Corps sentant, corde sensible, NAS (Nouveaux Actes
Smiotiques), Paris: Pulim.
Bergounioux. Gabriel, d.
2001: La parole
intrieure = Langue franaise 132, dcembre 2001.
Charles, Daniel
1978: Le temps
de la voix, Paris: Jean-Pierre Delarge.
Chouard, Claude-Henri
2001: LĠoreille
musicienne – Les chemins de la musique de lĠoreille au cerveau, Paris: Gallimard,
2001.
Fnagy, Ivan
1983/91: La vive voix – Essais de
psycho-phontique, Paris: Payot.
Granet, Marcel
1968: La pense
chinoise,
Paris: Albin Michel.
Hegel, Georg Wilhelm Friedrich
1830: Enzyklopdie
der philosophischen Wissenchaften im Grundrisse (1830), Frankfurt/M.:
Suhrkamp, 1970.
1939: Morceaux
choisis 1,
trad. Henri Lefebvre et Norbert Guterman, Paris: Gallimard.
1965: La Raison
dans lĠHistoire, trad. Kostas Papaioannou, Paris: 10-18.
1967: Esthtique
(Textes choisis), d. Claude Khodoss, Paris: PUF.
Kacem, Mehdi Belhaj
2000: Esthtique
du chaos,
Paris: Tristram.
2001: Society, Paris: Tristram.
Loraux, Patrice
1993: Le Tempo
de la pense, Paris: Seuil.
Jean-Luc Nancy & lisabeth Rigal d.
2001: Granel
– lĠclat, le combat, lĠouvert, Paris: Belin.
Panaccio, Claude
1999: Le
discours intrieur de Platon Guillaume dĠOckham, Paris: Seuil.
Pessoa, Fernando
2001: Îuvres
potiques,
Paris: Gallimard.
Patrick Quillier
1990:
Fernando Pessoa ou la logique de la vibration. In: Encontro internacional do
centenrio de Fernando Pessoa, Lisboa: Secretaria de estado da cultura,
165-171.
2001:
Des acousmates dĠApollinaire aux voix de Bonnefoy, Quelques rflexions sur la
Ôfine couteĠ. In: Littrature et musique dans la France contemporaine, Actes du Colloque des
20-22 mars 1999 en Sorbonne, Jean-Louis Backs, Claude Doste et Danile Pistone
d., Strasbourg: Presses Universitaires de Strasbourg, ?-?.
Rebotier, Jacques
2001:
Le chant trs obscur de la langue, suivi de Requiem, Paris: ditions
Virgile.
Trabant, Jrgen
1993:
Der akroamatische Leibniz: Hren und Konspirieren. In: Paragrana 2: 64-71.
1999:
Traditions de Humboldt, Paris: Maison des Sciences de lĠHomme.
Valente, Jos çngel
1998:
Trois leons de tnbres, suivi de Mandorle et de LĠclat, Paris: Gallimard.
------------------------------------------------------------------------
[1] Traduction de Maurice de Gandillac, cite ibid., p.175 (Òder Ton, die erfllte u§erung der sich
kundgebenden InnerlichkeitÓ, Hegel 1830: 271).
[2] Ibid., p.189, o il est aussi question de ÒphonocratieÓ et de Òphonosuprmatie
subjectiveÓ.
[3] Voir la remarque de Trabant (1999: 190): Òla
voix du matre est destine disparatre dans le silence de la pense, dans le
puits profond du moi.Ó
[4] Renvoyons aux belles formules de Daniel
Charles: ÒLa voix est une fonction de lĠoueÓ; Òle parler est toujours au mme
instant un entendreÓ. (Charles 1978: 101, 102)
[5] Voir Quillier 2001
[6] Il est loisible de rapporter cela la formule
de Mehdi Belhaj Kacem, qui exprime une constatation souvent faite: ÒLĠhistoire
de la mtaphysique occidentale, paracheve avec Hegel, est celle dĠune
autonomisation progressive du conceptÓ (Kacem 2000: 82) Ou encore la remarque
de Maurice Blanchot que le mme Belhaj Kacem cite un peu plus loin: ÒË partir
de Kant, le philosophe est principalement professeur. Hegel, en qui la
philosophie se rassemble et sĠaccomplit, est un homme dont lĠoccupation est de
parler du haut dĠune chaire, de rdiger des cours et de penser en se soumettant
aux rgles de cette forme magistraleÓ (Kacem 2000: 183).
[7] Suggrant de relativiser Òtoute opposition
htive, ou scolaire, ou scolastique, ou raffine, de la voix et de lĠcritureÓ,
Daniel Charles (1978: 116) cite cette formule de Gadamer: Òtout crit pour tre
compris a besoin dĠune sorte dĠlvation dans lĠoreille intrieure.Ó
[8] Au total Panaccio en dnombre trente-six,
rpertories pp. 306-307.
[9] Tous phnomnes Òqui continuent de faire
problme: lĠerreur, la validit logique, les ambiguts de toutes sortes, la
compositionnalit, la rfrence, le savoir, la dlibration, la traduction,
etc.Ó (Panaccio 1999: 318)
[10] Se reporter par exemple Trabant (1993).
[11] La neurologie contemporaine prend au srieux
certaines formes dĠacousmates, bien quĠelle les dfinisse comme des
Òhallucinations auditivesÓ: ce sont en effet pour elle des Òacouphnes
subjectifs dĠorigine centraleÓ, qui vont jusquĠ reproduire Òdes sonorits
musicales qui peuvent tre trs labores: chants, mlodies fredonnes par
quelquĠun de connu ou par des voix trangres, voire fragments de musique
instrumentale. Les neurologues distinguent les hallucinoses et les
hallucinations vraies. Les hallucinoses sĠaccompagnent du maintien du jugement
critique sur lĠorigine artificielle des sonorits perues, telles certaines
hallucinoses migraineuses, ou celles fournies par des drogues dites
hallucinognesÓ (Chouard 2001: 327) Mais les acousmates ont aussi droit de cit
dans certains discours philosophiques, tel le bel article ÒPhons dĠakousai boulomaiÓ de Jean-Toussaint Dessanti, dbutant
par cet acousmate particulirement mouvant quĠest la rsonance, dans la
mmoire affective, de la voix dĠun dfunt aim (en lĠoccurrence Grard Granel):
ÒGrard, / CĠest toi que je parle, ami, car ta voix je veux encore
lĠentendre. Tu ne me liras plus, tu ne mĠentendras plus. Moi, je tĠentends
encore; et mon dsir persiste que cette voix qui fut tienne rsonne toujours en
moi pour le temps qui me resteÓ, Òcette prsence exigeante, qui fut toi, je
veux la prserver, en entendant ta voix.Ó (Nancy & Rigal 2001: 165, 169)
[12] De dialectica, 5, d. et trad. Angl., J. Pinborg et B. D. Kackson,
Dordrecht, Reidel, 1975, cit dans Panaccio (1999: 109).
[13] De Magistro, I, 2, cit dans Panaccio (1999: 110).
[14] Augustin, La Trinit, XV, 19, dans Îuvres de saint
Augustin, vol. 16, P.
Agasse d. et trad., Descle de Brouwer, 1955
[15] Exemplaire de la gne que ce paradoxe entrane,
lĠinterrogation de Christian Puech dans son article ÒLangage intrieur et ontologie
linguistique la fin du XIXme sicleÓ: ÒUne voix imperceptibe qui sĠentend?Ó,
ainsi que son injonction en quelque sorte conjuratoire Òaccepter tous les
paradoxes qui sĠattachent la dfinition de ÔlĠimage sonoreĠ: image sans lieu,
sans forme, sans tendue dĠaucune sorte, dont ÔlĠinscriptionĠ nĠoccupe aucun
espaceÓ (Bergounioux 2001).
[16] Voir Fnagy (1983, 1991: 228-229)
[17] Dans la mme page, Charles opre la ractivation de
lĠtymologie Stim˙me/Stim˙mung laquelle Hegel tait sourd: la voix interdit
Òla clture du langage sur lui-mme et sa fermeture en tant que simple
ÔinstrumentĠ, justiciable dĠune analyse strictement et exclusivement
linguistique. Elle est ÔlaĠ voix mme de lĠĉtre: en tant que Grund-stimmung,
elle est Ô lĠcouteĠ de lĠĉtre. Elle est lĠĉtre tel quĠil Ôse disposeĠ pour et
en vue de lĠhomme: musicalement.Ó
[18] Clercs errants vivant en rupture avec tout milieu
social, souvent assimils aux ÒgoliardsÓ.
[19] On pourrait reprendre, en la dtachant de son
contexte lacanien, la formule dĠintertitre employe par Dominique Ducard, dans
son article consacr aux Òreprsentations psychiques se rfrant des schmas
corporelsÓ et investissant Òla voix, substrat du langage verbalÓ (ÒStyles de
voix et images du corpsÓ): ÒLe voyage imaginaire de la voixÓ. (NAS 2001)
[20] Voir Fnagy (1983, 1991: 120-122).
[21] Dans la mme page, Mche prcise: Òĉtre musicien
serait dĠabord chapper aux contraintes du logos, cĠest--dire, comme lĠavaient bien vu
les Grecs, la fois la raison et le langage.Ó
[22] Daniel Charles (1978: 183) cite cette formule de
Gisle Brelet (dans LĠinterprtation cratrice, PUF, 1951, p. 242): ÒLa musique ne
sĠentend que grce la voix qui la profre intrieurementÓ.
[23] Voir Quillier 1990
[24] Valente 1998, p.62
[25] Ibid.
[26] Ibid.,
p.41
[27] Ibid.,
.45
[28] Ibid.,
p.51
[29] Ibid.,
p.55, p.57
[30] Ibid.,
p.55 Dans Mandorle,
Valente a cette remarque fondamentale, qui prolonge lĠexprience des mlismes
dans celle de la vibration : Ç La racine du tremblement emplit ta
bouche, / tremble, vient tĠenvahir / et chante germinale dans ta gorge. È
(Ibid., p.84)